AUDITION DE M. FRANÇOIS FILLON, MINISTRE DE L'ÉDUCATION NATIONALE, DE L'ENSEIGNEMENT SUPÉRIEUR ET DE LA RECHERCHE
Jeudi 3 mars 2005
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La commission a procédé à l'audition de M. François Fillon, ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche , sur le projet de loi d'orientation pour l' avenir de l'école .
Tout d'abord, M. François Fillon a rappelé que le projet de loi d'orientation, qui venait d'être adopté par l'Assemblée nationale, était le fruit de plus d'une année de débats et de deux mois d'échanges et de concertations avec les partenaires sociaux.
Il a indiqué qu'il s'agissait d'un projet pragmatique, destiné à changer le visage de l'école de façon progressive mais profonde, et construit autour de deux convictions :
- la volonté de s'inscrire dans la continuité historique ; par-delà les appartenances politiques, toutes les grandes étapes qu'a connues notre école républicaine -plan Langevin Wallon (1946), réforme Haby (1975), loi de 1989 ont poursuivi le même objectif : celui de l'élévation du niveau culturel et de formation de notre jeunesse ;
- le brouillage des valeurs et les blocages sociaux qui traversent la société française, et se répercutent sur le système scolaire, alimentent un sentiment de désarroi au sein de la communauté éducative ; cela n'est pas étranger au scepticisme que celle ci manifeste face à toute velléité de changement, ainsi qu'à la prédominance de la question des moyens ; or il a rappelé, qu'en 25 ans, les moyens avaient été multipliés par deux, et, qu'en 15 ans, 130.000 enseignants supplémentaires avaient été recrutés, tandis que le nombre d'élèves avait diminué de 500.000, sans que cela ne se soit traduit par de réels changements qualitatifs.
Aussi bien a t il affirmé que le présent projet de loi, élaboré sous l'autorité du Président de la République et du Premier ministre, répondait à la nécessité de réajuster l'ensemble du système éducatif pour lui permettre de mieux répondre aux attentes nouvelles de la Nation.
Il a souhaité, d'une part, engager le débat sous le sceau de la confiance, par le rappel des réussites qui ont transformé notre système éducatif depuis trente ans, et qui ont contribué au développement économique et scientifique de notre pays : la quasi-totalité des enfants est scolarisée dès les premières années de l'école maternelle ; le collège a fortement contribué à promouvoir l'égalité des chances au-delà des différences sociales ; le lycée est parvenu à conduire plus des deux tiers d'une classe d'âge au niveau des baccalauréats.
D'autre part, il a reconnu l'exigence de lucidité, la progression de notre système éducatif ayant atteint, depuis quelques années, un palier : les performances de l'école française restent moyennes par rapport à celles des pays comparables ; sa contribution à la lutte contre les inégalités sociales s'est affaiblie ; sa capacité à garantir un niveau de formation qui réponde aux besoins de la société et de l'économie dans les prochaines décennies n'est plus assurée.
Il a estimé que le statu quo équivaudrait à un renoncement face à ces constats préoccupants : 80.000 élèves entrent en 6e sans savoir réellement lire, écrire et compter ; la proportion des bacheliers ne progresse plus, celle des bacheliers de l'enseignement général diminue, et le nombre des élèves quittant le système scolaire sans diplôme ni qualification reconnue reste, avec 150.000 jeunes, à un niveau inacceptable.
Formulant le voeu de donner à l'école un souffle nouveau, et de la mobiliser autour de l'ambition d'assurer la réussite de tous les élèves, il a indiqué que le rapport annexé au projet de loi fixait, à cette fin, trois objectifs ambitieux :
- garantir que 100 % des élèves aient acquis un diplôme ou une qualification reconnue au terme de leur formation scolaire ;
- assurer que 80 % d'une classe d'âge accède au niveau du baccalauréat ;
- conduire 50 % d'une classe d'âge à un diplôme de l'enseignement supérieur.
Pour y parvenir, M. François Fillon a indiqué que le projet de loi s'articulait autour de trois axes principaux : assurer la réussite de tous les élèves, renforcer la qualité du service public de l'éducation et ouvrir davantage l'école sur les exigences du monde extérieur.
