TITRE II - DISPOSITIONS RELATIVES AUX LIBÉRALITÉS
Article 9 - Intitulé du titre II du Livre III du code civil
Cet article, adopté sans modification par l'Assemblée nationale en première lecture, a pour objet d'intituler le titre II du livre III (« Des différentes manières dont on acquiert la propriété ») du code civil : « Des libéralités », et non plus : « Des donations entre vifs et des testaments », afin de substituer le terme générique à l'énumération des deux catégories d'actes qu'il recouvre.
Ce terme est en effet à la fois unanimement reconnu par la doctrine et déjà largement utilisé dans le code civil. L'article 10 du projet de loi prévoit d'en donner une définition à l'article 893 dudit code.
Votre commission vous propose d' adopter l'article 9 sans modification .
Article 10 (art. 893, 896, 897, 901, 910 et 911 du code
civil)
Définition des libéralités - Suppression de la
prohibition des substitutions fidéicommissaires - Actualisation des
règles relatives aux interpositions
Cet article a pour objet de donner une définition légale des libéralités, de mettre fin à l'interdiction de principe des substitutions fidéicommissaires et d'actualiser les règles relatives aux interpositions.
1. La définition des libéralités
Le 1° , auquel l'Assemblée nationale n'a apporté qu'une modification formelle, tend à réécrire l'article 893 du code civil afin :
- dans un premier alinéa, de définir la libéralité comme « l'acte par lequel une personne dispose à titre gratuit de tout ou partie de ses biens ou de ses droits au profit d'une autre personne » ;
- dans un second alinéa, de préciser qu'une libéralité ne peut prendre la forme que de deux catégories d'actes -la donation entre vifs ou le testament.
Les articles 894 et 895, laissés inchangés par le projet de loi, définissent respectivement :
- la donation entre vifs , comme « l'acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l'accepte » ;
- le testament , comme « l'acte par lequel le testateur dispose, pour le temps où il n'existera plus, de tout ou partie de ses biens, et qu'il peut révoquer . »
La donation entre vifs doit en principe revêtir la forme d'un acte notarié , en application de l'article 931 du code civil. Toutefois, les dispositions de cet article ont simplement pour effet d'interdire, à peine de nullité, la passation sous seing privé d'un acte ayant expressément cet objet. En effet, la loi n'interdit pas et la jurisprudence admet en conséquence les donations tacites.
Pour contourner la prohibition de l'article 931, il suffit de ne pas matérialiser l'accord des volontés par un écrit ( don manuel ) ou bien de couvrir d'un voile pudique la gratuité de l'opération ( donation déguisée 116 ( * ) ou donation indirecte 117 ( * ) ). Le désir des particuliers d'éluder les règles civiles (capacité, rapport, réduction...) et surtout fiscales normalement applicables aux libéralités explique le succès de ces donations non notariées. Pourtant, si elles échappent aux règles de forme édictées par le code civil, elles continuent d'obéir aux règles de fond et sont requalifiées lorsque le juge en est saisi. Bien évidemment, elles donnent alors lieu à un redressement fiscal.
Quant au testament , il doit nécessairement être écrit . L'article 969 du code civil ne prévoit en effet que trois formes pour tester, toutes trois écrites :
- le testament olographe qui, aux termes de l'article 970, n'est assujetti à aucune autre forme que l'obligation d'être écrit en entier, daté et signé de la main du testateur 118 ( * ) ;
- le testament fait par acte public qui, aux termes de l'article 971, doit être reçu par deux notaires ou par un notaire assisté de deux témoins ;
- le testament fait dans la forme mystique qui, aux termes de l'article 976, doit être présenté au notaire et à deux témoins, dans un papier clos, cacheté et scellé au préalable ou en leur présence, et doit faire l'objet d'un acte de suscription dressé en brevet par le notaire.
Entrée en vigueur le 1 er décembre 1994, la convention de Washington du 28 octobre 1973 propose une nouvelle forme de testament admise et valable dans tous les Etats qui y ont adhéré, et dont la France fait partie : le testament international .
La loi uniforme -tel est le nom donné à la convention- laisse cependant subsister toutes les autres formes de testament connues dans chaque législation nationale.
