SECONDE
PARTIE
:
PRINCIPALES OBSERVATIONS DE VOTRE
RAPPORTEUR SPÉCIAL
I. L'EFFORT FINANCIER GLOBAL EN FAVEUR DE LA VILLE
A. UNE AUGMENTATION DE PRÈS DE 400 MILLIONS D'EUROS
Selon le « jaune » annexé au présent projet de loi de finances, les crédits publics destinés à la politique de la ville augmenteraient, au total, de 399 millions d'euros en 2005, comme l'indique le graphique ci-après.
Les moyens financiers consacrés à la politique de la ville
(en millions d'euros)
(1) Equivalents subventions (chiffres non disponibles avant l'année 2000)
(2) Cette ligne n'apparaît plus dans le « jaune » annexé au projet de loi de finances pour 2005
N.B. les crédits pris en compte peuvent légèrement varier d'un « jaune » à l'autre.
Source : jaunes « état récapitulatif de l'effort financier consacré à la politique des villes et du développement social urbain »
Cette augmentation proviendrait essentiellement, comme l'indique le graphique ci-après :
- de l'augmentation des dépenses fiscales (144 millions d'euros), celle-ci correspondant à la montée en puissance des nouvelles zones franches urbaines (ZFU) ;
- de l'augmentation des dépenses de « solidarité urbaine », c'est-à-dire de la DSU (126 millions d'euros) ;
- de l'augmentation des crédits du budget de la ville et de la rénovation urbaine (78 millions d'euros) ;
- de l'augmentation des dépenses des collectivités territoriales (50 millions d'euros), selon une estimation effectuée par la DIV à partir des préfectures 5 ( * ) .
Evolution des crédits relatifs à la politique de la ville entre 2004 et 2005
Source : jaune « état récapitulatif de l'effort financier consacré à la politique des villes et du développement social urbain »
B. QUEL EST LE COÛT RÉEL DES ZONES FRANCHES URBAINES ?
Votre rapporteur spécial souhaite s'intéresser ici particulièrement au coût réel des zones franches urbaines (ZFU).
Les 44 premières ZFU ont été créées par la loi n° 96-987 du 14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville, modifiant l'article 42 de la loi n° 95-115 du 4 février 1995 d'orientation pour l'aménagement et le développement du territoire, au sein des zones de redynamisation urbaine (ZRU), instaurées par cette même loi 6 ( * ) .
La loi du 1 er août 2003 précitée en a créé 41 nouvelles.
1. Les zones de redynamisation urbaine et les zones franches urbaines
Les ZRU et les ZFU permettent aux entreprises qui y sont implantées de bénéficier d'exonérations fiscales et sociales.
a) Les zones de redynamisation urbaine
Les zones de redynamisation urbaine (ZRU), créées par la loi du 14 novembre 1996 précitée, correspondent à celles des zones urbaines sensibles qui sont confrontées à des difficultés particulières, appréciées en fonction notamment d'un indice synthétique, établi dans des conditions fixées par décret. La liste de ces zones est également fixée par décret.
Il existe 416 ZRU 7 ( * ) . Le régime fiscal des ZRU se caractérise essentiellement par une exonération d'impôt pour les bénéfices et de taxe professionnelle . Selon le « jaune » « État récapitulatif de l'effort financier consacré à la politique de la ville et du développement social urbain » annexé au projet de loi de finances pour 2005, le coût total du dispositif a été de 102,1 millions d'euros en 2003.
b) Les zones franches urbaines
Les zones franches urbaines (ZFU) ont été créées, au sein des ZRU, dans des quartiers de plus de 10.000 habitants particulièrement défavorisés au regard des critères pris en compte pour la détermination des zones de redynamisation urbaine, par la même loi du 14 novembre 1996.
(1) La liste des zones franches urbaines
La liste des 44 premières ZFU, et des 41 nouvelles ZFU créées par la loi du 1 er août 2003 précitée, est annexée à la loi du 14 novembre 1996, leur délimitation étant opérée par décret en Conseil d'Etat 8 ( * ) .
Elles figurent sur les cartes ci-après.
Les 44 premières zones franches urbaines
Source : site internet du ministère de la ville
Les 41 nouvelles zones franches urbaines
Source : site internet du ministère de la ville
(2) Les exonérations en vigueur dans les zones franches urbaines
La principale exonération dans les ZFU est celle des cotisations patronales , qui concerne les entreprises, qu'elles soient nouvelles ou non, seulement pour les 50 premiers salariés, et dure 5 ans.