En premier lieu, il a précisé la définition du socle de connaissances et de compétences indispensables en fin de scolarité obligatoire qui comprendra :
- la maîtrise de la langue française ;
- la maîtrise des principaux éléments de mathématiques ;
- une culture humaniste et scientifique permettant l'exercice libre de la citoyenneté ;
- la pratique d'au moins une langue vivante étrangère ;
- la maîtrise des techniques usuelles de l'information et de la communication.
Il a considéré que ce socle, qui est le coeur de la réforme, devait être un levier de justice et de qualité : justice devant les savoirs essentiels, qui doivent être impérativement transmis à tous ; qualité des savoirs effectivement acquis par tous.
Il a déclaré ne pas ignorer, toutefois, les craintes selon lesquelles des disciplines ne figurant pas dans le socle seraient sous-estimées, ou encore l'approche caricaturale tendant à assimiler le socle à un « SMIC culturel ». En réponse, il a rappelé que le socle ne résumait nullement la mission de l'école et qu'il était un « tremplin » pour aller plus loin et plus haut dans la scolarité. Expression d'un choix politique et intellectuel, il doit conduire à dépasser les clivages disciplinaires pour fixer des priorités.
Par ailleurs, M. François Fillon a ajouté que ce socle, autour duquel s'orchestrera une partie de la scolarité obligatoire et de son évaluation, allait de pair avec un nouvel outil (le programme personnalisé de réussite scolaire), se traduisant par un dispositif de soutien de 3 heures par semaine, plus réactif et mieux individualisé. Il a indiqué que la mise en oeuvre de ces mesures était programmée à hauteur de 107 millions d'euros par an pour l'école élémentaire, et 132 millions d'euros pour le collège, en 2006, 2007 et 2008.
En outre, il s'est félicité de l'effort réalisé au profit des élèves boursiers ayant manifesté, par leur travail, une volonté de progresser et de réussir, qui pourront bénéficier de bourses au mérite, afin de poursuivre leurs études au lycée dans des conditions plus favorables. Celles ci seront majorées de 30 % et multipliées par trois, pour atteindre le nombre de 75.000 bénéficiaires en 2008 (soit 16.700 bénéficiaires supplémentaires par an), pour un coût annuel de 17 millions d'euros. Ces bourses au mérite se prolongeront, en outre, dans l'enseignement supérieur, au profit des bacheliers ayant obtenu une mention « bien » ou « très bien », au rythme de 1.200 bénéficiaires supplémentaires par an de 2006 à 2009, et pour un coût annuel de 6 millions d'euros.
Ensuite, M. François Fillon a souhaité que l'orientation offre à tous les élèves la possibilité d'aller au plus loin de leurs capacités et de leurs appétences individuelles.
A cet égard, il a indiqué que l'option de découverte professionnelle devra permettre aux élèves de préparer, dans les meilleures conditions, leur poursuite d'études et leur avenir professionnel, à travers la présentation des différents métiers, des débouchés qu'ils offrent et des voies de formation qui y conduisent.
Il a ajouté qu'à l'issue de la classe de troisième, la décision d'orientation tiendra compte du projet de l'élève, de ses aptitudes, des différentes offres de formation existantes et des perspectives d'emploi.
Dans un deuxième temps, M. François Fillon a défendu l'objectif visant à renforcer la qualité du service public de l'éducation, en s'appuyant tout d'abord sur la réaffirmation des valeurs de la République et, à travers elles, de la dimension morale et civique de l'éducation nationale.
Il a rappelé les termes de l'article 2 du projet de loi d'orientation, qui manifeste la volonté que l'école redevienne le fer de lance de la République : « la Nation fixe comme mission première à l'école de faire partager aux élèves les valeurs de la République ».
A cette fin, il a souhaité que les règlements intérieurs des écoles et des établissements scolaires rappellent les valeurs de tolérance, de respect de l'autre, d'égalité des hommes et des femmes, de responsabilité dans les comportements, et que chacun, dans la communauté éducative et au delà, y apporte sa pierre.
Dans le même esprit, il s'est prononcé en faveur de l'intégration, dans le brevet des collèges, d'une note de vie scolaire, prenant en compte l'assiduité en classe, le respect du règlement intérieur ainsi que l'engagement de l'élève dans la vie de l'établissement.
