COMPTE RENDU INTÉGRAL DES
AUDITIONS DES
MARDI 20, MERCREDI 21 ET JEUDI 22 JANVIER 2004
M. Nicolas ABOUT, président - Le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social est sans conteste un texte important pour notre droit social, et plus largement pour notre démocratie sociale. Son premier volet, celui de la formation rénove en profondeur notre système de formation dont notre commission a souvent pointé les limites. Son second volet, consacré à la négociation collective, vise pour sa part à donner un nouvel élan au dialogue social en lui ouvrant de nouveaux espaces et en réformant les conditions de conclusion des accords collectifs. Ce texte est particulier, puisqu'il s'appuie sur deux accords interprofessionnels récents : la Position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et les moyens de l'approfondissement de la négociation collective d'une part, l'accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003 sur l'accès des salariés à la formation d'autre part. C'est pourquoi, en accord avec nos deux rapporteurs, j'ai tenu à organiser un large programme d'auditions afin de nous permettre d'entendre la position de l'ensemble des partenaires sociaux sur ce texte. Pour la clarté de nos travaux, les deux volets de ce texte ont été dissociés. Nos auditions des jours à venir concernent le dialogue social. Quant à la formation professionnelle, une table ronde rassemblant l'ensemble des organisations signataires de l'accord sera organisée jeudi matin.
Audition de M. Michel JALMAIN
Secrétaire
national de la Confédération française
démocratique du travail (CFDT)
(mardi 20 janvier
2004)
M. le PRÉSIDENT - Je cède la parole à M. Michel Jalmain, secrétaire national de la confédération française démocratique du travail (CFDT).
M.
Michel JALMAIN
-
La CFDT appelait cette réforme de ses voeux
de longue date, car le système français de négociation
sociale et de négociation collective était compliqué et
s'inscrivait dans un paysage syndical complexe. L'organisation même du
système, notamment pour ce qui est de la négociation collective,
de la validation des accords et plus généralement de la
représentativité, entraînait souvent des complications,
voire des discordes. Si ces dernières sont quelque peu naturelles entre
les organisations syndicales et le patronat, les organisations syndicales
elles-mêmes entraient parfois en conflit quant à leurs
stratégies et à leurs règles de négociation et de
validation des accords. De même, des conflits pouvaient opposer les
partenaires sociaux et l'État. Ce système « à
trois bandes » était soumis aux tentatives
d'instrumentalisation de certains acteurs, pour servir certaines causes. C'est
ainsi que des employeurs ont pu réclamer d'accorder une place
prépondérante à la négociation collective par
rapport à la loi, avant de se retourner vers la loi lorsqu'elle
répondait mieux à leurs intérêts. Les syndicats ont
également privilégié la voie négociée mais,
lorsque les obstacles étaient trop difficiles, se sont tournés
vers le législateur. Il importait de mettre de l'ordre dans ce
système à géométrie variable.
Par ailleurs, le système doit être modifié de telle sorte
que la représentation et la négociation collective soient
étendues à tous les secteurs qui en étaient
dépourvus par le passé, notamment celui des petites et moyennes
entreprises. Il ne s'agit pas d'appliquer aux petites entreprises les
systèmes de représentation et de négociation des grandes
entreprises, mais de mettre en place des dispositifs adaptés et
opérationnels, tant pour les entreprises que pour les salariés.
Enfin, cette réforme est nécessaire car elle s'intéresse
à la place de la loi et du contrat. A cet égard, nous nous
inscrivons dans l'esprit du protocole social de Maastricht, qui
privilégie le temps de la négociation sur celui de la loi. Ce
protocole prévoit qu'au terme d'un certain délai, il est possible
de s'inspirer d'un accord pour le traduire sous forme de loi. Ce système
reste certes à construire.
Telles sont les raisons pour lesquelles la CFDT plaidait pour une
réforme du système de la représentation et de la
négociation collective. Il en est ressorti une Position commune.
Celle-ci diffère d'un accord, car sa rédaction est
inachevée et contient certaines ambiguïtés ou
contradictions, qui ont suscité des difficultés de traduction
législative. Le ministère du travail a éprouvé des
difficultés à concilier les points de vue et les lectures des
différentes organisations. Un projet de loi a ensuite été
présenté. Nous estimons qu'il constitue une avancée et un
texte d'étape, bien qu'il soit inachevé et qu'il n'entraîne
pas une réforme de grande ampleur qui aurait pu conférer
davantage de sens et de cohérence à l'ensemble, notamment pour ce
qui est des principes de validation des accords ou de la mesure de la
représentativité par l'organisation d'élections. Ces deux
points constituent des faiblesses du texte.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Vous avez tout d'abord
dressé un constat et insisté sur la nécessité
d'opérer une réforme. Vous nous avez également fait part
de votre analyse de la Position commune, socle sur lequel un certain nombre
d'organisations syndicales - dont la vôtre - se sont
accordées. En revanche, vous semblez considérer que la loi issue
de ce socle ne répond pas à vos attentes sur certains points. En
quoi ce projet de loi est-il inachevé ? Vous noterez que le texte
de loi n'aborde le rapport entre les décisions conventionnelles et la
loi que dans l'exposé des motifs, car ce problème constitutionnel
ne peut pas être résolu dans le cadre de la loi.
M. Michel JALMAIN
-
La Position commune est un compromis, ce qui
explique que nous ne soyons pas satisfaits par tous ses aspects. La loi est la
traduction de ce compromis. Nous déplorons plusieurs écarts entre
la Position commune et la loi. Tout d'abord, la Position commune
privilégiait la logique d'engagement majoritaire à celle
d'opposition. Or le législateur a opté pour l'opposition.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Le législateur a
choisi l'opposition dans une certaine mesure, mais n'a pas pour autant
abandonné l'engagement, qui peut être mis en oeuvre par la
conclusion d'accords de méthode.
M. Michel JALMAIN
-
La Position commune prônait une logique
d'engagement majoritaire, que nous jugeons préférable à la
recherche d'une majorité d'opposition. Cet aspect culturel important
renvoie à de futurs changements de pratique.
Par ailleurs, le texte de loi s'écarte de la Position commune pour ce
qui est de l'organisation d'élections de représentativité
dans les branches. Nous estimons que ces élections sont
nécessaires afin de mesurer précisément la
représentativité de chacun, pour faire évoluer le
système à l'échelle des branches et nous inscrire dans la
logique de validation des accords et d'engagement par la signature. Il faut
s'assurer que le nombre de signataires représente bien une
majorité des salariés de la branche. Tant que ce système
ne sera pas en place, nous ne pouvons pas aller en ce sens.
En outre, nous décelons une contradiction entre notre conception de la
Position commune et la lecture qu'en a faite le projet de loi sur la
hiérarchie des normes. Il est vrai que la Position commune est
ambiguë. En effet, pour aboutir à un accord à son sujet, il
a fallu prendre en compte les souhaits du patronat et d'une partie des
syndicats. C'est ainsi qu'un paragraphe précise que les accords de
branches peuvent êtres supplétifs par rapport aux accords
d'entreprises, mais qu'il appartiendra, au niveau de l'accord
interprofessionnel ou de la branche, de déterminer le champ des
dérogations possibles.
Il faut rappeler que la Position commune présentait deux
scénarios contradictoires. Le projet de loi a opté pour
l'inversion des normes, en l'assouplissant toutefois. En effet, si le principe
de non-rétroactivité était validé, le MEDEF ne
devrait pas obtenir satisfaction sur sa demande de rétroactivité.
Il ne devrait donc pas être possible de déroger aux accords
d'entreprises conclus avant l'entrée en vigueur de la loi.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Le texte le mentionne.
M. Michel JALMAIN
-
Cette mention est en effet inscrite dans le
texte du projet de loi et a été confirmée par le Conseil
d'État. La version de la hiérarchie des normes ne vaudrait donc
que pour les accords à venir. Dans les futures négociations, il
faudra donc discuter non seulement des contenus, mais aussi de la nature
même de l'accord. L'accord est-il normatif, d'encadrement, d'impulsion ou
dérogatoire sur certains aspects ? Il conviendra d'adapter les
pratiques syndicales de négociation à ce nouveau texte, pour
confirmer dans la pratique de la négociation la lecture que nous faisons
actuellement.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Qu'en est-il des petites
entreprises qui souffrent d'une insuffisance de négociation ?
M. Michel JALMAIN
-
J'aborderai tout d'abord la question des lois
et des contrats. La Position commune proposait de modifier la Constitution. Les
partenaires sociaux signataires ont convenu qu'il était
préférable de s'en tenir à une première
étape, marquant la volonté des pouvoirs publics d'accorder la
prépondérance à la négociation collective sur
certains domaines sociaux.
Pour ce qui est du développement de la représentation et de la
négociation dans les petites entreprises, le projet de loi est assez
fidèle à la Position commune. Dans les entreprises
dépourvues de syndicat, il est possible de négocier avec les
élus, selon les règles de validation édictées par
la loi et après validation par une commission paritaire de branche. Le
système est donc bien délimité. Dans les entreprises ne
comptant ni syndicat ni élu, il est prévu une extension du
mandatement à l'ensemble des thèmes de négociation.
Pour sa part, la CFDT comptait récemment 20.000 mandatés
dans les entreprises de moins de dix salariés. La disposition
prévue par la loi devrait ouvrir le champ de la négociation et du
développement de la représentation dans ce secteur, sous cette
forme de mandatement. S'y ajoutent les commissions paritaires locales, qui
peuvent ouvrir la voie à une prise en charge mutualisée des
problèmes locaux. En effet, des accords d'intérêts locaux
peuvent être conclus, ce qui peut être intéressant pour
traiter de questions d'emploi, d'insertion, de RMI et de RMA, d'exclusion, des
jeunes...
M. Louis SOUVET
- J'évoquerai le fait syndical en
général - sans viser la CFDT - dans lequel il semble
prévaloir une culture du conflit. Si les organisations syndicales ont si
peu d'adhérents, c'est précisément qu'elles cultivent le
conflit.
Par ailleurs, la négociation collective doit-elle avoir la
primauté sur la loi ?
M. Michel JALMAIN
- Nous sommes attachés à la
négociation collective. Toutefois, nous ne sommes des adversaires ni de
l'État, ni de la loi. Il importe d'organiser une
complémentarité entre la loi et le contrat. C'est dans cette
optique que je faisais référence au protocole social de
Maastricht. Etant donné que nous partageons un objectif de
progrès social, nous devons pouvoir trouver une articulation
constructive et dynamique entre le rôle de l'État et le rôle
des partenaires sociaux. Pour les questions sociales, qui concernent au premier
chef les partenaires sociaux, l'on pourrait raisonnablement accorder la
primauté à la négociation collective, étant entendu
qu'en contrepartie, les pouvoirs publics doivent s'engager à traduire
les accords conclus dans une loi. Nous ne devrions pas nous inscrire dans une
logique d'opposition, ce qui est difficile dans la mesure où le temps du
politique ne coïncide pas toujours avec le calendrier social
M. le PRÉSIDENT
-
Ces deux légitimités ne
peuvent pas se trouver en opposition permanente. Le Parlement doit aussi tenir
compte de ce volet de négociation sociale et le transposer dans ses
textes, sans quoi il s'en suivra une contestation immédiate des textes
proposés.
M. Michel JALMAIN
-
La situation est très délicate,
notamment du fait de la loi de mobilisation sur l'emploi.
M. Roland MUZEAU
-
Le patronat revendique de longue date que les
accords d'entreprises constituent un nouveau mode des relations sociales,
déterminant par rapport à la loi. Le projet de loi qui nous est
présenté répond très largement à cette
revendication. M. Fillon prend la Position commune pour prétexte,
Position commune dont vous avez justement rappelé qu'elle comportait des
ambiguïtés. Manifestement, le projet de loi interprète ces
ambiguïtés en faveur du patronat.
La loi protège l'ensemble des salariés grâce à un
socle minimum. Les accords d'entreprises ou les accords de branche constituent
des éléments de négociation de nature à
améliorer ce socle minimum. Or le projet de loi défend une
logique inverse. Vous avez souligné que cette loi ne vaudrait que pour
les accords à venir. Pourtant, de nombreux exemples nous permettent de
concevoir des craintes - dont le dernier est la dénonciation de la
convention collective des banques. C'est ainsi que le patronat des banques a pu
remettre en cause certains avantages. Certaines organisations de
salariés ont retrouvé les garanties de leurs
précédentes conventions collectives, d'autres les ont perdues.
Plusieurs accords de branche, en particulier dans l'industrie, ont des
durées limitées. Lorsqu'ils seront parvenus à terme, cette
loi permettra de construire de nouveaux dispositifs. L'on pourrait donc
craindre que pour les accords existants, les garanties aient une durée
limitée.
J'ai pris connaissance dans le quotidien
Libération
d'une prise
de position du Secrétaire national de la CFTC, qui affirmait que la
réforme du dialogue social était « une folie
douce ». Comme mes collègues sénateurs, j'ai
reçu un grand nombre d'interventions de la CGC, de FO et de la CGT nous
faisant part de griefs quant à cette remise en cause de la situation
actuelle, qui constituait une garantie. Que pensez-vous de ces prises de
position, qui se sont amplifiées après la première lecture
à l'Assemblée nationale ?
M. Michel JALMAIN
-
Plutôt que les déclarations,
nous analysons les textes et les conclusions qui en découlent au regard
de nos objectifs et des pratiques qui devront être mises en oeuvre. Nous
n'étions pas demandeurs de la façon dont le projet de loi a
été rédigé par le ministre du travail. Par
ailleurs, nous avons toujours revendiqué la mise en oeuvre des accords
interprofessionnels de 1995 signés par la CFDT, la CFTC et la CGC, qui
prévoyaient qu'il appartenait aux accords de branches de
déterminer quelle était la nature des accords qu'ils souhaitaient
conclure et le champ des dérogations possibles. Le pivot de la
négociation collective devait rester la branche. En cela, le projet de
loi s'écarte de nos préconisations.
Comment se traduira le projet de loi dans la pratique ? Il me semble que
le patronat sera pris à son propre jeu. Nous avons pris soin d'indiquer
dans la Position commune que les nouvelles dispositions ne remettaient pas en
cause la valeur hiérarchique des accords conclus avant l'entrée
en vigueur de la loi. Ce point est essentiel. S'il est confirmé que l'on
ne peut pas déroger aux accords antérieurs, de nombreuses
interrogations seront levées. En effet, l'un des enjeux pour une partie
du patronat était de contourner les accords sur le temps de travail. Or
ces derniers ont tous été conclus avant que la loi ne paraisse.
Qu'adviendra-t-il demain ? Si vous concevez de fortes craintes, nous
sommes pour notre part plus réservés. Dans toute
négociation - comme c'est le cas actuellement avec la
négociation sur la restructuration de l'emploi - il est question de
la portée juridique de l'accord. Si la loi s'applique malgré la
conclusion d'un accord, il est inutile de bâtir cet accord. Les syndicats
demandent donc aux employeurs que l'accord soit normatif sur certains sujets et
ouvert à la négociation d'entreprise sur d'autres sujets. La
portée de l'accord est devenue un thème de négociation.
Cela rejoint notre demande que soient appliqués les accords
interprofessionnels de 1995, qui stipulent que l'échelon
supérieur de la négociation détermine la nature et la
portée juridique de l'accord, ainsi que les espaces de dérogation
pouvant être confiés à l'échelon inférieur,
la branche ou l'entreprise.
Pour le côtoyer à certaines occasions, je peux témoigner
que l'ensemble du patronat n'est pas satisfait de l'orientation prise par le
projet de loi. Avec ce projet de loi, les syndicats de salariés pourront
encore avoir la main dans les négociations, face aux employeurs. Ils
devront toutefois être vigilants sur la portée juridique des
accords qu'ils concluront. Ce nouveau dispositif législatif
nécessitera de réviser les pratiques syndicales.
L'exemple des banques n'est pas le plus pertinent à cet égard.
Après la dénonciation de la convention collective, un nouveau
texte a été signé par tous les syndicats. Certains aspects
de la convention collective initiale ont été modifiés, ce
qui a conduit les entreprises soit à maintenir les acquis
précédents, soit à les redéployer. C'est tout le
jeu de la négociation.
Imaginons qu'une branche dénonce sa convention collective. Les
entreprises garderont leurs dispositifs acquis. Dans la négociation
d'une nouvelle convention collective, les syndicats pourront refuser la
position du patronat selon laquelle, hormis les salaires minimaux et les
classifications, toutes les autres mentions doivent être
dérogatoires. Nous sommes contraints de nous entendre sur la nature et
la portée des accords.
La loi a prévu que pour qu'une entreprise puisse déroger à
certains aspects de l'accord de niveau supérieur, il doit exister un
accord dans l'entreprise. Cet accord doit en outre être validé
selon les nouvelles règles. Une amélioration pourrait être
apportée sur ce point : une entreprise qui souhaiterait
déroger à un accord de niveau supérieur devrait être
soumise à une obligation d'accord majoritaire - au sens de
l'engagement majoritaire. Notre inclination pour la validation majoritaire vise
à favoriser le développement de la négociation collective
et de l'autonomie des partenaires sociaux. La négociation sur des sujets
politiques d'importance nécessite une certaine légitimité,
d'autant plus qu'à l'échelon interprofessionnel, il est possible
de conclure des accords entraînant des demandes de modifications
législatives. La validation majoritaire constitue une
légitimité relative permettant de discuter à armes
égales avec le législateur.
M. Gilbert CHABROUX
-
Monsieur le président, je comprends
que vous sépariez le débat sur la formation professionnelle du
débat sur le dialogue social. Toutefois, le volet consacré
à la formation professionnelle n'explique-t-il pas la position que
défend la CFDT ? Le large accord obtenu sur la formation
professionnelle explique-t-il votre adhésion au volet du dialogue
social ? J'avais cru comprendre que tous les syndicats étaient
opposés aux propositions relatives au dialogue social. Je souhaite que
vous exprimiez des positions claires, alors que votre discours est très
nuancé.
Pour ma part, je m'inquiète de constater que le législateur sera
dessaisi. Le rapporteur à l'Assemblée nationale a
été attentif à ce problème et a
déposé un amendement proposant que des parlementaires soient
membres de la Commission nationale sur la négociation collective, afin
d'associer le Parlement le plus en amont possible aux évolutions du
droit du travail. Cela serait d'autant plus utile que le rapport de Virville
propose de réformer le code du travail par voie d'ordonnance. Ne
risquons-nous pas d'être pris au piège ? J'estime que le
rôle conféré à la négociation d'entreprise
est exorbitant. Vous savez comme moi que le rapport de forces est plus
favorable aux employeurs dans les entreprises que dans les branches. Or la loi
présente l'avantage d'être supérieure.
Une fois encore, quelle est la position claire de la CFDT ?
M. Michel JALMAIN
-
Nous ne sommes pas favorables à
l'écriture du projet de loi Fillon. Notre position repose sur les
accords interprofessionnels de 1995.
Par principe, nous ne sommes pas hostiles à toute possibilité de
dérogation. Toutefois, l'on peut déterminer que l'entreprise peut
déroger aux accords de niveau supérieur soit par la loi, soit par
la négociation collective. Nous avons signé en 1995 des accords
interprofessionnels qui prévoyaient cela. Ces accords n'ont jamais
été appliqués car ils nécessitaient des traductions
législatives que les gouvernements de l'époque n'ont pas cru
utile de mettre en place.
Nous n'étions pas demandeurs de la rédaction du projet de loi.
Toutefois, nous ne sommes pas hostiles à accorder une place
élargie à la négociation collective
décentralisée, y compris en dérogeant aux accords de
niveau supérieur. Il reste qu'il appartient aux accords de niveau
supérieur - interprofessionnels ou de branche - de
déterminer l'aspect pouvant donner lieu à une discussion
élargie, au niveau de la branche ou de l'entreprise.
Enfin, il me semble que le patronat est pris à son propre jeu. En effet,
il n'a pas obtenu satisfaction sur la possibilité de déroger,
à l'échelle de l'entreprise, sur les accords antérieurs.
Cela compliquera les relations sociales et la négociation collective.
Nous devrons non seulement nous confronter sur des contenus, mais encore sur la
portée des accords que nous négocierons. Cette complexité
n'est pas bienvenue, à l'heure où M. de Virville souhaite
simplifier le droit du travail et certains aspects de la négociation.
M. le PRÉSIDENT
-
Monsieur le secrétaire national,
je vous remercie, ainsi que vos collaborateurs. Si vous le souhaitez, vous
pourrez apporter toute information ou déclaration complémentaire
à notre rapporteur. Je vous demande également de bien vouloir
répondre par écrit aux questions que notre rapporteur ou d'autres
commissaires pourraient vous transmettre.
Audition de Mme Christine DUPUIS
Secrétaire nationale chargée du
dossier de l'emploi et de l'économie
à l'Union nationale des
syndicats autonomes (UNSA)
et M. Luc
MARTIN-CHAUFFIER
Secrétaire
général de la Fédération nationale des banques,
assurances et sociétés financières à l'Union
nationale des syndicats autonomes (UNSA)
(mardi 20 janvier
2004)
Mme
Christine DUPUIS
-
Je vous remercie de nous recevoir. J'occupe la
fonction de secrétaire nationale chargée du dossier de l'emploi
et de l'économie à l'UNSA. M. Luc Martin-Chauffier est pour
sa part notre secrétaire général de la
Fédération nationale des banques, assurances et
sociétés financières. Il pourra vous apporter un
témoignage concret du dialogue social sur le terrain.
En préliminaire, je dirai que le projet de loi, tel qu'il est
présenté par le ministre du travail, reste un projet
fermé. Il s'inscrit dans un système clos qui ne touche pas
à l'essentiel, puisqu'il ne remet pas en cause l'arrêté de
1966 qui fige le paysage syndical aux organisations syndicales dites
représentatives, qui bénéficient d'une
représentativité irréfragable. Qu'en serait-il si le
paysage politique avait été figé en 1966 ? Le PC seul
subsisterait. Cet exemple illustre le fait que la situation ne tient pas compte
des réalités du terrain. Le projet de loi ne répond donc
pas à nos espérances d'ouverture du dialogue social et de la
négociation collective. Malgré ses aspects positifs, comment
cette loi peut-elle faire évoluer la situation alors que les acteurs du
terrain n'ont aucun intérêt à cette évolution ?
Les organisations syndicales dites représentatives ne sont pas
favorables à ce que leur représentativité soit
mesurée ni à ce que des accords majoritaires soient conclus.
Dès lors que sans adhérent, elles peuvent désigner un
délégué syndical pour signer un accord - au nom d'on
ne sait qui -, nous considérons que la démocratie est
bafouée. Pour notre part, chaque fois que nous investissons une
entreprise, nous sommes confrontés à des règles qui
mettent à mal la démocratie.
M. Luc MARTIN-CHAUFFIER
-
Je suis responsable, pour l'UNSA, de la
fédération nationale des banques, assurances et
sociétés financières. Le projet de loi sur le dialogue
social qui nous est présenté et qui a été
voté en première lecture à l'Assemblée nationale
est à nos yeux entaché du péché originel : il
ne modifie pas la règle du jeu. Le « club des cinq »
que constituent les organisations syndicales dites représentatives est
intouché. Pour que la situation évolue et que le dialogue social
s'instaure, il importe d'ouvrir le champ d'intervention à tous les
syndicats constitués, et qui ont prouvé leur surface. C'est
à ce titre que nous demandons à participer à l'ensemble du
dialogue social et des négociations sociales dans les entreprises, dans
les branches ou sur le plan interprofessionnel.
Il nous a été rétorqué que si nous enregistrions un
bon résultat aux élections prud'homales, il serait prouvé
que nous étions représentatifs nationalement. Je rappelle qu'en
1997, nous avions recueilli 0,73 % des voix et avions
présenté 217 listes sur 1.271. Or lors des dernières
élections, nous avons recueilli 5 % des suffrages - soit plus
de 260.000 voix - et nous avons présenté 913 listes
- soit plus de 5.000 candidats - sur 1.271. Notons que les
élections prud'homales sont les élections les plus difficiles en
France. Elles nécessitent de constituer des listes complètes,
à 150 % au minimum compte tenu des éventuels défauts
de présentation des candidats. Par extrapolation, si nous avions
présenté 100 % des listes, nous aurions obtenu 6,24 %
des voix, ce qui nous aurait placé à égalité avec
la CGC et à proximité de la CFTC. En outre, le total des
élections de la Fonction publique et des prud'homales nous place
largement devant la CGC et à 10.000 voix de la CFTC.
Selon le Préambule de la Constitution, chacun est libre de se syndiquer
dans l'organisation de son choix. Or ce Préambule date de 1946, alors
que la section syndicale et les délégués syndicaux ont
été créés en 1968. Pour être présent
dans une entreprise, désigner un délégué syndical
et participer aux élections, nous devons prouver notre
représentativité. Dès lors, nous estimons que le principe
d'égalité devant la loi n'est pas respecté. Certains
bénéficient d'une représentativité automatique,
alors que d'autres doivent prouver leur existence.
Nous nous sommes présentés à quatre reprises devant le
tribunal d'instance dont relève la BRED, qui s'est à chaque fois
enquis de notre nombre d'adhérents. Lorsque nous nous sommes
interrogés sur le nombre d'adhérents des autres organisations,
nous nous sommes vu répondre qu'elles n'avaient pas à prouver
leur représentativité. Comment expliquer cette
inégalité ? Il est arrivé que l'une des organisation
qui nous contestait ne compte qu'un délégué syndical et
deux adhérents ! Le projet de loi nous empêche donc de
participer véritablement à la négociation collective,
professionnelle ou interprofessionnelle.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Vous avez abordé un
problème qui ne figure pas dans le texte. En revanche, vous avez
souligné que le projet de loi comportait des aspects positifs. Quel est
votre jugement sur ce texte ? Quel est par exemple votre point de vue sur
la possibilité pour les entreprises de conclure des accords en
dérogation par rapport aux accords de branche ?
Mme Christine DUPUIS
-
L'UNSA est un syndicat réformiste.
Tout ce qui concourt à améliorer le dialogue, que ce soit
à l'échelle interprofessionnelle, dans la branche ou dans
l'entreprise, est positif. Nous approuvons tous les éléments qui
permettront à la négociation de se développer et aux
accords majoritaires d'apparaître. Néanmoins, nous aurions
souhaité que la loi favorise les accords majoritaires plutôt qu'un
droit d'opposition majoritaire. Dès lors qu'un accord devra rassembler
l'ensemble des signataires légitimes, des osmoses se créeront
entre les organisations syndicales. Cela entraînera un rapprochement de
projet, pour le bien des salariés, ce que nous ne pouvons qu'approuver.
Au droit d'opposition majoritaire, nous aurions donc
préféré l'accord majoritaire.
Pour ce qui est du développement de la négociation, avec les
accords de branche et les accords d'entreprise, nous estimons que la
hiérarchie des textes doit être respectée. Dans ce cadre,
le développement d'accords de branches et d'entreprises peut trouver une
complémentarité. Un accord de branche n'a pas pour vocation de
traiter du détail d'une entreprise, mais de définir des lignes
directrices propres à une branche et qui devront être
déclinées à l'échelle de l'entreprise. C'est ainsi
que se développe la négociation. A nos yeux, ces aspects de la
loi sont donc positifs.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
J'en conclus que l'article
39 sur la sécurité juridique vous convient.