Le testament international n'est pas sans rappeler le testament mystique.
Comme lui, il n'est pas nécessairement écrit par le testateur lui-même et peut être rédigé en une langue quelconque, à la main ou par un autre procédé, une rédaction dactylographiée étant possible -les personnes illettrées ou infirmes peuvent ainsi faire écrire leur testament par une autre personne.
En présence de deux témoins et d'une personne habilitée à instrumenter à cet effet 119 ( * ) , le testateur déclare d'abord que le document est son testament et qu'il en connaît le contenu -qu'il n'est pas tenu de leur révéler. Puis, il signe le testament ou, s'il l'a signé précédemment, reconnaît et confirme sa signature. Les témoins et la personne habilitée y apposent aussitôt la leur en présence du testateur. La personne habilitée joint au testament « une attestation établissant que les obligations prescrites par la loi uniforme ont été respectées » rédigée suivant un modèle imposé.
Les principales distinctions entre la donation entre vifs et le testament sont les suivantes :
Donation entre vif |
Testament |
Contrat |
Acte unilatéral 120 ( * ) |
Irrévocabilité
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Révocabilité |
Imputation, sauf stipulation contraire,
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Imputation du legs, sauf stipulation contraire,
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Possibilité d'un paiement des droits de mutation par le donateur sans qu'il en résulte, fiscalement, une donation supplémentaire |
Paiement des droits de mutation
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Absence de déduction des dettes
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Déduction des dettes
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Les dispositions actuelles de l'article 893 du code civil, aux termes desquelles il n'est possible de disposer de ses biens, à titre gratuit, que par donation entre vifs ou par testament, ne seraient donc pas remises en cause mais précisées sur trois points.
Serait ainsi plus clairement mis en exergue le fait que les libéralités :
- présentent la caractéristique commune d'être des actes effectués à titre gratuit, c'est-à-dire entraînant un appauvrissement de leur auteur ;
- peuvent porter non seulement sur des biens mais également sur des droits, qu'il s'agisse de droits réels -usufruit 121 ( * ) , servitude de passage 122 ( * ) , droit d'usage et d'habitation 123 ( * ) - ou de droits personnels -remise de dette, bail ne comportant pas de loyer, cession de créance à titre gratuit 124 ( * ) . En revanche, les services ne sont pas l'objet de donation. En d'autres termes, celui qui rend un service à autrui sans être rémunéré ne consent pas une libéralité parce que, à proprement parler, il ne s'appauvrit pas 125 ( * ) ;
- peuvent ne concerner qu'une partie des biens ou des droits de leur auteur.
L'emploi du terme de « personne », sans autre précision, vise aussi bien les personnes physiques que les personnes morales. Encore convient-il d'observer que ces dernières n'ont pas toutes la capacité de consentir ni de recevoir une libéralité. A titre d'exemple, sans préjudice des dispositions de la loi n° 87-571 du 23 juillet 1987 sur le développement du mécénat, une libéralité consentie par une société commerciale a de grandes chances d'être qualifiée d'abus de bien social. Depuis le 1 er janvier 2006 et en application d'une ordonnance n° 2005-856 du 28 juillet 2005 prise sur le fondement de l'article 10 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, les dispositions entre vifs ou par testament, au profit des fondations, des congrégations et des associations ayant la capacité à recevoir des libéralités, à l'exception de celles considérées comme des sectes, ne sont plus soumises à un régime d'autorisation préalable mais à une obligation de déclaration auprès de la préfecture, qui peut s'y opposer sur le fondement de l'inaptitude de l'organisme légataire ou donataire à utiliser la libéralité conformément à son objet statutaire.
Souscrivant aux modifications proposées, votre commission vous soumet un amendement rédactionnel au texte proposé pour l'article 893 du code civil, ainsi qu'un amendement tendant à modifier l'article 895 afin de prévoir, par coordination avec la nouvelle rédaction de l'article 893, que le testament est un acte par lequel le testateur dispose de tout ou partie de ses biens « ou de ses droits ».
Votre rapporteur n'a pas jugé nécessaire d'opérer une modification similaire à l'article 894 en raison du caractère général de la notion de « chose donnée » et de sa reprise dans de nombreux articles du code civil, notamment dans la partie relative aux contrats (art. 1126 et suivants).