Quant aux élèves perturbant gravement le déroulement des classes, il a indiqué qu'ils seront pris en charge par des dispositifs relais, dont le nombre sera multiplié par cinq, soit 200 dispositifs supplémentaires par an sur la période de 2006 à 2010, pour un coût annuel de 13 millions d'euros.
En outre, afin d'offrir aux élèves en situation de handicap une scolarisation en priorité dans l'école ou l'établissement scolaire le plus proche de leur domicile, il a annoncé que le nombre d'unités pédagogiques d'intégration sera augmenté de 200 par an pendant cinq ans, ce qui représente 12 millions d'euros de dépenses annuelles supplémentaires.
Considérant que le respect des valeurs de la République repose également sur la capacité, pour l'école, d'assurer sa mission de prévention, de surveillance sanitaire et d'éducation à la santé, il a souligné que le projet de loi prévoyait la présence d'une infirmière ou d'un infirmier dans chaque établissement du second degré. Pour atteindre cet objectif, 1.520 personnels seront recrutés, soit 304 de plus par an pendant cinq ans, pour un coût supplémentaire de 10 millions d'euros par an.
Abordant, ensuite, la question du fonctionnement des établissements, il a fait remarquer que la mise en oeuvre de la loi organique relative aux lois de finances allait leur accorder une responsabilité budgétaire plus grande, en fonction d'objectifs pédagogiques clairement déterminés dans le cadre d'un contrat entre l'académie et les établissements.
De surcroît, il a précisé que l'institution d'un conseil pédagogique permettrait d'élaborer des stratégies collectives au niveau des établissements, notamment sur la cohérence pédagogique des enseignements à chaque niveau et sur la continuité de la progression des élèves dans chacune des disciplines.
En parallèle, il a indiqué que le projet d'établissement, qui sera mis en oeuvre par tous les membres de la communauté éducative sous l'impulsion du chef d'établissement, définira les modalités particulières de mise en oeuvre des objectifs et des programmes nationaux et académiques, ainsi que la politique de l'établissement en matière d'accueil et d'information des parents, d'orientation, de politique documentaire, de suivi individualisé des élèves, d'ouverture sur son environnement économique, culturel et social, d'ouverture européenne et internationale, d'éducation à la santé et à la citoyenneté.
Il a souhaité, enfin, que le principe d'un engagement professionnel partagé prévale chez les professeurs des lycées et collèges appelés à concourir, sous la forme d'heures supplémentaires, au remplacement de courte durée de leurs collègues absents.
Par ailleurs, il a souligné que l'inscription, dans la loi, du principe de la liberté pédagogique de l'enseignement visait à reconnaître la pleine responsabilité de chaque enseignant par rapport à l'objectif de réussite de tous les élèves, donnant ainsi tout son sens au travail en équipe, au service d'un projet pédagogique d'ensemble.
M. François Fillon a évoqué, ensuite, la question urgente des départs en retraite, qui vont rendre nécessaire le recrutement d'environ 150.000 enseignants au cours des cinq prochaines années.
Il a proposé, tout d'abord, que le contenu de la formation des enseignants soit fixé par un cahier des charges national, dont les principes seront définis par le(s) ministre(s) chargé(s) de l'enseignement supérieur et de l'éducation nationale, après avis du Haut conseil de l'éducation. Dans ce cadre, il a distingué trois grands ensembles de formation :
- l'approfondissement de la culture disciplinaire ;
- la formation pédagogique visant à la prise en charge de l'hétérogénéité des élèves ;
- la formation du fonctionnaire du service public de l'éducation.
Il a fait observer que la définition du cahier des charges national, ainsi que le contrôle de ses modalités de mise en oeuvre dans le cadre de la politique contractuelle, assureront à l'Etat, plus clairement qu'actuellement, la maîtrise d'ouvrage de la formation initiale des enseignants.
Il a annoncé, ensuite, que les universités se verront confier la responsabilité d'assurer la formation des enseignants, comme c'est le cas dans la plupart des pays européens. A cette fin, les instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) auront le statut d'école faisant partie d'une université, ce qui, selon le ministre, apportera un triple bénéfice :
- la qualité des savoirs enseignés dans les IUFM sera garantie par l'université ;
- l'inscription nécessaire de la formation des enseignants dans l'architecture européenne des diplômes au niveau du master pourra être progressivement organisée ;
- le rapprochement de la formation continue et de l'université deviendra une réalité.