Mme Christine DUPUIS
- En effet. Nous souhaitons éviter des
situations semblables à celle qui a suscité la jurisprudence
Majorette, dans laquelle un plan social a été remis en cause
trois ans après son application.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous estimez que ce texte
constitue une avancée dans l'absolu, sous la réserve
- considérable de votre point de vue - qu'il ne résout
pas votre problème.
Mme Christine DUPUIS
-
Nous considérons que ce texte est
hémiplégique ! La réforme ne s'applique pas à
la totalité du système. Nous affirmons que la
légitimité des accords devra correspondre à la
légitimité des acteurs. Or pour que les acteurs soient
légitimes, ils doivent pouvoir se présenter au premier tour des
élections et avoir été reconnus comme des acteurs de
l'entreprise. Ainsi, les accords ne pourront plus être contestés.
M. Roland MUZEAU
-
Vous avez indiqué que vous étiez
favorable aux accords d'entreprise dérogeant aux accords de branche et
à la loi.
Mme Christine DUPUIS
-
Ce n'est pas exact. Nous pensons que la
hiérarchie des normes doit être préservée. En
revanche, nous ne plaçons pas la négociation sur le même
plan en ce qui concerne la branche et l'entreprise. Quel serait
l'intérêt de négocier des accords de branche ou des accords
interprofessionnels dès lors que l'accord d'entreprise dérogerait
sur tout ?
M. Roland MUZEAU
-
Considérez vous que l'article 39,
stipulant que l'application de cette loi n'est pas rétroactive et ne
s'applique pas aux accords déjà conclus, offre une réelle
garantie ? Dans le domaine des banques par exemple, la convention
collective a été dénoncée et
renégociée. Il est donc possible de mettre un terme à des
accords existants et d'instaurer une nouvelle loi qui définit de
nouvelles règles du jeu.
M. Luc MARTIN-CHAUFFIER
-
Toute convention collective peut
être dénoncée à tout moment par l'un des
signataires. La convention collective est alors renégociée,
à la baisse ou à la hausse en fonction du rapport de forces dans
le secteur.
Nous considérons que la nouvelle convention collective qui a
été signée dans le secteur des banques est
défavorable, notamment en ce qui concerne les salaires. La convention
précédente prévoyait une réelle politique de
salaires, avec des augmentations pour l'ensemble de la profession. A l'inverse,
la nouvelle convention collective ne prévoit qu'une revalorisation des
minima
. La dernière branche professionnelle qui
bénéficiait d'une véritable politique salariale de branche
a donc disparu, de façon toutefois légale. Nous avons jugé
que la négociation avait été mal menée et qu'il ne
convenait pas de signer la nouvelle convention. Or n'étant
représentatifs ni sur le plan national ni dans la branche, nous n'avons
pas pu intervenir.
M. Roland MUZEAU
-
Il n'existe donc pas de garantie.
Mme Christine DUPUIS
-
La loi ne sera pas rétroactive.
Toutefois - et heureusement - il n'existe pas de garantie sur les
accords. Il est souhaitable que les accords évoluent et qu'ils puissent
être modifiés par avenant ou dénoncés par les
organisations syndicales ou patronales. Ils sont alors obligatoirement
renégociés. Tel est le jeu de la négociation en France.
M. Roland MUZEAU
-
Dès lors que la dénonciation a
été prononcée, l'on entre dans un nouveau cadre de
relations sociales.
Mme Christine DUPUIS
- En effet.
M. Gilbert CHABROUX
-
Qu'en est-il du temps de travail ? Les
35 heures risquent-elles d'être remises en cause ?
Mme Christine DUPUIS
-
L'UNSA a toujours approuvé la loi
sur les 35 heures, pour plusieurs raisons. Notre expérience nous a
permis de constater que lorsque cette loi a été bien
négociée, elle a apporté un certain confort aux
salariés, voire des gains de productivité et une souplesse aux
entreprises. Il reste que ce qu'une loi a fait, une loi peut le défaire.
Nous ne serions pas favorables à ce qu'une loi remette en cause les
35 heures.
M. Gilbert CHABROUX
- Le projet de loi qui nous occupe peut-il y
contribuer, par le biais des accords d'entreprises ?
Mme Christine DUPUIS
- La loi précise que la durée
légale hebdomadaire de travail est de 35 heures, soit
1.600 heures voire 1.607 heures si un jour férié est
supprimé. Aujourd'hui, certaines entreprises dénoncent leurs
accords sur le temps de travail pour en renégocier d'autres, ce qui fait
partie du jeu de la négociation des acteurs. Il est vrai que certains de
ces accords ont parfois été mal négociés et ne sont
pas en adéquation avec les besoins des entreprises. Il est alors
préférable de renégocier l'accord dans de bonnes
conditions, de telle sorte qu'il soit plus équilibré. Hormis dans
l'hôtellerie, les 35 heures sont applicables dans toutes les
entreprises de France. Telle est la loi, qui pour le moment n'est pas remise en
cause.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
L'article 39 sur la
sécurité juridique n'entraîne pas une obligation de
renégocier. La sécurité juridique intervient en
matière de hiérarchie des accords. Le projet de loi introduit la
possibilité pour les accords d'entreprises de déroger à
des accords de branche, et aux accords de branche de déroger à
des accords interprofessionnels. Néanmoins, la loi interdit ces
dérogations pour les accords qui existent déjà. Les
accords d'entreprise ne peuvent donc pas remettre en cause l'armature juridique
créée précédemment.
Mme Gisèle PRINTZ -
Quel est votre rôle dans une
entreprise, dès lors que vous n'êtes pas reconnue comme une
organisation syndicale représentative ?
M. Luc MARTIN-CHAUFFIER -
Pour être présents dans une
entreprise, nous devons y prouver notre représentativité. Il faut
pour cela remplir un certain nombre de critères, au titre desquels le
nombre d'adhérents, les cotisations, l'ancienneté ou l'attitude
patriotique pendant la guerre. Ces critères doivent être
argumentés devant le tribunal d'instance lorsqu'une des parties de
l'entreprise - employeur ou organisation syndicale - conteste notre
représentativité. S'il est prouvé que nous sommes
représentatifs dans l'entreprise, nous jouissons des mêmes droits
que les autres organisations. C'est lors de l'étape initiale que les
droits sont inégaux. Ainsi, si l'une des cinq organisations dites
représentatives ne compte qu'un adhérent, ce dernier peut
être nommé délégué syndical et signer un
accord au nom de l'ensemble de l'entreprise ! C'est pourquoi nous
contestons le principe de l'accord minoritaire. Pour avoir longtemps
siégé à l'Association française des banques, je
peux témoigner que les accords de salaires proposés par la
délégation patronale n'étaient signés que par la
CGC !
Mme Christine DUPUIS -
Cette loi, pour son volet sur le dialogue social,
a le mérite d'exister. Nous considérons toutefois qu'elle est
incomplète et « hémiplégique » :
il lui manque un membre. Je souligne que le rapport de Virville pose le
problème de la représentativité et avance des propositions
fort intéressantes. Il préconise ainsi d'imposer un test de
représentativité à l'ensemble des organisations syndicales
qui se présentent. Ce test sera utile pour élire les conseillers
prud'homaux. En outre, ceux qui recueilleront un certain nombre de voix
pourront négocier. Les autres ne disposeront pas de la
légitimité d'engager leur signature et leur parole au nom de
salariés qu'ils ne représentent pas. Nous aimerions que ce
principe soit appliqué à l'ensemble des organisations syndicales.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie d'avoir accepté de
répondre à nos questions.
Audition de M. Marc BLONDEL
Secrétaire
général
et Mme Michèle
BIAGGI
Secrétaire
confédérale chargée de la négociation sociale
de la Confédération générale du travail - Force
ouvrière (CGT-FO)
(mardi 20 janvier
2004)
M.
Marc BLONDEL
-
Je vous remercie de votre invitation à
expliquer la position de notre organisation syndicale sur l'importante question
de la démocratie sociale. Je me permets de préciser que je
quitterai mes fonctions le mois prochain. C'est volontairement que j'ai voulu
accompagner Mme Michèle Biaggi, car il me semble que le problème
qui nous occupe n'est pas uniquement technique, mais aussi d'ordre politique.
Je laisserai Michèle Biaggi vous expliquer nos préoccupations et
les questions que nous nous posons. J'apporterai pour ma part un commentaire,
sous un angle politique, sur la question de la négociation collective en
général, ainsi que quelques précisions sur le comportement
de l'organisation syndicale Force ouvrière sur cette question capitale.
Mme Michèle BIAGGI
- La Confédération a grandement
travaillé sur ce dossier. Deux aspects principaux du projet de loi nous
semblent difficiles à accepter pour l'ensemble des salariés de ce
pays. Le premier point concerne l'accord majoritaire. En effet, le projet de
loi remet en cause ce que nous avons pu construire depuis plus de cinquante
ans, avec l'ensemble des organisations syndicales et des organisations
patronales.
Le projet de loi présente donc le premier inconvénient
d'envisager la signature par des syndicats majoritaires. En second lieu, ce
projet comporte un réel danger pour les conventions collectives, le code
du travail et le statut des fonctions publiques, avec la possibilité
pour les accords d'entreprise d'être dérogatoires et le
développement de la négociation au niveau de l'entreprise.
L'entreprise pourra donc faire moins que les accords de branche ou les accords
interprofessionnels.
Nous retrouvons là les volontés du MEDEF émises lors de la
première discussion sur la refondation sociale le
3 février 2000 : une décentralisation de la
négociation à l'échelon de l'entreprise, avec la
possibilité de signer des accords dérogatoires. Cela
entraîne des difficultés pour les syndicats, mais aussi pour les
salariés dans leur ensemble.
Nous avons travaillé sur ce sujet avec M. François Fillon et ses
collaborateurs, en nous efforçant de parvenir à des accords. Nous
avons éprouvé les plus grandes difficultés à
trouver un terrain d'entente, en particulier en ce qui concerne l'accord
majoritaire. M. Fillon s'est appuyé sur la Position commune, que
nous avons signée le 16 juillet 2002. Il convient toutefois de
rappeler que cette Position commune permettait de conclure les discussions sans
aboutir à un constat d'échec, sur des dispositions qui, à
l'origine, étaient antagonistes. M. Fillon s'est très
librement inspiré de la Position commune, n'en reprenant pas certains
éléments ou en aménageant d'autres. Il faut donc
relativiser la valeur de cette Position. Certes, nous l'avons discutée
pendant 18 mois et l'avons signée. Cette Position présentait
notamment le mérite de bloquer certaines velléités de
textes sur le sujet. En réalité, la situation n'a fait que
s'aggraver.
Avec les accords dérogatoires, la possibilité de rester en
deçà des accords de branche ou des accords interprofessionnels
équivaut à placer les salariés à la merci de
l'employeur. Les propositions de la commission de Virville ne font que
renforcer notre inquiétude à cet égard.
Concernant l'accord majoritaire, nous aurions préféré que
le droit d'opposition soit élargi et plus facile à utiliser. Or
il ne sera possible d'y recourir qu'en cas de silence de la branche. Nous
ignorons quelle sera l'attitude de la branche. Sur certains sujets, elle pourra
laisser le droit d'opposition s'exercer comme par le passé. A l'inverse,
elle pourra décider que d'autres sujets nécessitent un accord
majoritaire.
Par ailleurs, en remettant en cause l'accord majoritaire, l'on place les
syndicats dans l'obligation de se recomposer et de se réunir pour signer
des accords dès lors qu'ils n'auront pas recueilli 50 % des voix
aux élections. Aujourd'hui, peu d'organisations syndicales atteignent ce
seuil de 50 %. C'est donc, en quelque sorte, une recomposition obligatoire
qui est imposée aux syndicats. Cela a également des
conséquences en matière de financement.
Le droit de saisine faisait partie de nos revendications. Nous ne le retrouvons
pas pleinement dans le projet de loi, qui stipule que le droit de saisine ne
peut s'exercer que dans l'entreprise ou dans la branche, à condition que
cette dernière en fixe les règles. Il n'est pas fait mention de
l'échelon interprofessionnel. Ainsi, lorsque nous adressons une demande
de négociation aux organisations patronales, nous n'avons pas
nécessairement de retour.
M. Marc BLONDEL
- Pendant de nombreuses années, Force
ouvrière a été l'organisation qui a
particulièrement privilégié la négociation
collective comme moyen d'évolution et de régulation, et comme un
instrument de l'organisation syndicale permettant d'obtenir satisfaction
à ses revendications. Nous pratiquons de la sorte depuis la loi du
11 février 1950, peu de temps après la création
de notre organisation syndicale. Il s'agit même d'un débat interne
au mouvement syndical. Comment devons-nous obtenir satisfaction ? Est-ce
par la négociation avec les employeurs, à tous les niveaux ?
Est-ce plutôt par la législation ?
Notre cheminement a été facilité par la prise de position
du président du CNPF, M. Ceyrac, qui a expliqué dans un
ouvrage qu'il avait choisi délibérément d'entrer dans la
voie de la négociation collective, contrairement aux positions alors
défendues par les organisations patronales. M. Ceyrac avançait la
nécessité de régulariser les conditions de concurrence et
de faire en sorte que les entreprises soient dans l'obligation d'assurer des
prestations comparables. Les organisations syndicales y ont vu un
élément de réduction des inégalités,
notamment entre grandes et petites entreprises. Le mouvement syndical n'est
d'ailleurs guère représenté dans les petites entreprises.
Toutefois, par le biais des conventions collectives de branche, nous avons pu
influer sur la situation des salariés. Cela a permis aux organisations
syndicales de construire une grande partie du code du travail. L'on constate en
effet que généralement, les novations - comme les
congés payés - apparaissent après des vagues de
négociations successives, les dispositions d'un secteur étant
étendues à l'ensemble des secteurs et des salariés. C'est
ainsi que le code du travail a progressé durant les « trente
glorieuses ».
Des difficultés sont apparues lorsque les employeurs - le CNPF puis
le MEDEF - ont affirmé que les négociations collectives
devaient d'abord se dégager des dispositions dites obsolètes. Il
a ensuite été question de négociations
« donnant-donnant » et de négociations portant
à leur ordre du jour des revendications patronales plutôt que des
revendications des syndicats. Certains syndicats ont accepté de
« détricoter l'existant » et de remettre en cause
les acquis, sans toujours les remplacer par un nouveau dispositif.
Nous avons aujourd'hui atteint le point extrême du raisonnement.
Après avoir abandonné la convention collective, après
avoir utilisé la négociation collective pour remettre en cause
les acquis, le MEDEF entend localiser la négociation prioritairement
dans l'entreprise. Il voudrait donc que nous abandonnions tout principe de
solidarité. En outre, le MEDEF place les salariés des entreprises
à la merci de la situation économique, politique et
générale de l'entreprise. Que répondre à un
employeur qui demande la négociation d'un accord car il est dans
l'incapacité de payer le treizième mois de salaire, pourtant
prévu dans la convention collective, sans quoi il devra fermer son
entreprise ? Les organisations syndicales seront dans l'obligation de s'y
soumettre. Tel est l'élément le plus problématique de la
démarche du projet de loi.
Le dialogue social marque avant tout la volonté des parties de
négocier. Pour ma part, j'ai le sentiment que le MEDEF ne défend
plus cette position. Même lorsqu'il a émis l'idée de la
refondation sociale, il n'a jamais abordé aucun sujet nouveau. La
refondation sociale n'a jamais traité que des dossiers qu'il
était prévu d'aborder, notamment en ce qui concerne le
financement de l'UNEDIC. En 2000 par exemple, M. Seillière
prévoyait - tout comme moi - que nous manquerions en 2005 de
professionnels de l'informatique de haut niveau. Je lui avais alors
proposé de négocier un plan de formation pour satisfaire ces
besoins. Mon organisation syndicale se serait engagée dans ce plan de
formation et aurait constitué un partenaire loyal. Or ce problème
nouveau est resté lettre morte. De même, lors de l'accident d'AZF,
nous avons demandé au MEDEF de discuter d'un objectif de
sécurité industrielle et de sécurité de
l'environnement. Il s'agissait d'un dossier nouveau, auquel le MEDEF n'a pas
donné suite. C'est pourquoi nous préconisons le droit de saisine.
Les organisations syndicales doivent pouvoir porter à l'ordre du jour
des commissions paritaires certaines revendications, qui devront être
traitées. Dans la situation présente, il suffit pour les
employeurs de faire abstraction des dossiers.
Il existe un instrument intéressant, qui est pourtant de moins en moins
utilisé par le gouvernement actuel, comme ce fut le cas avec les
gouvernements précédents : la convocation, par le
ministère du travail, à des négociations collectives sur
des points qui lui semblent utiles. Le ministère du travail peut
à tout moment déléguer un directeur départemental
du travail pour présider la commission paritaire devant traiter d'un
sujet donné. J'ai saisi les ministres du travail de l'époque sur
les deux sujets que j'ai évoqués précédemment. Or
cette pratique n'est plus de mise.
Je souligne que le Gouvernement a laissé 18 mois aux organisations
syndicales et patronales pour envisager des substituts. Les réunions se
succèdent pourtant sans espoir de résultat. Je ne fais pas un
procès d'intention au patronat, mais je dresse un constat. Il
apparaît que la convention collective n'est plus le moyen qui permet de
résoudre les problèmes ou les différends qui interviennent
entre les organisations syndicales et patronales.
Comme je l'ai rappelé, le patronat réclamait la remise en cause
de la hiérarchie des normes, avec la négociation d'entreprise. En
guise de garantie accordée aux organisations syndicales, M.
François Fillon prévoit que les dérogations soient
acceptées par la majorité. Nous rejoignons en cela la loi
américaine de Taft-Hartley, qui stipule que si 50 % des votants
plus une personne réclament un syndicat, la négociation est
obligatoire. Aux Etats-Unis, certaines entreprises ferment dès lors que
le résultat d'une consultation atteint ce seuil et que se profilent la
possibilité de créer un syndicat et l'obligation de
négocier une convention collective. La société JP Stevens
en est l'exemple flagrant. Il me semble que M. François Fillon
s'inscrit dans cette orientation, arguant qu'il offre une garantie que les
accords devront être acceptés par le personnel et qu'ils ne seront
pas remis en cause devant les tribunaux. Or nous sommes opposés au
recours devant les tribunaux lorsqu'il s'agit de négociations
collectives. En revanche, nous nous tournons vers les tribunaux pour faire
appliquer la loi. Dans le secteur privé, aucune organisation syndicale
ne représente 50 % des voix. Seule la CGT enregistre de tels
résultats à la SNCF et chez EDF. Par définition, les
syndicats seront contraints de s'accorder et perdront une part de leur
liberté. Afin de mener une action efficace, ils devront accepter des
rapprochements, ce qui conduira à une certaine clarification du nombre
d'organisations syndicales. Je suis persuadé qu'à un horizon de
dix ans, nous assisterons à un bouleversement du paysage syndical,
d'autant plus que ceux qui plaident pour les rapprochements s'empressent de
reconstituer des organisations syndicales plus « pures »
que les autres. Alors que nous comptions jusqu'à présent cinq
organisations syndicales représentatives, nous en aurons bientôt
six ou sept. Peut-être la loi suscitera-t-elle la création de
nouvelles organisations, qui permettront aux plus importantes d'atteindre le
seuil des 50 %. Je souhaite que mon organisation syndicale reste libre de
son comportement. Elle ne fusionnera que si elle l'a décidé. Je
ne souhaite pas qu'elle contracte des alliances pour s'adapter à des
circonstances particulières, ce qui ne lui permettrait plus de
s'exprimer librement.
Le gouvernement actuel s'est félicité de la complicité de
certaines organisations syndicales. Je m'étonne que ces organisations,
qui ont signé des textes en régression par rapport à
l'existant, revendiquent elles aussi l'accord majoritaire. Je ne porte pas de
jugement sur les organisations qui ont jugé utile de signer le protocole
sur les retraites, mais j'affirme que pour défendre les salariés,
je ne l'ai pas signé.
En outre, du fait des accords majoritaires, il ne s'agira plus d'être
capable de signer les textes, mais de s'opposer à leur signature.
Signer, c'est toujours prendre un engagement difficile. Certains estiment
toujours qu'il était inopportun de signer et que la négociation
aurait dû perdurer, afin d'obtenir davantage. En signant, l'on accepte un
compromis. On ne peut signer un accord si l'on n'est pas animé par une
volonté politique. Je crains que le projet de loi ne crée une
dynamique consistant, pour exister, à s'opposer aux accords. Certaines
organisations refuseront de signer pour ne pas prendre de risque et assurer
leur succès aux élections suivantes. Ce faisant, elles
dissuaderont également les autres organisations de signer. Cela ne peut
que nuire à l'action syndicale. Je souligne que nous ne disposons pas
des moyens de contrôler ces élections. Organiserons-nous des
élections de représentativité un dimanche, branche par
branche ? Personne ne s'y rendra. La citoyenneté syndicale n'est
pas suffisamment répandue pour cela, moins encore que la
citoyenneté politique.
Enfin, si les salariés n'obtiennent pas satisfaction par le biais des
négociations collectives, ils tenteront d'obtenir satisfaction par la
loi. Néanmoins, nous ne serons plus indépendants. La ligne de
conduite de FO sera par exemple remise en cause car nous devrons nous allier
à une organisation politique à qui nous proposerons de pratiquer
une forme de travaillisme. C'est bien ce qui advient entre le Labour Party et
les TUC en Grande-Bretagne. En France, nous sommes plutôt attachés
à une tradition de syndicalisme indépendant, bien qu'il ait pu
exister des liens historiques entre le Parti communiste et la CGT. Toutefois,
je ne crois pas que la CGT ait financé le Parti communiste, alors qu'il
est notoire que les TUC britanniques ont financé le Parti travailliste
et Tony Blair. De même, le DGB allemand est fractionné en interne
en fonction de l'appartenance politique de ses membres. Telle n'est pas notre
tradition.
C'est le rapport de force qui décide de la négociation
collective, et les travailleurs ont le droit de s'exprimer. Si nous souhaitons
maintenir une certaine richesse en matière de négociation, nous
devons nous garder de soutenir un texte qui entraînera un gel des
conventions. Les conventions collectives gelées n'ont plus de valeur
après un délai de cinq ans. Dans la pratique, elles sont
contournées. Ainsi, quelle est l'entreprise qui pratique encore les
périodes d'essai ? Toutes proposent des contrats à
durée déterminée. J'y vois les fruits de la faiblesse de
l'activité conventionnelle dont nous souffrons depuis une dizaine
d'années.
Pour finir, je rappellerai que FO a souvent accepté des avancées,
parfois modestes, pour sauver le principe de la négociation collective.
Nous jouissons d'une expérience dans ce domaine, et je souhaite que vous
teniez compte de nos préoccupations.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Monsieur Blondel, je salue votre
foi dans la négociation collective. Vous avez posé deux
problèmes : l'accord majoritaire et les dérogations. Pour ce
qui est de ces dernières, je vous rappelle que selon l'article 39 du
projet de loi, elles ne peuvent pas porter sur ce qui existe actuellement. En
outre, il sera toujours possible, dans les accords de branches, d'interdire les
dérogations.
Quelle est votre position sur les dispositions de l'article 39 ?
M. Marc BLONDEL
-
Après un délai de cinq ans, les
conventions sont obsolètes. Je m'intéresse aux textes qui seront
négociés à l'avenir, et qui comporteront une
possibilité de dérogation. Le monde du travail change, et la
notion de contrat de travail a profondément évolué.
Certaines entreprises offrent aujourd'hui des contrats atomisés et de
formes diverses. Comme l'a fait la CGT, j'ai demandé qu'une
négociation porte notamment sur les entreprises sous-traitantes. En
effet, rien n'est plus facile que de ne pas respecter une convention collective
pour certaines activités de l'entreprise en recourrant à la
sous-traitance. Après cinq ans, cela équivaut à annuler
les conventions. Il n'existera plus alors que des contrats individuels.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- S'agissant de l'accord
majoritaire, j'ai cru comprendre que vous souhaitiez maintenir le
système actuel. Même s'il est décidé qu'il existera
un engagement majoritaire - ce qui est possible dans un accord de
méthode - vous êtes opposé aux accords majoritaires et
à la majorité d'opposition. Or vous n'êtes pas non plus
favorable aux élections de branche. Dès lors, quelle sera la
légitimité des parties prenantes de l'accord ? Quelle sera
la légitimité d'un accord qui n'aura été
signé que par un syndicat non majoritaire ?
M. Marc BLONDEL
- Ce sont les salariés qui confèrent aux
organisations leur légitimité au moment des élections
professionnelles. Chaque organisation syndicale reconnue comme étant
représentative a le droit de négocier. Dans les secteurs
professionnels qui pratiquent encore la négociation collective, tous les
accords ont été signés par des organisations minoritaires.
M. le PRÉSIDENT
- Le temps est-il venu de remettre en cause le
caractère irréfragable de la représentativité de
certains syndicats ?
M. Marc BLONDEL
- Il revient au ministère d'en décider.
La notion de représentativité irréfragable ne me heurte
pas. Je vous rappelle que lorsque nous signons un texte, il s'applique à
tous les salariés. Aux Etats-Unis au contraire, les
éléments négociés ne sont applicables qu'aux seuls
syndiqués. En France, le ministre du travail peut réserver le
sort qu'il souhaite à un accord signé par une organisation
représentative. S'il considère que l'accord est insuffisant, il
peut ne pas l'étendre.
M. Guy FISCHER
- Vous semblez considérer que M. Fillon a
abusé de la Position commune.
M. Marc BLONDEL
- M. François Fillon a effectué une
interprétation libre de la Position commune.
M. Guy FISCHER
- Etes-vous fondamentalement opposé au projet de
loi ?
M. Marc BLONDEL
- Oui. J'ai rencontré M. François Fillon
à plusieurs reprises et je l'ai alerté des conséquences
que pouvait entraîner son texte.
M. Guy FISCHER
- L'évolution du paysage syndical que vous avez
évoquée est-elle comparable à l'évolution du
paysage politique, faite de fusions et d'émiettement ?
M. Gilbert CHABROUX
- Durant l'audition précédente, l'UNSA
a affirmé que si le paysage politique avait été
figé en 1966, il ne resterait plus aujourd'hui que le Parti communiste.
Je conviens qu'il est difficile de mesurer la représentativité
des syndicats. Néanmoins, pourquoi ne pas organiser des élections
générales un jour ouvré ?
M. Marc BLONDEL
- M. Seillière serait ravi de votre
proposition !
M. Gilbert CHABROUX
- J'apprécie que vous soyez résolument
opposé au caractère dérogatoire des accords d'entreprises.
Il me paraît en effet dangereux de s'engager dans cette voie. Vous avez
cité des faits concrets, et j'aimerais que vous en citiez d'autres
encore afin de nourrir notre argumentation. S'agissant du treizième mois
par exemple, je suis persuadé que la menace est réelle.
De votre point de vue, quels acquis sont menacés ? Quelles seront
les conséquences concrètes de cette loi pour les
salariés ?
M. Marc BLONDEL
- Depuis l'implosion du système soviétique
et la remise en cause de la tradition marxiste-léniniste, la notion
d'unité d'action s'est considérablement
démultipliée. Dans leur stratégie, il est probable que
certaines organisations syndicales défendront la réunification
syndicale ou le syndicalisme rassemblé, autant de formules de
propagande. Peut-on raisonnablement affirmer que l'on ne travaillera avec les
syndicats que lorsqu'ils partageront tous un même point de vue ? Les
propagandistes syndicaux - y compris au sein de mon organisation -
essayeront de donner l'image la plus large du mouvement syndical, d'autant plus
que le débat est désormais en partie international et
européen. Or peu de pays européens comptent autant
d'organisations syndicales que la France. Le mouvement syndical français
a toujours été victime des comportements politiques. L'histoire
de la CGT, depuis 1895, révèle que c'est toujours sous l'effet
d'oppositions politiques que sont intervenues des scissions ou des
réunifications. J'ignore comment la situation évoluera. Ce qui
m'importe avant tout est de sauvegarder la liberté de comportement des
syndicats.
