EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE
PREMIER
DISPOSITIONS RELATIVES À LA VIDÉOSURVEILLANCE
Les dispositions de ce chapitre ont pour objet de permettre un développement du recours à la vidéosurveillance afin d'accroître la protection des lieux publics ou ouverts au public ainsi que celle des bâtiments et installations susceptibles d'être exposés à des actes terroristes.
Elles tendent à modifier et compléter la législation en vigueur en matière de vidéosurveillance, issue de l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995 d'orientation et de programmation relative à la sécurité laquelle n'a subi quasiment aucune modification depuis son adoption.
Article premier (art. 10 de la loi n° 95-73
du 21 janvier 1995)
Extension et encadrement du recours à la
vidéosurveillance
Cet article tend à ajouter la prévention d'actes terroristes aux finalités pouvant justifier l'installation de système de vidéosurveillance et à adapter la réglementation aux spécificités de ce nouvel objectif. Il tend également à renforcer les garanties de respect de la législation en matière de vidéosurveillance.
1. Le droit en vigueur 22 ( * )
• Le champ d'application de la loi
L'article 10 de la loi du 21 janvier 1995 précitée est le principal cadre législatif en matière de vidéosurveillance. L'article 10-I indique explicitement que les enregistrements visuels de vidéosurveillance ne sont pas des données personnelles et ne sont donc pas de la compétence de la CNIL, à l'exception de ceux qui sont utilisés dans des traitements automatisés ou contenus dans des fichiers structurés selon des critères permettant d'identifier, directement ou indirectement, des personnes physiques. Dans un tel cas, les enregistrements sont soumis à la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés.
Toutefois, tous les systèmes de vidéosurveillance ne sont pas régis par l'article 10 de la loi du 21 janvier 1995. La circulaire du 22 octobre 1996 relative à la réglementation en matière de vidéosurveillance 23 ( * ) ainsi que l'article 10-I de la loi du 21 janvier 1995 tel que modifié par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 24 ( * ) rappellent que seuls les systèmes de vidéosurveillance satisfaisant aux critères définis à l'article 10-II de la loi du 21 janvier 1995 sont autorisés au titre de cette même loi.
Sont donc inclus dans le champ de la loi les images prises :
- sur la voie publique ;
- dans les lieux et établissements, publics ou privés, ouverts au public, c'est-à-dire selon la jurisprudence un lieu accessible à tous, sans autorisation spéciale de quiconque, que l'accès en soit permanent et inconditionnel ou subordonné à certaines conditions (par exemple, l'acquittement d'un droit d'entrée).
Les systèmes de vidéosurveillance sur la voie publique sont autorisés à une double condition :
- être mis en oeuvre par les autorités publiques compétentes (il faut entendre par là le préfet ou le maire, mais également les responsables d'établissements ou de services publics et certains concessionnaires ; le critère d'admission est la capacité à exercer un pouvoir de police) ;
- être mis en oeuvre pour l'une des quatre finalités suivantes : assurer la protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords, sauvegarder les installations utiles à la défense nationale, réguler le trafic routier et constater les infractions aux règles de la circulation, prévenir les atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d'agression ou de vol.
Dans les lieux et établissements ouverts au public, la vidéosurveillance est autorisée à condition que :
- ces lieux soient particulièrement exposés à des risques d'agression et de vol ;
- les dispositifs mis en place aient pour unique objectif d'assurer la sécurité des personnes et des biens .
La loi du 21 janvier 1995 s'applique, que les images soient enregistrées ou simplement transmises à un poste central.
En revanche, ne relèvent pas de la loi du 21 janvier 1995 les opérations de vidéosurveillance dans les lieux privés ou les lieux de travail non ouverts au public. Il appartient dans ce cas au juge judiciaire d'en apprécier la légalité au regard de la protection de la vie privée, du droit à l'image ou du droit du travail.
• Le régime applicable
L'installation des dispositifs de vidéosurveillance est subordonnée à une autorisation préfectorale donnée, sauf en matière de défense nationale, après avis d'une commission départementale présidée par un magistrat du siège ou un magistrat honoraire. Le préfet n'est pas tenu de le suivre.
Une autorisation peut être retirée en cas de manquement à la loi ou de modification des conditions au vu desquelles elle a été délivrée. A ce titre, le responsable d'un système est tenu de déclarer toute modification présentant un caractère substantiel.
L'instruction des demandes doit s'attacher à vérifier que, d'une part, les conditions précitées sont réunies et que, d'autre part, le principe de proportionnalité est respecté et justifie l'atteinte à la vie privée. Cela implique « de proportionner l'usage de tels équipements aux risques réellement encourus, compte tenu des circonstances de temps et de lieu, et de choisir en conséquence le nombre, l'emplacement, l'orientation, les caractéristiques des caméras, ainsi que la capacité et la durée de stockage des données » 25 ( * ) .