Les autres exonérations concernent :
- l'impôt sur les bénéfices et l'imposition forfaitaire annuelle ;
- la taxe professionnelle ;
- la taxe foncière sur les propriétés bâties ;
- les cotisations maladie des artisans et commerçants.
Il convient en outre d'indiquer l'existence d'une clause d'embauches locales :
- les entreprises existant au 1 er janvier 1997 ou créées ou implantées avant le 1 er janvier 2002 doivent soit employer, soit embaucher, au moins 20 % de leur personnel dans la ZFU ;
- les entreprises créées ou implantées à compter du 1 er janvier 2002 doivent soit employer, soit embaucher, au moins un tiers de leur personnel dans une ZUS de l'unité urbaine (c'est-à-dire l'agglomération) où se trouve la ZFU.
2. Les réformes des zones franches urbaines réalisées fin 2001 et fin 2002
a) La réforme réalisée fin 2001
La réforme réalisée fin 2001 9 ( * ) comprend deux aspects.
Tout d'abord, elle instaurait un régime fiscal et social unique à compter du 1 er janvier 2002 dans les ZRU (qui, on le rappelle, comprennent les actuelles ZFU). Ce régime était à peu près identique à celui qui existait alors dans les ZRU. Ainsi, une entreprise ne pouvait plus entrer dans le dispositif de ZFU à partir du 1 er janvier 2002.
Ensuite, afin d'éviter une sortie brutale des dispositifs d'exonérations fiscales et sociales pour les entreprises implantées en zones franches urbaines, cette réforme a instauré un mécanisme de sortie dégressive sur 3 ans (toujours en vigueur) , au bout des 5 années d'exonération prévues pour chaque entreprise. Ainsi, les entreprises entrées dans le dispositif ZFU à la fin de l'année 2001 pouvaient encore bénéficier du régime pendant au total 8 ans (5 ans de régime ZFU « classique » + 3 ans d'exonération dégressive).
b) La réouverture des droits jusqu'en 2007 par la loi de finances rectificative du 30 décembre 2002
La loi de finances rectificative n° 2002-1576 du 30 décembre 2002 a réouvert les droits au régime d'exonération pour les entreprises créées ou implantées dans une ZFU entre le 1 er janvier 2002 et le 31 décembre 2007.
En outre, un amendement présenté à l'Assemblée nationale par notre collègue député Yves Jego rend le système de sortie du dispositif plus dégressif pour les entreprises de moins de 5 salariés . Pour ces entreprises la sortie progressive du dispositif se fait en 9 ans, contre 3 ans selon le droit commun 10 ( * ) .
La Commission européenne a autorisé cette réouverture des droits le 30 avril 2003.
3. La création de 41 nouvelles zones franches urbaines par la loi du 1er août 2003
Conformément aux orientations affirmées à Troyes par M. le président de la République le 14 octobre 2002, la loi n° 2003-710 du 1 er août 2003 précitée a créé 41 nouvelles ZFU , à compter du 1 er janvier 2004. Cette disposition s'applique aux entreprises présentes dans ces quartiers au 1 er janvier 2004 et à celles qui s'y créeront ou s'y implanteront jusqu'au 31 décembre 2008.
Comme celle des ZFU existant actuellement, la liste des nouvelles ZFU a été déterminée en fonction de l'indice synthétique défini par la loi du 14 novembre 1996 et précisé par le décret n° 96-1159 du 26 décembre 1996.
4. Un coût réel surestimé ?
Paradoxalement, le coût réel des ZFU est mal connu.
a) Le coût indiqué par le « jaune »
Selon le « jaune » Etat récapitulatif de l'effort financier consacré à la politique de la ville et du développement social urbain annexé au présent projet de loi de finances, le coût des ZFU passerait de 406 millions d'euros en 2003 à 613 millions d'euros en 2006, comme l'indique le graphique ci-après.
Le coût des zones franches urbaines, selon le « jaune »
(en millions d'euros)
Source : « jaune » « Etat récapitulatif de l'effort financier consacré à la politique de la ville et du développement social urbain » annexé au projet de loi de finances pour 2005
En particulier, les exonérations de cotisations sociales patronales auraient coûté 246 millions d'euros en 2003 , et s'élèveraient à 363 millions d'euros en 2006.
b) Des chiffres sans grande signification
Ces chiffres sont cependant peu significatifs , dans la mesure où ils n'indiquent pas l'avantage comparatif des ZFU par rapport au reste du territoire, et ne correspondent donc pas un coût net.
