EXAMEN DES ARTICLES

TITRE 1ER

DISPOSITIONS PORTANT TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE 2001/29 DU 22 MAI 2001 SUR L'HARMONISATION DE CERTAINS ASPECTS DU DROIT D'AUTEUR ET DES DROITS VOISINS DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION

Les quinze articles que comporte le titre I ont pour objet de mettre le droit français en conformité avec la directive européenne n° 2001/29 du 22 mai 2001 en introduisant dans le code de la propriété intellectuelle un certain nombre de dispositions nouvelles qui, suivant les cas, assurent une transposition quasi-littérale des termes de la directive précitée, ou constituent un dispositif original conforme aux objectifs qu'elle assigne.

L'ensemble de ces dispositions sont réparties en trois chapitres qui ont respectivement trait :

- aux exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins ( chapitre 1er ) ;

- à la durée des droits voisins ( chapitre 2 ) ;

- aux mesures techniques de protection et d'information ( chapitre 3 ).

L'Assemblée nationale a complété cette architecture en y ajoutant un chapitre 2 bis relatif à la commission de la copie privée.

CHAPITRE 1ER

Exceptions au droit d'auteur et aux droits voisins

Les trois premiers articles de ce chapitre ont un objet analogue : ils visent à intégrer dans le code de la propriété intellectuelle, pour les auteurs ( article 1er ), les titulaires de droits voisins ( article 2 ) et les titulaires de droits sur les bases de données ( article 3 ) :

- l'exception obligatoire au droit exclusif de reproduction pour les copies techniques transitoires ;

- une nouvelle exception facultative en faveur de personnes handicapées ;

- la transposition du « test en trois étapes » .

L'article 4 précise les conditions d'épuisement du droit de distribution au sein de l'Union européenne.

L'Assemblée nationale a substitué l'article 1er bis à l'article 1 er relatif aux nouvelles exceptions au droit d'auteur, et a ajouté deux articles nouveaux :

- un article 4 bis procédant à l'extension du champ de la licence globale à la sonorisation des programmes des entreprises de communication audiovisuelle ;

- un article 4 ter instaurant une nouvelle exception en faveur des procédures parlementaires de contrôle.

Article 1er
(article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle)

Droit d'auteur : exceptions nouvelles et
insertion du test en trois étapes

L'article 1 er introduit dans l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle de nouvelles exceptions du droit d'auteur et y insère les conditions auxquelles le « test en trois étapes » subordonne la validité de l'ensemble des exceptions au droit d'auteur.

I. Analyse des dispositions du projet de loi

Le projet de loi introduit dans l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle deux nouvelles exceptions, l'une en faveur de certaines reproductions techniques provisoires (A), l'autre en faveur des handicapés (B). Il y introduit en outre les conditions connues sous le nom de « test en trois étapes » (C).

A- L'EXCEPTION RELATIVE À CERTAINES REPRODUCTIONS PROVISOIRES

L'article 1 er insère dans l'article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle un nouvel alinéa 6°, qui reproduit presque littéralement le dispositif de l'article 5.1 de la directive 2001/29.

1°/ Analyse de la disposition transposée

La transmission d'une oeuvre sur les réseaux numériques et sa consultation par son utilisateur final passent par une série de reproductions techniques provisoires sur le serveur du site et du fournisseur d'accès, ainsi que sur la mémoire vive et le disque dur d'un ordinateur.

Compte tenu de la définition très large que l'article 2 83 ( * ) de la directive donne du droit exclusif reconnu aux auteurs (comme aux titulaires de droits voisins) sur la reproduction de leurs oeuvres, chacune des multiples copies provisoires, souvent très fugitives, qui contribuent à leur transmission numérique devrait en théorie être subordonnée à l'autorisation de l'ayant droit. Une semblable obligation, techniquement impossible à satisfaire, ne pourrait aboutir qu'à paralyser toute transmission numérique d'un objet protégé ou à la placer en marge du droit.

