III. LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS : ACCEPTER ET COMPLÉTER LES DISPOSITIONS DES DEUX PROPOSITIONS DE LOI
Votre commission des Lois vous propose d'approuver les dispositions des deux propositions de loi, sous réserve de certaines modifications, de les compléter et de prévoir un dispositif transitoire pour l'entrée en vigueur de certaines d'entre elles.
A. APPROUVER LES RÉFORMES PROPOSÉES
Souscrivant aux objectifs recherchés par les deux propositions de lois, votre commission des Lois estime nécessaire de généraliser le changement d'appellation du Conseil supérieur des Français de l'étranger, transformé en une Assemblée des français de l'étranger, de simplifier les modalités de désignation des personnalités qualifiées et de rectifier quelques erreurs figurant dans la nouvelle carte électorale.
1. Généraliser la dénomination d'Assemblée des Français de l'étranger
Votre commission des Lois vous propose d'accepter le changement de dénomination du Conseil supérieur des Français de l'étranger.
Il viendrait en effet consacrer l'évolution de cet « organisme public sui generis », selon l'expression de notre ancien collègue Charles de Cuttoli dans son rapport n° 283 précité de 1992, du statut de simple organe consultatif à celui d'« assemblée représentative des Français de l'étranger » composée de délégués élus au suffrage universel.
La rédaction de l' article premier des conclusions de votre commission des Lois complète celle des deux propositions de loi en opérant des coordinations au sein de la loi du 7 juin 1982 et en généralisant le changement de dénomination à l'ensemble des dispositions législatives en vigueur.
Le débat relatif à l'évolution des prérogatives de la nouvelle Assemblée des Français de l'étranger reste, quant à lui, ouvert . Il présente un intérêt d'autant plus vif que les importants transferts de compétences de l'Etat aux collectivités territoriales suscitent l'inquiétude de nos compatriotes expatriés.
L'Assemblée des Français de l'étranger ne peut être pleinement assimilée à l' assemblée délibérante d'une collectivité territoriale puisqu'elle ne dispose pas de territoire.
Les débats en séance publique lors de l'examen en première lecture par le Sénat de la loi constitutionnelle n° 2003-276 du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République ont mis en lumière la difficulté de donner une traduction juridique à la notion de « collectivité publique des Français de l'étranger », induite par la rédaction de l'article 7 de la loi n° 83-634 du 7 juillet 1983 portant droits et obligation des fonctionnaires.
En 1996, le Conseil supérieur des Français de l'étranger avait émis le souhait d'acquérir le statut d' établissement public . Cette proposition a été à nouveau évoquée au sein de sa commission temporaire chargée de la réforme, créée en 2000, mais n'a pu aboutir à un consensus dans les délais impartis à la commission pour remettre ses conclusions.
Sans se prononcer sur cette question complexe, votre commission des Lois estime nécessaire que les représentants des Français établis hors de France soient davantage associés, sur le terrain, aux décisions prises par les chefs des postes diplomatiques et consulaires qui affectent les conditions de vie de nos compatriotes expatriés.
2. Simplifier les modalités de désignation des personnalités qualifiées
La présence de personnalités qualifiées dotées d'une voix délibérative au sein d'une assemblée représentative des Français de l'étranger composée d'élus du suffrage universel suscite de légitimes interrogations . Il serait en effet anormal que la majorité issue des élections fût remise en cause par ce biais.
Cette présence est toutefois justifiée par le fait que l'article 4 de la loi du 7 juin 1982, en exigeant des candidats au Conseil supérieur des Français de l'étranger qu'ils soient inscrits sur l'une des listes électorales de la circonscription où ils se présentent, rend inéligibles des personnalités dont les fonctions leur procurent une grande connaissance des difficultés et des préoccupations des Français établis hors de France mais les contraignent à résider sur le territoire national.
Dans la mesure où la plupart des responsables des associations et organismes visés dans les exposés des motifs des propositions de loi résident en France et ne sont donc pas éligibles au Conseil supérieur des Français , leur nomination ès qualités , compte tenu de leur expérience et des fonctions qu'ils exercent, trouve donc une justification dans une assemblée d'élus.
Dès lors, votre commission des Lois souscrit tant à la réduction du nombre qu'à la diminution des prérogatives des membres désignés du Conseil supérieur des Français de l'étranger, transformé en une Assemblée des Français de l'étranger. Il lui semble en revanche nécessaire de simplifier les modalités de leur désignation.
Comme le soulignait déjà notre collègue M. Daniel Hoeffel dans son rapport sur la loi du 10 mai 1990, l'existence d'un nombre variable de personnalités qualifiées, que les deux propositions de lois tendent à rétablir, paraît inconciliable avec le maintien d'un renouvellement par moitié 10 ( * ) .