2. La suppression de la prohibition des substitutions fidéicommissaires
Le 2° , entièrement réécrit par l'Assemblée nationale sur proposition de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, tend à abroger les articles 896 et 897 du code civil : le premier pose le principe de la prohibition des substitutions mais ne prohibe véritablement, à peine de nullité, que les substitutions dites fidéicommissaires, tandis que le second ménage à ce principe une dérogation justifiée par un intérêt familial.
• Le droit en vigueur
La substitution fidéicommissaire, également appelée libéralité graduelle, est la clause par laquelle le disposant charge la personne gratifiée de conserver toute sa vie durant les biens ou droits qu'il lui a donnés ou légués en vue de les transmettre, à son décès, à une autre personne désignée par lui.
Elle se caractérise ainsi par la conjonction de trois éléments :
- l'existence de deux libéralités successives ;
- la charge, pour le premier gratifié, également appelé le grevé, de conserver et de transmettre ;
- le report de l'exécution de la seconde libéralité au décès du premier gratifié.
Elle se distingue :
- de la substitution dite « vulgaire » qui constitue une clause, autorisée par l'article 898 du code civil, par laquelle l'auteur de la libéralité prend la précaution de désigner un bénéficiaire de second rang pour le cas où le bénéficiaire désigné en premier lieu serait prédécédé ou, en cas de survie, refuserait la libéralité ;
- de la double libéralité en usufruit et en nue-propriété , autorisée par l'article 899 du code civil et qui permet d'obtenir un résultat très proche.
Par dérogation à la règle posée par l'article 900 du code civil, la nullité qui sanctionne la substitution prohibée atteint la disposition dans son entier et pas seulement la clause de substitution : les deux libéralités prévues par le disposant sont anéanties. Elle se prescrit par trente ans et la libéralité n'est pas susceptible de confirmation.
Sous l'Ancien Régime, la substitution fidéicommissaire fut utilisée comme un instrument de conservation du patrimoine familial et de mise en oeuvre du droit d'aînesse sur certains biens. M. Michel Grimaldi rappelle ainsi que : « Par des substitutions graduelles, c'est-à-dire à plusieurs degrés, voire perpétuelles, la noblesse assurait tout à la fois l'accroissement progressif de la fortune familiale, essentiellement foncière, et sa concentration entre les mains de l'aîné de chaque génération. Cet usage de l'institution explique son histoire : le pouvoir royal, qui redoutait les trop fortes puissances familiales, prohiba la substitution au-delà de deux générations ; la Révolution, tout à la fois hostile à la famille comme aux institutions nobiliaires, l'abolit purement et simplement ; le code civil, soucieux de restaurer la famille mais non de ressusciter les privilèges successoraux, maintint la prohibition tout en y apportant certaines exceptions au profit de la proche famille et à la condition que l'égalité fût respectée 126 ( * ) . »
L'article 897 du code civil admet ainsi la validité des substitutions fidéicommissaires établies au profit des petits enfants ou des neveux et nièces :
- les père et mère peuvent imposer à l'enfant qu'ils gratifient, dont ils redoutent la prodigalité ou l'impéritie, la charge de conserver et de remettre les biens reçus à ses propres enfants 127 ( * ) ;
- une personne sans postérité peut grever une libéralité consentie à ses frères ou soeurs d'une charge leur imposant de transmettre les biens reçus à leurs enfants et s'assurer ainsi du maintien des biens dans la famille 128 ( * ) .
Ces deux substitutions exceptionnellement autorisées sont par ailleurs soumises à des conditions rigoureuses définies par les articles 1048 à 1074 du code civil :
- la substitution ne peut porter que sur la quotité disponible ;
- elle n'est autorisée que sur un seul degré ;
- toute distinction fondée sur l'âge ou le sexe est interdite ;
- la substitution ne peut concerner que les biens disponibles, à peine de réduction.
