D. UNE ZONE D'OMBRE PERSISTANTE : LA PRATIQUE DES REPORTS
Une critique rituelle bientôt caduque : l'insuffisance des indicateurs de résultats disponibles au niveau des agrégats
Les indicateurs de résultats mis en place au niveau des agrégats recouvrent très insuffisamment le champ de la politique de l'emploi. Ces trop rares indicateurs semblent pourtant assez bien conçus, et à la hauteur de certains enjeux.
Malheureusement, les tableaux qui leur correspondent sont toujours insuffisamment renseignés, si bien qu' il est rare qu'à un objectif corresponde un résultat, et qu'un résultat puisse être confronté à un objectif. En particulier, l'« efficacité socio-économique », dont ces tableaux ont parfois vocation à donner la mesure, n'est pas systématiquement calculée.
Pour 2006, avec la disparition des agrégats, ces indicateurs laisseront la place aux indicateurs de résultat associés aux programmes, sur lesquels la réflexion s'est heureusement poursuivie de façon autonome ( supra ). En effet, l'article 66 de la loi organique dispose qu'à titre indicatif, les crédits du budget pour 2005 doivent être présentés en annexe selon les nouveaux principes, qui s'appliqueront pleinement à compter de la préparation du budget pour 2006.
1. Le problème des reports de crédits au regard du consentement parlementaire et de la LOLF
En premier lieu, d'une façon générale, l'importance des reports de crédits relativise la portée effective de l'autorisation budgétaire . Certes, les montants reportés ont fait l'objet, pour les exercices auxquels ils se rapportent, d'un vote en loi de finances. Mais le total des reports sur l'année traitée par la loi de finances initiale n'est pas encore connu au moment du vote.
Dès lors, le Parlement se prononce sur des crédits auxquels peuvent s'ajouter, à la discrétion du gouvernement dans la limite de ce qui n'est pas consommé, des crédits nouveaux.
La faculté de pratiquer des reports dits « libres d'emploi » , c'est à dire ne correspondent pas à des dépenses engagées, constitue une invitation structurelle sinon à l'approximation de la prévision, du moins à des facilités de gestion que l'ordonnance organique relative aux lois de finances du 2 janvier 1959 n'avait évidemment pas vocation à systématiser.
Ainsi, pour préserver la portée de l'autorisation parlementaire, votre rapporteur spécial préconise l'annulation des crédits véritablement libres d'emploi en fin d'exercice.
Certes, les chapitres sur lesquels ces reports peuvent s'effectuer librement sont limitativement énumérés à l'état H de la loi de finances. Mais la section « travail » en est un important pourvoyeur : pour 2005, sur les 32,2 milliards d'euros du budget du travail, 27,4 milliards d'euros sont portés par des chapitres figurant à l'état H, représentant plus de 85 % du budget du travail .
Or, si la loi organique du 1 er août 2001 relative aux lois de finances banalisera les reports en supprimant l'énumération limitative, elle n'en limitera pas moins le volume, fixé à 3 % au sein d'un même programme.
2. Un volume enfin maîtrisé ?
Même si la fongibilité des crédits facilitera certains redéploiements, le taux fixé par la LOLF est à rapprocher de celui du volume des reports pratiqués ces derniers exercices dans le périmètre du budget du travail : 1,39 milliard d'euros de reports obtenus en 2001, 1,58 milliard d'euros de reports obtenus en 2002, puis 1,679 milliard d'euros de reports sur l'exercice 2003, soit 10,65 % du budget pour 2003.
L'analyse de l'exécution 2002 montre la
possibilité d'un effet « boule de neige » des
reports
Pour 2002, le montant du budget du travail s'élevait, en loi de finances initiale, à 16,75 milliards d'euros. En regard, le montant de la dépense, qui ressortait à 16,62 milliards d'euros, représentant 99,2 % du budget initial, pouvait paraître relativement bien ciblé.
En réalité, le total du montant des
crédits ouverts s'est avéré largement supérieur,
ressortant à 18,31 milliards d'euros. En effet, les crédits du
travail avaient été abondés non seulement par des reports,
mais aussi par des fonds de concours, ainsi qu'en lois de finances
rectificatives. Les répartitions de crédits du titre IV en
direction d'autres ministères pour financer les emplois jeunes avaient
joué, dans une moindre mesure, en sens inverse. Le tableau suivant
illustre la combinaison de ces mouvements.
Au total, il apparaissait que le montant total des crédits sans emploi en 2002 (1,7 milliard d'euros correspondant à plus de 10 % des crédits initiaux) s'avérait suffisant pour permettre de nouveaux reports en 2003 d'un montant encore supérieur à ceux de 2002, et alimenter ainsi le cycle de l'incertitude auquel, en tout état de cause, la pleine application de la loi organique du 1 er août 2001 devait bien mettre un terme .
Fort heureusement, le 1,132 milliard de reports comptabilisé sur l'exercice 2004 représente « seulement » 3,5 % du budget pour 2004, ce qui augure favorablement du respect des limites posées par la LOLF, et met fin à l'effet « boule de neige ».
3. La poursuite de pratiques contestables
a) Le précédent fâcheux des crédits consacrés en 2003 au contrat emploi solidarité (CES)
A l'automne 2002, la dégradation de la situation de l'emploi avait conduit le gouvernement à réviser à la hausse ses prévisions en matière d'entrée en CES : 160.000 entrées au lieu de 80.000 budgétées.
A cet effet, il a été formellement envisagé -cela figurait dans le communiqué de presse du ministère des affaires sociales, du travail et de la solidarité- de reporter sur 2003 une partie de crédits disponibles en 2002 qui se trouvaient libres d'emploi.
Ces reports ont été bien nécessaires, car c'est finalement 240.000 entrées qui devaient avoir lieu en 2003.
b) La perspective de reports de crédits massifs pour compenser les allègements de cotisations sociales en 2005
La plaquette de présentation du budget du ministère de l'emploi, du travail et de la cohésion sociale annonce, sans justification particulière, que « la dépense prévue au titre des allègements généraux de cotisations sociales progressera de 600 millions d'euros en 2005 par rapport à 2004, pour atteindre 17,7 milliards d'euros (dont 17,1 milliards seront financés par des crédits du PLF 2005 et 600 millions par report de crédits 2004) ».
L'importance de ces reports trouverait son explication dans la reprise, lors des inscriptions budgétaires pour 2004, des méthodes de prévision du FOREC, qui, s'opérant en droits constatés, auraient grossi l'évaluation des crédits réellement nécessaires.
Votre rapporteur spécial estime que, dans une acception bien comprise, la sincérité du budget du travail pour 2005 est ainsi mise à mal, car il est d'ores et déjà acquis que le montant de la dépense excédera de 600 millions celui des crédits pour 2005 .