Pour ce qui est de l'UNSA par ailleurs, je ne crois pas en la notion de
syndicat autonome mais en celle de syndicalisme confédéré,
qui est son exact contraire. Je ne comprends pas la revendication de l'UNSA de
se faire reconnaître en tant que confédération. Je ne crois
pas non plus aux prédictions dont l'UNSA vous a fait part sur
l'évolution du paysage politique. Rappelons en incidence que les partis
politiques existent aussi parce que les citoyens leur font confiance !
L'UNSA argue qu'elle ne peut pas répondre au critère de
représentativité lié au comportement de son organisation
pendant la guerre. Ce critère ne constitue en rien un blocage : il
suffit à l'UNSA de répondre qu'elle n'existait pas encore
à l'époque. Je rappellerai que l'UNSA est le successeur de la
FEN. Or cette dernière n'a pas accepté de rejoindre Force
ouvrière au moment de la scission car elle voulait provoquer une
réunification entre la CGT et Force ouvrière. J'ai
personnellement fait partie d'une association syndicale dont le but
était d'aboutir à cette réunification. Or les camarades de
la FEN sont devenus FSU et UNSA, et l'UNSA revendique maintenant son existence
en tant que confédération ! J'y vois une part
d'opportunisme.
Pour en revenir aux exemples concrets, si un texte conventionnel qui fixe les
salaires n'est pas renégocié tous les ans, il conduit à
une perte de pouvoir d'achat annuelle de 1,9 %. Après cinq ans,
cela équivaut à une perte de 10 % ! Les salaires les
plus bas de la convention collective sont donc rejoints par le SMIC, ce qui
annule la hiérarchie des textes.
En outre, comment organiser des élections alors qu'il existera une
multitude de contrats individuels ? Un salarié sera par exemple
embauché pour mener un projet informatique précis dans une
entreprise. Il relèvera alors de la métallurgie. Lorsqu'il aura
mené son projet à bien, il pourra rejoindre une entreprise du
bâtiment, avec un autre contrat de projet informatique. Soit nous en
revenons aux syndicats corporatistes, soit les élections que vous
envisagez ne seront représentatives que pour une très courte
durée. Peu d'entreprises pratiquent aujourd'hui une seule
activité professionnelle. Il s'ensuit un réel problème de
représentativité. Plus encore, je ne tiens pas à ce que
les organisations syndicales deviennent des « machines à
voter ». Une organisation syndicale doit être dirigée
par les syndiqués, selon la tradition de Léon Jouhaux. Un
syndicat doit être libre de désigner lui-même ses
représentants et de définir sa ligne de conduite. Du point de vue
de l'expression syndicale, je n'assimile pas un travailleur syndiqué
à un travailleur non syndiqué. M. de Virville souhaite que les
délégués syndicaux soient désignés par les
salariés, même lorsqu'ils ne sont pas adhérents à
l'organisation syndicale. Pour peu que les syndicats reçoivent de
surcroît un financement, cela équivaudra à la
création de syndicats officiels. L'engagement individuel s'en trouvera
brisé. Il est vrai que pour des raisons historiques, notre pays ne
compte pas des organisations syndicales très représentatives.
Toutefois, je préfère que les individus puissent adhérer
volontairement à une organisation, ce qui est une expression de la
démocratie. Plus encore, je préfère que ces individus
s'expriment par la voix des syndicats plutôt qu'au travers des religions.
M. le PRÉSIDENT
- Nous sommes preneurs de toute position que vous
pourrez nous remettre. Je salue votre engagement au service de votre syndicat.
Je me réjouis de vous avoir reçu une dernière fois
à la commission des Affaires sociales.
Audition de M. Robert BUGUET
Président de
l'Union professionnelle artisanale (UPA)
,
M.
Pierre PERRIN
Premier Vice-Président
,
M. Pierre BURBAN
Secrétaire général
et M. Guillaume TABOURDEAU
de l'Union professionnelle artisanale
(UPA)
(mardi 20 janvier 2004)
M.
Robert BUGUET -
Je préciserai tout d'abord que Pierre Perrin, qui
est à mes côtés, prendra la présidence de l'UPA dans
quelques jours. L'UPA est une direction collégiale constituée de
trois organisations : le bâtiment, les services et l'alimentation.
Elle compte un président et deux vice-présidents. Le premier
vice-président devient président, et le deuxième devient
premier vice-président. Pierre Perrin oeuvre à l'UPA depuis six
ans. Il occupe encore pour quelques jours la fonction de Président de la
Confédération française de la boucherie, ainsi que de la
section artisanale de la Confédération générale de
l'alimentation en détail.
Le projet de loi qui nous est soumis nous occupe d'autant plus que l'artisanat
emploie deux millions de salariés. Notre approche privilégie, en
termes de dialogue social, les accords de branche par rapport aux accords
d'entreprises. En effet, nous ne pourrions envisager des accords d'entreprises
alors que les sociétés que nous représentons comptent en
moyenne 4,5 salariés. La problématique du dialogue social a
toujours reposé, pour nous, sur les accords de branche. Nous avons
toutefois la volonté d'adapter le dialogue social à nos
entreprises. Trop longtemps, dans l'artisanat, seuls participaient aux
négociations des conventions collectives des représentants des
grands groupes ou des grandes entreprises. Des salariés de Bouygues
discutaient ainsi des 35 heures dans le bâtiment ! Il nous
semblait au contraire important de déléguer des interlocuteurs
issus de petites entreprises. L'accord-cadre qui en est ressorti permet une
soixantaine de possibilités d'adaptation.
Les débats qui prévalent chez certains partenaires sociaux ne se
posent pas dans les mêmes termes en ce qui nous concerne. En effet, nous
accordons une place prépondérante aux accords de branche.
Naturellement, nous n'excluons pas cette possibilité pour les autres, et
nous n'avons jamais prétendu représenter l'ensemble du monde de
l'entreprise.
Jusqu'à présent, dès lors qu'il n'existait pas
d'opposition majoritaire, un accord pouvait être étendu. De
nombreux accords ont été signés par une ou deux
organisations, parfois très minoritaires, les autres organisations ne
s'y opposant pas ou les cautionnant tacitement. Voilà une forme
étrange de dialogue social. Nous espérons que le projet de loi
imposera de marquer clairement son accord ou son désaccord. Certes, cela
demandera du temps, car nous avons été marqués par des
décennies de comportements quelque peu anormaux. S'agissant de
l'artisanat toutefois, les textes importants que nous avons signés l'ont
été à l'unanimité.
Nous approuvons le projet de loi, qui reprend en grande partie les accords que
nous avons signés. Dans son article 42, le projet de loi mentionne la
mise en place de commissions paritaires, professionnelles ou
interprofessionnelles et favorise en cela le développement du dialogue
social à l'échelon territorial.
Le 12 décembre 2001, l'ensemble des partenaires sociaux de
l'artisanat ont signé un accord permettant de financer le dialogue
social. Ce point est capital à nos yeux, bien qu'il soit contesté
par une grande centrale patronale. Les lois de l'immédiat
après-guerre qui ont mis en place l'architecture des rapports sociaux
actuels ont instauré une représentation obligatoire pour les
entreprises de plus de cinquante salariés, avec le financement d'heures
de délégation et la désignation de
délégués syndicaux. Lorsque les partenaires sociaux d'une
branche se réunissent, les salariés se voient financer le temps
qu'ils consacrent à la négociation. Or tel n'est pas le cas pour
nos entreprises. La loi ne nous a jamais interdit de contractualiser ni de
signer des conventions collectives. L'artisanat est d'ailleurs régi par
26 conventions collectives de branche. Pour autant, ceux de nos
représentants qui ont discuté ces conventions l'ont fait à
leurs propres frais. Pour leur part, les centrales nous envoyaient les
salariés qui pouvaient être pris en charge dans le cadre des
heures de délégation. Nous nous trouvions donc toujours face
à des représentants des grandes entreprises, voire de
l'administration. Il était donc essentiel que nous discutions avec de
véritables partenaires.
Si la loi n'interdit pas qu'une petite entreprise compte un
délégué syndical, elle lui impose de financer son
activité syndicale ! Pourtant, ces salariés ont, comme les
autres, le droit de s'exprimer et de discuter avec leurs employeurs. C'est
pourquoi il était essentiel de mettre en place des systèmes
mutualisés. C'est tout l'esprit du fameux
« 0,15 % », auquel s'opposent d'ailleurs certaines
grandes entreprises qui préféraient le temps où le
monopole de la discussion était accaparé par une seule structure.
L'architecture du dispositif prévoit dorénavant une collecte de
15 millions d'euros, ce qui n'est pas démesuré dans un secteur
qui compte 800.000 entreprises et deux millions de salariés. Ces
fonds permettront de financer les frais de déplacement. Ainsi, lorsqu'un
salarié d'une petite entreprise sera mandaté par une organisation
syndicale pour négocier une convention collective ou les salaires au
plan régional, l'entreprise ne déduira pas sa journée
d'absence de son salaire mais sera remboursée, par le fonds, des charges
qu'elle aura dû supporter.
L'article 42 institue des négociations régionales. Nous
disposerons dorénavant des moyens matériels de mandater nos
interlocuteurs et de faire fonctionner le dialogue social. Dans une
déclaration prononcée en décembre dernier, le ministre des
Affaires sociales, du travail et de la solidarité a d'ailleurs
affirmé qu'il envisageait de réunir les partenaires sociaux et de
les consulter afin d'instaurer un dispositif de financement du syndicalisme. Le
législateur s'honorerait à mettre en place un tel
mécanisme, qui existe d'ailleurs chez tous nos voisins européens.
Pour le reste, nous nous réjouissons que dans le cadre de la
simplification administrative, l'article 43 n'impose pas de mettre
à disposition des salariés la convention collective dont ils
relèvent.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Je constate que le projet de loi
répond à nombre de vos souhaits. Toutefois, ne craignez-vous pas
que le privilège accordé à la négociation
d'entreprise ne vide la négociation de branche de son contenu, d'autant
plus que la négociation d'entreprise a peu de sens pour les petites
sociétés ? Vous demandez donc que la négociation
puisse être adaptée à votre situation particulière.
Nous sommes disposés à répondre votre souhait. Quel est le
moyen d'y parvenir ?
M. Robert BUGUET
- Les articles 36 et 37 du projet de
loi, qui prévoient l'articulation entre les accords interprofessionnels,
les conventions de branche et les accords d'entreprise, disposent qu'il est
possible de déroger à une clause plus favorable prévue
à un niveau supérieur de la hiérarchie des normes, sauf si
l'accord stipule qu'il ne peut y être dérogé. Il suffira
donc que nos accords de branche comportent cette interdiction de
dérogation.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
-
Etes-vous couverts par
l'ensemble des branches ?
M. Robert BUGUET
-
L'artisanat compte vingt-six conventions
collectives.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Votre stratégie
permettra-t-elle aux branches d'évoluer suffisamment et de
répondre à leurs besoins ? Votre prédécesseur
nous a expliqué que dans cinq ans, les accords de branches n'auront plus
de valeur et devront être renégociés.
M. Robert BUGUET
- Nous nous sommes battus pour mettre en place le
financement du dialogue social car nous avons compris la
nécessité pour les conventions collectives d'évoluer
régulièrement. L'évolution des métiers
traditionnels et l'apparition des nouvelles techniques d'information et de
communication nous y obligent. Les 35 heures nous ont d'ailleurs
contraints à accentuer notre action et à envisager un mandatement
syndical là où nous ne comptions pas de
délégués. Il est prévu de désigner des
délégués du personnel dans les entreprises de onze
à quarante-neuf salariés. Pourtant, 90 % des petites
entreprises n'ont pas de délégués. En effet, la
procédure est excessivement formelle et trop contraignante. C'est ainsi
que dans ma société, l'application de la procédure a
été tellement complexe que les salariés avaient
officieusement désigné leurs délégués bien
avant la tenue des élections !
M. Dominique LECLERC
- Combien de salariés compte votre
entreprise ?
M. Robert BUGUET
- J'ai créé mon entreprise il y a quatre
ans avec treize salariés, et j'en emploie aujourd'hui trente.
M. Dominique LECLERC
- Je viens de vivre une situation analogue à
la vôtre. Je n'en soupçonnais pas la complexité !
M. Robert BUGUET
- Les partenaires sociaux ne sont pas opposés
à une évolution de la désignation des
délégués du personnel. En effet, la procédure
actuelle est tellement formelle qu'elle ne peut pas être
appliquée.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Avez-vous des propositions
particulières à nous soumettre ?
M. Robert BUGUET
- Nous n'avons pas d'amendement à vous proposer.
L'architecture du texte ne nous heurte pas. Certains de ses articles ne nous
concernent pas et n'appellent pas de jugement de notre part. Pour les articles
qui touchent les petites entreprises, en particulier les
articles 36 et 37, nous considérons qu'il est essentiel
de préserver le droit des branches. Dès lors que cette
nécessité est reconnue, il nous appartient de nous
réapproprier le dialogue social.
M. Guy FISCHER
- J'ai apprécié la liberté de parole
du président Buguet. Vous avez souligné votre attachement aux
accords de branche, alors que nous estimons que ce texte porte atteinte aux
pratiques syndicales et à la hiérarchie des normes. Pensez-vous
que ce texte, de façon générale, risque de mettre en cause
les accords signés antérieurement ?
M. Robert BUGUET
- Cela dépendra de la façon dont les
partenaires sociaux feront vivre ces accords. Il faut reconnaître que la
vie sociale en France s'est quelque peu figée. Nous avons accepté
d'emblée le principe de refondation sociale avancé par
M. Kessler, même si nous avons refusé sa méthode. Il
était nécessaire d'évoluer, car il n'existait plus ni
discussion ni dialogue. Si nous sommes capables de discuter entre
véritables partenaires et de vivifier le dialogue social, nous n'avons
pas de crainte à concevoir. Nous affichons
délibérément notre volonté de changement.
Depuis trois ans, les rencontres sont nombreuses entre le Mouvement des
entreprises de France (MEDEF), la Confédération
générale des petites et moyennes entreprises (CG-PME), l'Union
professionnelle artisanale (UPA) et les cinq centrales de salariés. Pour
ce qui est des responsables nationaux au moins, la situation a
déjà grandement évolué sur le terrain. Nous
commençons ainsi à mettre en place des comités
d'entreprises interprofessionnels, qui permettent d'agréger les petites
entreprises d'un même bassin d'emploi. Ces dernières créent
une structure auprès de laquelle elles cotisent, et qui offre les
mêmes services que les comités d'entreprises plus importants. Nous
développons des projets considérables.
Naturellement, nous ne sommes pas gagnés par un altruisme absolu, et je
n'ai pas honte d'affirmer que nous restons des patrons. Dans les douze ans
à venir, l'artisanat devra remplacer un million d'emplois, dont
400.000 chefs d'entreprises et 600.000 salariés. Compte tenu
du vieillissement de la population et des besoins exprimés par la
clientèle, nous devrons encore créer un million d'emplois
supplémentaires. Cela nous oblige à offrir des conditions de
travail et des rémunérations attrayantes et comparables à
celles que peuvent offrir les grandes entreprises. Nous regrettons que le MEDEF
ne l'ait pas compris.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous craignez donc que le texte ne
suffise pas à rompre avec les comportements du passé.
M. Robert BUGUET
- J'ai le sentiment que les partenaires ont la
volonté d'évoluer. Toutefois, nous devons disposer de l'espace et
des moyens matériels nécessaires. Nous ne demandons pas des
fonds, mais la possibilité d'instaurer un système transparent
dans lequel l'utilisation des moyens est connue de tous. Dès lors que
ces moyens seront disponibles, nous n'aurons plus d'excuse pour ne pas faire
avancer le dialogue social. C'est l'intérêt bien compris de tous,
des partenaires sociaux comme de notre pays.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie. N'hésitez pas à
remettre à notre rapporteur des documents détaillant la position
de l'artisanat. Je vous remercie de la collaboration que vous avez toujours
entretenue avec le Sénat. Pour l'avenir, je souhaite la bienvenue au
président Perrin, qui nous apportera toute sa compétence.
Audition de Michel COQUILLION
Secrétaire général adjoint de la
Confédération française
des travailleurs
chrétiens (CFTC)
(mercredi 21 janvier
2004)
M.
Nicolas ABOUT, président
- Monsieur le secrétaire
général, nous sommes heureux de vous accueillir afin de
connaître la position de la confédération française
des travailleurs chrétiens sur ce texte. Vous avez dix minutes pour
présenter votre perception de ce projet de loi, avant que le rapporteur
et les commissaires ne vous interrogent.
M. Michel COQUILLION -
Je vous prie d'excuser l'absence de
M. Jacques Voisin. Il a malheureusement eu un empêchement ce matin.
Le projet de loi sur le dialogue social fait suite à des
négociations successives, marquées par l'accord du
30 octobre 1995 sur le dialogue social et par l'accord du 16 juillet
2001, venant compléter celui de 1995. Je rappelle que nous avions
signé les deux accords et que nous étions favorables à une
traduction dans la loi du texte élaboré en 2001. Ce dernier
comportait plusieurs volets et l'un d'entre eux portait notamment sur
l'articulation entre la loi et la négociation. Il précisait sous
forme d'exercice d'application ce que souhaitaient les signataires. Le principe
que nous mettions en avant était le suivant : il est souhaitable
que la négociation précède autant que possible la loi dans
les domaines de la compétence des partenaires sociaux, dans le respect
du rôle souverain des élus de la Nation. C'est à peu de
chose près ce qu'a dit le Président de la République dans
son allocution du 14 juillet 2003. Il est certain que l'exercice est
délicat puisqu'il faut à la fois ménager la
responsabilité des élus et celle des partenaires sociaux.
L'actuel projet de loi reprend un certain nombre des dispositions de l'accord.
Mais il ne les reprend pas toutes et n'apporte pas de réponse à
la question de l'articulation entre loi et négociation. Ce sujet
mérite selon nous une étude spécifique. Nous avions
d'ailleurs demandé au ministère du travail de conduire une
réflexion en ce domaine, en partenariat avec les parlementaires, les
partenaires sociaux et le Gouvernement. Malheureusement, le point n'a pas
été approfondi alors qu'il est fondamental. De lui dépend
le respect de l'esprit et de la lettre de l'accord. Selon nous, bien des
dispositions du projet de loi sont conformes à ce que nous avions
négocié, mais deux dispositions viennent dénaturer
gravement et dangereusement le texte. Il s'agit premièrement de la
validation majoritaire des accords et deuxièmement de la modification de
la valeur normative des accords de branche.
La notion d'accord majoritaire s'est trouvée au centre des débats
et des négociations avec les partenaires sociaux. Parmi ces derniers, un
consensus s'est dégagé sur le point suivant : il ne devrait
plus être possible qu'une seule organisation, même
représentative, puisse signer seule un accord qui soit ensuite
applicable, si elle n'est que très peu représentative des
salariés de l'entreprise ou de la branche concernée. Les
partenaires sociaux ont dans ce contexte avancé une proposition
équilibrée, consistant à garantir aux organisations
syndicales un droit d'opposition dans l'application des accords, et notamment
des accords de branche ou des accords interprofessionnels. Ceci
représentait une amélioration sensible.
Malheureusement, ce droit d'opposition s'est transformé en droit pour la
branche de conclure des accords recueillant la majorité des suffrages.
D'une part, cela remet en cause l'équilibre de la négociation.
D'autre part, cela laisse sans réponse les problèmes liés
à la conclusion d'accords majoritaires. Sur quels critères la
« majorité » est-elle définie ? Quels
scrutins permettraient de mesurer la représentativité ? Je
rappelle ici que les élections professionnelles connaissent un taux
d'abstention de 70 %. Je rappelle aussi que les salariés,
lorsqu'ils choisissent les personnes qui les représentent aux
comités d'entreprise, ne votent absolument pas dans l'idée de
choisir l'organisation syndicale qui négociera pour eux les accords
professionnels ou interprofessionnels. Compte tenu du contexte actuel, un vote
par branche, mené partout le même jour, nous semble une vue de
l'esprit. Cela poserait des problèmes d'organisation insolubles.
Le nouveau type de validation des accords vers lequel nous nous dirigeons
aboutira très probablement à des blocages dans nombre de
branches. Il sera la plupart du temps impossible de trouver une majorité
pour signer tel ou tel accord, surtout si la deuxième disposition que
nous contestons, à savoir la remise en cause de la hiérarchie des
normes, entre en vigueur. Et la majorité risque de ne pas être une
majorité démocratique. Retenir le mode de validation
proposé aurait donc trois conséquences :
premièrement, les négociations ne déboucheront souvent sur
aucun accord ; deuxièmement, les accords validés risquent de
ne pas reposer sur une majorité démocratique ;
troisièmement, la qualité du dialogue social s'en trouvera
dégradée.
La CFTC, précisons-le, n'est pas hostile à la recherche d'une
légitimité accrue des accords et d'une meilleure prise en compte
des souhaits des salariés. Mais elle considère que l'accord
majoritaire n'est pas la bonne réponse. J'en prendrai pour exemple la
réforme des retraites. Le Gouvernement actuel, issu d'élections
législatives où la droite a obtenu une large majorité des
suffrages, dispose d'une légitimité certaine. Or il s'est fait
fortement contester à l'occasion de la réforme des retraites. La
réaction des Français n'a pas été de se dire :
« L'action du Gouvernement est légitime dans la mesure
où elle est approuvée par la majorité des
représentants de la Nation », mais de s'exclamer :
« Nous n'avons pas voté pour cela »,
« Nous ne sommes pas d'accord avec le Gouvernement », ou
bien encore « On ne nous a pas demandé notre avis ».
Si la question posée est de savoir comment accroître aux yeux des
salariés la légitimité des accords, la réponse,
selon la CFTC, est la suivante : il faut accroître la consultation
des salariés.
Notre syndicat n'a toutefois pas soumis directement cette proposition, car elle
induit d'autres problèmes. Développer la pratique du
référendum en entreprise revient en effet à fonder la
légitimité des négociations et des accords non plus sur
les organisations syndicales mais sur le vote ad hoc des salariés. Par
ailleurs, si les accords sont soumis à référendum, il est
probable que l'essentiel des informations dont disposeront les salariés
proviendront des employeurs. Les salariés ne seront donc que
partiellement, voire mal, informés. La fiabilité du
référendum en souffrirait. En conclusion, le sujet de la
légitimité des accords aux yeux des salariés devrait faire
l'objet d'une étude beaucoup plus approfondie. La réponse qui est
aujourd'hui apportée à cette question est totalement
insatisfaisante et ne fera que compliquer la situation.
La deuxième disposition que nous contestons fortement, c'est la remise
en cause de la valeur normative des accords de branche. Elle est même
plus inquiétante que la mesure précédemment
évoquée. Certains disent que nous avions accepté le
principe d'une remise en cause de la hiérarchie des normes dans l'accord
du 16 juillet 2001 mais il n'en est rien. La Position commune, il est vrai,
était rédigée de façon assez confuse, si bien qu'il
est facile de dire tout et son contraire à son sujet. Malgré
tout, je vous certifie que nous étions opposés à la
révision de la hiérarchie des normes et s'il y a un regret que je
pourrais avoir concernant le texte signé en 2001, c'est de ne pas
l'avoir spécifié noir sur blanc.
Remettre en cause la valeur normative des accords de branche nous paraît
extrêmement dangereux. Rappelons que la négociation d'un accord
collectif est déjà un exercice délicat, surtout quand il
s'agit d'accords donnant-donnant : il faut parvenir à
établir un compromis acceptable pour tous, pour les employeurs comme
pour les syndicats, dans un contexte où les équilibres sont
parfois difficiles à trouver. L'exercice deviendra encore plus
délicat s'il faut dégager une majorité pour valider
l'accord. Et si l'on ajoute à ces deux difficultés une
troisième, en demandant aux parties prenantes de s'accorder sur le
principe normatif ou non du texte, l'exercice deviendra quasiment impossible.
Les organisations syndicales exigeront que cette question soit
réglée en début de négociations, au motif qu'il
est, pour elles, inutile de s'investir dans la conclusion d'un accord non
normatif. Si les employeurs refusent de reconnaître à l'accord un
caractère normatif, la négociation sera terminée avant
même d'avoir commencé. Il s'agira là d'une première
source de blocage. Si les employeurs proposent de distinguer la
normativité du texte selon les dispositions, cela conduira à des
discussions interminables, puisqu'il faudra négocier avec les
organisations syndicales la portée de chaque disposition. Il s'agira
là d'une seconde source de blocage. Si la démarche aboutit
malgré tout, il faudra alors compter avec la difficulté
d'application d'un tel accord, puisque les parties prenantes devront
s'interroger sur le caractère plus ou moins normatif de chaque
disposition. Et quand, dans quelques années, des litiges opposeront
salariés et employeurs, il faudra pour les trancher prendre en compte la
date de conclusion des accords en jeu. Le texte stipule par ailleurs que pour
la conclusion de tout nouvel accord, les partenaires sociaux doivent inclure
dans la négociation les accords précédents, et ce, afin
d'éviter l'empilement de textes contradictoires. Mais si l'on reprend
d'anciens textes, entièrement normatifs, pour les intégrer
à de nouveaux accords, on les rend supplétifs. Les organisations
syndicales voudront donc discuter de la normativité de toutes les
anciennes dispositions, ce qui aboutira à une complexification
extrême des négociations.
Loin de simplifier le dialogue social, le texte proposé ne ferait donc
que le compliquer. Et loin d'accroître le rôle des partenaires
sociaux, il ne ferait qu'accentuer l'importance de la loi. Le MEDEF demande
à ce que la législation fasse davantage place à la
contractualisation mais les dispositions qu'il soutient aboutissent à
l'effet inverse. Si les accords n'ont plus valeur normative, seule la loi aura
le pouvoir d'encadrer les pratiques des entreprises. Et dès qu'un
problème apparaîtra, les individus se tourneront vers
l'État.
Pour le ministre du travail, le projet de loi repose sur l'équilibre
suivant : le MEDEF cède sur la validation majoritaire des accords
mais obtient pour les entreprises le droit de déroger aux accords de
branche. Ce compromis est selon nous un marché de dupes, dans lequel
certaines organisations syndicales se sont malheureusement laissées
prendre. Soit le texte ne changera rien à la situation existante, soit
il compromettra les négociations interprofessionnelles de branche. Il
est vrai, en effet, que certaines branches ne changeront rien à leur
pratique. Elles nous l'ont affirmé ; elles en resteront à
des accords de branche normatifs. Mais des problèmes sont
déjà palpables. Nous voyons par ailleurs poindre des discussions
sur le caractère supplétif ou normatif de certains textes, au
sujet de restructurations par exemple. Concernant le principe de faveur, nous
aimerions savoir si la possibilité de déroger favorablement aux
accords sera maintenue.