La jurisprudence a par ailleurs admis un certain nombre d'opérations voisines de la substitution fidéicommissaire qui, techniquement, ne se confondent pas avec elle :
- le double legs alternatif et conditionnel 129 ( * ). Dans cette opération, deux personnes sont gratifiées sous une condition inverse. Le même événement à venir vaut à la fois comme condition résolutoire de la libéralité consentie à la première et comme condition suspensive de la libéralité adressée à la seconde. Si l'événement se réalise -par exemple le prédécès sans postérité de son bénéficiaire-, la première libéralité est rétroactivement anéantie tandis que la seconde est censée avoir toujours existé ; si l'événement ne se réalise pas, la première sera définitivement consolidée alors que la seconde ne produira jamais aucun effet. Ainsi conçu, le mécanisme diffère de la substitution fidéicommissaire en ce qu'il écarte la succession de deux libéralités. La différence ne tient pas aux réalités économiques comme dans la double libéralité en usufruit et en nue-propriété mais à une fiction juridique ;
- le legs de residuo , encore appelé fidéicommis sans inaliénabilité 130 ( * ) , disposition par laquelle le testateur lègue ses biens à une première personne en stipulant qu'elle devra transmettre à une seconde personne précisément désignée ce qui restera du legs à sa mort . L'opération se rapproche de la substitution fidéicommissaire en ce que le résidu, s'il y en a un, fera de plein droit l'objet d'une double transmission successive. Elle en diffère fondamentalement en ce que le premier bénéficiaire n'a pas l'obligation de conserver ; il peut librement disposer de l'ensemble des biens légués et ne rien laisser au second bénéficiaire laissé après lui. La jurisprudence a admis, tout d'abord, que le testateur pouvait interdire au premier gratifié de disposer de ses biens par donation ou par testament 131 ( * ) , ensuite, que la cession de valeurs mobilières anciennes suivie de l'achat de titres nouveaux n'était pas un acte de disposition réduisant le résidu mais un acte de gestion normale de portefeuille, le résidu comprenant en conséquence l'ensemble du portefeuille tel qu'il était constitué au décès du premier bénéficiaire 132 ( * ) , enfin, que le legs de residuo , à la différence d'une substitution permise, pouvait porter sur la réserve héréditaire aussi bien que sur la quotité disponible 133 ( * ) .
• Le dispositif proposé
Dans sa rédaction initiale , le 2° du présent article tendait à insérer un article 897-1 dans le code civil afin d' autoriser expressément les libéralités résiduelles , tout en maintenant le principe de l'interdiction des substitutions posé par l'article 896.
Ce faisant, il donnait une base légale à la jurisprudence relative au legs de residuo et levait les incertitudes entourant les donations entre vifs revêtant les mêmes caractéristiques. En l'absence d'une position claire de la Cour de cassation, la doctrine était en effet divisée sur la licéité de telles libéralités.
Sur proposition de sa commission des lois et avec l'accord du Gouvernement, l'Assemblée nationale a réécrit l'article 17 du projet de loi, qui avait initialement pour seul objet de définir le régime légal des libéralités résiduelles, afin d'autoriser également, en les encadrant, les libéralités graduelles , expression préférée à celle de substitutions fidéicommissaires.
En conséquence, jugeant inutile de maintenir le principe de la prohibition des substitutions, elle a réécrit le 2° du présent article afin de prévoir l'abrogation des articles 896 et 897 du code civil.
• La position de la commission
Les substitutions s'avèrent aujourd'hui faciles à contourner quand elles sont prohibées et difficiles à analyser quand elles sont permises. Une réforme des règles applicables semble donc nécessaire.
Tout en souscrivant à l'assouplissement prévu par l'article 17 du projet de loi, votre commission vous soumet un amendement tendant à maintenir le principe de la prohibition des substitutions en dehors des cas prévus par la loi .
Certes, la justification politique de ce principe s'estompe alors qu'il contrarie la volonté du disposant et empêche des opérations parfois éminemment conformes à l'intérêt de la famille. La substitution fidéicommissaire permet en effet de protéger à la fois celui que sa prodigalité ou son incompétence menace de réduire à la misère et ses descendants, donc l'ensemble de la famille du disposant.
