Article 120
(art. L. 641-13 nouveau
du code de commerce)
Ordre de paiement des créances
Cet article tend à créer un article L. 641-13 au sein de code de commerce afin de définir l'ordre des paiements des créanciers dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire . Il reprendrait, avec certaines modifications liées à l'institution d'un nouveau privilège, dans le cadre de la procédure de conciliation, les dispositions figurant actuellement à l'article L. 621-32 du code de commerce relatives à l'ordre de paiement des créanciers dans le cadre de la procédure de liquidation.
1. Le droit positif
Depuis la loi n° 94-475 du 10 juin 1994 relative à la prévention et au traitement des difficultés des entreprises, l'ordre des paiements entre les créances est différent dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire par rapport à ce qu'il est dans la procédure de redressement judiciaire.
Au cours d'une procédure de liquidation judiciaire, le principe du paiement, à leur échéance, des créances nées régulièrement, après le jugement d'ouverture, et résultant de la continuation de l'activité est maintenu. Lorsqu'il est impossible de régler ces créances à l'échéance, celles-ci sont alors payées par priorité par rapport aux autres créances, qu'elles soient ou non assorties de sûretés ou de privilèges.
Comme dans le cadre d'un redressement judiciaire, l'efficacité de cette priorité de paiement n'est cependant pas absolue.
D'une part, elle n'a pas d'incidence sur les droits des créanciers rétenteurs ou bénéficiant d'une clause de réserve de propriété sur certains meubles du débiteur.
D'autre part, le règlement des créances postérieures au jugement d'ouverture ne peut intervenir qu'après le paiement des créances antérieures au jugement d'ouverture :
- bénéficiant du « super-privilège » des salaires, défini par les articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du code du travail ;
- couvertes par le privilège des frais de justice ;
- ou « garanties par des sûretés immobilières ou mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention ou constituées en application du chapitre V du titre II du livre V » du code de commerce . Cette priorité donnée à cette catégorie de créances est destinée, au stade de la liquidation judiciaire, à restaurer l'efficacité de certaines sûretés que les créanciers auront prises, avant l'ouverture d'une procédure collective, dans le but de se protéger contre la défaillance de leur débiteur. La formulation retenue vise notamment les nantissements de l'outillage et du matériel d'équipement, prévus par l'article L. 525-1 du code de commerce 260 ( * ) , l'ensemble des gages mobiliers (sur marchandises, sur véhicules, sur valeurs mobilières) et certains privilèges mobiliers spéciaux, tels que ceux du transporteur ou du commissionnaire de transport.
En cas de concours entre créances postérieures non payées à l'échéance, l'ordre de paiement au sein de cette catégorie est identique à celui qui s'applique dans le cadre de la procédure de redressement 261 ( * ) .
2. Les modifications apportées par le projet de loi
L'article L. 622-15, dans sa rédaction issue de l'article 34 du présent projet de loi, ne définissant que le régime du paiement des créances dans le cadre de la procédure de sauvegarde, l'article L. 641-13, créé par le présent article, réglerait de manière autonome l'ordre de paiement des créances au cours de la procédure de liquidation judiciaire .
? Aux termes du I de l'article L. 641-13 du code de commerce, le principe du paiement à l'échéance, jusqu'alors réservé aux créances nées régulièrement après le jugement d'ouverture lorsque l'activité du débiteur est poursuivie, serait réduit à deux catégories de créances :
- d'une part, celles nées régulièrement après le jugement d'ouverture « pour les besoins du déroulement de la procédure ou, le cas échéant, de la période d'observation antérieure ». Cette catégorie serait quasi-identique à celle qui serait visée par l'article L. 622-15, sa formulation étant toutefois légèrement différente afin de prendre en considération le fait que la procédure de liquidation judiciaire pourrait s'ouvrir immédiatement, sans période d'observation préalable ;
- d'autre part, celles nées régulièrement après le jugement d'ouverture « en raison d'une prestation fournie au débiteur, pour son activité, postérieurement au jugement » . Cette seconde catégorie serait également similaire à celle qui serait prévue à l'article L. 622-15, la différence de rédaction s'expliquant par l'absence de période d'observation après le jugement prononçant la liquidation judiciaire.