Enfin, il a formulé l'exigence que les formateurs des IUFM aient un lien direct, soit avec la recherche (pour les enseignants chercheurs), soit avec la pratique de la classe (pour les professeurs du premier ou du second degré).
Il a souhaité, de surcroît, que la formation continue soit renforcée pour les enseignants ayant un projet personnel, par l'ouverture d'un crédit de formation de 20 heures par an, en dehors du temps de service, dont la mise en oeuvre est programmée à hauteur de 16,8 millions d'euros par an jusqu'en 2009.
Abordant, enfin, le troisième axe du projet de loi d'orientation, visant à ouvrir davantage l'école sur les exigences du monde extérieur, M. François Fillon a affirmé que la réforme engageait notre pays dans le défi européen, rappelant que l'Union européenne s'était fixé un objectif stratégique pour 2010 : « Devenir l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde, capable d'une croissance économique durable accompagnée d'une amélioration quantitative et qualitative de l'emploi et d'une plus grande cohésion sociale ».
Dans cette perspective, il a veillé à ce que le projet de loi s'attache à trois priorités :
- porter la qualité de l'éducation et de la formation au niveau le plus élevé pour tous ;
- donner aux personnes qui possèdent des qualifications, des connaissances et des compétences, la possibilité de les faire reconnaître effectivement dans toute l'Union européenne ;
- permettre aux citoyens de tous âges d'accéder à l'éducation et à la formation tout au long de la vie.
Faisant observer que la France obtenait les moins bons résultats pour la maîtrise des langues étrangères dans les comparaisons internationales, il a proposé des mesures en faveur de l'enseignement des langues recentré sur la compréhension et l'expression orales :
- l'enseignement d'une langue étrangère commencera en CE1, et tous les enseignants du 1er degré devront avoir passé une épreuve de langues au concours de professeur des écoles ;
- au collège, la continuité sera assurée avec la langue apprise à l'école, et une seconde langue sera proposée dès la classe de 5e ;
- le collège et le lycée enseigneront les langues en groupes organisés, non plus par la classe, mais par niveau, selon le cadre commun de référence du Conseil de l'Europe : A1, A2, B1, B2 ; les groupes seront progressivement dédoublés pour que les élèves aient davantage l'occasion de s'exprimer ;
- les élèves seront encouragés à faire des séjours linguistiques en utilisant les capacités d'hébergement des lycées français à l'étranger ; dans toutes les académies, un baccalauréat franco allemand (Abibac) sera organisé ; pendant les vacances scolaires, des opérations « écoles ouvertes » en langues seront proposées dans chaque département par l'inspection académique ;
- les professeurs des disciplines non linguistiques seront incités à acquérir une certification complémentaire en langue pour enseigner leur discipline dans une langue, notamment dans le cadre des sections européennes et des sections internationales ;
- enfin, toutes les universités devront prévoir des modules de langues dans leur parcours de licence.
Il a annoncé que la mise en oeuvre des mesures concernant le développement de l'enseignement des langues vivantes étrangères au collège et au lycée correspondait à 2.000 postes équivalents temps plein par an de 2006 à 2010.
Il a insisté, ensuite, sur l'importance de conjuguer, en matière d'éducation, l'action de l'école et celle de la famille, dont les rôles sont complémentaires et solidaires.
Aussi, il a cité les dispositions contenues, en ce sens, dans le rapport annexé, notamment la participation des parents à l'élaboration des projets d'établissement, l'association régulière des familles, par au moins deux rencontres annuelles, à la construction du projet d'orientation des élèves, et le suivi de la mise en oeuvre du programme personnalisé de réussite scolaire.
Afin d'approfondir, par ailleurs, les relations entre le système éducatif et le monde économique, et ainsi lever les barrières et incompréhensions réciproques, il a souhaité généraliser les initiatives qui font connaître l'entreprise aux jeunes, et plus largement au système éducatif dans son ensemble, condition première d'une orientation mieux choisie.
En conclusion, M. François Fillon a annoncé que 2 milliards d'euros étaient prévus pour assurer le financement du projet et que 150.000 recrutements étaient programmés.