La loi prévoit également que les systèmes de vidéosurveillance sur la voie publique ne doivent pas visualiser l'intérieur des immeubles d'habitation ni, de façon spécifique, leurs entrées.
En outre, il convient de s'assurer que le public est informé de manière claire et permanente de l'existence de tels systèmes ainsi que de l'autorité ou de la personne responsable.
L'autorisation préfectorale définit la qualité des personnes chargées de l'exploitation du système de vidéosurveillance ou visionnant les images . S'il n'est pas nécessaire que ces personnes soient nominativement désignées, il importe en revanche que des garanties de procédures soient données sur leur habilitation et leur formation.
Enfin, l'autorisation fixe le délai maximum de conservation des enregistrements qui ne peut excéder un mois, hormis le cas d'une enquête de flagrant délit, d'une enquête préliminaire ou d'une information judiciaire. Précisons que la conservation des images n'est pas de droit et doit être motivée.
• Les applications
Des dispositifs de vidéosurveillance urbaine ont déjà été implantés ou sont en cours d'implantation dans plus de 200 villes en zone de police d'Etat, à l'initiative même des communes.
Ces systèmes de vidéosurveillance sont gérés, dans la majeure partie des cas, par la police municipale ou par une structure placée sous son autorité. Les principaux sites surveillés sont les bâtiments communaux, les voies de circulation importantes, les parkings, les zones piétonnes et commerciales. Une trentaine de communes ont mis en place un système de renvoi d'images vers les services territoriaux de la police nationale.
La vidéosurveillance a été implantée également dans les transports en commun. Les sociétés de transports publics y ont recours de plus en plus souvent, tant pour la protection des voyageurs et des personnels, que pour la protection des locaux et du matériel.
Au total, 300 000 caméras ont été implantées depuis 1995, dont seulement 5 % sur la voie publique. A titre de comparaison, le Royaume-Uni dispose de quatre millions de caméras.
2. Le texte soumis au Sénat
Le paragraphe 1° de cet article complète l'article 10-II de la loi du 21 janvier 1995 afin de prendre en compte la prévention des actes terroristes parmi les finalités de la vidéosurveillance. L'exposé des motifs du projet de loi indique que « les risques d'actes de terrorisme ne figurent pas parmi les motifs légaux pouvant justifier l'installation de caméras filmant la voie publique ou l'intérieur de lieux et établissements ouverts au public ».
Ce paragraphe prévoit que la prévention des actes terroristes pourrait être retenue parmi les finalités justifiant l'installation de systèmes de vidéosurveillance tant sur la voie publique que dans les lieux et établissements ouverts au public.
Par ailleurs, dans les lieux susceptibles d'être exposés à des actes terroristes , les personnes morales autres que les autorités publiques compétentes susvisées pourraient déployer pour la protection de leurs bâtiments et installations des systèmes de vidéosurveillance filmant la voie publique.
La législation en matière de vidéosurveillance ( Source : commission des lois) |
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Régime applicable
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Lieux susceptibles d'être filmés par les autorités publiques compétentes |
Lieux susceptibles d'être filmés par les autres personnes morales |
Rôle de la commission départementale |
Création par les articles 1 er et 2 du projet de loi d'une procédure d'urgence |
Création par l'article 2 du projet de loi d'une faculté pour le préfet de prescrire l'installation de vidéosurveillance |
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Droit en vigueur |
Avec le PJL |
Droit en vigueur |
Avec le PJL |
Droit en vigueur |
Avec le PJL |
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Protection des bâtiments et installations publics et de leurs abords, sauvegarde des installations utiles à la défense nationale, régulation du trafic routier, constatation des infractions aux règles de la circulation |
- voie publique
|
- voie publique
|
Néant |
Néant |
- avis préalable à l'autorisation
préfectorale délivrée pour une durée
indéterminée
|
- avis préalable à l'autorisation
préfectorale délivrée pour une durée de 5 ans
renouvelable
|
Néant |
Néant |
Prévention des atteintes à la sécurité des personnes et des biens dans des lieux particulièrement exposés à des risques d'agression ou de vol |
- voie publique
|
- voie publique
|
- lieux et établis-sements ouverts au public |
- lieux et établis-sements ouverts au public |
Néant |
- 39 - Néant |
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Prévention d'actes de terrorisme |
Néant |
- voie publique
|
Néant |
- voie publique pour la protection des abords
immédiats de leurs bâtiments et installations
|
- pas d'avis préalable de la commission
départementale
|
- dans les lieux et établissements ouverts au
public aux fins d'y assurer la sécurité des personnes et des
biens
|
Le droit en vigueur ne permet en effet qu'aux seules autorités publiques de filmer la voie publique. Citant l'exemple des banques, la circulaire du 22 octobre 1996 précise que « les caméras implantées en façade extérieure ne peuvent visualiser que la portion de trottoir ou de voie publique strictement nécessaire à la protection de l'accès à l'établissement eu égard à la configuration des lieux ».