S'il y a bien un point sur lequel nous demandons au Sénat d'être
très attentif, c'est donc le risque que fait courir la remise en cause
de la normativité des accords sur les négociations. Nous
regrettons vraiment les écarts constatés entre le projet de loi
et les accords auparavant négociés.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- En résumé, vous
estimez que le projet de loi génère deux problèmes, l'un
lié à la redéfinition de la valeur juridique des accords
et l'autre à la modification des règles de conclusion des accords
collectifs par l'introduction du principe majoritaire. Et vous ajoutez que ces
deux problèmes s'interpénètrent. Toutefois, j'avoue avoir
un peu de peine à vous comprendre. Vous considérez que la
situation actuelle n'est pas satisfaisante mais vous soulignez dans votre
discours qu'avec le texte proposé, il deviendra impossible de
négocier comme auparavant. Cette position me semble contradictoire.
En ce qui concerne le principe de l'accord majoritaire, je rappelle que des
verrous ont été prévus : en premier lieu, l'article
39, dont vous avez fait état, garantit le caractère normatif des
accords conclus avant l'entrée en vigueur de la présente
loi ; en second lieu, l'accord majoritaire n'est pas de droit,
contrairement à ce que vous semblez dire et contrairement aux souhaits
de certains syndicats. Ce qui est de droit, c'est le droit d'opposition
majoritaire. La branche ne peut suivre le principe majoritaire que si elle
décide d'un accord de méthode.
Concernant le déroulement des négociations au niveau de
l'entreprise, j'ajouterai que le projet de loi prévoit certaines
dispositions pour favoriser l'égalité des forces entre
salariés et patronat. A ce sujet, j'ai l'impression que votre
organisation est prête à développer la pratique des
référendums, ce à quoi d'autres syndicats sont
opposés.
En fin de compte, votre position me semble motivée par le raisonnement
suivant : le problème fondamental, c'est le manque de
légitimité des accords ; pour le surmonter, il faudrait
faire cautionner les accords par les salariés ; or le projet de loi
ne spécifie aucunement les conditions dans lesquelles le vote des
salariés pourrait cautionner un accord. Ai-je bien compris ?
M. Michel COQUILLION
- Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Pour la
CFTC, la légitimité d'un accord réside d'abord dans sa
qualité, dans sa contribution au bien commun et à l'entreprise.
Mais pour d'autres, la légitimité d'un accord tient au soutien
dont il bénéficie parmi les salariés. Si c'est cette
conception de la légitimité que l'on entend défendre, il
faut alors chercher à consulter les salariés. Pour assurer la
légitimité perçue d'un texte, il ne sert à rien de
conclure des accords majoritaires - les salariés ne savent
même pas ce dont il s'agit -il faut demander aux personnels leur
avis. Mais ce n'est pas une revendication de la CFTC que de solliciter le vote
des salariés. Notre organisation s'en tient à ce qui a
été négocié dans l'accord de juillet 2001.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous dites toutefois que si
l'objectif est d'accroître la légitimité perçue des
accords, le texte n'y répond pas, puisqu'il ne précise aucune
méthode en la matière.
M. le PRÉSIDENT
- Evitons de demander à M. Coquillion ce
qu'il ne souhaite pas. J'ai cru comprendre en effet que la CFTC n'était
pas favorable à la pratique des référendums et qu'elle
préférait s'en tenir aux dispositions négociées en
2001.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Si le texte souffre de lacunes, il
faut bien que nous en débattions.
M. Michel COQUILLION
- Le texte stipule qu'une branche peut adopter le
principe de l'accord majoritaire, mais il ne précise pas en fonction de
quels critères on juge du caractère majoritaire d'un accord. Cela
est fort ennuyeux. Vous nous expliquez que les organisations syndicales auront
toujours à leur disposition le droit d'opposition. Cela est vrai, et
c'est pourquoi certaines organisations estiment que le texte n'acte pas le
passage à l'accord majoritaire. Mais il est tout aussi vrai que le texte
définit un principe nouveau, tout en appelant à son
développement. Nous sommes donc conduits à nous prononcer
également sur des questions de principe. Notre position en tient compte.
Certains prétendent que si la loi était votée, elle ne
changerait en rien à la situation. Ils estiment que la CFTC fera
opposition dans toutes les branches avec le soutien de la CGT et de FO et que
le patronat ne voudra pas non plus appliquer le texte. Si tel est le cas,
à quoi bon rédiger ce texte de loi ? Pourquoi vouloir
à tout prix faire passer un texte que les employeurs ne veulent pas, qui
ne sera pas appliqué et que seules deux organisations syndicales
souhaitent ? La CFTC s'oppose donc à ce projet de loi, qu'elle
trouve d'autant plus dangereux qu'il ne prévoit pas un minimum de
garanties pour assurer le caractère démocratique des accords
majoritaires, et demande à ce que la législation s'en tienne
à la Position commune.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous admettez que le texte
maintient le droit d'opposition majoritaire comme droit commun. Pour que la
branche suive une autre méthode, elle doit le prévoir par un
accord de principe. En cas de blocage, les partenaires sociaux peuvent donc
recourir au droit d'opposition.
M. Michel COQUILLION
- Le texte affirme une chose et conduit à
une autre. Cela est-il pertinent ? Est-il sain d'annoncer un changement de
méthode dans la validation des accords alors qu'en
réalité, les changements seront bien plus marginaux ?
J'admets qu'il s'agit d'une question plutôt politique que technique.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Les blocages que vous avez
évoqués devraient plutôt aboutir au maintien de la
règle de l'opposition majoritaire, ce qui correspond à ce que
vous souhaitez.
M. Michel COQUILLION
- Nous sommes d'accord.
M. le PRÉSIDENT
- Je donne à présent la parole aux
commissaires.
M. Roland MUZEAU
- La CFTC est foncièrement opposée
à ce projet de loi. Le Président de votre syndicat le qualifiait
même récemment de « folie douce », en
émettant les griefs dont vous nous avez fait part. Nous
considérons également qu'il s'agit d'une folie douce. La mise
à mort de l'ordre public social est un fait extrêmement grave. Les
négociations, par le biais des accords de branche et des accords
interprofessionnels, ont permis au fil des ans d'enrichir la loi et
d'améliorer les conditions dans lesquelles travaille l'ensemble des
actifs. La possibilité qu'offre aujourd'hui le projet de loi aux
entreprises de déroger aux accords de branche remet en cause ces acquis.
Il est bien évident que les dérogations iront dans un sens
défavorable aux salariés, puisqu'à l'heure actuelle, rien
n'interdit à une entreprise de conclure des accords plus favorables aux
salariés que ne le sont les accords de branche. Vous êtes
également opposé à ce projet de loi dans la mesure
où il n'encadre pas l'expression de l'avis majoritaire. Dans ce
contexte, que pensez-vous de l'affirmation de M. Fillon, selon laquelle le
Gouvernement se serait contenté de reprendre la Position commune ?
M. Louis SOUVET
- Vous déclarez que la signature d'un accord par
un syndicat qui ne représente rien constitue une remise en cause des
accords. Aujourd'hui, seulement cinq syndicats sont dits représentatifs,
selon une classification déterminée à la
Libération. La CFTC en fait partie. Or, dans certains secteurs et dans
certaines nouvelles entreprises, les syndicats dits représentatifs ne
représentent rien. Que penseriez-vous d'un élargissement de cette
représentativité, sous réserve que les syndicats maison se
rattachent à l'un ou à l'autre des syndicats dits
représentatifs ? La situation actuelle, selon moi, mérite
d'évoluer. De nouveaux syndicats se sont formés autour de
l'informatique et des NTIC et je ne suis pas sûr qu'ils veuillent se
rattacher à la CGT ou à la CFTC par exemple.
Vous semblez surpris qu'un accord signé par un syndicat puisse
être remis en cause par le personnel. C'est ce que vivent les élus
tous les jours. Nous sommes élus sur la base d'un programme,
détaillant nos intentions. Pourtant, dès que nous voulons avancer
dans la réalisation de ce programme, nous devons réunir la
population, organiser des réunions, tout expliquer à nouveau et
convaincre sans cesse. Je ne prétends pas que cela soit une bonne chose.
Je me contente de constater qu'il en est ainsi. Et il est évident que ce
phénomène ira s'élargissant, pour toucher notamment les
organisations syndicales. Cela est inévitable.
Enfin, vous critiquez la disposition selon laquelle il faudrait reprendre tous
les accords existants. Pour ma part, j'estime indispensable de revoir un code
du travail qui n'a pas été revu depuis trente ans et qui est
devenu totalement illisible en se transformant en un empilement de dispositions
successives. Pour pouvoir comprendre le code du travail aujourd'hui, il faut
être un juriste spécialisé en ce domaine. Est-ce
normal ? Ne faudrait-il pas simplifier ce code ?
M. Gilbert CHABROUX
- Votre position est très claire. Vous nous
avez livré un exposé net et précis sur les raisons de
votre opposition au projet de loi. Je n'ai donc aucune question à vous
poser à ce sujet. Mais j'aimerais vous interroger à propos de
l'article 39. Il reprend l'une des dispositions de la Position commune de 2001,
stipulant que la règle relative à la hiérarchie des normes
ne s'applique qu'aux accords conclus postérieurement à
l'entrée en vigueur de la loi. Il en résulterait que les
dérogations prévues par les accords de branche se trouveraient
validées. Vous dites que le MEDEF, qui voulait obtenir l'effet de
rétroactivité, fait les frais de l'article 39. En êtes-vous
certain ? Ne sera-t-il pas possible de contourner ces obligations ?
M. Michel COQUILLION
- Pour répondre à M. Muzeau et
à M. Chabroux, je précise que nous ne sommes pas opposés
à la totalité de la loi. Nous sommes seulement opposés
à certaines de ses dispositions. Je précise aussi que la loi ne
suit pas les mesures de l'accord négocié en 2001.
Lors des discussions, nous avons soulevé le problème de la faible
syndicalisation des petites entreprises. C'est l'un des principaux
problèmes auquel se trouve confronté le syndicalisme : alors
qu'il est bien implanté dans les grandes entreprises, il est très
peu présent dans les petites entreprises. Or les premières
tendent à se contracter tandis que les secondes deviennent de plus en
plus nombreuses. Il faut donc s'attacher à développer le champ du
dialogue social dans les petites entreprises.
L'accord conclu en 2001 stipule qu'il faut accorder aux élus le droit de
négocier. Que cette disposition soit reprise dans le projet de loi ne
nous gêne donc pas. Mais cette mesure ne suffira pas à
résoudre le problème. Aujourd'hui, de la même
manière qu'en 2001, la question de la syndicalisation dans les petites
entreprises n'est pas assez prise en considération. Il faudra bien un
jour étudier le sujet de manière approfondie, en veillant
à bien écouter les propositions des partenaires sociaux. La loi
ne doit pas fixer des dispositions qui n'ont pas été
discutées entre partenaires sociaux. Quand certains cherchent à
obtenir par la loi ce qu'ils n'ont pu obtenir par la négociation, ils
sclérosent le dialogue social. C'est un phénomène
très malsain, qui concerne autant les organisations syndicales que les
organisations patronales, et qui dure depuis beaucoup trop longtemps.
J'ajouterai à ce sujet que nous récusons totalement les
conclusions du rapport de Virville. Si nous voulons des organisations
syndicales fortes et représentatives, il ne faut pas chercher par tous
les moyens à se passer d'elles dans les négociations
menées au sein des petites entreprises.
Il y a une dernière raison pour laquelle nous pensons que l'accord
majoritaire ne sécurise pas réellement les négociations. A
l'occasion de plans sociaux, certaines entreprises n'hésitent pas
à présenter aux organisations syndicales des propositions
clés en main : elles leur demandent d'approuver sans réserve
le plan social proposé sous peine de fermer l'ensemble des sites de
France pour développer ceux d'autres pays. Il n'y a en ce cas aucune
égalité dans la négociation et un accord majoritaire ne
vaut rien. Si on admet par ailleurs que les accords d'entreprise peuvent
déroger aux accords de branche, les rapports de force deviennent encore
plus inégaux et les négociations encore plus dangereuses.
Concernant la rétroactivité, nous craignons avant tout que les
conventions collectives ne soient dénoncées. Il est vrai qu'un
certain nombre de branches ne souhaitent pas revenir sur ces conventions
- et c'est pourquoi nous estimons qu'un décalage réel existe
entre les souhaits du MEDEF et ceux des entreprises -, mais celles qui
voudront procéder ainsi n'auront aucune difficulté à le
faire. En second lieu, nous craignons qu'en révisant d'anciens accords
pour conclure de nouveaux textes, nous ne les rendions supplétifs alors
qu'ils étaient normatifs.
Quant à la représentativité des syndicats, elle
mérite à elle seule un débat. Ceux qui s'opposent à
la multiplication des organisations syndicales et ceux qui souhaitent voir leur
organisation reconnue doivent notamment discuter entre eux. Pour notre part,
nous sommes prêts à débattre des critères de la
représentativité et de leur éventuelle révision.
Mais ne touchons pas à la présomption irréfragable de
représentativité. Si les organisations syndicales ne
bénéficient plus du monopole de présentation au premier
tour, les structures non syndiquées, et parmi elles, des structures
d'origine patronale, se multiplieront. Cela sera notamment le cas dans les
petites entreprises, où l'employeur a un grand poids. Si nous
récusons la formule du centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD),
c'est justement pour cette raison. Couper le lien entre le syndicalisme
d'entreprise et le syndicalisme confédéré au niveau
national revient à affaiblir le syndicalisme
confédéré.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur le Secrétaire
général, je vous remercie. Pourriez-vous transmettre par
écrit les positions de votre syndicat à notre rapporteur ?
Pourriez-vous aussi répondre à des questions qui n'auront pas
été écrites ?
M. Michel COQUILLION
- Bien entendu.
Audition de M. Pierre-Jean ROZET
Membre de la Commission exécutive
confédérale,
chargé de la démocratie sociale de
la Conférence générale du travail (CGT)
(mercredi 21
janvier 2004)
M. le
PRÉSIDENT
- Monsieur, je vous remercie d'avoir répondu
à l'invitation de notre commission et de nous exposer votre point de vue
sur ce texte. Vous avez dix minutes pour présenter votre perception de
ce projet de loi, avant que le rapporteur et les commissaires ne vous
interrogent.
M. Pierre-Jean ROZET
- Merci, monsieur le président. Ce texte
comporte trois volets et nous avons des avis nuancés sur chacun d'entre
eux. Concernant le premier volet, qui porte sur les règles de
validité des accords collectifs, nous pensons qu'il aurait
été plus simple, plus transparent et plus démocratique
d'instituer un système fondé sur l'expression majoritaire des
salariés, et ce, quel que soit le niveau de la négociation. Il
est assez curieux, par exemple, que le ministre du travail propose pour la
validation des accords de branche que soit prise en compte l'expression de la
majorité des organisations syndicales et non l'expression de la
majorité des salariés. Si un tel système était
appliqué à la démocratie parlementaire, l'UMP n'aurait
jamais vu le jour. Ses militants auraient bien compris qu'il valait mieux avoir
plusieurs petits partis plutôt qu'un grand. Selon nous, cette disposition
représente donc une incitation à l'émiettement syndical.
Dans le contexte actuel, il serait pourtant préférable de
rechercher une plus forte cohésion du paysage syndical.
Concernant le deuxième volet du texte, qui porte sur la
hiérarchie des normes, nous émettons de sérieuses
réserves. Nous sommes très attachés au principe de faveur
et à celui de la hiérarchie des normes sociales. Qu'un accord ne
puisse qu'améliorer un accord signé à un niveau
supérieur nous semble une garantie essentielle, étant
donné les caractéristiques du monde du travail, la
mobilité des salariés et
l'hétérogénéité des petites entreprises. Si
cette disposition est votée, elle risque de faire disparaître la
branche en tant que niveau pertinent de négociation sociale au profit de
l'entreprise, qui deviendrait le pivot essentiel dans l'établissement
des normes sociales.
M. le PRÉSIDENT -
La branche doit préalablement autoriser
les entreprises à déroger à ses accords.
M. Pierre-Jean ROZET
- Il convient de faire une distinction entre les
dérogations autorisées par la branche et les dérogations
non interdites par la branche.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- La CGT, de par son importance, a
la possibilité de proposer d'interdire les dérogations.
M. Pierre-Jean ROZET
- Un accord doit être signé par deux
parties. Les organisations syndicales, seules, ne peuvent statuer sur cette
question.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- L'article 39 sécurise la
situation pour le passé.
M. Pierre-Jean ROZET
- C'est plutôt pour l'avenir que nous
éprouvons des craintes. Le droit social n'est pas un droit figé.
Il suit les évolutions du monde du travail, des technologies et des
ambitions citoyennes de la société. Si toutes les nouvelles
dispositions, en matière sociale, sont dorénavant
décidées au niveau des entreprises, il en résultera une
grande fragilisation de la situation des salariés, et notamment de ceux
qui travaillent dans les petites entreprises. Je ne me fais guère de
souci pour le personnel de la SNECMA, de Renault ou de la BNP par exemple. En
revanche, je suis inquiet pour les 55 % de salariés qui travaillent
dans des entreprises de moins de cinquante personnes, où les rapports
entre employeurs et salariés sont beaucoup plus
déséquilibrés, au profit des premiers. C'est sur ce point
que nous exprimons la plus vive opposition au projet de loi.
Par ailleurs, nous désapprouvons l'article 41. Cet article
prévoit qu'en l'absence de délégués syndicaux,
l'entreprise peut contracter avec les élus du personnel. Cela
représente une sorte de prime à l'absence syndicale. Pour
résoudre le problème posé par l'absence de
délégués syndicaux, il aurait mieux fallu selon nous
développer le système de mandatement. Or dans le texte
proposé, le mandatement n'intervient qu'en troisième
possibilité, en cas d'absence et de délégués
syndicaux et de représentants du personnel. Il a donc peu de chances
d'être mis en oeuvre.
Concernant l'article 42, qui précise les conditions de création
des commissions paritaires ainsi que leurs missions, nous souhaitons formuler
deux remarques. L'article L. 132-30 du code du travail était
déjà très précis à ce sujet. Il est vrai
qu'il l'était peut-être trop. Quasiment aucune commission
paritaire n'avait d'ailleurs été créée. Cependant,
nous regrettons que le projet de loi omette de mentionner deux dispositions qui
figuraient auparavant dans le code du travail. Alors que l'article
L. 132-30 ne concernait que les entreprises de moins de cinquante
salariés, l'article 42 ne fait référence à
aucun seuil. Il ne fait pas non plus mention d'une protection pour les
salariés participant à ces commissions. Il est pourtant
nécessaire de les protéger un minimum.
Quant à l'information des salariés, nous estimons qu'il aurait
fallu avancer des propositions plus ambitieuses. Remettre aux salariés
une note détaillant les normes applicables à leur statut n'est
qu'une petite avancée. Par ailleurs, stipuler que les employeurs et les
organisations syndicales ont la possibilité de négocier un
accès à l'Intranet et aux messageries n'a aucun
intérêt. Les entreprises qui n'y sont pas opposées l'ont
déjà fait. La loi devrait plutôt obliger chaque entreprise
d'une certaine taille à négocier avec les organisations
syndicales un accès à ces médias internes. Enfin, il
serait intéressant de préciser dans quelles conditions des
informations syndicales peuvent être diffusées sur le poste de
travail. Le code du travail n'inclut aucune disposition en cette matière
et nous devons souvent nous rendre devant les tribunaux pour défendre
face à certains employeurs le droit d'information des organisations
syndicales.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Je vous remercie d'avoir
répondu à nos questions et d'avoir ouvert dans votre
exposé des pistes de réflexion intéressantes. J'ai en
particulier noté vos remarques concernant les articles 41 et 42. En ce
qui concerne l'article 41, je crois comprendre que vous auriez
préféré adopter le mandatement syndical comme solution de
droit et le recours aux représentants du personnel comme solution
secondaire.
M. Pierre-Jean ROZET
- Nous estimons nécessaire de
réserver aux organisations syndicales le droit de contracter, que ce
soit directement ou indirectement. Offrir la possibilité de contracter
aux représentants du personnel modifierait les rapports sociaux dans
notre pays. Le mandatement assure des rapports plus équilibrés.
Nous n'étions pas initialement de chauds partisans de ce système,
mais nous avons constaté à l'occasion de la mise en oeuvre des
35 heures qu'il avait permis d'augmenter de façon sensible la
présence syndicale dans les entreprises et d'aboutir à la
conclusion d'accords intéressants.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
En ce qui concerne
l'article 42, je crois comprendre que vous êtes favorables à la
conclusion d'accords à caractère local ou régional,
s'étendant sur le périmètre d'un bassin d'emploi
déterminé, mais que vous regrettez la suppression de certaines
dispositions du code du travail. Avez-vous en ce domaine des propositions ?
M. Pierre-Jean ROZET
- Actuellement, les entreprises de moins de
cinquante salariés et notamment celles de moins de onze salariés,
souffrent d'une très faible implantation syndicale. Envisager pour ces
entreprises une représentation au niveau local, départemental ou
régional nous semble donc plutôt intéressant. Avec
l'ensemble des organisations syndicales, nous avons d'ailleurs
négocié un accord avec l'UPA pour développer ce type de
négociations. Cependant, la rédaction actuelle du projet de loi
souffre de deux défauts. D'une part, aucun seuil n'est
précisé, ce qui laisse la porte ouverte à des effets de
substitution. Des entreprises de plus de cinquante salariés, ayant la
possibilité de mettre en place un certain nombre d'instances, pourraient
se contenter des commissions paritaires locales, bien moins contraignantes.
D'autre part, aucune protection n'est prévue pour les salariés
élus à ces commissions, ce qui nous semble dangereux.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
En matière
d'information, vous souhaitez que le texte introduise une obligation de
négociation.
M. Pierre-Jean ROZET
- En stipulant que les entreprises peuvent
négocier un accord sur l'accès à l'Intranet, le texte de
loi n'apporte rien. Il aura en revanche une certaine portée s'il
édicte l'obligation de négocier en ce domaine.
M. Roland MUZEAU
- Depuis le début des auditions, vous demandez
aux organisations syndicales leurs sentiments au sujet de l'article 39. Pour
notre part, nous considérons qu'il s'agit d'un verrou très facile
à faire sauter. Rien n'interdit de dénoncer un accord de branche
ou un accord interprofessionnel. J'en veux pour exemple la convention des
banques, dénoncée en 1998. Or si un accord est
dénoncé, les négociations reprennent sur la base de la
nouvelle loi. Que pensez-vous donc du prétendu verrou que
représenterait l'article 39 ? Par ailleurs, que pensez-vous de
M. François Fillon lorsqu'il affirme devant l'Assemblée
nationale que la philosophie de son texte n'est pas seulement inspirée
par la Position commune mais qu'elle en est le reflet ?
M. Pierre-Jean ROZET
- Les interprétations divergent beaucoup au
sujet de l'article 39. Pour notre part, nous constatons qu'il suffira de
rouvrir une discussion, sous l'impulsion du législateur ou par voie
conventionnelle, pour que l'ensemble des normes ayant trait au thème
discuté entrent dans le cadre du nouveau système. Ceci ne peut
que nous inquiéter, compte tenu de l'attitude du MEDEF, qui souhaite
développer autant que possible les accords d'entreprise et vider de leur
contenu les accords de branche. Nous pouvons légitimement craindre
qu'après quelques années, l'article 39 n'ait plus trait
qu'à un corpus de textes réduit à sa portion congrue.
Concernant la Position commune, ce sont les signataires qu'il convient
d'interroger. Pour ma part, je constate simplement que les différentes
organisations syndicales, avant même de signer le texte, ne partageaient
pas la même lecture de la Position commune. Je constate aussi que le
projet de loi tranche un certain nombre de questions sur lesquelles la Position
commune était restée plutôt floue. La Position commune
indiquait par exemple au sujet des accords d'entreprise que deux types de
validation étaient possibles - l'accord majoritaire et le droit
d'opposition majoritaire - sans trancher entre les deux
possibilités. Pour rédiger le projet de loi, le ministre du
travail a logiquement estimé qu'il fallait prévoir les
procédures à suivre en cas d'absence d'accord au niveau de la
branche. Il a alors choisi de privilégier le droit d'opposition au droit
majoritaire, même si cela n'était pas précisé dans
la Position commune.
Si la CGT a refusé de signer ce texte, c'est aussi en raison de ses
ambiguïtés. Nous avons cherché à négocier avec
le MEDEF de sujets tels que le droit syndical, la carrière des militants
syndicaux et les conditions de négociation dans les entreprises, mais en
vain. Le MEDEF n'a pas voulu traiter avec nous de questions qui pourtant
relèvent du périmètre des partenaires sociaux. C'est
pourquoi les discussions ont abouti à un appel au Gouvernement et au
législateur. La « Position commune » n'en est
finalement pas vraiment une.
M. le PRÉSIDENT
- La Position commune est rédigée
de telle façon que les désaccords opposant sur certains points
les parties prenantes ont été précisés. Puisque la
possibilité vous était offerte de marquer les désaccords
que vous pouviez éprouver sur des points circonscrits, pourquoi ne vous
êtes-vous pas associés à l'ensemble de la Position
commune ?
M. Pierre-Jean ROZET
- Nous éprouvions également un
désaccord de méthode. Nous voulions que la discussion
débouche sur un accord normatif, où seraient
précisés les engagements des organisations syndicales et
patronales en faveur du développement du dialogue social et de la
négociation collective. Or la discussion a débouché sur un
texte qui ne répondait en rien à ce souhait et qui
représentait un coup politique plutôt qu'une véritable
réflexion sur le dialogue social.
M. le PRÉSIDENT
- Nous vous remercions. Si vous souhaitez
apporter des compléments écrits, n'hésitez pas à
les remettre à notre rapporteur.
Audition de M. Jacques
BARTHÉLÉMY
Avocat
(mercredi 21 janvier
2004)
M. le
PRÉSIDENT
- Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui
Maître Jacques Barthélémy. Nous sommes très
heureux que vous ayez accepté de venir présenter votre point de
vue devant notre Commission. Vous avez beaucoup écrit sur le
thème du dialogue social. Vous avez également enseigné, et
même négocié ; il est important pour nous de savoir
comment vous ressentez ce texte sur le dialogue social. Je vous propose,
pendant une dizaine de minutes, de nous donner votre opinion sur ce texte. Par
la suite, nous irons plus dans le détail, en nous appuyant sur les
questions que poseront le rapporteur et les commissaires. Maître, vous
avez la parole.
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- Monsieur le président, je
vous remercie. Pour que les choses soient claires, je tiens à vous dire
que j'ai organisé mon exposé liminaire de telle sorte que je
n'aborde pas les six questions que vous m'avez transmises : nous pourrons
ainsi avoir un débat aussi vivant que possible. Je voudrais tout d'abord
essayer de retenir l'idée que l'économie de projet de loi est
constituée peut-être de trois idées : plus de
responsabilité des acteurs sociaux en matière de politique
sociale, plus d'autonomie de l'accord en matière de hiérarchie
des sources, et plus de légitimité des négociations en
matière de qualité des acteurs. Dans cette perspective, l'on
touche évidemment à des concepts juridiques qui ne sont pas
simplement des concepts juridiques : ils sont au contraire chargés
d'une très grande affectivité, voire d'une grande
psycho-affectivité. Je pense, par exemple, au concept d'avantage acquis,
auquel l'on donne dans les faits une importance plus grande que ce que le droit
lui confère. Nous touchons là au concept de l'avantage le plus
favorable.