Votre commission estime qu'il convient de faire bénéficier de la règle du paiement à l'échéance les créances qui seraient nées antérieurement au jugement prononçant la liquidation judiciaire mais après le jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire qui l'aurait précédée. Il s'agit en effet de viser le cas du prononcé de la liquidation judiciaire, en application de l'article L. 622-10-1 du code de commerce dans la rédaction proposée par l'article 29 du présent projet de loi, au cours de la période d'observation ouverte par le jugement d'ouverture d'une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire. Elle vous soumet en conséquence un amendement en ce sens.
Par le même amendement, elle vous propose, comme à l'article 34 du présent projet de loi, de limiter le bénéfice du paiement à l'échéance aux créances fournies pour l'activité professionnelle du débiteur postérieure au jugement.
? Le II de l'article L. 641-13, modifié à la suite d'un amendement rédactionnel de la commission des lois de l'Assemblée nationale, déterminerait la priorité de paiement applicable aux créances postérieures bénéficiant du principe du paiement à l'échéance , lorsqu'elles n'ont pu être payées à l'échéance.
Sur ce point, la rédaction proposée reprendrait les dispositions figurant actuellement au II de l'article L. 621-32 du code de commerce. Toutefois, comme dans le cadre de la procédure de sauvegarde, le terme de « priorité » serait remplacé par le terme de « privilège », ce qui devrait ainsi permettre au créancier titulaire d'un privilège visé par la présente disposition de s'en prévaloir dans le cadre d'une autre procédure que celle au cours de laquelle il l'a acquis .
Surtout, le dispositif proposé introduirait un paiement prioritaire des créances bénéficiant du privilège de la « new money », établi par l'article L. 611-1 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'article 8 du présent projet de loi 262 ( * ) .
Les créances bénéficiant de la règle du paiement à l'échéance seraient donc payées après les créances :
- couvertes par le super-privilège des salaires , établi par les articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du code du travail ;
- garanties par le privilège des frais de justice ;
- bénéficiant du privilège de la « new money » ;
- ou garanties par des sûretés immobilières ou mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention ou constituées en application du chapitre V du titre II du livre V du code de commerce .
Ce nouveau classement resterait également inapplicable tant aux créanciers titulaires d'un droit de rétention qu'aux créanciers titulaires de clauses de réserve de propriété.
Ordre de paiement des créances dans le cadre
Dans le cadre de la procédure de liquidation judiciaire, les créances seraient payées dans l'ordre suivant : 1. les créances salariales bénéficiant du super-privilège institué par les articles L. 143-10, L. 143-11, L. 742-6 et L. 751-15 du code du travail ; 2. les créances de frais de justice antérieures au jugement d'ouverture ; 3. les créances garanties par le privilège établi par l'article L. 611-11 du code de commerce dans sa rédaction proposée par l'article 8 du présent projet de loi ; 4. les créances garanties par des sûretés immobilières ou mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention ou faisant l'objet d'un nantissement sur matériel et outillage ; 5. si elles n'ont pas été payées à leur échéance, les créances nées régulièrement après le jugement pour les besoins du déroulement de la procédure ou de la période d'observation ou encore une partie d'une prestation fournie au débiteur pour son activité durant cette période, dans l'ordre suivant : - les créances salariales non avancées par l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS) ; - les créances de frais de justice (frais de greffe, frais et honoraires des mandataires de justice, honoraires des avocats engagés après le jugement d'ouverture) ; - les créances résultant de prêts conclus après le jugement d'ouverture avec l'autorisation du juge-commissaire, ainsi que les créances résultant de la continuation des contrats en cours pour lesquels le cocontractant accepte de recevoir un paiement différé ; - les créances salariales avancées par l'AGS postérieurement à l'ouverture de la procédure ; - les autres créances postérieures selon leur rang, à commencer par les créances assorties de privilèges généraux, puis celles assorties de privilèges spéciaux, puis les créances non privilégiées ; 6. les créances antérieures au jugement d'ouverture assorties de sûretés générales ou de sûretés spéciales autres que celles visées au 3, selon leur rang ; 7. les créances antérieures au jugement d'ouverture non privilégiées. |
Votre commission vous propose de lever une ambiguïté, présente depuis 1994 et relevée par la doctrine. Il s'agit de savoir si la formule concernant les créances « garanties par des sûretés immobilières ou mobilières spéciales assorties d'un droit de rétention ou constituées en application du chapitre V du titre II du livre V » doit s'entendre comme visant les sûretés immobilières spéciales et les sûretés mobilières spéciales, ou bien les sûretés immobilières et les seules sûretés mobilières spéciales. L'interprétation est, de facto , laissée à l'entière discrétion du mandataire judiciaire et est donc variable d'une liquidation judiciaire à l'autre. Cette situation n'est pas acceptable.