Afin de remédier à cette difficulté, l'article 5.1 de la directive 2001/29 exempte du droit de reproduction, certaines de ces reproductions provisoires. Le bénéfice de cette nouvelle exception obligatoire est cependant subordonné à un certain nombre de conditions cumulatives . Ces reproductions doivent :

- être provisoires ou accessoires ;

- constituer une partie intégrante et essentielle d'un procédé technique ;

- avoir pour unique finalité de permettre une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire, ou une utilisation licite d'une oeuvre ou d'un objet protégé ;

- ne pas avoir de signification économique indépendante.

La destination des actes de reproduction provisoires ou accessoires susceptibles ou non de bénéficier de cette exception risque de se révéler délicate, particulièrement compte tenu du caractère évolutif de la technique.

Le considérant 33 de la directive fournit quelques précisions, d'ailleurs toutes relatives, en indiquant que « pour autant qu'ils remplissent ces conditions , cette exception couvre les actes qui permettent le survol (browsing), ainsi que les actes de prélecture dans un support rapide (caching), y compris ceux qui permettent le fonctionnement efficace des systèmes de transmission, sous réserve que l'intermédiaire ne modifie pas l'information et n'entrave pas l'utilisation licite de la technologie largement utilisée par l'industrie, dans le but d'obtenir des données sur l'utilisation de l'information ».

Ces deux pratiques , susceptibles de bénéficier, sous conditions, de l'exception prévue à l'article 5-1, peuvent ainsi être décrites.


• Le « browsing » (ou « butinage » , en français) consiste, pour l'internaute, à se déplacer sur le réseau de site en site, grâce à des logiciels appropriés utilisant les ressources de l'hypertexte, et à visualiser sur son écran tout ou partie des oeuvres rencontrées. Techniquement, cette visualisation implique une fixation dans l'ordinateur de l'intéressé assez durable pour pouvoir donner lieu à consultation, une fois la connexion interrompue 84 ( * ) .


• Le « caching » (ou « antémémorisation » ) désigne des fixations provisoires effectuées par les intermédiaires qui acheminent l'information afin d'accroître les performances et la rapidité des réseaux numériques.

Le stockage temporaire par les fournisseurs d'accès, dans la « mémoire cache » de leurs serveurs, des pages Internet les plus consultées par leurs abonnés, leur permet d'éviter la multiplication des connexions aux sites concernés. Ces « caches » permettent donc à la fois un accès plus rapide aux pages stockées pour les abonnés, et une économie sur le recours aux liaisons numériques internationales 85 ( * ) .

Sans revenir en détail sur les discussions qui ont conduit à l'adoption de la directive, on rappellera que l'inclusion du « caching » dans l'exception technique a suscité des débats. A s'en tenir aux analyses publiées en France, on relèvera que, dans l'étude qu'il a consacrée en juillet 1998 à Internet et aux réseaux numériques 86 ( * ) , le Conseil d'Etat avait préconisé de n'appliquer l'exception qu'à la « copie technique volatile » dont l'existence n'excède pas la durée de la transmission, et de prévoir en faveur de la « copie technique temporaire » faite sur les « caches » du fournisseur d'accès une seconde exception assortie, celle-ci, d'une « rémunération pour copie technique » forfaitaire perçue au profit des titulaires de droits sur les abonnements aux fournisseurs d'accès.

Telle n'est pas la solution retenue finalement par la directive qui a privilégié une définition plus large de l'exception technique.

Dans la mesure où le « caching » permet un accès plus rapide aux documents, on peut cependant difficilement nier qu'il ait une influence sur les conditions d'exploitation d'une oeuvre. Il reviendra à la jurisprudence de préciser dans quelles conditions on peut considérer qu'il est « dépourvu de toute signification économique indépendante » comme l'exige la directive, ou de « valeur économique propre », comme le précise le projet de loi.