En effet, ce qui importe, c'est de savoir de combien les recettes publiques seraient accrues en cas d'absence des zones franches urbaines. Dans la mesure où ce serait alors le droit commun qui s'appliquerait, c'est celui-ci qui doit servir de référence.
En particulier, le coût net des exonérations de charges sociale est nettement inférieur à celui indiqué par le « jaune », du fait de l'existence, au niveau national, d'une exonération de cotisations patronales, totale au niveau du SMIC 11 ( * ) . Ainsi, l'avantage comparatif constitué par les exonérations de cotisations sociales patronales en ZFU semble modeste. 50 % des embauches réalisées en ZFU correspondent à des salaires inférieurs à 1,1 SMIC, ce qui correspond à un faible écart par rapport au droit commun, comme l'indique le graphique ci-après.
L'avantage relatif des exonérations de cotisations sociales en ZFU
Cotisations mensuelles (en euros)
Rémunération (en part du SMIC)
Source : ministère délégué au logement et à la ville
En chiffres arrondis, les exonérations mensuelles de cotisations sociales patronales sont de l'ordre, à 1,2 SMIC :
- de 200 euros selon le droit commun ;
- de 400 euros selon le régime ZFU.
Si on considère que le salaire moyen en ZFU est de 1,2 SMIC, il en découle un coût net par bénéficiaire deux fois plus faible que celui de l'exonération effectivement accordée.
Le coût net annuel des exonérations de cotisations sociales patronales en ZFU serait donc de l'ordre de 150 millions d'euros , à comparer au montant indiqué dans le « jaune », de l'ordre de 300 millions d'euros.
c) Comment expliquer le triplement du nombre d'emplois depuis 1997 dans les zones franches urbaines ?
Selon le dernier bilan des ZFU transmis au Parlement (décembre 2002), de janvier 1997 à décembre 2001, le nombre de salariés en ZFU serait passé de 26.805 à 72.409, ce qui représente un solde de 45.604 emplois 12 ( * ) .
Comment expliquer ce triplement du nombre d'emplois ?
Comme cela a été indiqué ci-avant, l'avantage comparatif des ZFU par rapport au droit commun en matière d'exonérations de cotisations sociales patronales est peu significatif (de 48 euros par mois) au niveau du SMIC (soit 1.554 euros bruts par mois), et modeste (126 euros par mois) au niveau du salaire médian des nouveaux embauchés (1,1 SMIC, soit 1.709 euros bruts par mois). Il semble donc improbable que les exonérations en ZFU expliquent, à elles seules, les créations d'emplois.
La nécessité d'une forte implication des pouvoirs publics a été soulignée par notre collègue Pierre André, par le ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine, et par M. le président de la République lui-même, qui dans son discours précité prononcé à Troyes le 14 octobre 2002 a précisé que la politique de ZFU avait de bons résultats « dès lors qu'elle s'accompagnait d'une mobilisation de tous les acteurs ».
Ainsi, selon le rapport d'information précité de notre collègue Pierre André , « si l'on extrapole le montant des investissements publics et privés réalisés en cinq ans dans une ville telle que Saint-Quentin, soit 340 millions de francs, pour une ZFU dotée d'une population de 11.000 habitants (soit 31.000 francs par habitant) et qu'on le rapporte au total des habitants qui résident dans les ZFU de métropole (727.000 habitants), on voit que le montant total estimé des investissements réalisés en cinq ans s'élèverait à environ 22,5 milliards de francs [soit 700 millions d'euros par an ] pour l'ensemble des ZFU de l'hexagone ».
Le ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine souligne également le rôle déterminant de l'implication des partenaires publics et privés. Selon le dernier bilan des zones franches urbaines transmis au Parlement (décembre 2002), « la politique de développement économique et d'emploi dans les zones franches urbaines est d'autant plus effective qu'elle est menée dans un cadre coordonné par des collectivités qui s'appuient sur des partenariats forts avec l'Etat et les acteurs du développement économique. (...) A l'inverse, les ZFU sur lesquelles les exonérations fiscales et sociales n'ont pas été accompagnées d'une stratégie de mise en oeuvre ne sont pas parvenues à obtenir les résultats qui pouvaient être attendus ».
Il est, en particulier, nécessaire de proposer aux entreprises des espaces où réaliser leur activité, ce qui peut se faire par transformation de rez-de-chaussée d'immeuble, ou parfois par démolition et reconstruction.