Soulignant combien l'école est l'affaire de la Nation, il a invité les sénateurs à relever, avec le Gouvernement, le défi de l'adaptation de notre système d'éducation à un monde en pleine mutation, pour les quinze prochaines années.
Un débat a suivi l'exposé du ministre.
M. Jean Claude Carle, rapporteur , a demandé des précisions sur les modalités d'évaluation du socle commun de connaissances, en particulier au niveau du brevet des collèges ; il a souhaité savoir comment, et avec quels partenaires, les élèves pourraient élaborer leurs projets d'orientation ; il a également interrogé le ministre sur les modalités de rattachement des IUFM aux universités, particulièrement quand ce rattachement peut être envisagé avec plusieurs universités ; il s'est également inquiété des moyens de rendre le métier d'enseignant plus attractif pour les candidats masculins, estimant qu'une trop faible masculinisation de l'encadrement de certains établissements pouvait être une faiblesse dans la lutte contre la délinquance ; enfin, il a souhaité savoir si les éléments de programmation figurant dans le rapport annexé intégreraient les moyens nécessaires à l'enseignement agricole.
Mme Annie David a déclaré ne pas partager la vision optimiste du ministre sur la concertation qui a précédé le débat du projet de loi, estimant que le sentiment de n'avoir pas été écoutée entrait pour beaucoup dans le désarroi actuel de la communauté éducative.
Elle a regretté que beaucoup d'idées intéressantes exprimées au cours du débat national sur l'école n'aient pas été reprises dans le rapport Thélot et moins encore dans le projet de loi. Elle a proposé au ministre de retirer son projet de loi et de reprendre la concertation sur d'autres bases. Elle a déploré que les éléments de programmation ne figurent pas dans le dispositif proprement dit du projet de loi, mais uniquement dans le rapport annexé, dont elle a souligné la moindre valeur juridique, et a interrogé le ministre sur la valeur des engagements financiers pris dans ce document. Elle a estimé que le socle commun de connaissances ne permettrait pas d'élever le niveau des élèves et s'est interrogée sur la perspective offerte aux élèves qui ne dépasseraient pas le niveau du brevet ; elle s'est insurgée contre le caractère inégalitaire des bourses accordées au mérite, estimant qu'elles ne pourraient bénéficier aux élèves les plus modestes qui doivent travailler pour financer la poursuite de leurs études, et dont les résultats scolaires s'en ressentent inévitablement ; elle a estimé que les dispositifs relais vers lesquels on oriente déjà les élèves perturbateurs fonctionnaient bien, mais a craint que leur généralisation n'aboutisse à une sorte de tri social ; elle a jugé que le remplacement des enseignants absents devait être assuré par le corps des enseignants titulaires sur zone de remplacement (TZR), dont les effectifs devaient être établis en conséquence ; tout en approuvant le principe d'un enseignement des langues étrangères dès le CE1, elle a douté que les moyens dégagés permettent d'assurer la diversité des langues étrangères et la continuité de cet enseignement avec celui des collèges.
M. Jacques Legendre a jugé que les dispositions relatives à l'orientation des élèves constituaient un des axes importants du projet de loi. Tout en estimant souhaitable, dans l'absolu, que des entreprises puissent expliquer les réalités de la vie économique dans le monde de l'école, il s'est interrogé sur le temps qu'elles pourraient effectivement y consacrer, compte tenu des exigences multiples auxquelles elles sont confrontées ; dans ces conditions, il s'est demandé s'il n'était pas plus indiqué d'améliorer l'ouverture au monde économique des services d'orientation, en rapprochant par exemple leur recrutement et leur formation de celle des conseillers de l'Agence nationale pour l'emploi ; il a demandé au ministre comment seraient conciliés le projet pédagogique d'établissement et la liberté pédagogique à laquelle sont très attachés les enseignants ; il a souhaité que les parents disposent d'un temps de réflexion dans le choix de la langue vivante enseignée au CE1, de façon à éviter que l'anglais ne soit pas trop systématiquement choisi ; tout en jugeant nécessaire la continuité de l'enseignement des langues entre le primaire et le collège, il a considéré qu'elle ne devrait pas aller à l'encontre du souci de diversification ; il a souligné l'intérêt des sections européennes et internationales tout en déplorant la trop grande rareté de ces dernières, et a demandé au ministre que chaque académie dispose d'une section internationale ; il s'est demandé si l'objectif d'amener 80 % d'une classe d'âge au baccalauréat n'aurait pas sa place dans le rapport annexé, et a souhaité qu'une attention plus grande soit portée au lien qui existe entre la pertinence des orientations après le baccalauréat et les résultats des étudiants dans le 1er cycle de l'enseignement supérieur ; enfin, il s'est interrogé sur la notion « d'exercice libre de la citoyenneté » figurant dans le texte adopté par l'Assemblée nationale, qui lui est apparue comme un pléonasme, la citoyenneté ne pouvant s'exercer sans liberté.