2°/ Analyse du projet de loi

Le projet de loi complète l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle par un nouvel alinéa (6°) qui reproduit littéralement, à deux réserves près, le dispositif de la directive :

- il substitue l'exigence d'absence de « valeur économique propre » à celle d'absence de « signification économique indépendante » ;

- il rappelle que les logiciels et les bases de données sont exclus de ce dispositif.


La notion de « valeur économique propre » retenue par le code de la propriété intellectuelle n'est pas étrangère à la directive qui l'utilise dans son considérant 33 pour expliciter la portée de cette nouvelle exception. Le ministère de la culture qui, en ce domaine comme sur beaucoup d'autres, se montre assez avare de commentaires, s'est contenté de préciser, en réponse à une question de votre rapporteur, que « ce choix terminologique » avait été privilégié par le Conseil d'Etat qui le jugeait préférable du point de vue du langage et du droit.

Le choix ainsi opéré est sans doute plus restrictif car un dispositif technique peut avoir une valeur économique propre même s'il est dépourvu en lui-même de signification économique indépendante.


Le projet de loi précise par ailleurs que l'exception technique ne concerne ni les logiciels ni les bases de données .

Cette exclusion ne figure pas, en tant que telle dans le dispositif de l'article 5-1 de la directive ici transposée. Elle semple plutôt résulter de l'article 1 er qui, traitant en termes généraux du champ d'application de la directive, précise dans son paragraphe 2 qu'elle « laisse intacte et n'affecte en aucune façon les dispositions communautaires existantes » , et, notamment celles qui concernent la protection juridique des programmes d'ordinateur et celles des bases de données. Compte tenu des obligations qu'elle fera peser sur les intermédiaires qui réalisent des « copie caches » des serveurs, on peut se demander si elle ne contribuera pas à limiter sensiblement la portée pratique de l'exception technique, et dans quelle mesure elle sera conciliable avec la transmission d'oeuvres et d'objets protégés par une mesure technique, celle-ci prenant généralement la forme d'un logiciel.

B- L'EXCEPTION EN FAVEUR DES HANDICAPÉS

L'article 1 er insère en outre dans l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle deux alinéas supplémentaires (7°) pour compléter la liste des exceptions au droit d'auteur par une exception nouvelle en faveur des handicapés.

1°/ Analyse de la disposition transposée

Contrairement à l'exception technique que les Etat sont tenus d'introduire dans leur droit interne, l'exception en faveur des handicapés s'appuie sur l'article 5.3 de la directive qui dresse la liste des exceptions que les Etats ont la faculté, mais non l'obligation, de reconnaître.

L'article 5-3 b) de la directive autorise les Etats à prévoir des limitations au droit exclusif des auteurs sur la reproduction et la communication de leurs oeuvres au public, lorsqu'il s'agit d'utilisations au bénéfice des personnes affectées d'un handicap. Il subordonne cependant ces exceptions au droit d'auteur à la réunion de trois conditions :

- les utilisations de l'oeuvre doivent être directement liées au handicap en question ;

- elles doivent être de nature non commerciale ;

- elles doivent être proportionnées à la mesure requise par ledit handicap.

2°/ Analyse du projet de loi

Le projet de loi ne se contente pas de reprendre les exigences de proportionnalité au handicap et d'absence de portée commerciale posées par la directive. Il encadre cette nouvelle exception d'exigences supplémentaires qui tiennent à la fois aux bénéficiaires finaux de l'exception, et aux organismes spécialisés qu'il charge de la réalisation et de la communication de supports adaptés.


Les personnes handicapées bénéficiaires

Les bénéficiaires de cette exception sont définis comme des personnes atteintes d'une déficience motrice, psychique, auditive ou de vision d'un taux égal ou supérieur à 50 %, reconnue par la commission départementale de l'éducation spécialisée, ou par la commission technique d'orientation et de reclassement professionnelle.