Cette nouvelle faculté offerte aux personnes publiques ou privées pour filmer la voie publique ne doit pas être exagérée. Seuls les bâtiments et installations situées dans des lieux susceptibles d'être exposés à des actes terroristes justifieraient cette dérogation à la règle. De nombreux lieux qui satisfont à ces critères font déjà l'objet de mesures de vidéosurveillance à un autre titre. Les images ainsi obtenues de la voie publique viendraient souvent en complément d'autres images.
Ces dispositions nouvelles permettront néanmoins de filmer spécifiquement la voie publique autour de lieux sensibles comme les lieux de cultes. Elles permettront également à des entreprises ou commerces de filmer les abords de leurs bâtiments et non plus seulement leurs entrées. Ces images pourraient être très utiles en cas d'attentats à la voiture piégée.
L'Assemblée nationale a adopté quelques modifications rédactionnelles.
Le paragraphe 2° de cet article complète l'article 10-III de la loi du 21 janvier 1995 et aménage sur quatre points les conditions de délivrance des autorisations préfectorales. Ces aménagements vaudraient quelle que soit la finalité du système de vidéosurveillance.
En premier lieu , l'autorisation délivrée pourrait prescrire que les agents individuellement habilités des services de la police ou de la gendarmerie nationales soient destinataires des images et enregistrements. Il reviendrait également à l'autorisation de préciser les modalités de la transmission des images et de l'accès aux enregistrements.
Le droit en vigueur prévoit déjà que l'autorisation précise la qualité des personnes ayant accès aux images et aux enregistrements. Toutefois, cette disposition concerne les personnes ayant habituellement accès aux images. En outre, les services de police et de gendarmerie sont, en tant que tiers autorisés au sens de la loi du 6 janvier 1978, déjà habilités à accéder de façon ponctuelle et motivée, dans les conditions définies par le code de procédure pénale (flagrant délit, enquête préliminaire ou information judiciaire), aux images et enregistrements.
Le projet de loi innove donc en ouvrant de manière permanente et dans le cadre de missions de police administrative l'accès à des systèmes de vidéosurveillance.
Plusieurs limites sont néanmoins posées :
- seuls des agents individuellement habilités de la police et de la gendarmerie pourraient visionner les images ;
- tous les systèmes de vidéosurveillance ne seraient pas accessibles de la sorte, mais uniquement ceux dont l'autorisation préfectorale le prévoirait.
Un amendement du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale a complété ces dispositions en prévoyant que le préfet peut à tout moment, après avis de la commission départementale, modifier par un arrêté son autorisation initiale afin de permettre la consultation des images par les agents précités.
En cas d'urgence et d'exposition particulière à un risque d'actes de terrorisme, cette décision pourrait être prise sans avis préalable de la commission départementale. Le président de la commission serait immédiatement informé de cette décision, qui ferait l'objet d'un examen lors de la prochaine réunion de la commission. Ce cas particulier de l'urgence s'inspire de la procédure générale d'urgence introduite par le présent article (voir infra ).
Selon l'exposé des motifs de l'amendement, il s'agit d'adapter l'autorisation à l'évolution des circonstances 26 ( * ) .
En deuxième lieu , les systèmes de vidéosurveillance devraient désormais « être conformes à des normes techniques définies par arrêté ministériel ». Les systèmes déjà installés disposeraient d'un délai de deux ans à compter de la publication de l'acte définissant ces normes pour se mettre en conformité.
L'exposé des motifs constate en effet la très grande hétérogénéité du parc existant. L'absence de normes et l'évolution rapide des techniques en sont les causes principales. L'instauration de normes devrait accroître l'efficacité des dispositifs, leur précision ainsi que les garanties relatives à l'utilisation de la vidéosurveillance dans le respect des règles prudentielles édictées 27 ( * ) .
En troisième lieu , alors que les autorisations préfectorales sont aujourd'hui délivrées pour une durée indéterminée, elles le seraient désormais pour une durée de cinq ans renouvelable. Le renouvellement de l'autorisation serait l'occasion de vérifier si les motifs ayant justifié la mise en place de caméras demeurent pertinents et si l'utilisation du système est conforme aux conditions fixées par l'autorisation. Bien entendu, en cas de non renouvellement de l'autorisation, le système devrait être retiré.