Cette notion d'avantage le plus favorable ne matérialise pas, à
tout le moins dans notre droit constitutionnel, un principe
général, à savoir le principe de faveur. Le Conseil
constitutionnel a d'ailleurs eu l'occasion de le préciser. Pour autant,
il n'en demeure pas moins que, par les effets conjugués du
législateur, et de la jurisprudence, nous sommes relativement proches du
principe de faveur. Dans la loi, quatre articles concernent cette
théorie de l'avantage le plus favorable.
L'article L. 132-4, qui définit les rapports entre le tissu
conventionnel et la loi.
L'article L. 132-13, présent dans ce projet de loi, qui définit
les rapports entre les accords de rang inférieur, par rapport aux
accords de rang supérieur.
L'article L. 132-23, qui est un cadre d'application pratique de ce principe,
puisqu'il concerne la relation entre l'accord d'entreprise et la convention de
branche.
L'article L. 135-2, qui définit les rapports entre le contrat de travail
et les accords collectifs. Le principe de la relativisation de la règle
de l'avantage le plus favorable n'est pas, d'un point de vue théorique,
très étranger à la relation entre l'accord collectif et le
contrat de travail. Par exemple, dans le droit allemand, les avantages de
l'accord collectif s'incorporent naturellement dans le contrat de travail. De
ce fait, la règle de l'avantage le plus favorable n'existe pas dans la
relation entre la convention collective et l'accord d'entreprise, lorsque cet
accord d'entreprise est négocié par le Comité
d'entreprise, ce qui est le cas pour les conditions de travail.
Nous ne pouvons donc pas appréhender l'intérêt, la
faisabilité de la relativisation de la règle de l'avantage le
plus favorable sans avoir préalablement appréhendé tout ce
panorama. En outre, la Cour de cassation a élargi le champ de la
règle de l'avantage le plus favorable à d'autres sources de
droit, et en particulier à l'usage et à la décision
unilatérale de l'employeur. Cela a été fait sans texte,
uniquement en se référant à la règle de l'avantage
le plus favorable. Dans ces conditions, il me semble nécessaire de
souligner que la règle de l'avantage le plus favorable n'est pas, en
soi, l'expression du progrès social. En effet, dans un certain contexte,
elle contribue à le réaliser, sans pour autant le faire de
manière absolue. Si équilibre des pouvoirs entre les contractants
il y a, si le niveau d'autorité des syndicats est suffisant, nous
n'avons pas besoin de cela, tout au moins dans les rapports existant entre
accords collectifs de rang différent.
Par ailleurs, nous ne pouvons pas dissocier ce qui se fait dans ce projet de
loi de ce qui a été réalisé en 1982, par
l'introduction de la technique de dérogation dans les relations entre la
loi et le contrat collectif ; nous sommes en effet face à des
logiques de même nature. Je dirais même que ce qui a
été proposé à l'époque va encore plus loin
que ce qui est proposé aujourd'hui, dans la mesure où, non
seulement l'on relativisait l'autorité d'une disposition légale
et réglementaire à l'égard des dispositions
conventionnelles, mais, en outre, cela se traduisait par la relativisation de
la règle de l'avantage le plus favorable, mais aussi par la remise en
cause de règles de droit qui sont, théoriquement,
impératives. En conséquence, nous ne pouvons pas dissocier cette
question de l'avantage le plus favorable de la technique de dérogation,
et de sa pratique depuis 20 ans. En effet, il n'est pas de
législateur, depuis 1982, et l'introduction de l'ordonnance des
39 heures, qui n'ait pas élargi le champ des techniques de
dérogation : nous pouvons ainsi penser à la loi Delebarre de
1986, la loi Seguin de 1987, la loi Soisson de 1990, la loi quinquennale sur la
durée du travail de 1993, les lois Aubry... Nous ne pouvons donc pas
dissocier les deux, il s'agit d'un phénomène d'expansion de la
contractualisation du droit du travail, dont nous retrouvons d'ailleurs in fine
une autre manifestation dans la loi de janvier 2003, relative à la
durée du travail. En effet, en matière de contingents d'heures
supplémentaires, désormais, la norme de droit commun n'est plus
la norme réglementaire, mais la norme conventionnelle : la norme
réglementaire n'intervient en effet que par défaut. Je crois que
nous devons rappeler ce panorama pour bien comprendre l'orientation qui est
suivie aujourd'hui, dans le cadre du projet de loi qui nous intéresse
aujourd'hui.
Cette remarque fondamentale faite, je voudrais rappeler que le droit du travail
a une fonction protectrice, que j'ai l'habitude de qualifier de
génétique : l'autonomie de cette discipline repose en effet
sur l'état de subordination du salarié, qui rend de ce fait son
consentement suspect. Il devient donc nécessaire de disposer d'un droit
protecteur. Ce droit protecteur s'assigne plus comme objectif de corriger les
effets de la subordination que de favoriser l'équilibre contractuel.
Tout le dispositif qui instaure des avantages minima tant dans la loi que dans
la convention collective va dans ce sens. En d'autres termes, l'on se satisfait
de la qualité de « mineur social » du
travailleur : l'on considère qu'il est incapable, du fait de son
état de subordination, de défendre lui-même ses
intérêts. Il faut donc que l'arsenal législatif,
conventionnel et réglementaire le fasse à sa place.
Dans cette perspective, quelles que soient les modifications que l'on est
susceptible d'apporter au code du travail, et quelles que soient les
justifications qui sont à l'origine de ces modifications, il me semble
que le volume des contraintes juridiques, dans un état de droit comme le
nôtre, ne peut régresser. Par contre, l'on peut parfaitement
s'attacher à la nature de ces contraintes, en partant de l'idée
qu'un droit social davantage contractuel est mieux à même de
concilier économique et juridique, en l'occurrence les aspirations
sociales et les objectifs économiques : en effet, le contrat, par
nature, peut plus facilement bâtir la loi des parties, et donc adapter
des normes à un contexte particulier. Mes derniers propos s'appliquent
autant à la technique de la dérogation, inventée depuis
20 ans, qu'à ce dispositif. Sous cet angle, il ne me semble pas que
nous puissions formuler des critiques de fond. Encore faut-il que nous soyons
certains que l'équilibre contractuel soit effectif, que les acteurs
sociaux adoptent un comportement de bonne foi, et que l'on garantisse
l'exécution loyale des conventions. C'est d'ailleurs peut-être sur
ce dernier point que des réflexions importantes doivent être
conduites, d'autant qu'elles n'ont pas leur traduction dans le projet de loi
actuel.
Sous cet angle, trois idées doivent être développées
en ce qui concerne la faisabilité du projet. En ce qui concerne
l'autonomie de l'accord d'entreprise par rapport à la convention de
branche, et plus généralement de l'accord de rang
inférieur par rapport à l'accord de rang supérieur, il ne
me paraît pas choquant que l'on relativise la règle de l'avantage
le plus favorable. Pour autant, il faut que la mise en oeuvre de cette
autonomie soit davantage encadrée, à la fois en ce qui concerne
les domaines qui doivent rester impératifs, et les conditions de mise en
oeuvre. Or nous sommes là au coeur du débat : les
signataires de l'accord de rang supérieur doivent-ils définir les
conditions de l'autonomie des signataires de l'accord de rang
inférieur ? Au contraire, la solution inverse doit-elle
prévaloir ? La solution inverse figure in fine dans le texte. Les
partenaires sociaux, dans le texte de juillet 2001, ont été plus
nuancés. Quoi qu'il en soit, c'est un problème d'une importance
certaine, mais, dans la pratique, nous pouvons relativiser celui-ci. En effet,
nous devons attacher une grande importance à la nécessité
de l'effectivité de l'équilibre contractuel. C'est la condition
de la conciliation entre l'autonomie de l'accord et le respect de la fonction
protectrice du droit social. Dans cette optique, l'autonomie de l'accord ne
peut être critiquée en soi.
En ce qui concerne la légitimité de l'accord, l'accord
majoritaire, en soi ne veut rien dire. Tant que l'objet de la
négociation n'était que de créer des avantages plus
favorables, l'on n'avait pas besoin que celui qui signe ait disposé
d'une représentativité effective plus importante. Ce que nous
pourrions appeler l'ordre public interne à la collectivité n'est
donc pas menacé. Dès l'instant où, que ce soit par la
technique de dérogation ou par l'organisation de la relativisation de la
règle de l'avantage le plus favorable, l'on donne plus d'autonomie
à la source de droit inférieure, il est clair que l'exigence de
représentativité ne suffit plus, il faut donc la compléter
par une exigence de légitimité. Jusqu'à présent, et
ceci depuis l'ordonnance des 39 heures, l'on s'est satisfait du droit
d'opposition, dans la mesure où il était le seul moyen de ne pas
remettre en cause le principe selon lequel tout syndicat, dès lors qu'il
est représentatif, peut signer valablement seul. Simplement, l'on
introduisait ce droit d'opposition. Aujourd'hui, sous l'impulsion de certains
partenaires sociaux, et également de la pratique de la technique
dérogatoire, l'on en vient à penser qu'il vaudrait mieux imaginer
une mesure positive d'appréciation de la légitimité des
signataires, d'où l'accord majoritaire. En effet, le principal reproche
que l'on peut faire à la technique d'opposition est de mesurer
négativement la légitimité de ceux qui signent, par la
signature de ceux qui ne signent pas. Sous cet angle, l'accord majoritaire est
indiscutablement un progrès. Pour autant, subsiste, dans un cas comme
dans l'autre, une faille. En effet, si l'on reste dans la mesure de l'audience
effective de chaque organisation syndicale par la référence aux
résultats des élections professionnelles, l'on effectue un
exercice insatisfaisant, dans la mesure où l'on mesure la
légitimité des signataires à partir d'une élection
qui a un tout autre objet. Ceci étant, l'idée de faire des
élections spécifiques génère une lourdeur, et un
coût. Je vous signale qu'en Espagne, c'est bien cette solution qui
existe, tout le monde s'en satisfait.
Personnellement, je trouve que, dans la mesure où l'on introduit une
plus grande autonomie de l'accord de rang inférieur par rapport à
l'accord de rang supérieur, cela se traduit inévitablement par
une consistance juridique donnée à la collectivité
concernée. Si nous autonomisons, cela signifie que l'on aboutit à
une remise en cause de certains avantages les plus favorables. Si les syndicats
signent, c'est bien parce qu'ils y trouvent, malgré tout, un avantage.
Cela signifie que l'on introduit forcément une approche de la solution
la plus favorable sur la globalité de l'accord, et plus simplement
avantage par avantage : ceci donne de la consistance à la
collectivité. Prenons les accords ARTT : ce sont des accords dans
lesquels l'on fait un tout indivisible de
quatre éléments :
- la réduction de la durée effective, pour parvenir à
35 heures ;
- l'optimisation des normes d'organisation des temps de travail,
grâce à la technique de dérogation, pour les adapter au
contexte particulier, ce qui, en soi, est facteur de gains de
productivité, et qui peut justifier le surcoût induit par la
baisse du temps de travail sans baisse des salaires ;
- la glaciation des rémunérations ;
- l'augmentation des effectifs, en pourcentages, qui ne profite à
personne, si ce n'est à la collectivité. L'on voit bien que l'on
échange un avantage collectif contre l'abandon d'avantages
individuels ; c'est bien pour cela que je dis que cela donne de la
consistance à la collectivité.
Cette consistance exige que la mesure de l'audience se fasse par rapport
à la totalité des personnes, donc par rapport aux inscrits, et
non par rapport aux votants. Si l'on choisit la solution des votants, c'est
dans un souci de facilité, il est en effet plus aisé de conclure.
Pour autant, ce n'est pas totalement satisfaisant d'un point de vue juridique.
L'accord majoritaire ne constitue pas une panacée universelle. En
Espagne et en Italie, l'on a créé des commissions paritaires,
dans lesquelles chaque organisation est représentée au prorata de
son audience réelle. Cette commission prend ses décisions
à la majorité. Dans l'entreprise, c'est bien le comité
d'entreprise, qui est élu à la majorité, qui a ce pouvoir.
En Espagne, la décision n'est effectivement prise que si 60 % des
personnes ont voté dans le sens souhaité. Nous voyons donc bien
que nous sommes dans une logique complètement différente.
En ce qui concerne la nature juridique des accords, il s'agit peut-être
d'une faille du dispositif. Pour autant, je ne pense pas que nous pouvons le
reprocher au ministre du travail, dans la mesure où sa doctrine a
été de se placer sous l'aile protectrice de l'accord du
16 juillet 2001. De ce fait, l'on ne s'attache pas à la nature
juridique des accords. L'introduction souhaitable, dans notre droit
français, par la loi du 13 novembre 1982, du double niveau de
négociation branche/entreprise aurait dû, quelques années
plus tard, se traduire par une réflexion sur la différenciation
de la nature juridique de l'accord d'entreprise et de la convention collective
de branche. Cette dernière en effet a une nature duale, de contrat et de
loi professionnelle, en raison de son caractère normatif dans la
branche. Il me semble que l'accord d'entreprise devrait avoir une nature
contractuelle plus pure, ce qui n'apparaît pas dans nos dispositions,
sauf en ce qui concerne la négociation annuelle obligatoire,
régie par les articles L. 132-27, L. 132-28 et L. 132-29 du code du
travail. Il est dit dans ces articles que l'on a l'obligation dans l'entreprise
de négocier les salaires effectifs, la durée effective et
l'organisation du temps de travail, alors que la convention de branche ne
s'occupe que des minima. Cette distinction n'est pas neutre : tant que
l'on ne s'occupe que des minima, la finalité poursuivie est purement
sociale ; dès l'instant où l'on s'intéresse aux
avantages effectifs, l'on s'intéresse aussi aux aspects
économiques. La négociation annuelle obligatoire porte sur les
salaires et les temps de travail, dans la mesure où ces deux points
représentent les moyens permettant de réaliser un objectif
économique.
Nous voyons bien que cette distinction devrait apparaître, d'autant plus
que le niveau amont, à savoir l'accord interprofessionnel, mérite
une réflexion. Que l'on décide de soumettre, désormais,
toutes les lois qui concernent les rapports de travail aux partenaires sociaux
avant même que le législateur n'intervienne, j'y suis
personnellement favorable, d'autant que le droit communautaire nous y incite
fortement depuis le Traité de Maastricht. Cela dit, il faut alors
distinguer, entre les accords professionnels, plusieurs types d'accords.
L'accord professionnel « pré-législateur »
débouche sur un texte qui aura valeur législative et sera, au
minimum, annexé par la loi. Nous disposons d'ailleurs d'un exemple dans
notre droit français, il s'agit de l'accord sur la mensualisation du
10 décembre 1977 : cela n'a rien à voir avec le
texte qui sera destiné à décliner par la suite un tissu
législatif pour en faire les modalités d'application, se
substituant ainsi aux textes réglementaires. La nature de l'accord n'est
pas la même ; cela est encore pire si l'accord demeure une sorte de
« super convention collective de branche ». Les acteurs de
ces trois types d'accords ne peuvent pas être les mêmes, et
l'intervention de l'État ne doit pas être la même. En effet,
dans le premier cas, il faut que toutes les interprofessionnalités
soient présentes, dans la mesure où, dans le cas contraire, l'on
ne voit par ailleurs très bien comment un texte qui a, à
l'origine, des négociateurs ne concernant qu'une partie des employeurs
et des salariés, pourrait devenir, par la suite, la loi.
Dans ce cas, si l'on procède comme le fait le droit communautaire, le
texte change de qualification, le contrat devient loi, comme cela est
d'ailleurs le cas pour l'accord de 1977 relatif à la mensualisation.
Dans le second cas, un tel constat est beaucoup moins net : l'on pourrait
imaginer d'abandonner la technique dite d'extension et d'élargissement
au profit de la technique d'agrément, c'est-à-dire celle qui est
en vigueur dans le cadre des accords chômage. Pourquoi, dans ces
derniers, avons-nous adopté la technique d'agrément ? Tout
simplement parce que le champ de l'accord doit être le même que
celui de la loi ; or la technique d'extension ne permet pas cela, et la
technique d'élargissement ne le permet pas plus. En effet, l'article L.
133.12 du code du travail ne permet que d'élargir le champ à une
ou plusieurs professions, mais pas à toutes : il faut en effet
préserver la nature contractuelle de l'accord. En conséquence,
l'on voit bien que des outils juridiques sont inadaptés à ce type
d'objectifs.
La troisième catégorie, évidemment, demeure dans le droit
commun. Il peut y avoir une interprofessionnalité industrie/commerce,
MEDEF/CGPME, et une interpofessionnalité pour les professions
libérales. La seconde catégorie est importante également.
Les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC, dont le champ est
identique à celui de la loi, demeurent soumis à la technique de
l'élargissement alors qu'ils devraient plutôt être soumis
à la technique de l'agrément. Il y a donc toute une
réforme à conduire, à propos de l'architecture des sources
de droit en ce qui concerne leur nature.
Un dernier point concerne les manques existant dans le dispositif. Un certain
nombre de questions méritaient un certain affinage, elles l'ont
été plus ou moins au travers d'amendements. Par contre, il y a un
certain nombre de faiblesses dans le texte, susceptibles d'avoir des
conséquences futures dans les contentieux. Je vous en donnerai
quelques-unes au hasard, sans entrer dans les détails.
Lorsque l'on dit que le contentieux électoral, relatif à la
mesure de l'audience effective des organisations, sera soumis au tribunal de
grande instance (TGI), l'on n'a pas besoin de le dire, dans la mesure où
ce dernier est le juge de droit commun. Par contre, en matière de
contentieux électoral, le tribunal d'instance est compétent, dans
la mesure où il est plus rapide et mieux adapté. Je ne vois donc
pas très bien l'intérêt de confier une telle tâche au
TGI.
En outre, la mesure de la légitimité ne touche pas à la
notion de représentativité. Il ne faut pas entrer dans une telle
logique, étant donné que ces deux problèmes sont
complètement différents. Or la rédaction des textes,
à tout le moins celle relative à l'article L. 132-23, n'est
pas suffisamment claire à cet égard. Il faudrait donc faire
preuve de davantage de précisions, et bien distinguer la notion de
représentativité qui n'est pas touchée. Il faut que les
choses soient claires, la mesure de l'audience effective d'une organisation n'a
rien à voir avec la mesure de sa représentativité. La
condition de légitimité est complémentaire de celle de
représentativité.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Préféreriez-vous que
l'on substitue la notion d'audience à celle de
représentativité ?
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- En effet. Il me semble qu'une
rédaction plus fine devrait être apportée.
Je souhaite mettre l'accent sur un dernier point, celui de la révision
des accords. Notre régime juridique de la révision est né
d'une jurisprudence célèbre, ayant donné lieu à un
rapport de Maître Bélier : ceci a été
intégré dans la loi du 31 décembre 1992. Il est
évident que les principes civilistes fondamentaux qui régissent
tout contrat font qu'il est impensable qu'une personne n'ayant pas signé
l'acte initial signe l'acte de révision ; il n'en demeure pas moins
que, tel que le texte est rédigé, l'on a l'impression que ceux
qui n'ont pas signé le texte initial participent aux négociations
sans pouvoir signer. Or la fonction même de négociation implique
le droit de signer. En conséquence, cette disposition n'est pas
totalement satisfaisante.
M. le PRÉSIDENT
- Maître, je vous remercie pour cet
exposé très important. La parole est au rapporteur.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
Je souhaite revenir sur
certaines des questions que j'ai transmises à M
e
Barthélémy. L'utilité de ces questions repose sur ce que
nous avons entendu au cours des précédentes auditions : que
pensez-vous de la nécessité de construire un droit du dialogue
social ? Certaines remarques faites, à propos notamment de
l'article 39, semblent impliquer nécessairement une organisation du
droit de négocier. Pourriez-vous approfondir cette question ?
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- J'avais laissé
volontairement de côté cette question, dans la mesure où
elle demeure, à mes yeux, un point essentiel. En préambule, je
vous ai dit que la relativisation de la règle de l'avantage le plus
favorable ne doit pas être diabolisée. Il existe des ensembles
juridiques cohérents et protecteurs, autres que ceux qui existent en
France, qui ne connaissent pas la règle de l'avantage le plus favorable.
Pour autant, les salariés ne sont pas perdants. Il faut donc placer le
problème sur un autre terrain. De toute façon, si cela
était le cas, l'on n'aurait pas inventé la technique de
dérogation en 1982, qui a eu des effets infiniment plus importants en
matière de relativisation de la hiérarchie des sources que ce qui
est proposé là.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
Vous parlez des textes
Auroux, n'est-ce pas ?
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- En effet, je parle de l'ordonnance
des 39 heures. Cela dit, nous avons rencontré par la suite une
amplification du volume et de l'étendue des techniques de
dérogation texte après texte, que les gouvernements soient de
gauche ou de droite. L'on peut me dire que cela ne concerne que le droit de la
durée du travail, ce qui est vrai. Potentiellement, cela peut concerner
autre chose et, du reste, cela touche les salaires. Le fond du problème
est ailleurs : je rappelle que les textes Auroux faisaient le pari de
rendre les salariés acteurs du changement ; au-delà de ce
point, il s'agissait également de la philosophie de
M. Chaban-Delmas, relative à la « nouvelle
société » : le but était de donner une plus
grande dignité aux salariés, en leur donnant la
possibilité de contracter. Dans cette perspective, je soutiens que la
relativisation de la règle de l'avantage le plus favorable n'est pas
critiquable, à condition que l'on soit certain de l'équilibre
contractuel, du comportement de bonne foi des acteurs sociaux et de
l'exécution loyale de la convention. Or il n'est pas, à mon sens,
souhaitable que le législateur entre dans les détails, comme nous
l'avons fait pour les règles de fonctionnement du comité
d'entreprise, dans un univers différent. Par contre, il faut que
l'accord de méthode s'intéressant aux règles de conduite
de la négociation soit obligatoire, encore plus dans l'entreprise que
dans la branche. Par ailleurs, il faut que le non-respect des règles de
cet accord de méthode soit sanctionné. En clair, il faut que ces
règles soient qualifiées de substantielles par le
législateur.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur
- Estimez-vous que ce point
est manquant dans le texte ?
M. Jacques
BARTHÉLÉMY
- En effet. Je dirais
même que c'est ce qui manque le plus dans le projet de loi. Si vous avez
lu l'article que j'ai rédigé sur le pré-projet, vous avez
dû remarquer que je considère ces deux points comme étant
indissociables. J'ai beaucoup écrit, depuis plusieurs années, sur
l'exigence de l'accord de méthode, pour estimer qu'il existe une faille
majeure dans le dispositif.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
Vous considérez donc
qu'il ne faut pas entrer dans les détails de ces accords de
méthode ; vous estimez en revanche utile que nous prévoyions
une obligation d'accord de méthode, et un caractère substantiel
donné aux règles.
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- C'est cela. Soyons clairs, cela
existe déjà dans le code du travail : l'article
L. 132-22 prévoit expressément que la négociation sur
le fond ne peut être engagée que si sont définies la
durée et la périodicité des réunions, les
informations à remettre aux syndicats préalablement à la
négociation pour que ceux-ci puissent négocier en toute
connaissance de cause. C'est bien de cela dont nous parlons. Malheureusement,
cela n'est pas suffisamment étoffé, cela mériterait de
l'être davantage. Surtout, il faut donner un caractère substantiel
à ces règles relatives à l'accord de méthode.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
Il faut donc se
référer à cet article pour exiger, dans ce texte, un
accord de méthode.
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- Deux manières peuvent
permettre d'introduire cette exigence. Tout d'abord, s'il n'existe rien dans
l'entreprise, il est impossible d'entamer des négociations sur le fond
tant que cet accord de méthode n'est pas mis en place, sauf si le
non-engagement de la négociation est sanctionné
pénalement, ce qui est le cas pour les négociations annuelles
obligatoires : dans une telle situation, la loi du 13 novembre 1982 a
pris la précaution, très utile à mon avis, de dire que
c'est l'employeur qui prend unilatéralement les décisions
relatives à ces règles de conduite de la négociation, mais
après avoir constaté l'échec d'une possibilité de
concrétisation par accord. La conjugaison des articles L. 132-22 et L.
132-28 du code du travail me permet d'être très affirmatif sur ce
point.
Par contre, l'on peut imaginer que la convention collective de branche
définisse les règles pour toute la profession. Dans une telle
hypothèse, l'accord d'entreprise n'a pas besoin de les mettre en place.
Pour ma part, il me semble que l'articulation entre les articles L. 132-23
et L. 132-13 mérite d'être affinée.
M. Jean
CHÉRIOUX, rapporteur -
Ce point est apparu au
cours des auditions : l'on a attiré notre attention sur ce
problème essentiel.
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- Depuis quelques années, un
débat se tient sur la capacité, en l'état, au sein de
notre droit, d'une convention collective d'organiser elle-même sa
supplétivité. Il existait deux théories : celle de
l'équipe de Nanterre, qui considérait que les dispositions des
articles L. 132-13 et L. 132-23 sont d'ordre public : toutes
clauses de la convention collective de branche disant que, sur ce point
précis, l'accord d'entreprise doit déroger, seraient des clauses
nulles. La Cour d'appel de Paris a suivi cette théorie. Pour ma part, je
pense que cela est excessif d'un point de vue juridique ; de
surcroît, cela conduit à une solution pire que celle que nous
élaborions en reconnaissant le principe de validité. En effet, si
nous mettons en place un avantage, en considérant qu'il est possible d'y
déroger par accord d'entreprise, les deux font alors un tout
indivisible. Cela veut dire que, là où la négociation
d'entreprise ne peut pas prospérer, l'on débouche sur un vide, ce
qui ne constitue pas une solution intéressante. La solution
intéressante serait la suivante : dans la convention de branche,
l'on met en place un ensemble de règles. Là où la
négociation ne peut pas prospérer, elle s'applique, mais il
existe une certaine autonomie là où la négociation
collective d'entreprise peut prospérer. Pour que l'on soit certain
qu'elle puisse valablement prospérer, sans que cela soit au
détriment de la fonction protectrice du droit du travail, nous exigeons
l'accord de méthode qui fixe des règles en matière de
conduite des négociations.
Pour avoir été négociateur, et compte tenu de l'approche
organisationnelle du droit que je préconise, je peux affirmer avec
certitude que, dans les branches moyennes, qui sont importantes en nombre, ce
sont les directeurs des ressources humaines des trois ou quatre plus grandes
entreprises qui négocient, ils veulent baliser le dispositif. Or il
apparaît que ces personnes paupérisent la convention de branche,
pour se donner de l'espace de négociation pour leur propre entreprise.
Si cela n'est pas gênant pour ces entreprises, puisque le double niveau
de négociation permet de rétablir l'objectif de progrès
social par l'accord d'entreprise, cela n'est plus le cas pour les petites
entreprises, où il n'y a rien d'autre. C'est pour cela que je
considère que la clause de supplétivité était une
clause intelligente : un dispositif est mis en place, mais il laisse la
possibilité, là où la négociation d'entreprise peut
prospérer, dans une certaine limite définie, d'y déroger.
C'est d'ailleurs ce qu'a fait la loi Aubry II, avec les accords d'application
directe pour les entreprises de moins de 50 salariés : l'on
mettait en place un accord ARTT qui rendait nécessaire une
négociation dans l'entreprise pour devenir effectif, mais l'on
prévoyait un dispositif qui permettait, dans les petites entreprises,
une application directe.