Le rapport de l'IGAS de 1998
Selon une thèse « radicale » défendue en 1998 par l'inspection générale des affaires sociales (IGAS) dans un rapport 13 ( * ) que d'aucuns jugent « politiquement orienté », le dynamisme de l'emploi en ZFU proviendrait exclusivement de l'implication des pouvoirs publics dans ces zones, et en particulier des investissements qui y sont réalisés.
En effet, s'appuyant sur une étude de l'UNEDIC, l'IGAS estime que les créations d'emploi dans les ZFU ont été aussi importantes en 1996, c'est-à-dire avant la création des ZFU, qu'en 1997 (raisonnement qui pourrait être étendu aux années suivantes, l'augmentation des effectifs s'étant ensuite poursuivie à un rythme analogue) 14 ( * ) .
Cette thèse a été fortement contestée, l'évaluation du nombre de créations d'emplois en 1996 ayant été jugée irréaliste , en particulier par notre collègue Pierre André dans le rapport d'information précité.
* 5 L'enveloppe versée, au titre de la dotation de solidarité urbaine, dotation de l'Etat, aux communes dotées d'une ZUS, est retranchée du montant global de la participation des collectivités locales de manière à éviter tout risque de double compte.
* 6 Les 416 zones de redynamisation urbaine (ZRU) et les 44 zones franches urbaines (ZFU), qui en font partie, ont été instaurées par la loi n° 96-987 du 14 novembre 1996 relative à la mise en oeuvre du pacte de relance pour la ville. Ces zones sont incluses dans l'ensemble, plus vaste, des zones urbaines sensibles (ZUS), caractérisées par la présence de grands ensembles ou de quartiers d'habitat dégradé et par un déséquilibre accentué entre l'habitat et l'emploi. En 1999, les ZUS comprenaient près de 4,7 millions de personnes. 86 % des logements appartenaient à un immeuble collectif, et les deux tiers avaient été construits entre 1949 et 1974. Le taux de chômage y était de 25 %.
* 7 Décrets n° 96-1157 du 26 décembre 1996 pour la France métropolitaine et n° 96-1158 du même jour pour les départements d'outre-mer.
* 8 Décret n° 96-1154 du 26 décembre 1996, modifié par le décret n° 97-1323 du 31 décembre 1997 pour la France métropolitaine et par le décret n° 96-1155 du 26 décembre 1996, modifié par le décret n° 97-1322 du 31 décembre 1997, pour les départements d'outre-mer.
* 9 Cette réforme a été mise en oeuvre par plusieurs textes :
- la sortie dégressive du dispositif ZFU l'a été, dans le cas des cotisations sociales, par l'article 145 de la loi de finances initiale pour 2002, rattaché pour son examen à celui du budget de la ville ;
- l'instauration du régime unique l'a été, pour son volet social, par l'article 10 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 ;
- le volet fiscal de la réforme (sortie dégressive et nouveau régime unique) l'a été par l'article 17 de la loi de finances initiale pour 2002.
* 10 Le droit commun prévoit une sortie en 3 ans au taux de 60 %, 40 % et 20 %. Pour les entreprises de moins de 5 salariés, le taux d'exonération est de 60 % au cours des 5 années suivant le terme de cette exonération, 40 % les sixième et septième années et 20 % les huitième et neuvième années.
* 11 La loi n° 2002-43 du 17 janvier 2003 relative aux salaires, au temps de travail et au développement de l'emploi a créé, avec effet au 1er juillet 2003, une réduction générale et unique des cotisations patronales de sécurité sociale. Cette réduction remplace les deux mesures générales d'allégement du coût du travail qu'étaient la réduction dégressive sur les bas salaires et l'allégement de cotisations lié à l'application des 35 heures, toutes deux abrogées au 1er juillet 2003.
* 12 Dans son rapport d'information précité, notre collègue Pierre André évalue le nombre d'emplois créés entre 1997 et 2002 à 46.958.
* 13 Béatrice Buguet, Evaluation du dispositif zones franches urbaines et zones de redynamisation urbaine, inspection générale des affaires sociales, 1998.
* 14 L'IGAS écrit en particulier que « l'augmentation d'effectif des établissements employant des salariés dans les 33 zones franches étudiées par l'UNEDIC a (...) atteint 26,7 % entre 1995 et 1996. En 1997, cette tendance s'est poursuivie en s'accentuant légèrement, avec une augmentation de 29 %. Cette accentuation d'un peu plus de deux points ne paraît toutefois pas significative ».