Il vous est donc proposé, en premier lieu, de prévoir un nombre fixe de personnalités qualifiées, équivalent à celui des sénateurs représentant les Français établis hors de France .
En second lieu, votre commission des Lois estime nécessaire de préserver la liberté du ministre des Affaires étrangères dans le choix des personnalités qualifiées, tout en lui interdisant de désigner celles qui rempliraient les conditions de résidence requises pour se présenter à une élection à l'Assemblée des Français de l'étranger .
Il appartient en effet à ces personnalités de se présenter au suffrage de leurs concitoyens et paraîtrait choquant que, s'étant présentées et n'ayant pas été élues, elles fussent nommées ès qualités .
Le texte proposé par l' article 2 des conclusions de votre commission des Lois tend, en conséquence à prévoir :
- d'une part, que douze personnalités qualifiées en raison de leurs compétences dans les questions concernant les intérêts généraux de la France à l'étranger et des Français établis hors de France mais ne remplissant pas les conditions de résidence fixées par l'article 4 de la loi du 7 juin 1982 pour être éligibles siègent à l'Assemblée des Français de l'étranger avec voix consultative ;
- d'autre part, qu'elles sont nommées pour six ans et renouvelées par moitié tous les trois ans, lors de chaque renouvellement de l'Assemblée des Français de l'étranger, par le ministre des affaires étrangères.
3. Rectifier quelques erreurs figurant dans la nouvelle carte électorale
Selon une jurisprudence bien établie, le Conseil constitutionnel considère que les élections des députés et des membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales doivent être organisées sur des « bases essentiellement démographiques 11 ( * ) ». Ainsi, la délimitation des circonscriptions électorales doit être effectuée en respectant le principe d'égale représentation des populations - et non des électeurs inscrits -, sans pour autant être astreinte à une stricte proportionnalité . Elle ne doit par ailleurs procéder d'aucun arbitraire.
S'agissant des élections sénatoriales , le Conseil constitutionnel a indiqué que le corps électoral du Sénat, représentant des collectivités territoriales selon les termes de l'article 24 de la Constitution, devait être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes de ces collectivités, que toutes les catégories de collectivités territoriales devaient y être représentées, qu'en outre, la représentation des communes devait refléter leur diversité, qu'enfin, pour respecter le principe d'égalité devant le suffrage, la représentation de chaque catégorie de collectivités territoriales et des différents types de communes devait tenir compte de la population qui y réside. En conséquence, il a considéré que, si le nombre des délégués d'un conseil municipal devait être fonction de la population de la commune et si, dans les communes les plus peuplées, des délégués supplémentaires, choisis en-dehors du conseil municipal, pouvaient être élus par lui pour le représenter, c'était à la condition que la participation de ces derniers au collège sénatorial conserve un caractère de correction démographique 12 ( * ) .
La question est posée de savoir si le principe de l'équilibre démographique s'applique à l'élection des délégués du Conseil supérieur des Français de l'étranger . L'article 24 de la Constitution dispose que le Sénat représente les Français établis hors de France. Le Conseil constitutionnel a simplement indiqué, dans une décision des 16 et 20 avril 1982, que les règles relatives à la composition et aux modalités de l'élection du Conseil supérieur des Français de l'étranger relevaient du domaine de la loi dans la mesure où cet organisme participe à l'élection des sénateurs représentant les Français établis hors de France. Depuis, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République a introduit à l'article 39 de la loi fondamentale la notion d'« instances représentatives des Français de l'étranger » en obligeant le Gouvernement à déposer en premier lieu sur le bureau du Sénat les projets de loi qui les concernent.
Dans cette hypothèse, la délimitation des circonscriptions électorales opérée par les deux propositions de loi pourrait susciter des interrogations .
En effet, la répartition des sièges des délégués de l'Assemblée des Français de l'étranger entre les zones géographiques, rapportée au nombre des Français immatriculés, révèle une représentation insuffisante de l'Europe (un tiers des élus pour 52 % des immatriculés), à l'inverse de l'Afrique (30,3 % des élus pour seulement 15,2 % des immatriculés). La situation de l'Amérique (20,6 % des sièges pour 19,3 % des immatriculés), d'une part, de l'Asie et du Levant (15,5 % des sièges pour 13,4 % des immatriculés), d'autre part, est plus satisfaisante d'un point de vue strictement démographique.