Cette exception ne leur est reconnue que pour une consultation strictement personnelle, à l'image de l'exception pour copie privée qui ne couvre que les copies strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective.


Des intermédiaires répondant à des conditions strictes

La directive laisse aux Etats toute latitude sur les modalités de réalisation des reproductions et des représentations des oeuvres protégées susceptibles de bénéficier de l'exception en faveur des handicapés.

Le projet de loi fait le choix d'en confier la réalisation à des personnes morales dont la liste est arrêtée par une décision de l'autorité administrative.

Il reviendra au décret d'application prévu par l'article 1 er de préciser la nature de l'autorité nationale compétente . L'exposé des motifs indique que la liste des organismes retenus sera fixée par le ministre chargé de la culture . Il paraît cependant nécessaire que le ministère chargé de la santé soit, à tout le moins, associé à cette décision, dans la mesure où il est en charge de la politique en faveur des handicapés, et constitue le correspondant naturel de la majeure partie des organismes susceptibles de répondre aux conditions posées par le projet de loi.

A l'échelon déconcentré , la nature de l'autorité administrative devrait être déterminée conformément aux dispositions du décret n° 97-34 du 15 janvier 1997 relatif à la déconcentration des décisions administratives individuelles. Celui-ci confie au préfet, sauf dérogation décidée par décret en Conseil d'Etat, la compétence de droit commun pour prendre toutes décisions administratives individuelles entrant dans le champ de compétence des administrations civiles de l'Etat.

Aux termes de l'article 1 er du projet de loi, les personnes morales concernées devront remplir un certain nombre de conditions, qu'il reviendra sans doute à l'autorité administrative précitée d'apprécier, même si l'on peut déplorer que la rédaction proposée ne soit pas très explicite.

Il reviendra à ces personnes « d'apporter la preuve » qu'elles ont une activité professionnelle effective de conception, de réalisation et de communication de supports au bénéfice des personnes handicapées, par référence à plusieurs critères : leur objet social, l'importance de leurs membres ou usagers, les moyens matériels et humains dont elles disposent et les services qu'elles rendent.

Le projet de loi ne fixe en revanche aucune exigence particulière quant à la nature juridique des personnes morales en question, et l'exposé des motifs évoque en termes délibérément vagues « des organismes divers, associations et bibliothèques publiques ».

Deux catégories de personnes morales paraissent, à première vue, particulièrement indiquées pour assurer la réalisation de ces supports adaptés aux handicapés :

- les grandes associations nationales de handicapés ou de parents d'enfants handicapés, qui ont une perception très précise à la fois des besoins, et des lacunes de l'offre commerciale qu'il s'agit ici de compenser ;

- les bibliothèques accueillant du public, et plus particulièrement les bibliothèques départementales et municipales, qui présentent l'atout de la proximité.

C- L'INTRODUCTION DU « TEST EN TROIS ÉTAPES » DANS LE CODE DE LA PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

L'avant dernier alinéa de l'article premier introduit dans l'article L. 122-5 du code précité ce qu'il est convenu d'appeler le « test en trois étapes » , un ensemble de trois critères cumulatifs que doivent respecter les exceptions au droit d'auteur.

Le « test en trois étapes » a été formulé pour la première fois par la convention de Berne du 9 septembre 1886. L'article 9 de cette convention relative au droit d'auteur, toujours en vigueur, autorise les Etats à prévoir des exceptions au droit exclusif de reproduction des auteurs sur leurs oeuvres, à condition que celles-ci :

- soient limitées à des cas spéciaux ;

- ne portent pas atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ;

- ne causent pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.

Ces trois conditions ont été reprises par l'article 10 du Traité de l'OMPI du 20 décembre 1996 sur le droit d'auteur et par l'article 13 de l'accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce, adopté dans le cadre de l'OMC et annexé à l'accord de Marrakech du 15 avril 1994 (ADPIC). Ces deux accords les ont étendues à l'ensemble des exceptions au droit d'auteur, droit de reproduction et droit de représentation. Elles ont également été étendues aux exceptions aux droits voisins par l'article 16 du traité de l'OMPI sur les interprétations et exécutions et les phonogrammes du 20 décembre 1996.

