EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Le Sénat est appelé à se prononcer sur la proposition de loi relative à la prévention des violences lors des manifestations sportives, adoptée en première lecture par l'Assemblée nationale le 11 avril dernier.
Présentée par M. Claude Goasguen, député, et plusieurs de ses collègues, cette proposition de loi tend à doter les pouvoirs publics de nouveaux moyens d'action face aux violences commises par des groupes à l'occasion de rencontres sportives.
Ces violences collectives, également appelées hooliganisme, qui sont d'abord apparues en Grande-Bretagne, puis en Allemagne et aux Pays-Bas dans les années 1960 et 1970, se sont développées en France depuis une vingtaine d'années.
Ces agissements, qui peuvent porter atteinte à la dignité et à l'intégrité physique des personnes et causer un préjudice grave aux biens de la collectivité, constituent une négation de l'esprit sportif, fondé sur le respect et l'échange.
Il apparaît nécessaire non seulement d'assurer la répression des auteurs individuels de ces actes inacceptables, mais aussi de donner à l'autorité ministérielle la possibilité de dissoudre les organisations dont les membres se sont livrés de façon répétée au hooliganisme.
La loi n° 84-610 du 16 juillet 1984 relative à l'organisation et à la promotion des activités physiques et sportives comporte un ensemble de dispositions tendant à prévenir et réprimer les comportements violents lors des manifestations sportives, sans toutefois prévoir de procédure de dissolution des organismes dont les membres se sont livrés à des violences collectives en relation avec un événement sportif.
La proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale à l'unanimité des suffrages exprimés, vise à compléter et renforcer ce dispositif par la création d'une procédure de dissolution des associations et groupements de faits de supporters commettant des violences et en prévoyant de nouvelles sanctions à l'encontre des responsables ou des participants au maintien ou à la reconstitution d'une association ou d'un groupement de fait dissous.
I. LE DÉVELOPPEMENT DES TROUBLES À L'ORDRE PUBLIC ET DES VIOLENCES À L'OCCASION DES ÉVÉNEMENTS SPORTIFS
? L'augmentation des violences commises par certains groupes de supporters
Selon les données fournies par le ministère de l'intérieur, 512 interpellations ont été effectuées au cours de la saison 2004-2005 du championnat de football de Ligue 1, contre 257 en 2003-2004 (soit une augmentation de 50,2 %), pour des agressions ou violences, ou des motifs tels que l'introduction ou l'usage de fumigènes, le jet de projectiles, des dégradations de biens, ou encore l'incitation à la haine raciale.
Par ailleurs, l'exposé des motifs de la proposition de loi présentée par M. Claude Goasguen et plusieurs de ses collègues précise que 342 faits de violence ont été recensés au cours de la saison 2004-2005 de football.
Ces comportements violents revêtent de plus en plus un caractère collectif. Lors de la discussion de la proposition de loi en première lecture à l'Assemblée nationale, M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a déclaré que certaines tribunes étaient devenues « le théâtre de luttes d'influence entre groupes rivaux, animés par des sentiments de haine et une recherche de domination » 1 ( * ) .
Il a en outre relevé que les supporters les plus radicaux étaient « organisés dans des associations ou des groupements de fait qui alimentent les comportements délinquants. Une trentaine de ces groupes font l'objet d'un suivi particulier et, parmi eux, quelques-uns se signalent par un hooliganisme d'une violence invraisemblable ».
Plusieurs de ces hooligans agissent dans le cadre de groupes très mobiles qui, selon les circonstances du moment, agrègent les membres de différentes associations. Ils se fixent rendez vous sur Internet et, indifférents à la manifestation sportive, n'ont d'autre objectif que de se livrer à des exactions sur les personnes ou à des dégradations de bien. Comme l'a indiqué M. Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel leur comportement les apparente aux « casseurs » des manifestations. Il s'agirait souvent d'ailleurs des mêmes individus. Ces comportements concerneraient quelques 500 personnes sur l'ensemble du territoire.
M. Frédéric Thiriez, a indiqué à votre rapporteur que les comportements violents étaient essentiellement observés lors des matches organisés à Paris et, dans une beaucoup plus faible mesure, à Saint-Etienne et à Nice. Il a estimé que les agissements perturbant les rencontres sportives à Paris étaient le fait de 250 individus identifiés et suivis par les services de police.
Afin de prévenir les risques que présentent désormais certaines rencontres sportives pour la sécurité et l'ordre publics, les autorités du ministère de l'intérieur doivent mettre en oeuvre des moyens considérables . En effet, si un match ordinaire au Parc des princes mobilise près de 700 policiers, l'organisation des rencontres plus sensibles requiert des effectifs plus importants.
Ainsi, lors de la finale de la coupe de France de football opposant, le 29 avril 2006, au stade de France les équipes de Marseille et du Paris-Saint-Germain, ont été mobilisés, en Seine-Saint-Denis, 2.500 hommes répartis en 18 unités de forces mobiles (compagnies républicaines de sécurité et gendarmes), 700 policiers de la sécurité publique du département, dont une brigade équestre, et à Paris, sur les trajets des supporters et dans certains lieux symboliques comme l'avenue des Champs-Elysées, 2.500 policiers, gendarmes et CRS.