Se référant à l'histoire de l'école républicaine, M. Ivan Renar , citant Le Pelletier de Saint Fargeau qui voyait, dans le pain et l'éducation, les deux besoins du peuple, a estimé que l'éducation artistique était susceptible de jouer un rôle très positif dans l'élaboration de la personnalité des élèves, en particulier pour les jeunes en difficulté ; il a souhaité que les IUFM puissent passer des conventions avec plusieurs universités en fonction des spécialisations respectives de ces dernières, craignant que l'obligation de privilégier une université unique ne se traduise par une fracture entre « sciences molles et sciences dures », au détriment de la place de ces dernières dans la formation des maîtres ; il a regretté, compte tenu de leur complémentarité, qu'enseignement scolaire et enseignement supérieur ne soient pas inclus dans une réforme unique ; enfin, il s'est inquiété de la diminution des horaires susceptibles d'être consacrés à l'enseignement d'une troisième langue vivante.
M. Jean Marc Todeschini a demandé au ministre de lui préciser les intentions du Gouvernement en matière de carte scolaire, après les récentes déclarations du Premier ministre annonçant un gel des fermetures d'écoles.
M. André Vallet a regretté que, malgré l'effort considérable que la France consacre au système éducatif, l'opinion ait le sentiment que l'éducation nationale ne dispose pas de moyens suffisants, et que les résultats obtenus ne soient pas à la hauteur des ambitions, comme en témoigne le nombre d'élèves en situation d'échec ; il a jugé trop longs les délais actuellement nécessaires pour remplacer les professeurs absents ; il a souhaité des précisions sur les modifications éventuelles apportées à l'enseignement des langues et des cultures régionales, sur les conditions dans lesquelles seraient décidés les redoublements de classe, et sur le contenu des formations dispensées par les IUFM ; il a regretté le retrait de la réforme du baccalauréat, estimant que le recours au contrôle continu ne remettait pas en cause le caractère national de l'épreuve ; partisan d'une entrée en maternelle à l'âge de trois ans, il a souhaité connaître les raisons qui conduisaient le Gouvernement à envisager la possibilité d'un accès dès l'âge de deux ans pour les écoles situées dans un environnement social défavorisé.
M. Louis Duvernois a insisté sur la dimension internationale de l'enseignement français, rappelant que l'éducation nationale homologuait environ 400 établissements d'enseignement à l'étranger. Il a souhaité que le projet de loi apporte une consécration à celui ci.
M. Jean François Voguet a rappelé le rôle croissant joué par les collectivités territoriales en matière d'éducation, et en particulier les communes, qui participent à la réalisation des projets pédagogiques des établissements scolaires, mais se heurtent à des difficultés financières. Il a demandé si des aides pouvaient être envisagées pour la poursuite de projets qui risqueraient autrement de disparaître.
Mme Colette Melot a souhaité savoir s'il pouvait être envisagé d'étendre la possibilité de participer au financement des écoles privées à l'ensemble des communes dont sont originaires leurs élèves.