1°/ Analyse de la disposition transposée

L'article 5 paragraphe 5 de la directive 2001/29 reprend l'exigence du triple test. Mais, sans s'écarter de sa formulation maintenant traditionnelle, il impose un changement de perspective par rapport aux traités existants.

Ces derniers ne dressent pas une liste des exceptions autorisées mais encadrent la liberté générale laissée aux Etats par ces trois conditions. Autrement dit, ces trois conditions s'adressent aux Etats qui doivent les prendre en compte dans l'élaboration de leur législation relative aux exceptions aux droits exclusifs.

La directive 2001/29 comporte au contraire une liste des exceptions admises et le rappel du « test en trois étapes » ne s'adresse donc plus tant au législateur national , pour l'encadrer dans la formulation des règles générales, qu'au juge chargé de l'application de la loi à des cas d'espèce concrets.

2°/ Analyse du projet de loi

Le projet de loi complète l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle pour préciser que l'ensemble des exceptions qu'il énumère - et que l'on doit considérer comme autant de « cas spéciaux » - doivent en outre ne pas porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ni causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.


L'introduction du test en trois étapes dans le droit français ne constitue par une complète nouveauté .

Il a en effet déjà été introduit, pour les logiciels, par une disposition de la loi n° 94-361 du 10 mai 1994, figurant à l'article L. 122-6-1 du code de la propriété intellectuelle. Le V de cet article dispose en effet que ce dernier « ne saurait être interprété comme permettant de porter atteinte à l'exploitation normale du logiciel ou de causer un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur » .

Plus récemment, trois arrêts rendus respectivement par le tribunal de grande instance de Paris 87 ( * ) , la cour d'appel de Paris 88 ( * ) et la Cour de cassation 89 ( * ) ont montré que le juge français était déjà susceptible de prendre en compte le « test en trois étapes », bien qu'il ne soit pas encore transposé en droit français, du simple fait qu'il figure dans les engagements internationaux de la France, et notamment dans la directive 2001/29.


La transcription du « test en trois étapes » dans le code de la propriété intellectuelle est aujourd'hui nécessaire pour mettre le droit français en conformité avec le droit européen .

Dès lors que les tribunaux sont susceptibles de se référer directement à la norme européenne posée par la directive 2001/29, elle est nécessaire à la bonne information du justiciable national.

Les exigences du « triple test » ne sont certes pas de nature à remettre en question les exceptions que le droit français reconnaît actuellement au droit d'auteur qui constituent bien des « cas spéciaux », mais la double exigence d'absence d'atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre et d'absence de préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur sont susceptibles d'affecter leur périmètre dans des proportions que la jurisprudence devra préciser.

Trois jugements récents illustrent le rôle que la jurisprudence, encore hésitante, est susceptible de jouer en ce domaine.

Dans le jugement précité du 30 avril 2002, le Tribunal de grande instance de Paris avait été saisi par un particulier et par une association de consommateurs qui reprochaient aux ayants droit l'impossibilité dans laquelle ils se trouvaient, du fait d'un dispositif anticopie, de bénéficier de l'exception de copie privée.

Le tribunal a fait droit aux défendeurs, en leur reconnaissant le droit d'interdire toute copie, même dans le cadre de l'exception pour copie privée. Il s'est appuyé sur le « test en trois étapes » qui n'était pas encore transposé en droit français, mais dont il a relevé qu'il était inscrit dans les engagements internationaux de la France et dans le directive 2001/29. Appliquant ce test au cas d'espèce, le tribunal a considéré, dans ses attendus :

- « que le marché du DVD est économiquement d'une importance capitale et que la vente de DVD de films qui suit immédiatement l'exploitation de ceux-ci en salles génère des recettes indispensables à l'équilibre budgétaire de la production ;