En quatrième lieu , la commission départementale appelée à donner un avis sur chaque demande d'autorisation se verrait accorder le pouvoir de contrôler à tout moment les conditions de fonctionnement des dispositifs autorisés.
L'article 10-V permet déjà à toute personne intéressée de saisir la commission départementale de toute difficulté tenant au fonctionnement d'un système de vidéosurveillance. Mais celle-ci ne peut pas s'autosaisir. Le projet de loi renforcerait donc les pouvoirs de la commission départementale.
A l'Assemblée nationale , un amendement du groupe socialiste a précisé que la commission départementale pourrait à la suite de ces contrôles émettre des recommandations et proposer la suspension des dispositifs en cas d'usage anormal ou non conforme à l'autorisation.
En dernier lieu, le projet de loi initial supprimait le dernier alinéa de l'article 10-III de la loi du 21 janvier 1995. Cet alinéa était un dispositif transitoire prévoyant que les systèmes existants à la date d'entrée en vigueur de la loi du 21 janvier 1995 devaient faire l'objet d'une déclaration valant demande d'autorisation et disposaient d'un délai de six mois pour se conformer à la réglementation. Il n'avait plus lieu d'être.
Mais, comme la loi du 21 janvier 1995, le présent projet de loi prévoyait un dispositif transitoire analogue. Le paragraphe I de l'article 15 du projet de loi initial disposait en effet que les systèmes de vidéosurveillance déjà en place et qui se sont donc vu délivrer une autorisation préfectorale pour une durée indéterminée seraient réputés autorisés pour une durée de cinq ans à compter de la date de publication de la loi. Mais ce dispositif transitoire ne serait pas inscrit au sein de la loi du 21 janvier 1995.
Dans un souci de clarté et d'intelligibilité de la loi, un amendement du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale a rapatrié ces dispositions au sein de la loi du 21 janvier 1995 en lieu et place du dispositif transitoire y figurant à cette époque et que supprimait le projet de loi initial.
Le paragraphe 3° de cet article tend à insérer un nouvel article 10-III bis et à créer une procédure d'autorisation d'urgence .
En cas d'urgence et d'exposition particulière à un risque d'actes terroristes, le préfet pourrait accorder, sans avis préalable de la commission départementale, une autorisation provisoire d'installation d'un système de vidéosurveillance pour une durée maximale de quatre mois. Le président de la commission en serait immédiatement informé.
Un amendement du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale a prévu que le président de la commission pouvait réunir sans délai cette dernière afin qu'elle donne un avis sur la mise en oeuvre de la procédure d'autorisation provisoire.
Hormis cette dérogation, l'ensemble des autres règles de droit commun resterait applicable. Cette procédure d'urgence pourrait s'appliquer aussi bien aux demandes concernant la surveillance de la voie publique qu'à celles concernant des lieux et établissements ouverts au public.
L'autorisation provisoire serait mise à profit pour recueillir l'avis de la commission départementale. A l'expiration de l'autorisation provisoire, si l'autorisation dite classique n'est pas accordée, le système devrait être retiré. Un amendement du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale est venu préciser que la commission départementale devait se prononcer avant l'expiration de l'autorisation provisoire, le risque étant que l'inertie de la commission n'oblige à retirer un système de vidéosurveillance avant que l'autorisation définitive ne lui soit accordée.
Selon l'exposé des motifs du projet de loi, le but recherché est « l'amélioration de la réactivité des services de l'Etat à l'égard des demandes [...] faites par des pétitionnaires exposés de manière prononcée et soudaine à des risques d'actes de terrorisme ».
La procédure de droit commun peut en effet durer quatre mois.
Le paragraphe 4° de cet article tend à modifier l'article 10-VII de la loi du 21 janvier 1995.
L'article 10-VII en vigueur prévoit simplement qu'un décret en Conseil d'Etat fixe les modalités d'application de l'article 28 ( * ) . Le projet de loi tend à préciser l'objet de ce décret. Il devrait notamment fixer les conditions dans lesquelles :
- le public est informé de l'existence du dispositif de vidéosurveillance ;
- les agents sont habilités à accéder aux enregistrements ;
- la commission départementale exerce son contrôle.
3. La position de votre commission des lois
Dans sa décision n° 94-352 DC du 18 janvier 1995 sur la loi d'orientation et de programmation relative à la sécurité, le Conseil constitutionnel a considéré que :
- la prévention d'atteintes à l'ordre public, notamment d'atteintes à la sécurité des personnes et des biens, et la recherche d'auteurs d'infractions étaient nécessaires à la sauvegarde de principes et droits à valeur constitutionnelle ;
- il appartenait au législateur d'assurer la conciliation entre ces objectifs de valeur constitutionnelle et l'exercice des libertés publiques constitutionnellement garanties au nombre desquelles figurent la liberté individuelle et la liberté d'aller et venir ;
- la méconnaissance du droit au respect de la vie privée pouvait être de nature à porter atteinte à la liberté individuelle.