Elle présente en revanche, selon le professeur Michel Grimaldi « l'inconvénient économique très sérieux de placer des biens hors du commerce et de créer ainsi des situations de mainmorte. Incessibles, les biens sont exposés au risque d'une exploitation abusive ou négligente ; insaisissables, ils ne peuvent être un instrument de crédit. Or la circulation des richesses et le crédit sont indispensables à l'économie libérale 134 ( * ) ». Certes, cet inconvénient est atténué par la possibilité offerte par les articles 900-2 à 900-7 du code civil d'obtenir la révision en justice des conditions et charges grevant les donations ou legs reçus lorsque, par suite d'un changement de circonstances, l'exécution en est devenue pour leur bénéficiaire soit extrêmement difficile, soit sérieusement dommageable.
Mais la restriction importante apportée par les substitutions au principe de libre circulation des biens justifie, comme l'a fait valoir le professeur Pierre Catala lors de son audition par votre rapporteur, que la prohibition reste le principe et la validité l'exception.
3. Les conditions de validité du consentement de l'auteur de la libéralité
Le 2° bis , inséré par l'Assemblée nationale sur proposition de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, tend à réécrire l'article 901 du code civil, aux termes duquel il faut être sain d'esprit pour faire une donation entre vifs ou un testament, afin :
- d'une part, de substituer le terme générique de « libéralité » à la mention de ces deux catégories d'actes ;
- d'autre part, de préciser les vices du consentement pouvant être invoqués, en indiquant qu'« une libéralité est nulle lorsque le consentement a été vicié par l'erreur, le dol ou la violence, physique ou morale ».
L'article 489 du code civil dispose déjà qu'il faut être sain d'esprit pour faire un acte juridique. L'article 901 ne constitue donc que la répétition de cette règle générale 135 ( * ) .
L' insanité d'esprit s'apprécie de la même façon dans les actes gratuits et onéreux. Elle est largement entendue. Selon la Cour de cassation, elle inclut « toutes les variétés d'affection mentale par l'effet desquelles l'intelligence du disposant aurait été obnubilée, ou sa faculté de discernement déréglée 136 ( * ) . » Peu importe donc que l'altération des facultés mentales soit durable ou seulement momentanée, qu'elle procède d'un état psychique, d'une maladie physique ou même de l'absorption d'alcool ou de drogue. Il suffit d'établir qu'au moment de la libéralité, son auteur ne jouissait pas d'une lucidité suffisante pour comprendre la portée et les conséquences de ses actes. La preuve de l'insanité d'esprit est à la charge de celui qui se prévaut de la nullité.
Quant aux vices du consentement mentionnés par l'Assemblée nationale, ils étaient déjà admis par la jurisprudence, qui appliquait les règles générales posées par les articles 1109 et suivants du code civil :
- l' erreur peut ainsi porter tant sur l'objet de la libéralité que sur la personne de son bénéficiaire. En matière de libéralité, elle porte souvent sur le droit applicable ;
- le dol peut être le fait non seulement du gratifié mais également d'un tiers 137 ( * ) , alors qu'en règle générale il n'est une cause de nullité que s'il est le fait de l'une des parties au contrat. Il est, de tous les vices du consentement, celui qui est le plus souvent invoqué à l'encontre des donations et celui qui suscite le contentieux le plus abondant. Conformément à l'article 1116 du code civil, la nullité n'est encourue que s'il y a eu de véritables manoeuvres frauduleuses, « des pratiques artificieuses ou des insinuations mensongères 138 ( * ) » et que ces manoeuvres ont eu un caractère déterminant sur la décision du disposant. Le dol englobe aujourd'hui la suggestion et la captation qui constituaient selon l'ordonnance d'août 1735 des causes distinctes d'annulation des libéralités ;
- la violence peut être à la fois physique mais également -et le plus souvent- morale. Elle résulte alors de menaces ou de chantage telle la menace de laisser sans soin une personne âgée et affaiblie par la maladie 139 ( * ) ou celle d'exercer abusivement des poursuites judiciaires.
La mention de ces causes de nullité dans les dispositions relatives aux libéralités n'est pas inutile dans la mesure où l'article 1109 du code civil, selon lequel « il n'y a point de consentement valable, si le consentement n'a été donné que par erreur, ou s'il a été extorqué par violence ou surpris par dol », ne concerne que les conditions requises pour la validité des conventions. Or un testament est un acte unilatéral.