- que l'exploitation commerciale d'un film sous forme d'un DVD constitue un mode d'exploitation de nombreuses oeuvres audiovisuelles si bien qu'il n'est pas contestable que ce mode fait partie d'une exploitation normale de telles oeuvres ;

- que la copie d'une oeuvre filmographique éditée sur support numérique ne peut que porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre ;

- que cette atteinte sera nécessairement grave, au sein des critères retenus par la convention de Berne - car elle affectera un mode d'exploitation essentielle de ladite oeuvre, indispensable à l'amortissement de ses coûts de production ; (...)

- qu'il est indifférent que le support vierge acquis [par le demandeur] ait pu donner lieu à la perception d'une rémunération pour copie privée car l'assiette de cette rémunération ne détermine pas la portée de l'exception de copie privée ».

La Cour d'appel de Paris a cependant annulé ce jugement dans une décision du 22 avril 2005, en considérant au contraire, que n'étaient démontrés ni l'atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre, qui intègre la perception d'une rémunération pour copie privée sur les supports vierges susceptibles de servir à copier l'oeuvre, ni le préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l'auteur.

La Cour de cassation a, à son tour, annulé le jugement de la cour d'appel. Elle a considéré que le recours à des mesures techniques de protection excluant la copie privée était légitime, dès lors que cette dernière « aurait pour effet de porter atteinte à l'exploitation normale de l'oeuvre, laquelle doit s'apprécier en tenant compte de l'incidence économique qu'une telle copie peut avoir dans le contexte de l'économie numérique ».

Ces décisions divergentes, rendues sur une même affaire, illustrent les difficultés que risque de susciter l'introduction, dans le droit interne, des conditions du « triple test ».

Certes, dès lors que la directive l'y contraint, le législateur est tenu d'introduire ce dispositif dans le droit national, mais votre commission ne saurait trop recommander au juge, dans le plein respect de l'indépendance de l'autorité judiciaire, de n'user qu'avec modération de ces dispositions, et de faire bénéficier les exceptions légales définies par le législateur d'une présomption de conformité au test en trois étapes.

Faute de quoi, un utilisateur excipant du bénéfice d'une exception, conformément à son expression légale, ne serait pas à l'abri de voir le juge invalider sa prétention en remettant en question, dans le cas d'espèce, la légitimité même de l'exception 90 ( * ) .


Les exceptions au droit d'auteur dont la jurisprudence pourrait avoir, le cas échéant, à ajuster la portée pour satisfaire aux exigences du triple test, sont énumérées par l'article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle. Celui-ci autorise l'utilisation de l'oeuvre régulièrement divulguée sans autorisation de l'auteur dans les cas suivants :

1- Les représentations privées et gratuites effectuées exclusivement dans le cercle de famille ;

2- Les copies des reproductions strictement réservées à l'usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective. Cette exception dite de « copie privée » est d'application limitée et ne couvre ni les copies d'oeuvre d'art destinées à des fins identiques à celles de l'original, ni les copies d'un logiciel autres que la copie de sauvegarde, ni les copies de bases de données électroniques ;

3- Sous réserve que soient indiqués clairement le nom de l'auteur et la source :

- les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d'information de l'oeuvre à laquelle elles sont incorporées ;

- les revues de presse ;

- la diffusion à titre d'information des discours publics ou officiels ;

- les reproductions d'oeuvres d'art destinées à figurer dans le catalogue d'une vente judiciaire.

4- La parodie, le pastiche et la caricature compte tenu des lois du genre ;

5- Les actes nécessaires à l'accès au contenu d'une base de données électronique pour les besoins et dans les limites de l'utilisation prévue par contrat.