En réponse aux différents intervenants, le ministre a apporté les précisions suivantes :
- les enseignements relevant du socle commun de connaissances feront l'objet d'une évaluation tout au long de la scolarité dans l'enseignement primaire et au collège, de façon à permettre à l'équipe éducative d'intervenir avant que les difficultés d'un élève n'aient le temps de s'ancrer, sans préjudice des rendez vous importants que constitueront le CE2, l'entrée en 6e, et le brevet rénové ; ce dernier sanctionnera l'acquisition du socle commun, mais ne constituera pas pour autant un examen d'entrée au lycée, qui restera du ressort du conseil de classe ;
- la découverte professionnelle en 3e peut constituer une véritable révolution, dans la mesure où l'élève aura la possibilité d'établir lui même son projet d'orientation ; cette réforme appellera des efforts particuliers de la part des enseignants et des professionnels pour permettre aux élèves d'appréhender la palette des métiers ;
- les IUFM seront intégrés à une université, mais si celle ci n'offre pas la gamme des formations nécessaires, l'université responsable pourra passer des conventions avec d'autres universités ;
- l'égalité entre les sexes est un des principes qui encadrent l'organisation des concours de recrutement des enseignants, et il ne saurait, bien entendu être question d'y déroger ; un effort particulier peut en revanche être effectué dans la gestion des affectations, car celle ci ne prend actuellement pas suffisamment en compte les besoins des équipes éducatives ; un souci particulier sera porté à l'affectation des jeunes enseignants : leur première affectation ne devra pas les conduire en dehors de l'académie au sein de laquelle ils ont reçu leur formation, de façon à permettre leur suivi ;
- il appartient au ministère de l'agriculture de mettre en oeuvre les moyens nécessaires à l'application des dispositions du code de l'éducation qui concernent l'enseignement agricole ;
- le projet de loi s'est très largement inspiré des travaux de la commission Thélot, dont il reprend 17 des 27 propositions ; les propositions auxquelles le projet de loi ne donne pas suite auraient suscité de fortes objections de la part de l'opposition, qu'il s'agisse de celles relatives au service des enseignants, ou de la création d'une Haute autorité indépendante de l'enseignement ; en outre la commission Thélot a formulé des propositions hors de toute contrainte matérielle, alors que le projet de loi doit s'inscrire dans une perspective budgétaire ; la concertation avec les organisations syndicales a duré deux mois, et des accords ont pu être trouvés sur de nombreux sujets ;
- le rapport annexé a une valeur juridique, d'ailleurs comparable à celle du rapport qui accompagnait la loi de 1989 ; les éléments de programme qu'il contient constitueront une contrainte que devront prendre en compte à l'avenir les ministres de l'éducation nationale, et un levier dans la négociation budgétaire avec le ministre des finances ; pour autant, il faut rappeler que l'éducation nationale n'a jamais fait l'objet d'une programmation complète de ses moyens ;
- les enseignements dispensés aux élèves et les épreuves du brevet ne se limiteront évidemment pas aux seules matières du socle commun ;
- les bourses au mérite ont été créées par M. Jack Lang ; elles ne seront pas réservées aux élèves qui auront obtenu une mention, mais accordées aussi aux élèves dont les mérites auront été reconnus par la communauté éducative ;
- les dispositifs relais fonctionnent bien, et les élèves n'ont pas vocation à y rester indéfiniment : aussi la crainte d'un tri social n'est elle pas fondée ; en outre, les élèves perturbateurs ne sont pas nécessairement des élèves qui ont des problèmes sociaux ;
- on ne doit pas confier l'ensemble des remplacements de professeurs aux enseignants titulaires sur zone de remplacement (TZR) dont le taux d'utilisation est d'ailleurs loin d'être satisfaisant ; ils n'interviennent que pour des absences de longue durée ;
- la recommandation formulée par la commission Thélot d'un enseignement obligatoire de l'anglais dès l'enseignement primaire n'était pas conciliable avec la volonté politique de la France de défendre la diversité culturelle et linguistique ; il a donc été décidé d'ouvrir une marge de choix, sans pour autant prétendre offrir toute la palette des langues ;
- l'orientation des élèves doit demeurer indépendante, tout en restant en prise avec la société, dans un équilibre délicat à respecter ;
- le conseil pédagogique sera chargé de l'élaboration du projet d'établissement ; il devra veiller à la continuité des parcours, mais ne sera investi d'aucune fonction de contrôle et d'évaluation des enseignants à titre individuel ; celles ci continueront de relever des missions d'inspection, qui sont chargées d'évaluer les résultats, et non des choix pédagogiques ;