Votre commission vous soumet toutefois un amendement ayant pour objet de supprimer la précision selon laquelle la violence peut être physique ou morale pour une double raison :
- la jurisprudence admet déjà la violence morale comme une cause de nullité d'une libéralité ;
- nombre d'articles du code civil et du projet de loi lui-même faisant référence à la violence en général, il convient de maintenir une rédaction uniforme sous peine de créer des ambiguïtés.
4. La suppression de références obsolètes
Le 2° ter , inséré par l'Assemblée nationale sur proposition de sa commission des lois et avec l'avis favorable du Gouvernement, tend à modifier le premier alinéa de l'article 910 du code civil, qui subordonne les libéralités consenties au profit des hospices, des pauvres d'une commune, ou d'établissements d'utilité publique à une autorisation par une ordonnance royale, afin de substituer à cette exigence obsolète celle d'un décret.
Quitte à actualiser des dispositions obsolètes, votre commission vous soumet un amendement ayant pour objet de ne plus faire référence aux « hospices » mais aux établissements de santé et aux établissements sociaux et médico-sociaux.
5° L'actualisation des règles limitant les interpositions
Le 3° a pour objet de modifier l'article 911 du code civil afin d'actualiser les règles relatives aux interpositions. Sur proposition de sa commission des lois et avec l'accord du Gouvernement, l'Assemblée nationale a procédé à une réécriture d'ensemble de cet article pour clarifier ses dispositions.
La liberté de disposer et de recevoir à titre gratuit n'est entravée que par certaines incapacités légales, souvent fondées sur une présomption de captation.
Dans cinq hypothèses, la loi interdit à une personne de recevoir une libéralité d'une autre personne parce qu'elle craint que la première soit à même d'abuser de son influence sur la seconde :
- le tuteur ne peut rien recevoir de son pupille , même après la cessation de la tutelle, jusqu'à ce que le compte définitif de tutelle ait été rendu et apuré, sauf s'il est son ascendant (art. 907 du code civil). La règle est propre à la tutelle des mineurs ; elle ne s'applique pas à la tutelle des majeurs qui sont soumis à un régime spécifique ;
- les médecins et pharmaciens ne peuvent être gratifiés par leurs malades , lorsque cette maladie est la cause du décès 140 ( * ) , sauf s'il s'agit d'une libéralité rémunératoire tenant lieu d'honoraires ou si le disposant et le gratifié sont proches parents, c'est-à-dire jusqu'au quatrième degré (art. 909 du code civil) ;
- les ministres du culte sont assimilés aux médecins et pharmaciens (art. 909 du code civil) ;
- les personnels des établissements sociaux et médico-sociaux ne peuvent bénéficier de libéralités des personnes hébergées dans l'établissement, sous réserve des exceptions prévues par l'article 909 du code civil (art. L. 331-4 du code de l'action sociale et des familles) ;
- il en va de même du couple ou de la personne accueillant familial et, s'il y a lieu, de son conjoint, de la personne avec laquelle elle a conclu un pacte civil de solidarité ou son concubin, de ses ascendants ou descendants en ligne directe (art. L. 443-6 du code de l'action sociale et des familles).
Tirant les conséquences de la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme le 1 er février 2000 dans l'affaire Mazureck, la loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 a supprimé les discriminations subies par les enfants adultérins dans la succession de leur auteur engagé dans les liens du mariage au jour de leur conception et abrogé les articles 908 et 908-1 du code civil limitant leurs droit en matière de libéralités.
La sanction de ces incapacités relatives ne soulève aucune difficulté quand la libéralité est consentie ouvertement. Le disposant peut toutefois s'efforcer de tourner l'interdiction légale au moyen d'un déguisement de la libéralité ou d'une interposition de personne :
- en dissimulant une donation sous le voile d'un acte à titre onéreux, on empêche les tiers d'en percevoir la véritable nature et d'en demander la nullité. A titre d'exemple, un malade n'a pas le droit de donner un bien à son médecin mais peut le lui vendre ;
- de même, en adressant une donation à un bénéficiaire apparent qui joue le rôle d'une personne interposée, on interdit aux tiers de connaître le nom du donataire véritable, par hypothèse incapable de recevoir.