L'exception dite « de police », qui relève d'une autre disposition du code de la propriété intellectuelle (l'article L. 331-4) ne sera en revanche pas assujettie aux exigences du triple test, ce que justifie son caractère d'ordre public. Celle-ci couvre en effet « les actes nécessaires à l'accomplissement d'une procédure juridictionnelle ou administrative prévue par la loi, ou entreprise à des fins de sécurité publique » .

II - Examen par l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a commencé l'examen du présent article au cours des séances du 21 décembre 2005.

Elle a alors adopté plusieurs amendements :

- deux amendements identiques n° 153 et 154 présentés respectivement par M. Suguenot et par MM. Mathus, Bloch et Paul qui, dans la perspective d'instaurer une licence globale , étendaient le champ de l'exception de copie privée aux « reproductions effectuées sur tout support à partir d'un service de communication de ligne par une personne physique pour son usage privé et à des fins non directement ou indirectement commerciales . »

Les logiciels n'entraient pas dans le champ de cette exception qui devait, en contrepartie, donner lieu à indemnisation dans le cadre d'une rémunération pour copie privée ;

- un amendement n° 14 modifié du rapporteur actualisant la rédaction du dispositif relatif à la nouvelle exception en faveur des handicapés pour tenir compte de l'entrée en vigueur de la loi n° 2005-102 du 11 février 2005 pour l'égalité des droits et des chances des personnes handicapées. Cette loi a créé une nouvelle commission des droits et de l'autonomie des personnes handicapées figurant à l'article L. 146-9 du code de l'action sociale et des familles, qui se substitue dorénavant aux commissions départementales de l'éducation spécialisée (CDES) ainsi qu'aux commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnelle (COTOREP) dont la mention est cependant conservée dans le projet de loi pour tenir compte des personnes dont elles ont déjà fixé le taux d'incapacité ;

- un amendement n° 114 rectifié présenté par MM. Pélissard, Bourg-Broc et Merville, complétant la liste des personnes morales habilitées à assurer des représentations ou des reproductions d'oeuvres adaptées aux handicapés, pour y faire figurer explicitement « tous les établissements ouverts au public tels que les bibliothèques, centres de documentation et espaces culturels multimédia » ; la commission avait émis un avis défavorable à l'adoption de cet amendement, mais le Gouvernement l'a accepté, sous réserve que « les archives » qui y figuraient initialement, en soient retranchées, de façon à ne pas leur imposer de contraintes supplémentaires.

Il est à noter que leur mention est cependant réapparue dans le dispositif de l'article 1 er bis que l'Assemblée nationale a substitué à celui de l'article 1 er .

L'Assemblée nationale a suspendu ses travaux le 22 décembre 2005 sans avoir adopté le présent article. Elle a repris sa discussion en mars 2006, et a voté alors sa suppression , lors de sa séance du 9 mars , pour lui substituer le dispositif de l'article 1 er bis.

III - Position de la commission

Le dispositif de l'article 1 er ayant été repris, modifié et étoffé par l'article 1 er bis, c'est sur ce dernier que doit dorénavant se poursuivre la discussion parlementaire.

* 83 L'article 2 de la directive reconnaît un effet aux auteurs et aux titulaires de droits voisins « le droit exclusif d'autoriser ou d'interdire la reproduction directe ou indirecte, provisoire ou permanente, par quelques moyens et sous quelque forme que ce soit, en tout ou la partie » d'une oeuvre ou d'un objet protégé.

* 84 Cf. LUCAS, op. cité, page 244.

* 85 Conseil d'Etat « Internet et les réseaux numériques » - Etude adoptée le 2 juillet 1998, page 146.

* 86 Idem

* 87 TGI Paris, 30 avril 2003

* 88 Cour d'appel de Paris 4 e chambre, 22 avril 2005

* 89 Cour de cassation, 1 ère chambre civile, 28 février 2005

* 90 Suivant les pertinentes remarques de Valérie-Laure Benabou dans « Les routes vertigineuses de la copie privée au pays des protections techniques...A propos de l'arrêt Mulholland Drive » Juriscom.net 30 mai 2005

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