Les déséquilibres entre les circonscriptions électorales sont tout aussi réels. Ainsi, à titre d'exemple, la circonscription électorale de Bamako compterait, comme actuellement, un délégué pour 2.760 immatriculés ; dans celle de Pondichéry, la moyenne resterait d'un délégué pour 3.470 immatriculés ; dans celle de Berne, elle serait d'un délégué pour 19.673 immatriculés.
Il convient toutefois de souligner que, globalement, les deux propositions de loi tendent à réduire les disparités actuelles . Le nombre moyen des immatriculés pour chaque délégué passerait ainsi de 12.719 à 9.539 dans la circonscription électorale de Tel-Aviv, de 12.719 à 9.539 dans celle de Rome, de 18.108 dans la circonscription actuelle de Londres à 14.303 dans la nouvelle circonscription de Londres et à 4.720 dans celle de Dublin.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse « tenir compte d'impératifs d'intérêt général susceptibles d'atténuer la portée de cette règle fondamentale » qu'est le principe de l'équilibre démographique, à condition toutefois de ne le faire « que dans une mesure limitée 13 ( * ) . »
Ces impératifs peuvent être la représentation minimale des départements, les caractères spécifiques des collectivités d'outre-mer régies par le principe de spécialité législative ou encore des « impératifs précis d'intérêt général ». Dans sa décision n° 2004-490 DC du 12 février 2004 sur la loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française, le Conseil constitutionnel a ainsi considéré que « le nouveau découpage pour l'élection des membres de l'assemblée de la Polynésie française, qui a pour effet de réduire les disparités démographiques entre circonscriptions, tout en tenant compte de l'intérêt général qui s'attache à la représentation des archipels éloignés, n'appelle pas de critique de constitutionnalité . »
A cet égard les critères retenus par les deux propositions de loi paraissent légitimes . Leurs exposés des motifs expliquent que « la carte électorale a été revue par la Commission temporaire de la réforme pour corriger des inégalités, tenir compte des évolutions des communautés françaises expatriées, du nombre de ressortissants dans la circonscription, des difficultés rencontrées par les élus face à des conditions géographiques, voire politiques, mais aussi des conditions de sécurité, ou tout simplement de possibilité d'exercice du mandat . »
La délimitation des circonscriptions électorales des délégués de l'Assemblée des Français de l'étranger et la détermination du nombre de sièges qui leur sont attribués ne peuvent être fondées sur des bases exclusivement démographiques mais doivent prendre en compte les critères suivants : le nombre des Français, l'évolution de la présence française, l'étendue de la circonscription électorale, le nombre des pays et celui des circonscriptions consulaires qu'elle regroupe, l'éloignement de la France, les difficultés de communication, enfin le degré de sécurité. Qui peut nier que nos concitoyens expatriés rencontrent généralement davantage de difficultés en Afrique qu'en Europe ?
Dès lors et dans la mesure où la nouvelle carte électorale a fait l'objet d'un consensus au sein du Conseil supérieur des Français de l'étranger, votre commission des Lois ne vous propose, dans le texte proposé pour l' article 4 de ses conclusions, que de lui apporter des aménagements ponctuels consistant à :
- retenir systématiquement la forme courte du nom français d'un pays, déterminée par le Conseil national de l'information géographique ;
- présenter les pays composant une circonscription électorale par ordre alphabétique ;
- rectifier des erreurs de typographie (il n'y a, par exemple, qu'une circonscription consulaire de Chicago), de terminologie (en faisant référence à la Serbie-Monténégro, à l'ancienne République yougoslave de Macédoine, à la Corée du Sud et à la République démocratique du Congo), ou de présentation (les circonscriptions électorales de Vienne et de Moscou, composées d'Etats indépendants, ne sauraient constituer des sous-ensembles de l'Autriche) ;
- réparer des oublis, d'une part, en supprimant la mention d'Edmonton, de Porto Rico de Hong Kong et des îles Cook, qui ne sont pas ou plus des circonscriptions consulaires ou des Etats indépendants, d'autre part, en faisant apparaître dans le tableau annexé à la loi du 7 juin 1982 Antigua-et-Barbuda, Saint-Christophe-et-Niévès, le Saint-Siège, la Bosnie-Herzégovine, Palaos et le Timor oriental.
* 10 Rapport n° 102 rectifié (Sénat, 1989-1990) de M. Daniel Hoeffel au nom de la commission des Lois du Sénat, page 13.
* 11 Décisions n°s 208 DC et 218 DC des 1 er et 2 juillet 1986 et 18 novembre 1986.
* 12 Décision n° 2000-431 DC du 6 juillet 2000.
* 13 Décision n° 208 DC des 1 er et 2 juillet 1986.