Afin d'assurer une application uniforme des règles relatives au paiement des créanciers privilégiés, votre commission vous soumet un amendement tendant à prévoir que le privilège en cause s'applique aux créances garanties par des sûretés immobilières ainsi que celles garanties par les seules sûretés mobilières spéciales. Cette précision aura notamment pour effet d'améliorer la situation des créanciers titulaires de sûretés mobilières générales, dont fait en particulier partie l'AGS. Par le même amendement, votre commission vous proposera de procéder à la correction de deux erreurs rédactionnelles.
? Le III de l'article L. 641-13 définirait, en cas de concours, l'ordre de paiement des créances bénéficiant d'un paiement à l'échéance . Il reprendrait, avec deux modifications, l'une d'ordre rédactionnel, l'autre de cohérence, les dispositions figurant actuellement au III de l'article L. 621-32 du code de commerce, qui seraient d'ailleurs également reprises au III de l'article L. 622-15, dans sa rédaction issue de l'article 34 du présent projet de loi.
Par cohérence avec l'amendement qu'elle vous a présenté à l'article 34, votre commission vous soumet un amendement tendant à élargir la catégorie des créances qui seraient visées au 3° de ce paragraphe à l'ensemble des prêts consentis, quelle que soit la qualité du prêteur .
? Le IV de l'article L. 641-13 reprendrait, avec quelques adaptions liées au régime de la liquidation judiciaire, le texte devant figurer au IV l'article L. 622-15 du code de commerce, dans sa rédaction issue de l'article 34 du présent projet de loi. Il instaurerait une péremption des privilèges prévus par cette disposition.
Les créances postérieures au jugement d'ouverture non payées à l'échéance par le débiteur perdraient ainsi le privilège résultant de l'application de l'article L. 641-13 si, dans un délai d'un an à compter de la fin de la période d'observation, elles n'ont pas été portées à la connaissance de certains organes de la procédure : le mandataire judiciaire, l'administrateur judicaire s'il en a été désigné un, ou le liquidateur.
Cette disposition aurait donc pour conséquence de soumettre les créanciers postérieurs à une obligation de déclaration des créances , à l'instar de ce qu'exige le droit positif à l'égard des créances antérieures au jugement, et qui serait maintenu par l'article L. 622-22 dans sa rédaction issue de l'article 39 du présent projet de loi. L'absence de déclaration étant sanctionnée par la perte du privilège, les créances concernées seraient alors traitées comme des créances antérieures au jugement d'ouverture et seraient alors payées selon leur nature privilégiée ou chirographaire.
Votre commission vous propose d'adopter l'article 120 ainsi modifié .
* 260 Article L. 525-1 du code de commerce : « Le paiement du prix d'acquisition de l'outillage et du matériel d'équipement professionnel peut être garanti, soit vis-à-vis du vendeur, soit vis-à-vis du prêteur qui avance les fonds nécessaires au paiement du vendeur, par un nantissement restreint à l'outillage ou au matériel ainsi acquis.
« Si l'acquéreur a la qualité de commerçant, ce nantissement est soumis, sous réserve des dispositions ci-après, aux règles édictées par les chapitres II et III du titre IV du livre Ier, sans qu'il soit nécessaire d'y comprendre les éléments essentiels du fonds.
« Si l'acquéreur n'a pas la qualité de commerçant, le nantissement est soumis aux dispositions de l'article L. 525-16 »
* 261 Voir supra, le commentaire de l'article 34 du présent projet de loi.
* 262 Voir supra, le commentaire de l'article 8 du présent projet de loi.