- un dispositif permettant aux élèves de découvrir différentes langues est intellectuellement satisfaisant, mais impraticable ; il conviendra cependant de veiller à ce que l'offre linguistique reste équilibrée dans chaque « bassin » de formation ;
- les sections internationales scolarisent 10.000 élèves en France, et l'objectif est que chaque académie soit en mesure d'en proposer d'ici 2007 ; le ministère s'attachera à développer le baccalauréat franco allemand et à multiplier les partenariats avec les autres pays européens ;
- la réforme du baccalauréat semblait consensuelle auprès de la plupart de nos partenaires ; le retrait de cette mesure a cependant été décidé pour prendre en compte, même s'il n'est pas fondé, le sentiment d'injustice qu'exprimaient les mouvements de protestation et auquel le Gouvernement n'a pas voulu se montrer insensible, compte tenu de la valeur symbolique de cet examen ; tout en restant persuadé, comme la plupart de ses prédécesseurs, que cette réforme est indispensable, le ministre n'a pas voulu l'imposer de force, et souhaite reconstituer les groupes de travail quand le climat se sera apaisé ;
- la continuité qui existe entre l'enseignement secondaire et le premier cycle de l'enseignement supérieur doit évidemment être prise en compte ; pour autant, il ne paraît pas possible d'engager une réforme qui les concernerait simultanément ;
- il n'est pas envisagé de remettre en cause les pratiques actuelles en matière d'enseignement artistique ; pour autant, il n'aurait pas été approprié de les intégrer dans le socle commun de connaissances ;
- les cours de langue seront dispensés dans des classes dédoublées en terminale, puis la mesure sera successivement étendue aux classes de première et de seconde ;
- dans la situation actuelle, les professeurs absents n'étaient remplacés qu'au delà d'un délai de 15 jours, et rien n'était prévu pour remédier aux absences inférieures à cette durée ; le projet de loi apporte une réponse à ce problème ;
- le dispositif en vigueur pour l'enseignement des langues et cultures régionales est satisfaisant ; il n'a donc pas été jugé nécessaire de le réexaminer dans le présent projet de loi ; toutefois, l'Assemblée nationale a introduit un article additionnel sur ce point ;
- le redoublement existait déjà dans le cadre de la loi de 1989 ; le projet de loi revient sur l'idée que les parents puissent s'opposer au redoublement en cours de cycle, car le conseil de classe doit avoir le dernier mot, certes après un dialogue mené avec la famille ; il ne peut être envisagé indépendamment d'un programme personnalisé de réussite éducative ;
- le contenu des enseignements dispensés en IUFM s'articulera autour de trois fonctions : la formation disciplinaire, la formation professionnelle et la formation de fonctionnaires du service public de l'éducation nationale ;
- la bivalence des enseignants avait été défendue, courageusement, par le président du groupe socialiste de l'Assemblée nationale, mais les syndicats y étaient fortement opposés ; le projet de loi ne l'a pas retenue, mais a amorcé cette possibilité en permettant aux professeurs de l'enseignement professionnel d'enseigner au collège s'ils le souhaitent ;
- l'âge de l'entrée en maternelle fait l'objet d'un débat difficile ; les experts ont plutôt tendance à souligner les inconvénients d'une scolarisation trop précoce, mais la question n'est pas encore tranchée et devra faire l'objet d'une conférence de consensus ; le projet de loi fixe actuellement l'âge d'entrée en maternelle à trois ans mais a admis, dans des quartiers difficiles, une scolarisation à deux ans ;
- les établissements français à l'étranger font l'objet de l'article 27 du projet de loi ; une réflexion les concernant est actuellement engagée et un rapport sur leur financement a été remis au Premier ministre ;
- le Premier ministre a annoncé la suspension des fermetures d'écoles rurales à classe unique hors regroupements pédagogiques intercommunaux (RPI), sous réserve de la position des élus concernés ;
- le Gouvernement n'a pas voulu retenir dans le projet de loi deux mesures proposées par le rapport Thélot : celle de transformer les écoles en établissements publics locaux d'enseignement au risque de provoquer une coupure avec les communes et la mise en réseau des écoles primaires, qui aurait pu être interprétée par certains maires comme un décrochage entre l'école et le territoire communal ; l'aide apportée par l'Etat aux communes est modeste en matière scolaire, mais les contrats existants seront maintenus ;