Ce n'est pas la relativisation de la règle de l'avantage le plus
favorable qui est critiquable, au contraire. Ce qui est critiquable est bien la
manière dont on le conçoit. Il me semble que nous devons nous
intéresser aux règles de procédure de la
négociation. Ensuite se pose une question simple : est-ce la
convention collective de branche qui doit autoriser la dérogation, et
jusqu'où ? Au contraire, y a-t-il une liberté totale, sauf
interdiction par la convention de branche ? Cela est important, dans la
mesure où l'on organise une liberté sous condition. C'est
également important, dans la mesure où la Position commune du
16 juillet 2001 avait prévu les deux hypothèses, selon les
thèmes. Le premier avant-projet de M. Fillon prévoyait
également ces deux hypothèses, mais l'on cherchait en vain les
raisons décidant que tel ou tel sujet relevait d'un domaine. Ceci
étant, la source principale n'est pas la Position commune du
16 juillet 2001, mais l'accord du 31 octobre 1995. En effet,
celui-ci constituait un véritable accord collectif, qui a eu, par
ailleurs, des effets. Elle a inspiré la loi Robien, dont on retrouve
aujourd'hui les vertus et qui a, en outre, trouvé des implications
concrètes. Vous avez évoqué dans une de vos questions le
problème du substitut à l'intervention des syndicats : cette
question est contenue dans l'accord du 31 octobre 1995. En tant que conseil de
la profession d'expert-comptable, j'ai mis à l'époque en place un
accord de branche qui permettait d'utiliser cette technique du transfert sur le
comité d'entreprise, avec agrément, par la Commission paritaire.
Près de cent accords ont pu être conclus par ce biais au niveau
des experts comptables, ceci avec une réelle efficacité.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Muzeau.
M. Roland MUZEAU
- Maître, vous appuyez votre raisonnement sur un
préalable, qui n'est pas inintéressant en soi, à savoir la
bonne foi des partenaires. Par contre, ce préalable, que nous pouvons
entendre, se heurte à un autre préalable, celui de la
réalité économique et sociale de notre pays. En effet,
80 % des salariés travaillent dans des PME. Ma préoccupation
principale va vers cette partie du monde du travail, qui est
éclaté dans le pays entre des centaines d'entreprises, celles-ci
comprenant entre cinq et cinquante salariés ; chacun sait bien
que la représentation syndicale est la plus délicate, voire est
totalement inexistante. Lorsque l'on rapproche de la réalité vos
propos sur la bonne foi des partenaires, votre préalable ne tient
plus : l'on ne peut pas faire abstraction du paysage que j'ai
décrit en quelques mots, dans la mesure où c'est bien celui-ci
qui s'impose. Ce n'est pas une vue idyllique de ce paysage qui nous
intéresse, mais bien la vue que nous en avons aujourd'hui. Il m'importe
donc de vous interroger, sans qualifier qui que ce soit de mauvaise foi, sur le
risque réel porté par ce texte, d'aller vers une dérive
évidente : à partir du moment où l'ordre public
social est mis à bas, la bonne foi ne suffira pas à construire un
statut de salarié, avec des avantages. A plusieurs reprises, vous avez
cité la réalité économique, c'est-à-dire
l'adaptation : vous avez dit que le législateur et les partenaires
sociaux avaient pris acte que l'environnement économique avait
changé et que quelques dérogations étaient donc
nécessaires pour aller au-delà, dans un sens positif sur un
certain nombre de questions et en « lâchant » sur
d'autres aspects. Je pense notamment aux 35 heures, qui ont introduit la
flexibilité.
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- Ce sont les 39 heures qui ont
introduit la flexibilité, et non les 35 heures. En effet, c'est
bien l'ordonnance des 39 heures qui a inventé la technique de
dérogation.
M. Roland MUZEAU
- J'ai vécu en entreprise pendant
20 ans : je peux vous dire que les 39 heures ne nous ont pas
fait de mal. Les 39 heures ont engagé un processus, et les 35 heures ont
généralisé totalement la flexibilité. Nous avons
cette situation aujourd'hui, qui me préoccupe beaucoup au travers de ce
texte. Je ne pense pas qu'il soit de nature à nous faire aller de
l'avant.
M. le PRÉSIDENT
- La parole est à M. Chabroux.
M.Gilbert CHABROUX
- Je voudrais être très concret, et
m'arrêter sur l'article 39 : quelle est votre lecture cet
article ? L'on nous a donné quelques garanties, l'on a vu ce qu'a
dit le Ministre. Cela dit, je viens de lire les déclarations du
Président du MEDEF, lors de l'Assemblée générale de
son mouvement, à Lille. J'ai lu également l'interview qu'il a
donnée au journal Les Echos. Il dit bien que tout sera
renégocié : il parle du temps de travail, des
rémunérations... Il ne semble y avoir aucune limite. Il dit
également qu'il s'agit de la feuille de route qui a été
négociée par le Président de la République. Je ne
veux pas m'étendre sur les 35 heures : si l'on revient sur les
heures supplémentaires par exemple, l'on revient également sur
les 35 heures. Si l'on supprime le 13ème mois, l'on revient sur les
rémunérations. Quelles vont être les conséquences
concrètes de cet article 39 ?
M. Jacques BARTHÉLÉMY
- Le problème que vous
évoquez est évidemment important. Pour autant, aujourd'hui, nous
sommes dans une logique qui a été initiée par
l'introduction dans notre droit français de la technique de
dérogation par l'ordonnance des 39 heures. Ce
phénomène n'a cessé de s'amplifier. Chaque fois que l'on
substitue des normes banalisées à des normes de contexte, l'on
crée des conditions pour une plus grande compatibilité entre
économique et social. Or c'est bien dans cette logique que se situe ce
texte, comme la loi sur le contingent, votée l'année
dernière : aujourd'hui, la majoration de 25 % n'est plus
légale, puisqu'il appartient à la convention collective de fixer
le taux des heures supplémentaires ; celle-ci peut la fixer
à 10 %, si elle le veut. Nous sommes donc dans une logique bien
différente, qui vise à construire un droit du travail plus
contractuel, et moins réglementaire. Il faut bien reconnaître, en
tant que praticien, que le droit du travail, en s'intéressant trop aux
questions de détail, est devenu d'une grande complexité, cela est
particulièrement vrai dans le domaine du droit du temps de
travail : au final, plus personne ne comprend rien, ce qui engendre une
certaine inefficacité de la loi. Cela est dommage. Ceci étant, le
problème que vous évoquez est important ; c'est bien pour
cela que je crois que nous devons baliser la possibilité d'accords dans
des petites entreprises, en laissant l'autorité de la convention de
branche chaque fois qu'elle est susceptible d'être effective. Plusieurs
moyens existent, et le débat sur le fait de savoir si c'est la
convention de branche qui doit autoriser la dérogation, ou si, au
contraire, c'est le droit commun qui doit autoriser la dérogation, n'est
pas neutre par rapport au problème que nous évoquons.
Le second problème que vous avez évoqué est celui de la
capacité de négocier dans les entreprises : ce
problème a bien été mentionné dans le cadre des
lois Aubry, puisque l'on voulait absolument développer les accords
35 heures, qui permettaient justement d'adapter des normes à un
contexte particulier. Cela permettait plus aisément de faire supporter
le passage de 39 heures à 35 heures, sans perte de salaires.
Nous sommes dans la même logique, c'est pourquoi l'on fait ressurgir ce
que l'accord d'octobre 1995 avait créé, à savoir le
possible transfert du pouvoir de négociation dans les petites
entreprises sur le Comité d'entreprise et, à défaut sur
les délégués du personnel ou en dernier ressort sur un
mandataire
ad hoc
. Le but de cette opération est aussi de
favoriser la syndicalisation. La principale critique que nous sommes
susceptibles de faire sur cet ensemble est simple : effectivement,
avons-nous un poids des syndicats suffisant pour nous permettre, aujourd'hui,
de relativiser la règle de l'avantage le plus favorable ? L'on peut
y répondre de deux manières, ce qui revient à la question
de la poule et de l'oeuf. En effet, en Allemagne, le taux de syndicalisation
est plus élevé parce que la convention collective,
théoriquement, est au seul bénéfice des salariés
syndiqués. Nous voyons là qu'il existe une question
intéressante à soulever.
En ce qui concerne l'article 39, il est clair que l'objectif du Gouvernement
est d'éviter que la convention collective conclue antérieurement
à la loi puisse se voir imposée des règles nouvelles. Tel
est bien le fond du débat. En d'autres termes, il faudra pouvoir
renégocier les accords pour atteindre une certaine effectivité.
Il existe une sécurité par la pratique de la négociation
collective : l'introduction de la règle de l'accord majoritaire, ou
du droit d'opposition fondé sur l'audience effective de chaque syndicat
ne sera pas de droit : elle viendra d'un accord qui l'organisera, cet
accord demeurant soumis aux règles actuelles. Chaque syndicat, dans une
telle optique, a le même poids. C'est donc la règle de la
majorité qui interviendra, mais appréciée sur le nombre
des syndicats, et non pas sur le poids effectif de chacun d'eux. C'est bien
cette solution qui existe actuellement pour la révision des accords. En
conséquence, pour introduire la possibilité de relativiser la
règle de l'avantage le plus favorable, il faudra un avenant. Pour que
cet avenant soit signé, aujourd'hui, il faut que trois des cinq
syndicats soient signataires. C'est une des raisons pour laquelle je pense que
l'accord majoritaire ne sera pas fréquent. Je ne vois pas en effet la
CFE-CGC, la CFTC ou FO se saborder au nom de la mise en place de l'accord
majoritaire. Je pense pour ma part que ce dernier est un plus, même si je
crois beaucoup plus à la pratique espagnole, qui institue une commission
paritaire dans laquelle chaque organisation syndicale est
représentée au prorata de son audience, et qui prend ses
décisions à la majorité, tant au niveau des
salariés que des employeurs. Dans l'entreprise, le problème de la
négociation avec le Comité d'entreprise se pose dès lors.
Si nous adoptons cette logique, il faut aller jusqu'au bout du raisonnement, il
faut réformer le droit des comités d'entreprise : il est en
effet anormal que le Président soit membre du CE ; il faut
également revoir les règles d'élection, pour que les
personnes soient élues au premier tour, en faisant tomber la
représentativité de droit.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie infiniment pour le temps que
vous nous avez consacré.
Audition de M. Georges
TISSIÉ
Directeur
des Affaires sociales
Confédération
générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
(mercredi
21 janvier 2004)
M. le PRÉSIDENT
- Je dois tout d'abord excuser M.
Veysset, qui ne peut pas être parmi nous aujourd'hui : il est retenu
pour une négociation consacrée au traitement social des
restructurations.
Je ne doute pas, pour autant, que vous nous apporterez tous les
éclaircissements dont nous avons besoin. Monsieur Tissié, vous
êtes directeur des Affaires sociales de la CGPME. Je vous propose,
pendant une dizaine de minutes, de nous donner votre point de vue sur ce
texte ; vous pouvez évidemment vous appuyer sur les questions qui
vous ont été transmises.
M. Georges TISSIÉ -
Vous m'avez demandé quelle
était mon analyse sur l'état actuel de la négociation
collective et du dialogue social dans notre pays. Nous avons la même
position depuis de nombreuses années. Nous considérons que le
dialogue social, au niveau des branches, mais aussi au niveau national
interprofessionnel, demeure toujours très important en France. Nous
pourrions nous remémorer tous les accords nationaux interprofessionnels
qui ont été signés au cours des 30 dernières
années. Sans remonter à 1969, par exemple, nous savons tous que
deux accords importants ont été signés au niveau national
interprofessionnel sur la formation professionnelle ; un accord a
également été signé sur la retraite
complémentaire. Peu avant, un accord avait été
signé à propos de l'assurance chômage.
Il ne faut surtout pas minimiser la réalité du dialogue social au
niveau des branches, au niveau interprofessionnel et également, dans une
moindre mesure, au niveau des entreprises elles-mêmes. Même dans
les branches et les entreprises, nous voyons bien, chaque année, lors de
la réunion
ad hoc
de la commission nationale de la
négociation collective, qu'il y a de très nombreux accords sur
des sujets variés, qui peuvent d'ailleurs, selon les années,
être différents. Il y a une dominante une année, et une
autre dominante l'année suivante. Le dialogue social demeure donc
très important. Lorsque nous regardons ce qu'il se passe dans les autres
pays occidentaux, qu'ils soient européens ou non, nous remarquons de
toute évidence que nous n'avons pas à rougir des actions que nous
conduisons en France lorsque nous nous intéressons au total des trois
niveaux.
Nous sommes signataires de la Position commune du 16 juillet 2001, comme la
quasi-totalité des partenaires sociaux, puisqu'il y avait les trois
organisations patronales représentatives au plan national
interprofessionnel, et quatre confédérations nationales de
salariés sur cinq. Si nous sommes signataires, c'est que, nous avons,
globalement, approuvé ce texte. Nous considérons que le texte en
débat, tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée, nous
satisfait. Je pense notamment à la rédaction de l'article 34,
telle qu'elle actuellement. Je pense également à l'article 41,
auquel nous tenions beaucoup.
En ce qui concerne votre troisième question, nous considérons que
l'article 41, tel qu'il est rédigé, devrait permettre d'accentuer
le dialogue social dans les PME ; il devrait surtout permettre de donner
un débouché juridique au dialogue social. En effet, il existe un
dialogue social informel dans toutes les PME, y compris dans celles comprenant
moins de cinquante salariés. Il faut bien avoir à l'esprit
que ce dialogue est informel, il existe depuis de très nombreuses
années. Force est de constater en outre qu'il s'est
considérablement amélioré, en particulier au cours des
dernières périodes. Cet article 41 devrait permettre, comme nous
n'avons cessé de le demander depuis de nombreuses années, de
donner un débouché juridiquement reconnu à ce dialogue
social. Sous certaines conditions, il sera possible de négocier des
accords juridiquement reconnus entre la Direction de l'entreprise et les
représentants élus du personnel : ce n'est d'ailleurs qu'une
solution, puisqu'une seconde solution est proposée. J'insiste
néanmoins sur cette première solution. Nous sommes donc
favorables à cet article 41. Pour autant, nous devons raison garder.
Nous pensons néanmoins qu'il s'agit d'une mesure positive qui devrait
déboucher sur un certain nombre d'accords dans les PME. En tout
état de cause, il sera susceptible d'enclencher un mécanisme que
nous jugeons positif.
En ce qui concerne votre quatrième question, nous estimons qu'une petite
critique devrait être formulée à propos de l'article 42, en
tous les cas dans sa mouture actuelle. Nous ne sommes pas hostiles à
l'idée de commissions paritaires territoriales, qui peuvent être
des lieux de concertation. Pour autant, nous sommes dubitatifs, et ceci pour
diverses raisons, à propos du rôle que l'on voudrait faire jouer
aux commissions paritaires. Ainsi, il est dit, dans le premier alinéa,
qu'elles «
concourent à l'élaboration et à
l'application de conventions et accords collectifs de travail, négocient
et concluent des accords d'intérêt local notamment en
matière d'emploi et de formation continue
». L'on peut
imaginer qu'une ouverture soit faite sur ce point, notamment par rapport
à ce qui existe dans le code du travail actuellement. Pour autant, nous
ne sommes pas des « fanatiques » des accords
interprofessionnels locaux, même s'ils peuvent avoir, dans certains cas,
un réel intérêt. Malheureusement, trop souvent, les accords
ne tiennent pas compte de l'environnement des accords d'entreprise, ou
même de réalités concrètes. Nous craignons
également que, dans certains cas, les négociateurs de ces accords
ne soient pas totalement représentatifs, y compris du côté
patronal. En effet, sur le plan interprofessionnel local, il peut arriver que
nous ayons des difficultés à trouver des négociateurs
compétents. Vous le voyez, mon jugement n'est pas totalement
négatif, mais il est pour partie critique, y compris pour des raisons
pratiques.
En ce qui concerne votre cinquième question, je dois vous dire que nous
aimons la négociation nationale interprofessionnelle : nous
considérons en effet qu'elle correspond à une tradition
française, en matière de protection sociale par exemple, ou
encore en matière de formation professionnelle. Nous sommes
également très favorables à la négociation de
branche, dans la mesure où elle prend en compte la
spécificité des PME et où elle permet d'égaliser,
dans la plupart des cas, les conditions de la concurrence entre des entreprises
d'une même branche. En outre, les négociateurs patronaux et
salariés sont à égalité et, de part et d'autre, les
participants sont des praticiens de la négociation. Nous sommes donc
très en faveur de la négociation de branche, je le
répète. Nous considérons cependant qu'il fallait donner
plus de souplesse au système, et « mettre de l'huile dans les
rouages ». En ce sens, nous sommes donc favorables aux dispositions
de l'article 37, tels qu'ils sont sortis de la première lecture à
l'Assemblée nationale ; ils introduisent, selon nous, un certain
nombre de garde-fous. Il fallait tout de même mettre un peu de souplesse
dans le système, après plusieurs dizaines d'années de
pratiques. En outre, nous ne pensons pas que cela va remettre en cause la
négociation de branche. En tout état de cause, nous comptons sur
les partenaires sociaux au niveau de la branche, dans la mesure où ils
disposent de leviers très forts : ce sont eux qui vont
déterminer les conditions dans lesquelles les entreprises pourraient
éventuellement déroger, au-delà des quatre sujets sur
lesquels il est impossible de déroger. Au-delà de ces quatre
sujets, ce sont les partenaires sociaux de la branche qui vont
déterminer les conditions détaillées dans lesquelles les
partenaires sociaux, dans une entreprise, pourraient déroger. Nous
comptons donc en tout état de cause sur les partenaires sociaux dans les
branches pour encadrer, au sens positif du terme, les nouvelles dispositions
qui pourraient être utilisées au niveau des entreprises. Nous
n'avons donc pas de crainte quant à la disparition ou la diminution de
l'importance des accords de branche. En effet, ce seront les
négociateurs de branche qui définiront le cadre d'autonomie des
négociateurs d'entreprise.
En ce qui concerne votre dernière question, relative au principe
majoritaire, nous estimons que le texte, tel qu'il est actuellement à la
sortie du débat en première lecture à l'Assemblée
nationale, nous convient. Nous étions plutôt favorables à
la notion du droit d'opposition. Cela dit, nous verrons comment cela se passera
concrètement, selon les cas et selon les secteurs. En son temps, nous
avions milité pour la possibilité d'une prise en compte du nombre
d'organisations dans la notion d'accord majoritaire. Nous avions posé
cette idée pour l'accord national interprofessionnel, mais cela pourrait
être étendu à l'accord de branche. Nous sommes favorables
à cette disposition. Si nous y sommes favorables, c'est bien parce que
nous ne souhaitons pas voir apparaître un ou des systèmes qui, de
par leur complexité, finissent par bloquer la négociation.
L'idée du principe majoritaire, sous la forme d'une autre organisation,
nous agrée. Cela est valable pour l'accord professionnel et
représente également une des solutions pour l'accord de branche.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie. La parole est au rapporteur.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Je souhaite obtenir des
précisions sur un point précis : vous avez été
très dithyrambique sur l'accord 41, qui correspond aux
problématiques propres à vos entreprises. La solution retenue a
tendance à réduire le rôle des syndicats dans la
négociation. Estimez-vous que ceci est vrai au premier stade ? Un
agrément devra être donné au niveau des branches ;
cela ne rétablit-il pas l'équilibre ?
M. Georges TISSIÉ -
Je crois qu'un effort de précision est
nécessaire : l'alinéa 2 de l'article 41 précise que
la solution proposée n'est applicable
« qu'en l'absence de
délégués syndicaux dans l'entreprise ou
l'établissement
». Il ne s'agit donc pas d'une
substitution ; il s'agit au contraire de trouver une solution en l'absence
de délégués syndicaux. Je crois que ce point est
très important.
Les partenaires sociaux, dans la branche, ne sont pas exclus de cette
mécanique, puisque ce sont eux qui vont fixer les conditions dans
lesquelles les accords qui seraient éventuellement signés dans ce
cas seront validés. Là aussi, la branche conserve un
rôle ; l'on parle expressément, dans cet article 41, de
l'approbation par une commission paritaire nationale de branche. Faute
d'approbation, l'accord est réputé non écrit. En
conséquence, il y a là une forme d'encadrement de la
mécanique. Il eût été étonnant, de toute
façon, que l'on ouvre d'un côté une possibilité, et
qu'on la ferme complètement de l'autre. Là aussi, nous estimons
qu'un équilibre a été trouvé.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Je vous remercie pour cette
précision.
M. le PRÉSIDENT
- En conclusion, nous pouvons estimer que votre
organisation est globalement favorable au projet de loi relatif au dialogue
social.
M. Georges TISSIÉ
- C'est exactement cela. Nous souhaitons que le
texte conserve sa rédaction actuelle.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur Tissié, nous vous remercions
pour votre
contribution.
Audition de M. Guy ROBERT
Secrétaire général
et Mme Valérie RAMAGE
chargée
d'études
de l'Union nationale des
professions libérales (UNAPL)
(mercredi 21 janvier
2004)
M. le PRÉSIDENT
- Mes chers collègues,
nous accueillons M. Guy Robert et Mme Valérie Ramage, de l'UNAPL. M.
Robert est secrétaire général à Union nationale des
professions libérales, et Mme Ramage chargée
d'études. Monsieur le secrétaire général, je vous
propose, pendant une dizaine de minutes, de nous donner un premier sentiment
sur ce texte. Ensuite, M. le rapporteur et les membres de la commission vous
interrogeront, si vous en êtes d'accord.
M. Guy ROBERT
- Nous vous remercions d'accueillir l'Union nationale des
professions libérales, qui regroupe soixante syndicats de
professions libérales, dans le domaine de la santé, du droit, ou
encore du chiffre. Un problème clair se pose à nous : il
s'agit justement de la diversité des secteurs d'activité, avec
pour autant des points communs entre les professions libérales. Les
réglementations professionnelles varient entre les professions, qu'elles
soient réglementées ou non, et avec des problèmes de
déontologie bien spécifiques. Tout le monde, bien sûr, doit
respecter une éthique dans sa vie personnelle et professionnelle mais,
pour notre part, nous en faisons un devoir : pour nos salariés, il
s'agit d'un problème auquel ils sont souvent confrontés et qui
les différencie des salariés du secteur marchand. Par ailleurs,
la taille des entreprises que nous représentons doit être
rappelé : en moyenne, les entreprises ont une taille de
3,5 salariés et regroupent au total 1,2 million de
salariés. Pour la plupart, ils sont dans le secteur le plus minoritaire,
à savoir le secteur des techniques et du juridique. Dans le même
temps, les professionnels de santé, hors pharmacie, radiologie et
chirurgie n'ont plus de salariés : les médecins
généralistes se groupent, sous-traitent la prise de rendez-vous.
Aujourd'hui, la petite entreprise libérale médicale n'est plus du
tout la norme, il y a maintenant très peu de salariés. Certains
chirurgiens dentistes ont encore une assistante, mais cela n'est pas le cas
partout. Cela ne va pas sans poser problème, en matière de
secours ou de protocole d'hygiène, notamment. Or nous avons des
obligations bien évidentes sur de telles questions.
Nous devons également rappeler que le salarié des professions
libérales, la plupart du temps, dispose d'un niveau de diplôme
très élevé, à bac + 4 ou + 5 ; un
avocat salarié dispose d'un niveau de diplôme encore plus
élevé. En ce qui concerne les techniciens, ou les salariés
qualifiés dans le domaine de l'architecture par exemple, ils disposent
d'un niveau de diplôme conséquent. Nous sommes donc face à
des professionnels qui ont besoin de salariés
hyper-spécialisés, ce qui ne va pas sans nous poser un certain
nombre de soucis. Le nombre des professionnels et des salariés font que,
bien entendu, nous préférons conduire des négociations par
branche. Par exemple, il est difficile, pour une petite entreprise
libérale, de disposer d'un représentant syndical, dans la mesure
où les grands syndicats ne sont pratiquement pas
représentés dans nos milieux. Parfois, nous sommes face à
de petits syndicats autonomes tout à fait différenciés des
grandes centrales syndicales. Cependant, nous avons, vis-à-vis de tous
nos salariés, signé des accords interprofessionnels. Par exemple,
l'organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) des professions
libérales est très bien organisé et a permis de conduire
des négociations très productives à propos de la formation
professionnelle. Un accord a été conclu à propos de la
formation continue, et nous venons de signer un accord relatif à un
dispositif d'épargne interprofessionnel spécifique à
toutes les professions libérales. En conséquence, l'UNAPL dispose
bel et bien de ce rôle de représentation, dans le monde du
travail, de l'ensemble professions libérales.
Ces dernières années, nos problèmes ont été
essentiellement relatifs à la multiplicité des lois ; je
crois que, dès que l'on en crée une, il faudrait en enlever
dix ! si nous y ajoutons le code du travail, nous sommes face à des
textes qu'il devient difficile d'appliquer en raison de leur nombre. En outre,
l'on nous impose certaines normes de sécurité, dans les cabinets,
qui n'ont pas trait à de telles structures, mais plutôt à
des entreprises industrielles. En outre, le temps partiel ne correspond pas du
tout à nos besoins. Nous pouvons concevoir la prise en compte de ce
problème au niveau des grandes surfaces, mais pour les médecins,
les lois actuelles ne font pas du tout l'affaire. Je pense même que le
temps partiel serait davantage promu si les lois étaient beaucoup plus
souples. Il est évident en effet qu'un médecin ne peut pas
prévoir, comme une grande entreprise, un temps partiel six mois à
l'avance. Je ne veux pas revenir sur les 35 heures, nous en avons assez
débattu. Pour autant, nous ne pouvons que constater que les
35 heures sont proprement catastrophiques : nous devons fermer les
cabinets le vendredi après-midi, ou les fermer tous les soirs à
19 heures. Or une telle logique ne nous permet pas de prendre en charge
les situations d'urgence.
Cette insécurité juridique fait que les professions
libérales éprouvent des difficultés à
embaucher : les dispositifs deviennent en effet compliqués, et il y
a peu de place laissée, en-dehors des grandes professions, à la
négociation collective. Par ailleurs, certaines professions ne
bénéficient pas de convention collective, alors que nous
souhaitons qu'il en existe partout.
Pour notre part, nous estimons qu'il faut redynamiser le dialogue social au
sein de nos petites entreprises, de telle sorte que les professionnels se
sentent bien. Il faut également qu'un rapport de confiance s'instaure,
d'autant que la convivialité dans le travail est absolument
nécessaire dans nos professions. En effet, nous évoluons dans une
logique de rapports très étroits. En outre, l'on nous dit qu'il
faut parfois faire des groupements d'entreprises, mais l'on ne peut pas grouper
les entreprises d'avocats avec des salariés passant de l'une à
l'autre. En raison du secret professionnel, l'on ne peut pas faire cela. Il
faut donc redynamiser, et faire davantage appel à la négociation
collective pour s'adapter aux spécificités et aux contraintes de
ces différents secteurs d'activité, qui sont effectivement
différents. Les règles communes doivent donc pouvoir être
adaptées.
Nous considérons qu'il faut privilégier la branche. En effet, si
l'on veut créer au sein de nos entreprises des syndicats, et des
mandataires qui viendraient dans nos cabinets, je pense que la zizanie
s'installerait rapidement : l'on ne peut pas diriger comme cela des
cabinets et des professions libérales qui touchent à ce qu'il y a
de plus essentiel dans la vie de l'homme, à savoir sa santé, sa
protection juridique ou encore la protection de ses biens et son environnement.
L'on ne peut pas lier cela à des phénomènes
extérieurs qui viendraient imposer des règles de vie dans des
cabinets ou des entreprises aussi sensibles.