Il a ensuite jugé que la mise en oeuvre de systèmes de vidéosurveillance dans les conditions prévues par l'article 10 de la loi était « assortie de garanties de nature à sauvegarder l'exercice des libertés individuelles ».
Toute modification de la législation en matière de vidéosurveillance doit donc s'attacher à maintenir un équilibre entre ces différents principes et droits à valeur constitutionnel, comme y est parvenue la loi du 21 janvier 1995.
A cet égard, le projet de loi ne remet pas en cause l'équilibre trouvé. Le régime applicable reste sensiblement le même. Les possibilités de recourir à la vidéosurveillance sont élargies, mais à la seule fin de prévenir le terrorisme. Cette nouvelle finalité, bien qu'ayant ses spécificités, est assez proche de certaines finalités déjà prévues, notamment la prévention des atteintes à la sécurité des personnes. De plus, l'extension du champ d'application de la vidéosurveillance est compensée par de nouvelles garanties comme le pouvoir de contrôle de la commission départementale ou la réduction de la durée de validité de l'autorisation à cinq ans.
Les modifications issues de l'examen par l'Assemblée nationale ont préservé cet équilibre en précisant les pouvoirs de la commission départementale et en assouplissant les conditions dans lesquelles le préfet peut ouvrir l'accès aux images à des agents individuellement habilités des services de police et de gendarmerie.
Votre commission vous propose cinq amendements rédactionnels ou de précision. Ils tendent notamment à supprimer des mentions inutiles.
Votre commission vous propose également un amendement précisant que la commission départementale ne peut pas exercer son pouvoir de contrôle lorsque le système de vidéosurveillance a été installé pour des raisons tenant à la défense nationale.
Le droit en vigueur prévoit en effet que l'avis préalable de la commission départementale n'est pas requis en matière de défense nationale pour installer un système de vidéosurveillance. De la même manière, la commission ne peut pas être saisie par toute personne intéressée d'une difficulté tenant au fonctionnement d'un système de vidéosurveillance lorsque ce système intéresse la défense nationale.
Par souci de cohérence, il semble nécessaire de le préciser pour les pouvoirs de contrôle de la commission départementale.
Un autre amendement tend à modifier le paragraphe VI de l'article 10 de la loi de 1995 qui définit les sanctions pénales applicables en cas de non respect de la législation en matière de vidéosurveillance.
Étonnamment, dans l'hypothèse où un exploitant maintiendrait un système de vidéosurveillance ne bénéficiant plus d'un autorisation mais sans dispositif d'enregistrement il ne pourrait pas être sanctionné sur le fondement du paragraphe VI, lequel ne réprime que le fait de procéder à des enregistrements sans autorisation.
Cet amendement y remédie. Il oblige les exploitants à retirer les systèmes non autorisés ou qui ne le sont plus.
Votre rapporteur tient également à attirer l'attention du Gouvernement sur la nécessité de publier, le plus rapidement possible à compter de l'entrée en vigueur de la loi, une circulaire pratique à destination des maires . De nombreuses municipalités attendent en effet cette loi pour installer des systèmes de vidéosurveillance. De la même manière, l'arrêté devant fixer les normes techniques devra être pris le plus rapidement possible afin que des travaux qui ne respecteraient pas ces normes ne soient pas inutilement engagés.
Votre commission des lois vous propose d'adopter l'article premier ainsi modifié.
Article premier bis (nouveau)
Détermination des
services spécialisés dans la lutte antiterroriste
Cet article, issu d'un amendement sous amendé du groupe socialiste à l'Assemblée nationale , tend à préciser la liste des services spécialisées dans la lutte anti-terroriste au sens de la présente loi.
En effet, plusieurs articles du projet de loi autorisent l'accès à certaines données à caractère personnel aux seuls agents individuellement habilités des services de police et de gendarmerie nationales spécialisés dans la lutte antiterroriste.
Il en est ainsi des articles 5, 6 et 8 du projet de loi. Or, le projet de loi ne définit nulle part les modalités de désignation de ces services.
Dans sa délibération n° 2005-208 du 10 octobre 2005 portant avis sur le projet de loi relatif à la lutte contre le terrorisme, la CNIL estime qu'au titre des garanties de nature à préserver l'équilibre des libertés constitutionnellement protégées doit figurer dans la loi ou sous la forme d'un renvoi explicite à des dispositions réglementaires « la désignation expresse des catégories de services de police et de gendarmerie habilités à utiliser les dispositifs informatiques ».