Les agissements d'une minorité de supporters violents conduisent par conséquent au déploiement de dispositifs de sécurité démesurés 2 ( * ) . Outre leur coût, ces mesures contraignantes , comportant des interdictions de circulation et de stationnement, affectent particulièrement les riverains des stades.
En outre, certains groupes de supporters violents ayant montré leur capacité à suivre leur équipe lors de rencontres internationales, la lutte contre les violences à l'occasion des manifestations sportives s'organise également au niveau européen. Ainsi, le Conseil de l'Union européenne a adopté, le 25 avril 2002, une décision visant à créer dans chaque Etat membre un point national d'information football (PNIF), chargé de coordonner et de faciliter l'échange d'informations entre les services de police 3 ( * ) .
M. Jean Hayet, commissaire principal, chef du bureau de l'ordre public et de la police générale à la direction centrale de la sécurité publique du ministère de l'intérieur, a indiqué à votre rapporteur que les PNIF permettaient notamment d'échanger des informations relatives aux horaires de départ et aux modes de déplacement des groupes de supporters susceptibles de se livrer à des violences lors des rencontres sportives internationales.
? Des comportements marqués par les incitations à la haine et à la discrimination
Les comportements haineux et discriminatoires, relativement courants chez certains groupes de supporters, tant en France que dans la plupart des pays européens, sont d'autant plus intolérables que le sport devrait être avant tout un vecteur d'intégration et de respect. Longtemps minimisés, parce qu'ils étaient considérés comme des moyens de peser sur le sort de la rencontre en déstabilisant l'adversaire, ces faits se sont développés et aggravés 4 ( * ) .
Ainsi, en 2004 et 2005, des chants et propos racistes ou antisémites ont été recensés lors de matches de football notamment en Belgique, aux Pays-Bas, au Royaume-Uni et en Slovaquie. Les groupes se livrant à de tels actes recourent fréquemment à des symboles néonazis, comme ce fut le cas lors du match opposant les équipes croate et française de la coupe d'Europe en juin 2004.
Lors de la discussion de la proposition de loi en première lecture à l'Assemblée nationale, M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire, a ainsi déclaré que les injures racistes et xénophobes étaient « monnaie courante. Insultes, slogans, saluts et chants néonazis, « cris de singe » proférés à la seule vue d'un joueur de couleur touchant le ballon, agressions physiques dans le stade et en dehors du stade : telle est la réalité de nos stades de football aujourd'hui ».
Selon une étude conduite par la Ligue internationale contre le racisme et l'antisémitisme (LICRA) en 2005, près d'une commune sur deux (49 %) déclare connaître des problèmes de racisme dans le sport, que ce soit dans un cadre professionnel ou amateur 5 ( * ) . L'enquête relève que quatre communes constatent des actes racistes dans d'autres disciplines que le football : le rugby, le volley-ball et le handball. Si l'essentiel des actes déclarés par les communes sont qualifiés de racistes (83 %), 12 % ont un caractère antisémite et 5 % un caractère homophobe.
Le milieu sportif et les associations de lutte contre le racisme ont entrepris plusieurs actions visant à combattre ces agissements . Ainsi, l'ensemble des clubs professionnels et la Ligue de football professionnel ont signé en mai 2005 une charte contre le racisme et le comité exécutif de la Fédération internationale de football association (FIFA) a inclus dans son code disciplinaire des sanctions en cas de racisme et de discrimination.
Par ailleurs, le ministère des sports, la Fédération française de football et la LICRA ont récemment lancé une campagne de sensibilisation pour lutter contre la violence et le racisme dans le sport.
En outre, à l'initiative de cinq de leurs collègues appartenant à quatre groupe différents, 423 députés européens ont signé, le 14 mars 2006, une déclaration contre le racisme dans le football, rappelant qu'aux termes de l'article 13 du Traité instituant la Communauté européenne, la protection contre la discrimination fondée sur l'origine ethnique et la nationalité est l'un des objectifs de l'Union européenne.
* 1 Journal officiel, débats, Assemblée nationale, 1 ère séance du 11 avril 2006, p. 2561 et 2562.
* 2 M. Nicolas Sarkozy, ministre d'Etat, ministre de l'intérieur et de l'aménagement du territoire a par ailleurs désigné en février 2006 un « Monsieur football », chargé des relations avec le milieu sportif et d'assurer la cohérence des dispositifs mis en oeuvre.
* 3 Décision du Conseil du 25 avril 2002 concernant la sécurité lors de matches de football revêtant une dimension internationale.
* 4 La 17ème chambre du tribunal correctionnel de Paris a ainsi condamné trois supporters du Paris Saint-Germain F.C. pour avoir exhibé au sein de la tribune « Boulogne bleue » du Parc des Princes, le 6 février 2005, une banderole renvoyant au salut nazi et rappelant une idéologie raciste, à des peines de jour-amende ou d'amende ainsi qu'à une interdiction de pénétrer pendant trois ans « dans une ou plusieurs enceintes où se déroule une manifestation sportive », avec obligation de répondre, lors des manifestations sportives, aux convocations du commissaire de police.
* 5 Cette enquête se fonde sur les réponses de 225 communes au questionnaire envoyé par l'association. Publiée en juin 2005, elle est consultable sur le site Internet de la LICRA à l'adresse suivante : http://www.licra.org/story/pdf/paragraph_67_1.pdf.