II. LA LUTTE CONTRE LES DISCRIMINATIONS EN FRANCE : UN DISPOSITIF INCOMPLET MALGRÉ UN FOISONNEMENT DE NORMES INTERNATIONALES ET INTERNES

Si la France s'est dotée d'un important ensemble de lois visant à assurer l'égalité de traitement et à sanctionner les discriminations, le dispositif prévu pour leur mise en oeuvre apparaît insuffisant.

A. LE RÔLE D'AIGUILLON DU DROIT INTERNATIONAL ET EUROPÉEN

Après les crimes commis au cours de la Seconde Guerre mondiale dans l'objectif d'éliminer certaines catégories de la population en Europe, l'objectif de lutte contre les discriminations n'a cessé de se renforcer tant dans le droit international que dans le droit communautaire et européen.

1. Le droit international : un corpus soumis à un contrôle d'application continu

a) Les conventions adoptées depuis 1948

De nombreuses conventions adoptées par les institutions appartenant au système des Nations unies affirment le principe de non discrimination. Les article 2 et 7 de la Déclaration universelle des droits de l'homme du 10 décembre 1948 prohibent ainsi toute discrimination. Les Pactes de 1966 20 ( * ) qui complètent la Déclaration pour constituer la Charte internationale des droits de l'homme interdisent toute distinction fondée sur la race, la couleur, le sexe, la langue, la religion, l'opinion, l'origine nationale ou sociale, la fortune ou la naissance. Deux traités spécifiques les complètent : la convention internationale sur l'élimination de toutes les formes de discrimination raciale (1965) et celle sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes (1979).

Des conventions intervenues dans des domaines précis comme l'emploi, les droits des personnes handicapées et l'enseignement reprennent également le principe de non discrimination : la convention de l'UNESCO relative à la lutte contre les discriminations dans le domaine de l'enseignement (1960), la convention relative aux droits de l'enfant (1989), celle sur la protection des travailleurs migrants et des membres de leur famille (1990) et celle pour la protection des droits et de la dignité des handicapés (2001). L'Organisation internationale du travail a par ailleurs adopté trois conventions relatives à l'égalité de rémunération entre les hommes et les femmes (1951), à la discrimination en matière d'emploi et de profession (1958) et de réadaptation professionnelle et d'emploi des personnes handicapées (1983).

b) Un contrôle d'application permanent par le système des Nations unies

Les institutions spécialisées du système des Nations unies opèrent un contrôle continu de l'application des conventions prohibant les discriminations. Le Haut commissariat des Nations unies aux droits de l'homme coordonne les actions en ce domaine. La Commission des droits de l'homme dirige le suivi de l'application des traités 21 ( * ) , adoptant à cet effet des résolutions, recommandations et rapports.

L'application du Pacte international relatif aux droits civils et politiques fait l'objet de rapports des Etats, examinés par le Comité des droits de l'homme , qui présente des observations générales et un rapport devant l'Assemblée générale de l'Organisation des Nations Unies (ONU). Les citoyens peuvent le saisir après épuisement des voies de recours internes. En 1997, il a recommandé à la France de créer un « mécanisme institutionnel pour recevoir et traiter les plaintes relatives aux droits de l'homme incluant toutes formes de discriminations [...] agissant comme médiateur entre les parties et pouvant attribuer des compensations ».

Les comités pour l'élimination de la discrimination raciale et pour l'élimination de la discrimination à l'égard des femmes contrôlent, chacun, l'application par les Etats membres des conventions spécifiques, établissant en cas de manquement un rapport adressé à l'Etat concerné.

2. Le droit européen et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme

L'article 14 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 stipule que « la jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ». La convention sur les droits de l'homme et la biomédecine signée en 1997 prohibe, dans son article 11, toute discrimination fondée sur le patrimoine génétique .

Les particuliers et les organisations non gouvernementales peuvent saisir la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) dans les six mois suivant l'épuisement des voies de recours internes. Par sa jurisprudence, la CEDH a exercé une influence remarquable dans la lutte contre les discriminations, jugeant notamment qu'une différence de traitement prévue par la loi à l'égard des enfants nés hors mariage méconnaissait le droit au respect de la vie familiale 22 ( * ) , ou encore que la répression pénale de l'homosexualité portait atteinte au droit au respect de la vie privée (art. 8 de la convention) 23 ( * ) .