Le présent article tend à satisfaire cette garantie. Il prévoit qu'un arrêté ministériel détermine les services dont les missions consistent à lutter contre le terrorisme au sens de la présente loi. Ces services devraient être la DST, la DCRG, la DNAT et le bureau de lutte anti-terroriste de la gendarmerie nationale.
Rappelons que, au sein de ces services, seuls les agents individuellement habilités auraient accès aux traitements automatisés.
Le choix d'un arrêté ministériel semble judicieux car il offre la souplesse nécessaire en cas de réorganisation des services chargés de la lutte antiterroriste.
Toutefois, l'emplacement de cet article n'est pas le bon. L'arrêté ministériel susmentionné vaudrait pour l'ensemble de la loi. Il devrait donc figurer dans les dispositions finales et non dans le chapitre premier relatif à la vidéosurveillance.
Un sous-amendement du député Michel Hunault a précisé que, pour l'application des articles 1 er et 2 relatif à la vidéosurveillance, des arrêtés préfectoraux fixeraient la liste de ces services au plan départemental. L'exposé des motifs justifie ce sous-amendement par la gestion déconcentrée des systèmes de vidéosurveillance par chaque préfet de département et, à Paris, par le préfet de police.
Chaque autorisation d'un système de vidéosurveillance est en effet délivrée, modifiée ou retirée par le préfet. L'article premier du projet de loi prévoit que le préfet peut autoriser, pour un système de vidéosurveillance déterminé, des agents individuellement habilités des services de police et de gendarmerie nationales à accéder aux images. Mais, toujours selon cet article premier, ce droit d'accès ne serait limité ni à la seule fin de prévenir des actes de terrorisme, ni aux seuls services de police et de gendarmerie spécialement chargés de prévenir et de réprimer le terrorisme.
Ce sous-amendement n'apparaît donc pas pertinent car il limiterait l'accès à ces images aux services désignés par le préfet localement pour lutter contre le terrorisme.
Votre commission vous propose donc un amendement de suppression de cet article.
Un autre amendement insérant un article additionnel après l'article 15 dans le chapitre VIII relatif aux dispositions finales tend à reprendre l'essentiel des dispositions du présent article.
La commission vous propose d'abandonner la seconde phrase du présent article qui prévoit que des arrêtés préfectoraux fixent la liste de ces services au niveau départemental en matière de vidéosurveillance pour les raisons précitées.
Cet article additionnel après l'article 15 reprendrait les dispositions relatives à l'arrêté ministériel déterminant la liste des services spécialement chargés de la prévention et de la répression du terrorisme, sous réserve d'une harmonisation rédactionnelle. Il abandonnerait en revanche la deuxième partie du dispositif relative aux arrêtés préfectoraux en matière de vidéosurveillance. La commission a souhaité préciser qu'il s'agissait d'un arrêté interministériel.
Votre commission des lois vous proposer de supprimer l'article premier bis .
Article 2 (art. 10-1 [nouveau] de la loi
n° 95-73 du 21 janvier 1995)
Faculté pour le préfet
de prescrire la vidéosurveillance de certains sites
Cet article tend à permettre au préfet de prescrire l'installation de systèmes de vidéosurveillance sur certains sites constituant des cibles potentielles privilégiées pour des actions terroristes.
Il insérerait à cette fin un nouvel article 10-1 dans la loi du 21 janvier 1995.
1. Le texte soumis au Sénat
Le paragraphe I de ce nouvel article prévoit que, pour prévenir des actes terroristes, le représentant de l'Etat dans le département peut prescrire la mise en oeuvre de systèmes de vidéosurveillance, à quatre catégories de personnes.
La première catégorie regroupe les exploitants des établissements, installations ou ouvrages mentionnés aux articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du code de la défense.
Les articles L. 1332-1 et suivants du code de la défense 29 ( * ) sont relatifs à la protection des installations d'importance vitale. Il s'agit des établissements, installations et ouvrages, « dont l'indisponibilité risquerait de diminuer de façon importante le potentiel de guerre ou économique, la sécurité ou la capacité de survie de la nation ».
Peuvent également relever de cette catégorie les établissements mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement si la destruction ou l'avarie de certaines de leurs installations représente un danger grave pour la population 30 ( * ) . Ils sont désignés par le préfet.
Selon l'exposé des motifs du projet de loi, en dépit du fait que les responsables de ces installations sont obligés de mettre en oeuvre un dispositif de protection adapté (voir encadré ci-dessous), « la décision de mise en place d'un système de vidéosurveillance n'est qu'une option à la discrétion de ces responsables ».