Nous sommes véritablement d'accord pour que le projet de loi s'appuie
sur la Position commune signée par les partenaires sociaux. Nous sommes
en faveur de cette dynamique et d'une concertation préalable avec les
partenaires sociaux avant toute réforme sociale. Effectivement, cela
nous arrange. En outre, nous sommes également favorables au renvoi, le
cas échéant, à la négociation collective avant
toute réforme du droit du travail. D'ailleurs, je tiens à dire
à ce titre que, si l'on avait appliqué cette logique au temps
partiel, nous aurions aujourd'hui beaucoup plus de salariés dans les
cabinets. En effet, de nombreuses salariées féminines cherchent
une telle forme de travail, qui correspond à leurs obligations
extraprofessionnelles.
Nous éprouvons un souci au niveau des professions
libérales : nous représentons 1,2 million de
salariés et nous ne sommes membres de la commission nationale de la
négociation collective (CNC) que depuis 1997. Depuis, nous sommes
partenaire social mais, dans bien des domaines, nous ne sommes pas
invités par le MEDEF : ce dernier n'invite que les partenaires
sociaux reconnus depuis 1945. En clair, nous ne sommes pas là, et nous
sommes dans l'obligation d'entériner des accords qui ne tiennent pas
compte de nos spécificités. Nous nous en sommes entretenus avec
les gouvernements successifs. La gauche nous a dit d'aller voir le patronat, et
la droite nous fait les mêmes réponses. Nous devons donc nous
imposer dans ce domaine, de telle sorte que le personnel
spécialisé que nous représentons puisse avoir droit de
cité dans les grandes négociations.
Pour nous, la limite réside tout d'abord dans une bonne prise en compte
de la représentativité syndicale. Je crois que nous devons nous
sortir des règles existantes qui sont, dans certains cas, figées.
Par exemple, nous sommes obligés de traiter avec tel ou tel syndicat. Je
pense que nous devons nous décider, en France, à revoir quels
sont les représentants syndicaux, ainsi que leur valeur et leur
représentativité, de manière à ce que l'ensemble de
la vie sociale soit représenté. Nous devons en finir avec cet
« archéo-syndicalisme » que nous connaissons
aujourd'hui. En conséquence, notre problème est bien là.
Nous sommes favorables au principe majoritaire pour les accords, mais nous
devons nous entendre clairement sur ce point : nous avons
déjà signé des accords mais, pour cela, il faut avant
toute chose qu'il n'y ait pas de blocages. Nous préférerions,
lorsque nous signons des accords, pouvoir adopter la logique suivante :
nous ne voulons pas que des blocages surviennent dès que nous avons
signé quelque chose. Nous souhaitons donc que la possibilité de
s'abstenir soit laissée aux organisations syndicales, cela permet de
progresser, de signer des accords et de les appliquer. Cela permet surtout
d'éviter les blocages, et nous préférons sans conteste
cette règle-là.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Vous préférez donc
le droit d'opposition.
M. Guy ROBERT
- C'est cela, il me semble que cette méthode est
préférable : elle est plus efficace, en tous les cas comme
règle de base. La représentativité syndicale, comme vous
le savez, a toujours posé de nombreux problèmes. Il n'est pas
souhaitable qu'un syndicat minoritaire engage l'ensemble d'un mouvement ou
d'une entreprise au nom de sa représentativité. Nous parvenons
alors à des situations de conflits difficiles. Même dans le
domaine des conventions médicales ou de santé, cela pose
problème : si nous traitons avec un syndicat minoritaire, qui
engage toute la profession, celle-ci se rebiffe. Il faut, sur ce point,
être très vigilants : les minoritaires ne doivent pas agir au
nom de tous. Cela ne rime à rien ; les nouvelles règles de
majorité, au niveau de la négociation d'entreprise, doivent
s'appliquer dans notre secteur, mais il est évident que cela posera de
réelles difficultés. Nous n'avons en effet pas de
délégués syndicaux. Pour nous, entreprises de moins de dix
salariés, nous ne pouvons que constater que de larges pans de ce projet
de loi ne s'appliqueront pas à nous. Nous ne sommes pas suffisamment
nombreux, et je pense que ce texte sera d'application restreinte compte tenu de
la taille de nos entreprises et de leur faible capacité à
négocier. Nous souhaitons véritablement que le dialogue social
ait lieu avant toute proposition de loi. Evidemment, le législateur
reste libre, par la suite, de prendre les décisions qu'il juge bonnes.
Nous considérons que nous devons pouvoir négocier et laisser,
dans certains domaines, en fonction des régions, la possibilité
de prendre en compte les problématiques locales. L'intérêt
local doit être pris en compte, dans la mesure où il existe des
besoins spécifiques et locaux. Encore faut-il que cela entre dans un
accord de branche, qui n'y verrait pas une atteinte au cadre
général fixé.
M. le PRÉSIDENT
- Vous êtes donc d'accord avec le texte sur
ce point.
M. Guy ROBERT
- C'est cela. Je vous ai rappelé en quelques
minutes quel était notre principal problème : les
professions libérales sont très diverses, mais elles connaissent,
pour nombre d'entre elles, les mêmes problèmes transversaux.
Surtout, il existe des problèmes particuliers, famille par famille, et
des exercices différents dans certaines régions.
M. le PRÉSIDENT
- Je vous remercie, la parole est au rapporteur.
M. Jean CHERIOUX, rapporteur
- Il est certain que les lignes
générales de ce projet de loi, dans leur esprit, vous
conviennent ; pour autant, certains problèmes spécifiques
à votre profession doivent être pris en compte. Si je comprends
bien, vous êtes face à un double problème de
représentativité, au niveau patronal, mais aussi au niveau
salarié. Des deux côtés, vous vous trouvez dans une
situation de tutelle. En outre, vous voulez disposer de règles
adaptées au niveau de la branche. A ce titre, je souhaite savoir de
combien de branches vous disposez, et quelles sont-elles. Je souhaite
également savoir quelles branches ne sont pas encore couvertes par une
convention collective.
Mme Valérie RAMAGE
- En fait, toutes nos professions
réglementées disposent d'une convention de branche, elles sont
donc dès à présent organisées. Tout à
l'heure, M. Robert a parlé des accords interprofessionnels, qui
doivent être signés au niveau de l'UNAPL : ce sont des
accords cadres. Ces derniers ont vocation à impulser la
négociation de branche, dans les branches organisées, mais ils
ont aussi vocation à couvrir les professions libérales qui sont
peu structurées, et qui ne sont pas couvertes par des conventions de
branche. Il s'agit, en majorité, de professions libérales non
réglementées. Il s'agit notamment des professions de conseil, qui
sont relativement nombreuses.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Existe-t-il une convention de
branche pour les professions juridiques ?
Mme Valérie RAMAGE
- En effet.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Ce texte vous intéresse en
ce qui concerne les accords de branche. Se pose le problème de votre
participation aux négociations de branche. En tant qu'employeur, vous
n'êtes pas représentés dans ces négociations de
branche. En outre, pouvez-vous nous dire comment sont impliqués vos
salariés ? Je suppose qu'ils le sont par l'intermédiaire des
syndicats traditionnels.
Mme Valérie RAMAGE
- C'est cela. Le problème de
l'implication de l'UNAPL dans les négociations collectives se pose
essentiellement au niveau des négociations nationales
interprofessionnelles. Nous en revenons à l'exposé des motifs du
projet de loi, qui nous intéresse bien évidemment.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Pour vous, le fait que la loi ne
règle pas tout, mais que la réglementation soit faite par les
professionnels, vous convient.
Mme Valérie RAMAGE
- En effet. Pour nous, le problème
réside dans la transposition d'accords nationaux interprofessionnels
dans une loi, qui seraient des accords auxquels nous n'aurions pas
participé.
M. Guy ROBERT
- Nous nous entendons très bien avec le MEDEF, mais
il n'en demeure pas moins que nous avons encore besoin de lui faire comprendre
que nos professions sont pour le moins particulières. Nous avons besoin
de temps pour cela, mais je suis persuadé que nous allons y parvenir.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Au niveau des branches, l'UNAPL
conduit les négociations, n'est-ce pas ?
M. Guy ROBERT
- En effet. Cela dit, je vous donnerai un simple
exemple : lorsque le MEDEF organise une réunion, avec les grandes
centrales syndicales, nous ne sommes pas invités.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
La réglementation de
branche vous intéresse tout particulièrement, mais votre
problème se situe essentiellement au niveau interprofessionnel.
M. Guy ROBERT
-C'est exactement cela.
M. le PRÉSIDENT -
La parole est à monsieur Muzeau.
M. Roland MUZEAU
- Je souhaite faire une remarque : si j'ai bien
compris vos propos, vous êtes d'accord avec ce texte, dans la mesure
où, en premier lieu, il ne vous concerne pas. Vous n'êtes pas
touchés par la problématique de l'accord d'entreprise, qui
viendrait supplanter l'accord de branche. Vous nous avez rappelé que, vu
l'atomisation de ceux que vous représentez- 1,2 million de
salariés, des entreprises de très petite taille, peu de
salariés dans chacune d'entre elles - je comprends pourquoi vous
êtes d'accord avec un texte qui ne bouleverse pas la donne dans le
domaine de responsabilité qui est le vôtre. Je comprends
également pourquoi vous soulignez avec force combien l'accord de branche
et l'accord interprofessionnel vous intéressent ; il est normal que
vous demandiez à y être associés, à chaque fois que
vous vous sentez concernés.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Le problème de la
dérogation,
a priori
, ne vous intéresse pas au niveau de
la branche et de l'entreprise. Au niveau interprofessionnel, cela vous concerne
en revanche, dans la mesure où cela vous permet de disposer de
dérogations qui vous permettent de faire face à vos
spécificités. Cela n'était pas possible auparavant.
M. Guy ROBERT -
C'est cela, c'est d'ailleurs bien ce qui nous
intéresse dans le projet de loi. En outre, nous sommes très
intéressés par la possibilité qui serait donnée,
dans certains endroits, dans la mesure où la branche n'y est pas
opposée, à la prise en compte de solutions localement mieux
adaptées à la vie économique des entreprises, en raison
d'un problème économique local.
M. le PRÉSIDENT
- Monsieur le secrétaire
général, madame, je vous remercie pour votre contribution.
Audition de M. Gilles
BÉLIER,
Avocat
(mercredi 21 janvier
2004)
M. le
PRÉSIDENT -
Mes chers collègues, nous accueillons maintenant
Maître Gilles Bélier qui est également membre de la
commission présidée par M. Michel de Virville sur la
simplification du droit du travail.
Maître, nous sommes heureux que vous ayez répondu à notre
invitation afin de nous exposer votre point de vue sur ce projet de loi. Je
vous propose, donc de développer votre position pendant une dizaine de
minutes, avant que vous ne répondiez aux questions du rapporteur et des
commissaires. Maître, vous avez la parole.
M. Gilles BÉLIER
-
Monsieur le président, je vous
remercie.
La question de la légitimité des accords n'est
pas nouvelle : je travaillais avec Jean Auroux en 1982 et,
déjà, cette question était posée par une partie des
organisations syndicales. Nous avions fait un choix très clair :
nous n'avions pas voulu nous engager dans cette voie, pour des raisons qui,
pour partie, demeurent valables aujourd'hui.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Vous parlez de la
représentativité, n'est-ce pas ?
M. Gilles BÉLIER
- Non, je parle des accords majoritaires. L'avis
général que je me permettrais de développer devant vous
est le suivant : le fait de se saisir de cette question est d'ores et
déjà important. Il s'agit d'un beau sujet, mais je crains qu'il
ne soit ni complètement traité, ni parfaitement bien
traité. En effet, je vois mal comment nous pouvons aborder cette
problématique de la place de la négociation collective sans avoir
posé la question de la représentativité des acteurs. Je
trouve que le débat est trop limité, si nous parlons de la
légitimité des accords sans même avoir traité celle
des acteurs. En outre, il convient de s'interroger sur l'articulation entre la
loi et la convention collective. De ce point de vue, l'exposé des motifs
du projet de loi et les déclarations du Président de la
République sont en train d'être contredits dans les faits. Il
apparaît que nous souffrons fondamentalement, en France, de la
démocratie de l'émotion : un problème se pose, il est
amplifié par les médias, et nous n'avons d'autre issue que de
faire une loi. Prenons la loi de modernisation sociale, par exemple, nous
savons tous qu'elle a été topique de ces conséquences de
la démocratie de l'émotion. Si nous n'avons pas un pacte clair,
et des dispositions inscrites dans les textes à propos de la
manière dont nous devons fonctionner en France en matière de
droit du travail, nous ne pourrons pas parvenir à de bons
résultats. Nous avons développé l'idée de
créer une articulation de méthode ou une articulation
procédurale pérenne, dans un pacte clair entre le Parlement et la
société civile. Il n'est en effet pas question de changer la
Constitution, il n'est pas plus question que le politique renonce à ses
prérogatives. En revanche, nous devons nous demander comment nous
pouvons fonctionner, sans renouveler les échecs que nous avons connus
dans le cadre des 35 heures : je rappelle que le débat
parlementaire n'a pas complètement respecté la logique
contractuelle qui émanait des négociations de branche ou
d'entreprise. Je le dis d'autant plus volontiers que j'ai préparé
le projet de loi du Gouvernement : le projet déposé à
l'Assemblée nationale ne ressemblait que de très loin au texte
définitif. Cela est normal, nous sommes dans un processus
démocratique. Simplement, si la logique adoptée dit que la
convention collective doit être forte en amont de l'intervention du
législateur, il faut un pacte clair.
Les avantages de tels principes sont importants : l'on remarque que les
textes ayant donné lieu à des négociations
préalables, dans un cadencement ordonné, ont donné une
grande stabilité aux textes. Je ne crois pas que d'autres
démocraties européennes que la nôtre connaissent cette
situation, dans laquelle les lois relatives au droit du travail sont
modifiées à chaque mandature. Je pense que le droit du travail
doit être stable, il s'agit d'une des conditions essentielles du
progrès économique et social. Il faut parvenir à trouver
des logiques de stabilisation, cette question est donc essentielle.
En ce qui concerne la question très importante de la
représentativité des acteurs, nous émettons, dans le
rapport de Virville, l'idée d'une élection, tous les cinq ans,
éventuellement calée sur l'élection présidentielle.
Nous considérons également que ces élections devraient
également servir pour les prud'hommales, afin de diminuer le taux
d'abstention.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Dans ce cas, maintiendriez-vous
l'arrêté de 1966 ?
M. Gilles BÉLIER -
Non, pour notre part, nous sommes pour sa
suppression. Les élections seraient organisées nationalement,
tous les syndicats pourraient se présenter dès lors qu'ils sont
légalement constitués. Il serait ainsi possible de
déterminer le nombre de sièges dédiés à
chaque syndicat au niveau des tribunaux des Prud'hommes. Cela donnerait une
légitimité plus forte aux conseillers prud'hommaux. Cela
permettrait également de déterminer, par branche, la
représentativité des organisations syndicales. Nous pourrions
imaginer qu'une organisation syndicale disposant par exemple de 5 % des
voix dans la branche, est représentative au plan national, sans
même qu'il y ait une confédération. Dans la branche
d'activité, elle pourrait présenter des candidats au premier tour
des élections professionnelles. De toute façon, les pistes sont
nombreuses, et cette question est centrale : il faut en effet avoir
à l'esprit que l'adoption d'une telle logique entraînerait la
disparition de certains syndicats aujourd'hui représentatifs au plan
national. Prenons la CFTC : l'UNSA a battu la CFTC aux élections
prud'hommales. Nous pouvons trouver des dispositifs transitoires, mais, quoi
qu'il en soit, il existe un vrai problème.
En ce qui concerne la question de la légitimité des accords, nous
devons avant toute chose nous demander ce que nous voulons éviter, et ce
que nous visons. Il apparaît que nous voulons déléguer de
nombreuses questions à la convention collective. Plus on
délègue à la convention collective, plus l'on doit
s'assurer que les accords sont légitimes. Or nous devons nous demander
si cette légitimité se retrouve nécessairement dans la
majorité. A mes yeux, l'on est en train de procéder à une
confusion regrettable entre démocratie sociale et démocratie
politique. La majorité est la règle de la démocratie
politique. Dans le cadre de la démocratie sociale, il s'agit de savoir
si un accord d'entreprise est supporté par une part suffisamment
importante des salariés pour qu'elle puisse légitimement entrer
en application.
Est-il serein de s'engager dans des accords, suivant la logique
majoritaire ? Pour ma part, je n'y suis pas du tout favorable. Je crains
que, si ce débat devait être posé à l'avenir dans
une autre configuration majoritaire, l'on nous dise que la loi Fillon n'est pas
allée assez loin et qu'il faudrait passer directement aux accords
majoritaires.
Je n'y suis pas favorable et je tiens à vous dire, à ce titre,
que je fais partie d'une petite école qui s'est battue sur les accords
légitimes. Je tiens à vous en donner les raisons. Tout d'abord,
dans notre pays, il faut avant toute chose rappeler l'état des
lieux : 50 % des salariés appartiennent à des
entreprises dont les effectifs sont inférieurs à cinquante. Les
syndicats n'ont pas toujours la majorité aux élections
professionnelles, ce phénomène a donc un sens très
limité. Vous pourriez me dire que cela serait la même chose dans
le cadre d'une majorité qualifiée, mais la logique majoritaire
repose, à ce moment-là, sur un état des lieux et un
terrain qui ne représentent pas cela. En outre, notre culture nationale
est largement fondée sur des logiques protestataires. Que s'est-il
passé, par exemple, chez EDF ? La CGT était prête
à signer un accord, qui, en soi, ne changeait rien au niveau des acquis
des salariés. L'on a fait voter ces derniers, qui ont voté
contre. Prenons encore l'exemple des intermittents, problème pour lequel
l'on a dit n'importe quoi : la CGT n'est majoritaire que chez les
intermittents, mais elle n'est pas majoritaire dans l'accord interprofessionnel
UNEDIC.
Du fait de cette logique protestataire, lorsque des syndicats s'engagent dans
une dynamique de changement, les effectifs de ces syndicats fondent, les
adhérents vont rejoindre des syndicats plus protestataires, SUD par
exemple. Prenons l'exemple de Michelin : pour les négociations
35 heures, la CFDT a dit qu'elle voulait changer les relations sociales
dans cette entreprise. Un engagement a été pris entre Edouard
Michelin et les responsables de la CFDT-Chimie. Au final, la moitié des
effectifs de la CFDT Michelin, après que l'accord ait été
signé, a rejoint SUD... Prenons la SNCF : l'approbation des
principes sur les retraites aboutit au fait que de nombreux syndiqués
ont rejoint SUD. L'aspect protestataire de notre syndicalisme est difficile
à intégrer à ce principe, puisque l'accord majoritaire
repose sur une logique de régulation à froid des relations du
travail. Pour ma part, je milite pour cela depuis plus de 20 ans. Dans le
cadre des lois Auroux, nous ne voulions pas donner plus de pouvoir à
l'un ou l'autre, nous voulions juste permettre une régulation à
froid des relations du travail. L'accord majoritaire est la suite logique de
cela, mais, dans notre pays, nous ne sommes pas prêts à passer de
l'ultra-minoritaire au majoritaire. Ma position est très simple :
je pense donc que nous devons commencer par des accords légitimes, nous
devons donner du mouvement à un syndicalisme d'engagement, et nous
pourrons ensuite faire un bilan, inscrit dans la loi, nous permettant de savoir
quand nous sommes prêts à passer à la logique de l'accord
majoritaire. Le changement complet du paysage français du syndicalisme a
mis 20 ans à se faire, nous ne pouvons pas passer aux accords
majoritaires en trois mois.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Il existe une logique dans ce
texte : on a cherché à s'appuyer sur le pluralisme. Il
existe cinq syndicats représentatifs et l'on exige que trois soient
signataires. Cela permet de penser que l'on couvre une plage plus grande.
M. Gilles BÉLIER -
Vous avez raison. Simplement, trois petits
syndicats peuvent s'entendre contre les deux syndicats les plus importants. Je
suis l'un des auteurs du concept du droit d'opposition, et je ne le renie pas
du tout. Simplement, en 1982, nous avons parlé pour la première
fois de la légitimité des accords, certes dans une optique
négative. Pour autant, comme nous introduisions le droit
dérogatoire, nous avons voulu placer ce verrou, en disant clairement que
le droit dérogatoire ne devait pas être mis en place n'importe
comment.
Aujourd'hui, dans notre pays, mettre en place l'accord majoritaire revient
à donner la négociation collective à la CGT, il faut
très clair sur ce point. M. Thibault fait de grands progrès,
comme son organisation et son équipe ; la CGT signe en outre de
nombreux accords, nous sommes bien loin des illusions que propage le MEDEF.
Dans le même temps, il existe parallèlement une forte
capacité de blocage. Je ne suis pas certain que l'inspiration
donnée par M. Thibault et son équipe à la CGT soit
durablement assise. Il n'est pas sûr que le changement impulsé se
fera, d'autant que des fédérations très importantes ne
sont pas prêtes d'évoluer.
Que va-t-il se passer ? Aujourd'hui, il existe le droit d'opposition,
placé en alternative au fait majoritaire. Mais, à
l'évidence, nous aurons un règne absolu pour le droit
d'opposition. Il faut en effet qu'un accord de branche se
détermine : comme trois syndicats sur cinq sont hostiles au fait
majoritaire, nous serons face à deux solutions. Soit rien ne se passera
(nous serions alors dans le cadre du droit d'opposition), soit les accords de
branche iront sur le droit d'opposition. FO ne veut pas entendre parler du fait
majoritaire, comme la CFTC et la CGC.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur -
Ce n'est pas ce que nous avons
compris au cours des auditions : certains reprochaient en effet
l'importance du système tel qu'il a été prévu, au
niveau du droit d'opposition. Ils considéraient que l'on n'avait pas
fait une place assez grande à l'accord majoritaire.
M. le PRÉSIDENT -
Je ne suis pas certain que cette position soit
si tranchée, tout est beaucoup plus subtil.
M. Gilles BÉLIER
- Vous m'avez demandé pourquoi la Position
commune a été signée par FO : ce syndicat a voulu
éviter que l'accord majoritaire soit de mise. Il faut également
rappeler que, si un accord majoritaire ne se fait pas dans un endroit où
l'accord majoritaire est de mise, nous passerions alors au
référendum. Naïvement, j'ai cru qu'il existait un certain
antagonisme entre le fait majoritaire et le référendum. Le fait
majoritaire, structurellement, est contraire au référendum, nous
ne pouvons pas entrer en contradiction, par le référendum,
à la volonté des majoritaires. Sur ce point, un effort de
précision est nécessaire.
En ce qui concerne l'articulation des niveaux de négociation, se pose un
problème bien français, et très grave : si nous
plaçons en regard la position qui a été adoptée par
le Gouvernement et celle qui pourrait être acceptée par les
organisations syndicales, nous constatons des effets relativement proches. En
revanche, au niveau de la présentation politique, l'éloignement
est beaucoup plus fort. Pour ma part, je suis radicalement contre le projet
Fillon sur ce point, ainsi que sur la lecture de la Position commune par le
MEDEF dans ce domaine : ils sont en effet contraires aux objectifs
poursuivis. La façon dont est rédigée la Position commune
conduit à dire que l'accord d'entreprise peut déroger à
l'accord de branche, sauf si l'accord ne le dit pas.
M. le PRÉSIDENT -
Le texte dit-il « sauf si l'accord ne
le dit pas », ou « sauf si l'accord ne le permet
pas » ?
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Le texte dit « sauf si
l'accord ne le dit pas ».
M. Gilles BÉLIER
- L'accord interprofessionnel de 1995 disait, ce
qui à mon avis est préférable en droit positif, que les
partenaires de la branche pouvaient disposer de l'effet impératif de
l'accord collectif. En clair, une norme est édictée, elle
s'appliquera sauf s'il y a une négociation collective sur le même
thème dans l'entreprise. Je suis totalement partisan de cela. En effet,
la branche demeure maîtresse des règles du jeu, ce qui est
indispensable quant aux grandes fonctions de la négociation collective,
à savoir la prise en compte des intérêts des
salariés des PME, là où il n'y a pas de syndicats, pour
améliorer leur situation, et la régulation de la branche d'un
point de vue économique. En outre, je pense qu'il s'agit, dans ce cadre,
de démocratie sociale. La branche ne confisque pas ce qui fonde sa
légitimité, à savoir ses militants syndicaux. Comment
pouvons-nous fonctionner sur un système en disant que les
délégués syndicaux sont des incapables, surtout si nous
introduisons une logique de légitimité dans les accords
d'entreprise ? Je rappelle d'ailleurs que ce sont les
délégués syndicaux qui font vivre une
fédération. Enfin, je pense qu'il existe une raison très
pragmatique : comment se fait une négociation collective de
branche ? Au sein d'une Commission sociale, les employeurs discutent entre
eux ; arrive un sujet que les organisations syndicales souhaitent voir
traiter. Les dirigeants des grandes entreprises refusent d'en parler au motif
qu'ils sont précisément en train de négocier ce point chez
eux. Au final, la séance survient, les syndicats demandent à
évoquer ce sujet, et on leur dit qu'il faut laisser les entreprises
négocier. En conséquence, les salariés des PME ne
bénéficient d'aucun avantage. Or je suis favorable au dispositif
pour ce point. Nous avons là une vraie construction de démocratie
sociale, dans la mesure où les PME seraient concernées.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Dans le projet de loi, il est
possible de conclure un accord dérogatoire d'entreprise dans le silence
de la branche. Vous avez donc une possibilité, pour la branche, de
réguler la négociation d'entreprise. Ce n'est pas obligatoire que
l'accord d'entreprise s'impose dans le silence de la branche. Au sein de
celle-ci, il existe toujours la possibilité, pour les organisations
syndicales, d'exiger l'accord de la branche. Comme il existe un droit de
saisine dans le texte, les syndicats peuvent exiger que le sujet soit inscrit
à l'ordre du jour.
M. Gilles BÉLIER
- En effet. Je vous ai dit que nous
étions face à une problématique bien française, et
je vais vous expliquer pourquoi : le contenu de l'accord national
interprofessionnel pourrait très bien être appliqué avec le
texte Fillon. J'ai rencontré des organisations syndicales à ce
sujet, et nous leur avons dit que les discussions seraient organisées
comme au sein de l'accord national interprofessionnel (ANI) : quand des
sujets de négociation surviendraient, nous déciderions si, oui ou
non, nous disposerions de l'effet impératif. Actuellement, dans
certaines branches, il apparaît clairement qu'un gel est en train de
s'instaurer, en prévision de l'application de la loi Fillon. Si vous
prenez le code du travail, nous lisons que l'accord de niveau inférieur
ne peut pas comporter de dispositions moins favorables, sauf si l'accord le
permet. Or il s'agit de faire autrement, mais le projet de loi affiche que les
dispositions sont moins favorables.
M. Roland MUZEAU -
Vous venez de rappeler ce qu'est cette
démocratie sociale. Or votre démonstration ne vaut que s'il y a
respect de la hiérarchie des normes. Lorsque vous indiquez, dans votre
propos, que l'ouverture à la négociation d'entreprise est un
élément de la démocratie sociale, vous ne dites pas
qu'elle vient en amoindrissement de l'accord de branche, au contraire. Votre
postulat de départ est le suivant : la convention d'entreprise
vient construire, en s'appuyant sur les spécificités de
l'entreprise. Vous terminez en disant que le problème du texte, tel
qu'il est déposé, réside dans le fait que l'accord
d'entreprise apparaît nécessairement dérogatoire.