3. Le droit communautaire : une extension progressive du domaine de la lutte contre les discriminations

Le droit communautaire primaire et dérivé comporte un ensemble de textes prohibant les discriminations. L' article 13 du traité instituant la communauté européenne (TCE) permet ainsi au Conseil, statuant à l'unanimité sur proposition de la Commission et après consultation du Parlement européen, de « prendre les mesures nécessaires en vue de combattre toute discrimination fondée sur le sexe, la race ou l'origine ethnique, la religion ou les convictions, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle » 24 ( * ) .

Les directives communautaires adoptées en matière de lutte contre les discriminations depuis les années 1970, reprenant des principes énoncés par la Cour de justice des communautés européennes (CJCE), s'étendent progressivement de l'égalité de traitement dans le monde du travail aux principaux domaines de la vie économique et sociale. Trois directives visent ainsi à interdire les discriminations.

La directive 2000/43/CE du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique a établi un cadre pour lutter contre la discrimination fondée sur la race ou l'origine ethnique. Elle prévoit notamment que les Etats membres veillent à ce que des procédures judiciaires et/ou administratives « soient accessibles à toutes les personnes qui s'estiment lésées par le non-respect à leur égard du principe de l'égalité de traitement », les associations pouvant engager toute procédure de cette nature, pour le compte ou à l'appui du plaignant (art. 7). Elle comporte en outre des dispositions relatives à l'aménagement de la charge de la preuve au profit du plaignant lorsqu'il « établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'une discrimination directe ou indirecte » (art. 8), et requiert des Etats membres qu'ils désignent un ou plusieurs organismes chargés de promouvoir l'égalité de traitement (art. 13). Ces organismes doivent être en mesure :

- d'apporter aux personnes victimes d'une discrimination une aide indépendante pour engager une procédure pour discrimination ;

- de conduire des études indépendantes concernant les discriminations ;

- de publier des rapports indépendants et d'émettre des recommandations sur toutes les questions liées à ces discriminations.

Cette directive a été transposée en droit interne par la loi n° 2001-1066 du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations.

La directive 2000/78/CE du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail reprend tous les critères de discrimination énoncés à l'article 13 du TCE. Elle comporte des dispositions similaires à celles de la directive du 29 juin 2000 en matière de procédures judiciaires et administratives, et d'aménagement de la charge de la preuve.

La directive 2002/73/CE du 23 septembre 2002 modifiant la directive 76/207/CEE relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne l'accès à l'emploi, à la formation et à la promotion professionnelles, et les conditions de travail , interdit dans ces domaines toute discrimination fondée sur le sexe « soit directement, soit indirectement par référence, notamment, à l'état matrimonial ou familial » (art. 2 de la directive 76/207/CEE). Elle prévoit, comme la directive du 29 juin 2000, que les Etats membres désignent un ou plusieurs organismes chargés de promouvoir, d'analyser, de surveiller et de soutenir l'égalité de traitement (art. 8 bis).

Par ailleurs, a été créé en 1997 un observatoire européen des phénomènes racistes et xénophobes , qui coordonne la collecte d'informations et de données statistiques dans les Etats membres et répond aux demandes d'information des parlementaires européens. Le Conseil des ministres de l'Union a décidé en décembre 2003 d'élargir son mandat pour en faire une agence des droits fondamentaux de l'UE, qui serait créée en 2005.

Enfin, la Commission européenne conduit de multiples initiatives en matière de lutte contre les discriminations, telles que :

- le programme Equal, financé par le Fonds social européen, pour apporter un soutien aux actions transnationales de lutte contre les discriminations et de sensibilisation à toutes les formes d'inégalités dans le monde du travail ;

- la campagne d'information paneuropéenne « stop discrimination » 2003-2006, visant à lutter contre toute discrimination fondée sur la race, l'origine ethnique, la religion, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle.

* 20 Il s'agit du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels.

* 21 La Commission des droits de l'homme comprend une sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l'homme, chargée en particulier de la lutte contre les discriminations et de la protection de minorités.

* 22 Arrêts Marckx c/ Belgique du 13 juin 1979 et Inze c/Autriche du 28 octobre 1987.

* 23 Arrêt Dudgeon c/Royaume-Uni et Irlande du Nord du 22 octobre 1981.

* 24 Le traité établissant une constitution pour l'Europe, signé le 29 octobre 2004 à Rome, mentionne en son article 2 le principe de non discrimination parmi les valeurs sur lesquelles l'Union est fondée. En outre, l'article 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne du 18 décembre 2000, reprise par le traité, comporte un article 21 interdisant, de façon plus large que l'article 13 du TCE, « toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle. »

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