La protection des installations d'importance vitale Les entreprises exploitant de telles installations sont tenues de coopérer à leurs frais à leur protection contre toute tentative de sabotage. A cette fin, elles doivent élaborer un plan particulier de protection, approuvé par le préfet, comportant notamment des dispositions efficaces de surveillance, d'alarme et de protection matérielle. En cas de non-approbation du plan et de désaccord persistant, le plan est arrêté par le préfet. En cas de refus des entreprises de préparer un tel plan, le préfet met en demeure les chefs d'entreprises ou d'établissements, par arrêté, de l'établir dans le délai qu'il fixe. De la même façon, il les met ensuite en demeure de mettre en oeuvre le plan dans le délai qu'il fixe. Les dirigeants des entreprises qui persistent à ne pas élaborer le plan particulier de protection ou à ne pas le mettre en oeuvre à l'expiration du délai défini par la mise en demeure, sont punis d'une amende de 150 000 euros. Il en va de même si ces personnes omettent, après une mise en demeure, d'entretenir les dispositifs de protection. |
La deuxième catégorie vise les gestionnaires d'infrastructures, les autorités et personnes exploitant des transports collectifs, relevant de l'activité de transport intérieur régie par la loi n° 82-1153 du 30 décembre 1982 d'orientation des transports intérieurs. Sont concernés les transports ferroviaires de voyageurs, les transports urbains de personnes, les transports routiers non urbains de personnes, les transports aériens de voyageurs et les transports maritimes réguliers de personnes.
La troisième catégorie concernée regroupe les exploitants d'aéroports ouverts au trafic international qui ne relèvent d'aucune des deux catégories précédentes.
A l'Assemblée nationale , un amendement du groupe socialiste a ajouté une quatrième et dernière catégorie de personnes : les exploitants des lieux et établissements ouverts au public aux fins d'y assurer la sécurité des personnes et des biens lorsque ces lieux et ces établissements sont particulièrement exposés à des actes terroristes.
Cet amendement a pour effet d'élargir considérablement le champ d'application de cet article.
Les paragraphes II à VI de ce nouvel article définissent la procédure à suivre ainsi que le régime applicable à ces systèmes particuliers de vidéosurveillance.
L'ensemble de ces règles est un hybride de la législation en matière de vidéosurveillance (article 10 de la loi du 21 janvier 1995) et de celle relative à la protection des installations d'importance vitale (articles L. 1332-1 et suivants du code de la défense).
Ainsi, avant de prescrire l'installation de la vidéosurveillance, le préfet devrait saisir pour avis la commission départementale instituée à l'article 10 de la loi du 21 janvier 1995, quand la décision porte sur un système filmant la voie publique ou des lieux et établissements ouverts au public, sauf en matière de défense nationale.
A l'Assemblée nationale , un amendement du groupe socialiste a précisé que la commission départementale exerçait un pouvoir de contrôle sur les systèmes de vidéosurveillance installés selon cette procédure spéciale dans des conditions analogues à celles prévues par l'article 1 er du projet de loi qui attribue ces mêmes pouvoirs dans le cadre de la procédure de droit commun.
Cette précision est toutefois inutile puisque le projet de loi initial le prévoit déjà.
En effet, les systèmes de vidéosurveillance ainsi installés seraient soumis aux dispositions ci-après de l'article 10 de la loi du 21 janvier 1995 dans la rédaction qui résulterait de l'entrée en vigueur de l'article premier du présent projet de loi 31 ( * ) :
- interdiction de filmer l'intérieur des immeubles d'habitation et, de façon spécifique, leurs entrées (quatrième alinéa de l'article 10-II) ;
- obligation d'informer de manière claire et permanente le public de l'existence du système de vidéosurveillance (cinquième alinéa de l'article 10-II) ;
- prescription par le préfet de toutes les précautions utiles, en particulier quant à la qualité des personnes chargés de l'exploitation du système ou visionnant les images (deuxième alinéa de l'article 10-III) ;
- faculté ouverte au préfet d'autoriser des agents individuellement habilités des services de la police ou de la gendarmerie à accéder aux images et enregistrements (troisième alinéa de l'article 10-III) ;
- conformité de ces systèmes de vidéosurveillance avec les normes techniques définies par arrêté ministériel (quatrième alinéa de l'article 10-III) ;
- possibilité pour la commission départementale d'exercer à tout moment un contrôle sur les conditions de fonctionnement des systèmes (sixième alinéa de l'article 10-III).