L'article 911 du code civil sanctionne rigoureusement ces deux cas de fraude en prévoyant la nullité absolue de la libéralité alors qu'elle n'aurait encourue qu'une nullité relative si elle avait été directement consentie à son bénéficiaire .
La charge de la preuve de la fraude pèse sur celui qui conteste la libéralité. Comme elle est difficile à établir, l'article 911 dispose que les plus proches parents de l'incapable sont réputés être des personnes interposées : ses père et mère, ses enfants et descendants, et son époux. La preuve contraire ne pouvant en conséquence être rapportée, ils sont également frappés d'une incapacité de recevoir .
Les principales modifications proposées par le projet de loi consistent :
- d'une part, à préciser que l'interposition peut être le fait d'une personne physique ou morale . Cette précision paraît utile pour éviter la constitution de sociétés écrans, par exemple une société civile immobilière ;
- d'autre part, à établir une simple présomption d'interposition au profit des proches parents de l'incapable afin de rendre possible la levée de l'incapacité de recevoir qui les frappe. La rédaction proposée ne semble toutefois pas permettre d'atteindre cet objectif car l'article 1352 du code civil dispose que toute présomption légale est irréfragable lorsqu'elle a pour effet de provoquer la nullité d'un acte juridique, sauf si la loi a réservé la preuve contraire. Tel n'étant pas le cas, votre commission vous soumet un amendement tendant à réparer cette omission, ainsi qu'un amendement rédactionnel.
Elle vous propose d' adopter l'article 10 ainsi modifié .
* 116 La vente fictive constitue le mode le plus courant de la donation déguisée.
* 117 Acte onéreux volontairement déséquilibré ou achat pour autrui par exemple.
* 118 Il ne peut donc être dactylographié, écrit par un autre, post-daté ou antidaté. Le défaut de signature entraîne également, en principe, sa nullité. En revanche, l'instrument et le support importent peu : les tribunaux ont ainsi validé des dispositions écrites à la craie sur un tableau noir ou un mur, au pinceau sur une toile, avec un diamant sur une vitre...
* 119 En France, les notaires sur le territoire de la République française et les agents diplomatiques et consulaires à l'égard des Français à l'étranger ont été désignés par la loi du 29 avril 1994 comme personnes habilitées à instrumenter.
* 120 L'article 968 du code civil prohibe les testaments conjonctifs.
* 121 Cass. 1 ère civ. - 3 nov. 1988.
* 122 Cass. 1 ère civ. - 23 mars 1975.
* 123 Cass. req. - 11 mars 1931.
* 124 Cass. 1 ère civ. - 5 juill. 1988.
* 125 Les difficultés de qualification sont toutefois fréquentes. Ainsi la Cour de cassation a considéré : en 1984, que la mise à disposition gratuite d'un immeuble par des parents au profit de leurs enfants ne constituait pas une donation (Cass. 1 ère civ. - 3 nov. 1984) ; en 1997, que l'avantage résultant de ce que certains enfants du défunt avaient été logés gratuitement pendant une longue période s'apparentait à une donation de revenus, à ce titre rapportable à la succession (Cass. 1 ère civ. - 14 janv. 1997).
* 126 Droit des successions - Michel Grimaldi - Sixième édition - Editions Litec - page 364.
* 127 Art. 1048 du code civil.
* 128 Art. 1049 du code civil.
* 129 Cass. civ. - 19 mars 1873.
* 130 Cass. req. - 10 fév. 1897.
* 131 Cass. req. - 11 fév. 1863.
* 132 Cass. 1 ère civ. - 2 juin 1993.
* 133 Cass. 1 ère civ. - 31 janv. 1995.
* 134 Droit des successions - Michel Grimaldi - Sixième édition - Edition Litec - page 364.
* 135 Ces deux articles s'effacent devant les règles mises en place par les différents régimes de protection des incapables.
* 136 Cass. civ. - 4 fév. 1941.
* 137 Cass. civ. - 18 mai 1825.
* 138 Cass. req. - 6 déce. 1909.
* 139 Cass. req. - 27 juin 1919.
* 140 La donation n'est pas nulle si le malade revient à la santé ou s'il vient à mourir d'autre chose (Cass. req. - 21 avr. 1913).