Un autre emprunt aux dispositions de l'article premier du projet de loi modifiant l'article 10 de la loi du 21 janvier 1995 est la procédure d'urgence . Selon le paragraphe III de ce nouvel article, le préfet pourrait prescrire en cas d'urgence et d'exposition particulière à un risque d'actes terroristes, sans avis préalable de la commission départementale, la mise en oeuvre d'un système de vidéosurveillance. Avant l'expiration d'un délai de quatre mois, le préfet recueillerait l'avis de la commission départementale et se prononcerait sur le maintien de sa prescription.
Un amendement du rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée nationale , par analogie avec la procédure d'urgence instituée à l'article 10 de la loi du 21 janvier 1995, précise que le président de la commission peut réunir sans délai cette dernière afin qu'elle donne son avis sur la mise en oeuvre de la procédure de décision provisoire.
Les autres dispositions sont nettement inspirées de la règlementation applicable en matière de protection des installations d'importance vitale.
Outre le fait que le préfet prescrirait et donc imposerait une obligation à un tiers, il fixerait un délai pour la réalisation des travaux.
Le présent article prévoit également que si les responsables refusaient de mettre en oeuvre le système prescrit, le préfet pourrait les mettre en demeure d'y procéder dans un délai donné. En cas de non-respect de la mise en demeure, les responsables seraient punis de 150 000 euros d'amende.
Le paragraphe VI de ce nouvel article prévoit qu'un décret fixe les modalités d'application, notamment les conditions dans lesquelles :
- le public est informé de l'existence d'un dispositif de vidéosurveillance ;
- la commission départementale exerce son contrôle ;
- les agents sont habilités à accéder aux enregistrements.
Cette procédure originale qui peut être mise en oeuvre afin de prévenir des actes terroristes et qui emprunte beaucoup à la procédure de protection des installations d'importance vitale, illustre l'assimilation partielle de la lutte anti-terroriste à un objectif de défense nationale .
3. La position de votre commission des lois
Cette procédure de prescription a pour objet de remédier à une carence des exploitants de ces lieux et établissements. Il incombe en effet à chaque exploitant une obligation générale de sécurité qu'il s'agisse de la sécurité des clients, des employés ou des environs. On peut penser aux conséquences d'un attentat sur une centrale nucléaire, un barrage ou une raffinerie par exemple.
Comme l'indique le rapport de la commission des lois de l'Assemblée nationale, il existe déjà de nombreuses prescriptions en matière de sécurité qui ne font l'objet d'aucune compensation, par exemple en matière de sécurité incendie ou d'obligation de surveillance de certains lieux. Ainsi le décret n° 97-47 du 15 janvier 1997 oblige les exploitants de garage ou de parc de stationnement de plus de deux cents places situé sur le territoire de certaines communes à en faire assurer la surveillance par un service interne de surveillance ou par une entreprise prestataire de services.
Cette procédure n'a pas vocation à se substituer à la procédure de droit commun prévu à l'article 10 de la loi du 21 janvier 1995. Avant d'y recourir, le préfet devra engager une phase de concertation.
Votre commission vous propose deux amendements rédactionnels ou de précision.
Votre commission des lois vous propose d'adopter l'article 2 ainsi modifié .
* 22 Pour un historique de la genèse de la législation relative à la vidéosurveillance, on pourra utilement se reporter au rapport de notre collègue Paul Masson lors de l'examen en première lecture au Sénat du projet de loi d'orientation et de programmation relatif à la sécurité. Rapport n° 564 (1993-1994).
* 23 Cette circulaire commente également le décret n° 96-926 du 17 octobre 1996 portant application de l'article 10 de la loi n° 95-73 du 21 janvier 1995. Publiée au Journal officiel du 7 décembre 1996, page 17835.
* 24 Voir l'article 15 de la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 relative à la protection des personnes physiques à l'égard des traitements de données à caractère personnel et modifiant la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l'informatique, aux fichiers et aux libertés. Outre cette simple précision, la loi du 6 août 2004 prévoit que le Gouvernement transmet chaque année à la CNIL un rapport sur les conditions d'application de la législation relative à la vidéosurveillance.
* 25 Circulaire du 22 octobre 1996 précitée.
* 26 L'article 12 du décret du 17 octobre 1996 précité permet au préfet de retirer l'autorisation soit en cas de manquement, soit en cas de modification des conditions au vu desquelles elle a été délivrée.
* 27 Ainsi, les systèmes récents empêchent d'orienter les caméras vers les immeubles d'habitation.
* 28 Voir le décret n° 96-926 du 17 octobre 1996.
* 29 Chapitre 2 (Protection des installations d'importance vitale) du Titre III (Défense économique) du Livre III (Mise en oeuvre de la défense non militaire) de la Partie I (Principes généraux de la défense) de la partie législative du code de la défense.
* 30 Voir l'article L. 1332-2 du code de la défense.
* 31 Voir le commentaire de l'article premier du projet de loi.