M. Gilles BÉLIER
- Je ne veux pas mettre en cause la
hiérarchie des normes.
M. Roland MUZEAU -
Le texte, lui, la met en cause.
M. Gilles BÉLIER
- Cela n'est pas nécessairement le cas,
puisque le texte dit que la branche peut obliger à ne pas modifier les
accords d'entreprise sur certains points. Cela dit, il faut bien s'entendre sur
la notion de dérogation, j'y reviendrai d'ailleurs
ultérieurement, en m'appuyant sur l'une des questions transmises par M.
Chérioux. Plus généralement, il faut bien avoir à
l'esprit que déroger ne signifie en aucune manière faire moins. A
ce titre, je dois vous dire que j'éprouve quelques soucis à
propos des classifications, dans la mesure où des milliers d'entreprises
ont négocié des classifications intermédiaires : cela
constitue-t-il une dérogation à la classification de
branche ?
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous proposeriez donc une petite
modification de terminologie dans le texte.
M. Gilles BÉLIER
- Je pense avant toute chose qu'il faut
éviter de dire que déroger est forcément moins favorable.
Si nous conservons cette terminologie, nous assisterons à un effet
d'annonce qui sera très dommageable.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Le débat, comme toujours,
est pipé, dans la mesure où il est porté sur un terrain
qui n'est pas le bon. Prenons le débat à l'Assemblée
nationale : il a porté essentiellement sur le principe de faveur,
alors que le coeur du problème n'est pas là.
M. Gilles BÉLIER
- Je ne suis pas favorable à ce que l'on
dise que le principe de faveur doive être mis en cause. Je
préfère de beaucoup dire ce que la Cour de Cassation a
édicté dans un arrêt de 1991. La Cour d'appel de Paris a
par la suite balayé cela, au motif que le projet de loi Fillon
était en cours d'études. Dans le cadre de l'accord national
interprofessionnel de 1995 (ANI), il n'était pas question de mettre en
cause le principe de faveur mais de dire que le pouvoir supérieur de la
branche avait la possibilité de décider de l'effet
impératif. Le principe de faveur, qu'est-ce que c'est ? Il s'agit
d'un principe jouant en cas de conflits de normes, et ce n'est rien d'autre. Il
faut qu'il y ait des normes en présence. Si les signataires d'un accord
de branche mettent une norme sur la table, tout en admettant qu'ils disposent
de l'effet impératif pour dire qu'elle n'est pas absolue si elle est
remplacée par le résultat d'une procédure de
négociation, la hiérarchie des normes n'est alors pas remise en
cause. Dans le cas contraire, qu'est-ce que cela signifie, en termes de
démocratie sociale, de partir du principe qu'il est impossible d'agir
une fois que la branche a décidé ?
M. Roland MUZEAU -
Il doit être possible de faire mieux que la
branche.
M. Gilles BÉLIER
- Comment peut-on considérer que les
partenaires sociaux, les syndicalistes d'une entreprise, vont négocier
en dessous de la branche ? Pour ma part, je n'ai jamais vu cela.
M. Roland MUZEAU -
Il est évident que le contexte fera pression.
Je pense au contexte économique, aux éventuelles
délocalisations. Nous ne pouvons pas faire abstraction de ce contexte.
M. Gilbert CHABROUX -
Il n'y a qu'à entendre le MEDEF parler de
ce texte.
M. Gilles BÉLIER
- Certes, mais si la branche dit qu'elle ne veut
pas déroger sur un certain nombre de dispositions, il n'y a alors pas de
débat. J'ai exposé cette analyse à Bernard Thibault, qui
la trouve excellente, notamment parce que nous lui avons expliqué que la
véritable démocratie sociale s'appuyait sur un système
articulé, et non sur un système gelé. Vous n'êtes
pas choqués par le fait de laisser certains sujets au niveau de la
négociation d'entreprise. Je réponds à cela que je
préfère que la branche ait dit qu'en l'absence de syndicats, ou
en cas d'échec des accords, telles dispositions s'appliqueront. Si un
accord avec les syndicats est trouvé, il est en revanche possible de
faire différemment, à partir du moment où tous traitent le
même objet. Dans une telle logique, les salariés des PME auront
leurs normes, et verront leurs droits améliorés.
M. Roland MUZEAU -
Quelle est la valeur juridique des actes qui seraient
conclus différemment ?
M. Gilles BÉLIER
- Comment pouvons-nous fonctionner sur le
principe de démocratie sociale en ayant une telle vision des
délégués syndicaux ? Je dois dire que je ne comprends
pas votre point de vue, dans la mesure où vous partez du principe que
les étages inférieurs des fédérations syndicales ne
signifient rien. Pour ma part, je pense exactement le contraire. Telle est ma
position.
En outre, si cela peut permettre d'éviter une délocalisation, je
me félicite que les syndicats acceptent de négocier en dessous
des dispositions de la branche. Encore faut-il que, dans une telle
négociation, ils obtiennent de vraies garanties sur le maintien de leur
emploi.
M. Roland MUZEAU -
L'exemple de Daewoo, et de quelques autres, sont pour
autant très significatifs.
M. Gilles BÉLIER
- Globalement, que cela
représente-t-il ? Combien de personnes seraient concernées
au regard des millions d'autres qui ne bénéficieraient d'aucun
avantage de branche ? Pouvons-nous dire réellement que nous nous
désintéressons du sort des salariés des PME ? Je
crois que nous devons bien mesurer le nombre de personnes concernées
avant de prendre une décision. Effectivement, l'effet d'annonce de la
mise en cause de la hiérarchie des normes est condamnable, c'est
d'ailleurs pour cela que je suis contre la manière dont le texte est
élaboré. J'ai discuté avec les dirigeants du MEDEF, en
leur demandant pourquoi ils faisaient preuve d'une telle obstination. Ils m'ont
répondu que l'accord national interprofessionnel (ANI) n'avait pas
fonctionné : telle est la raison pour laquelle ils font preuve d'un
tel état d'esprit.
M. Roland MUZEAU -
Certains de leurs dirigeants ont des ambitions
personnelles.
M. Gilles BÉLIER
- En effet.
M. Roland MUZEAU -
Nous savons très bien quelle est la
capacité syndicale dans les PME, elle est à des
années-lumière de celle existant dans les grandes entreprises.
M. Gilles BÉLIER
- Si les fédérations appartiennent
à des secteurs dont la majorité des entreprises sont de petites
entreprises, il est évident qu'elles mettront des verrous. Lorsque vous
appartenez à la métallurgie, que des entreprises comme Renault ou
Peugeot sont présentes, croyez-vous que l'on va déroger a
minima ? La réponse est évidemment négative.
En outre, je tiens à répéter que je ne comprends pas la
position du MEDEF, dans la mesure où il existe un accord possible, un
consensus possible sur le système de l'accord national
interprofessionnel (ANI). En effet, il a un effet d'annonce et un affichage
politique forts : l'on dit que tel sujet est normé, il a un effet
impératif, sauf si une procédure légitime de
négociation existe. On pourrait également imaginer que certaines
dispositions ne soient valables que pour les entreprises de plus de
500 salariés.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Est-ce que le texte le
permettrait ?
M. Gilles BÉLIER
- En effet. Pour que ma thèse s'applique,
il faut partir du principe que les partenaires sociaux peuvent
bénéficier de l'effet impératif, ce qui n'est pas le cas
aujourd'hui. En effet, il est tout à fait possible que les partenaires
sociaux disent qu'il ne peut pas y avoir d'accords d'entreprise qui
dérogent pour les entreprises de moins de 500 salariés.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- La branche peut s'opposer à
ce qu'un accord d'entreprise soit en tout ou partie dérogatoire. Dans
une telle logique, la branche maintient un aspect normatif.
M. Gilles BÉLIER
- En effet, mais l'affichage est très
mauvais.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Je suis d'accord, mais tel n'est
pas mon propos.
M. Gilles BÉLIER
- Je souhaite apporter quelques
précisions à propos de la notion d'établissement distinct
en droit syndical : la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de
cassation a aligné le périmètre de l'établissement
distinct pour les délégués du personnel et le
périmètre de l'établissement distinct pour les
délégués syndicaux, en disant qu'un établissement
distinct, au sens du droit syndical, est un établissement dans lequel
une personne pouvait remplacer l'employeur même s'il n'a pas la
capacité de répondre aux questions posées par les
délégués syndicaux. Cela est consternant : cela est
contraire à la logique de négociation collective, qui est une des
fonctions essentielles des délégués syndicaux. Cela est
contraire à la jurisprudence, disant que l'on doit consulter le
Comité d'entreprise préalablement à la signature d'un
accord collectif. Cela est enfin contraire à la mesure de
représentativité, puisque la représentativité des
délégués syndicaux, pour la signature des accords, se fait
aux élections au comité d'entreprise. Je ne sais pas que ce que
représente la légitimité d'un délégué
syndical, dans un établissement de moins de 50 salariés,
où l'employeur n'est pas représenté, et où personne
ne peut répondre aux délégués. Ce problème
est fondamental. Je pense que l'on devrait adopter la logique suivante :
l'établissement syndical est le même que celui imposant la mise en
place d'un comité d'entreprise, quitte à en tirer des
conséquences en termes de nombre de représentants. Je suis
persuadé que les deux niveaux doivent être cohérents, de
telle sorte que la négociation collective soit efficace. Cela n'est pas
prévu par le texte alors que, pour autant, ce point est essentiel.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Nous avons déjà
largement abordé les questions qui vous avaient été
posées. Vous avez participé à la commission de
Virville ; quelle est votre réaction par rapport aux dispositions
relatives aux accords de groupe ?
M. Gilles BÉLIER
- Le texte, dans sa mouture actuelle, me sied.
La notion de groupe a émergé en 1982, et nous étions
parfaitement conscients de l'hétérogénéité
de ces groupes. En outre, il est impossible de « plaquer »
le groupe sur l'entreprise. Pour autant, le premier texte le faisait, en disant
qu'il ne peut y avoir d'accord de groupe que dans le champ d'application d'un
comité de groupe alors que, dans les faits, cela peut être le cas
dans une partie de groupe. Il est important d'avoir pris ces dispositions.
Il faudrait peut-être dire qu'il peut s'agir d'un niveau autonome de
négociation. Quoi qu'il en soit, en l'état, le texte ne me pose
pas de problème.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous n'avez donc rien à y
ajouter ?
M. Gilles BÉLIER
- Non, si ce n'est qu'une réflexion, elle
devrait être conduite à propos des accords de groupe. Plus
généralement, ce sont les effets qui sont importants. Nous devons
également avoir les mêmes règles de
légitimité, dans un accord de groupe, pour tous les
périmètres d'accord. Il ne faut pas que les logiques de
légitimité soient contournées en passant par le groupe. Je
pense néanmoins qu'il faut s'arrêter là, en ne
considérant pas le groupe comme un niveau de négociation.
M. le PRÉSIDENT
- Maître, je vous remercie infiniment pour
votre contribution.
M. Gilles BÉLIER
- Avant de vous quitter, je souhaite dire
quelques mots à propos de la seule recommandation de la commission de
Virville qui ait été retenue par la presse, à savoir le
contrat de projet. Je suis pour ma part proche de Martine Aubry et de Jean
Auroux, mais, pour autant, je conserve ma liberté de parole, de
pensée et de réflexion. Un conseiller honoraire de la Cour de
Cassation, ancien membre de la CFDT, et un secrétaire
général de la fédération CGT des banques et des
établissements financiers étaient membres de notre commission.
Vous imaginez bien que nous n'aurions pas signé un texte qui aurait
instauré une précarité généralisée
autour du contrat de projet. Le contrat de projet était dans l'air, nous
l'avons examiné ; nous avons considéré qu'il pouvait,
ici ou là, refléter un problème qui est aujourd'hui
traité par des contournements du droit : il s'agit de la fausse
sous-traitance, ou du portage salarial. Nous avons considéré que
cela ne pouvait plus continuer comme cela, mais nous avons limité le
champ des personnes qui pourraient être concernées par de telles
dispositions. Surtout, il n'y aura jamais un contrat de projet dans une branche
d'activité s'il n'existe pas un accord de branche étendu, qui
prévoit la possibilité de les signer, des garanties salariales,
et des garanties en termes de reclassement à la fin du contrat. Le
débat public est scandaleux, il est lamentable de tenir les propos que
nous entendons autour de ce contrat de projet.
M. Roland MUZEAU -
Les parlementaires auront une vision plus claire
lorsqu'ils auront pris connaissance de toutes les propositions.
M. Gilles BÉLIER
- En effet. Je dois dire que nous avons fait
45 propositions, mais les médias, et certains décideurs,
n'ont retenu que celle-ci.
M. le PRÉSIDENT -
Je vous remercie une nouvelle fois pour cette
contribution.
Audition de M.
Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
Président du groupe de propositions et
d'actions relatives au travail du MEDEF
(jeudi 22 janvier
2004)
M. le
PRÉSIDENT
- Je vous propose, monsieur le président, de nous
présenter, comme cela a été la règle hier, pendant
une dizaine de minutes votre approche du projet de loi sur le dialogue social.
Le rapporteur et les commissaires vous interrogeront par la suite plus
librement.
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Monsieur le président, monsieur le
rapporteur, mesdames et messieurs, je partirai d'un excellent questionnaire qui
m'a été adressé par M. Chérioux, car il fournit un
excellent plan à mon intervention. La première question est la
suivante : « Quelle est votre analyse de l'état actuel de
la négociation collective et du dialogue social dans notre
pays ? ». Mon analyse est ce qui a conduit à la Position
commune puis au projet de loi qui est devant vous. Notre analyse, et un
observateur impartial peut difficilement dire le contraire, c'est que nous
avons dans notre pays un espace social qui est à la fois très
occupé et réservé.
Notre espace social est très occupé en ce sens que ce sont la loi
et le règlement qui occupent sa plus grande partie. A titre d'exemple,
la loi dite « des 35 heures » ou la loi dite « de
modernisation sociale » sont à peu près impensables
dans les autres grandes démocraties occidentales, où ce sont des
conventions collectives et la politique contractuelle entre syndicats et
patronat qui règlent la durée du travail ou les conditions dans
lesquelles s'effectuent les licenciements. La loi et le règlement
occupant beaucoup d'espace en France, ils laissent une place très
limitée à la négociation collective, qui est largement
réduite à la portion congrue.
Notre espace social est aussi un espace réservé, car si la
négociation collective existe dans notre pays, c'est au niveau
interprofessionnel, comme le montre le débat qui vient d'avoir lieu sur
l'accord national interprofessionnel sur la formation, dans les grandes
entreprises, mais plus on descend dans l'échelle de la taille des
entreprises moins il existe. Notre espace social est un espace
réservé à quelques grands accords et quelques
négociateurs qui ont souvent un caractère quasi-professionnel,
c'est-à-dire permanent, et beaucoup moins à des
négociations d'entreprise, au plus près de la
réalité du terrain, avec des gens qui la vivent tous les jours
parce qu'ils y travaillent tous les jours, que ce soit l'entrepreneur, le
délégué syndical, l'élu du personnel ou le
représentant des salariés. Face à un espace occupé
et réservé, il fallait donner un nouveau souffle à la
politique contractuelle.
La question suivante posée par le rapporteur est ainsi
formulée : «
Le MEDEF a signé la Position
commune du 16 juillet. Estimez-vous que le projet de loi transcrit
fidèlement cette Position commune ?
». Je rappelle
que nous avons signé cette Position commune avec les deux autres
organisations patronales, la CGPME et l'UPA, et surtout avec quatre
organisations syndicales sur cinq. A une époque où l'on n'avait
pas encore pris l'habitude de signer des accords avec les cinq organisations
syndicales, comme on l'a vu depuis avec l'accord sur la formation
professionnelle, c'était le premier accord depuis longtemps à
être aussi consensuel sur un sujet difficile.
Après avoir répondu aux deux premières questions du
rapporteur, je voudrais m'en affranchir par la suite, car les questions
suivantes reviennent un peu à poser la question fondamentale de
l'équilibre du projet de loi dans le domaine du dialogue social.
Je crois monsieur le président, mesdames et messieurs, qu'il faut avoir
bien tête le fait que la Position commune est, derrière le projet
de loi qui la reprend assez bien, et en dehors de quatre faiblesses sur
lesquelles je reviendrai plus tard, un monument d'équilibre. Elle a
été également une négociation délicate de
dix-huit mois. C'est un monument d'équilibre qui institue un nouvel
équilibre dans deux domaines. Equilibre d'une part entre la loi et le
règlement, qu'il est suggéré de consacrer aux principes
fondamentaux des droits du travail, et la politique contractuelle, qui est
chargée de définir les modalités d'application de la loi.
La loi n'a pas, me semble-t-il à rentrer dans le détail. Bien
entendu, la négociation peut échouer, et si c'est le cas il faut
bien que les principes fondamentaux s'appliquent, si bien que l'on peut
imaginer des lois ou des règlements qui, en cas d'échec de la
négociation précisent le droit applicable.
Equilibre d'autre part au sein même de la négociation
collective : il s'agit de donner leur pleine possibilité d'action
et donc leur autonomie aux niveaux de négociation interprofessionnelle,
de branche et d'entreprise. Alors que je parle d'autonomie, certains avanceront
que c'est le principe de la hiérarchie des normes et le principe de
faveur qui ont été ainsi remis en cause. Ce n'est pas faux, mais
les conséquences n'en sont pas généralement celles qui
sont avancées. La hiérarchie des normes, c'est l'idée
selon laquelle la loi est au sommet, au-dessous de laquelle on trouve un
« mini-sommet » qu'est l'accord interprofessionnel, puis un
sommet encore plus bas, qui est l'accord de branche, puis l'accord
d'entreprise, de telle sorte que chaque sommet doit respecter celui qui est
placé au-dessus de lui. Comme je vous ai dit tout à l'heure que
l'espace social était occupé à 90 % par la loi, vous
voyez déjà qu'il ne reste plus grand-chose, en bout de
chaîne, à la négociation d'entreprise.
Le principe de faveur qui découle de la hiérarchie des normes
veut que l'on puisse déroger aux accords de niveau supérieur
à condition de faire mieux et d'être plus favorable. Ce principe
est extrêmement plaisant à l'oreille dans beaucoup de cas, il
convenait aux cinquante dernières années, mais il me semble qu'au
degré de développement que nous avons atteint aujourd'hui, avec
la prise de conscience des réalités de la vie économique
et de la vie des entreprises, il ne s'agit pas tellement de pouvoir faire plus
favorable, car cette époque est pratiquement révolue. S'il faut
faire plus favorable ligne par ligne, on n'y arrivera jamais ! On aura
donc une restriction de l'espace de l'accord collectif, notamment dans les
entreprises. Il faut pouvoir faire différemment, ce qui n'exclut pas que
les accords puissent être plus favorables. La notion d'accord plus
favorable a encore de très belles heures devant elle, mais il faut
prendre en compte le fait que telle disposition qui était
considérée jadis comme plus favorable ne l'est plus aujourd'hui,
voire est complètement obsolète.
Il faut donc une nouvelle économie des accords d'entreprise et des
accords de branche, de façon à ce qu'à chaque niveau on
puisse faire aussi bien que possible en matière d'équilibrage
entre les besoins des entreprises et les aspirations des salariés, sans
être prisonniers des autres niveaux de négociation, mais
naturellement toujours dans le respect des principes fondamentaux fixés
par la loi.
Bien entendu, le nouvel équilibre aura bien deux contreparties
essentielles. La première, c'est que si l'on demande à la loi de
laisser davantage d'autonomie au domaine de la négociation collective,
il faut que celle-ci soit aussi légitime que possible. Et c'est la
même contrepartie qu'il faut apporter à l'autonomie de la
négociation collective. C'est pourquoi nous avons introduit le principe
de l'accord majoritaire.
Comme le suggère l'une des questions du rapporteur, il est exact que
nous avons introduit le principe de l'accord majoritaire de façon
particulière, en retenant le système de l'opposition majoritaire,
plutôt que celui de la signature majoritaire. Pourquoi n'avons-nous pas
écrit dans la Position commune qu'un accord majoritaire est signé
par des organisations syndicales qui représentent la majorité des
salariés, ou qui ont obtenu la majorité des voix dans les
élections ? Nous avons procédé ainsi simplement pour
tenir compte des réalités. La Position commune a
été signée par quatre syndicats sur cinq, lesquels
n'étaient pas toujours d'accord entre eux. Certains voulaient un
système majoritaire intégral tout de suite, alors que d'autres
faisaient valoir la spécificité de la démocratie sociale,
où le suffrage n'a pas la même signification que dans la
démocratie politique, et ils réclamaient de pouvoir conserver le
principe de la représentativité syndicale en vigueur aujourd'hui.
La Position commune est une suite de compromis.
Pour arriver à mettre d'accord quatre organisations syndicales sur cinq
et trois organisations patronales sur trois, nous avons distingué ce qui
se passe dans la branche et dans l'entreprise. Dans l'entreprise, nous avons
été plus « majoritaires » que dans la
branche, puisqu'il sera apprécié si un syndicat est majoritaire
ou non en fonction du nombre de voix qu'il avait obtenues aux élections
professionnelles, de sorte qu'un accord non majoritaire est un accord qui a
obtenu contre lui 50,1 % des voix aux élections professionnelles.
Au niveau de la branche, nous avons convenu que nous ne voterions pas en
fonction du nombre de voix obtenues par chaque syndicat, mais que chaque
syndicat aurait sa voix, le principe étant qu'une opposition est
réputée majoritaire si un accord a contre lui au moins trois
syndicats de salariés sur cinq. On peut critiquer ce système,
mais il a un énorme avantage, car il permet aux organisations syndicales
représentatives aujourd'hui de continuer à signer un accord, et
de ne pas bouleverser le paysage syndical français, en
considérant qu'un seul syndicat peut, comme c'est déjà le
cas, signer un accord. Cet accord n'est toutefois valable que s'il ne fait pas
l'objet de l'opposition de trois syndicats au niveau de la branche, ou de
syndicats ayant obtenus plus de 50 % des voix aux élections
professionnelles.
Quand je vous dis que la Position commune et la loi qui la retranscrit
constituent un monument d'équilibre, c'est que je crois que nous sommes
allés aussi loin qu'il était possible dans la voie d'un
système majoritaire. Cet équilibre est très fragile, y
compris entre les organisations syndicales, comme j'ai pu m'en rendre en me
rendant dans chacun de leur siège pour discuter pied à pied avec
leur secrétaire général et voir jusqu'où l'on
pouvait aller. L'accord de demain sera quand même beaucoup plus
légitime que l'accord d'aujourd'hui, puisque par hypothèse,
même s'il n'est pas signé par des organisations majoritaires, il
se sera trouvé que ces organisations majoritaires n'auront pas
trouvé le problème suffisant pour faire opposition. C'est une
étape importante dans le développement de la démocratie
sociale française et je crois qu'il faut faire attention avant de
vouloir aller plus loin et de bouleverser le paysage syndical et social
français, qui est un paysage fragile.
Comme il était hors de question de bouleverser du jour au lendemain le
paysage social et syndical français, le nouvel équilibre auquel
nous avons abouti comporte une deuxième contrepartie qui prévoit
d'une part que le système ne peut pas remettre en cause la valeur
hiérarchique attribuée aux accords des années
précédentes. Une « majorité de
rencontre » dans une entreprise ou dans une branche ne peut pas
défaire ce qui a été fait par le biais d'un accord de
branche ou un accord interprofessionnel passé. Cette réserve
n'est pas sans poser un problème, car elle grave un peu dans le marbre
les accords antérieurs, mais elle était demandée par les
syndicats. D'autre part, et compte tenu du fait qu'il ne faut jamais insulter
l'avenir, il est prévu qu'à tout moment les négociateurs
d'un accord professionnel ou d'un accord de branche pourront décider que
telle ou telle disposition de cet accord aura un caractère tellement
impératif qu'elle ne saurait être remise en cause par un accord de
hiérarchie juridique inférieure, et cela même si cet accord
est adopté par une majorité.
Il est aussi indiqué dans la Position commune que des accords pourront
être signés dans les entreprises s'il n'y a pas de
délégués syndicaux, à la condition qu'un
délégué du personnel ou qu'un salarié
mandaté spécialement pour l'occasion les remplacent, mais aussi
que ces accords soient validés par une commission paritaire de branche
où siègent les représentants des organisations syndicales
et patronales. Une première expérience en ce sens avait
été faite à l'occasion d'une loi de 1996, mais elle n'a
qu'à peine eu le temps d'être mise en oeuvre, puisqu'elle venait
à échéance en 1999. Nous avons signé avec trois
syndicats, en 1999, un accord de prolongation, mais la majorité
parlementaire de l'époque n'a pas souhaité le reprendre à
son compte, de sorte que seulement une quarantaine d'accords de branche ont
été entériné le principe selon lequel des accords
d'entreprise pourraient être signés par des élus du
personnel. Nous l'avons repris dans la Position commune de 2001, puis dans le
projet de loi.
La sixième question du rapporteur est formulée ainsi :
«
L'article 40 du projet de loi légalise l'accord de groupe
et en définit le régime. Comment, selon-vous doivent s'articuler
accords de groupe, accords de branche et accord
d'entreprise ?
». Il se trouve que ce point fait l'objet de
l'un des quatre critiques que nous voulons formuler à l'égard du
projet de loi présenté.
Notre première critique porte sur le fait que cet accord est incomplet.
Comme je vous l'ai dit précédemment, la Position commune voulait
créer un nouvel équilibre entre la loi et la négociation
collective. Cela supposait que des garanties soient apportées, de
manière à ce que l'on ne retombe pas dans certains excès
passés, comme celui qui a consisté à consacrer des heures
de discussion à l'Assemblée nationale sur la question temps
d'habillage et de déshabillage, pour savoir s'il s'agissait ou non de
temps de travail effectif, sans que ne soit d'ailleurs évoquée
une éventuelle distinction entre une comédienne revêtant
son costume de Blanche Neige à Disney Land, un technicien qui met des
protections extraordinaires pour s'approcher de la pile atomique d'une centrale
nucléaire et le chercheur en sciences humaines qui met sa blouse pour
entrer dans sa bibliothèque de peur qu'une poussière des volumes
ne gâte son costume. Il faut évidemment renvoyer ce type de cas
d'espèce à la négociation par branche ou par entreprise.
Nous regrettons donc beaucoup que le projet de loi se contente, dans
l'exposé des motifs, d'un engagement selon lequel les partenaires
sociaux seront saisis lors de tout projet de modification du droit du travail.
Nous aurions souhaité que l'on grave dans le marbre, c'est-à-dire
dans la Constitution, l'idée que la négociation collective est la
modalité d'application normale de la loi. Cela dit la loi de 2003/2004
n'est pas intangible, et j'espère qu'elle évoluera avec le temps.
Notre deuxième critique porte sur le fait qu'il y a dans la loi une
disposition qui permet de faire des accords interprofessionnels territoriaux
normatifs, c'est-à-dire s'imposant à toutes les entreprises de
toutes les banches du département ou de la région. Si l'on
comprend l'intérêt que cette disposition peut avoir dans le cadre
de la démocratie locale, nous rentrons là dans une
possibilité d'imbroglio épouvantable. Alors que nous avons
déjà des accords nationaux interprofessionnels, des accords de
branches nationaux et territoriaux, des accords d'entreprise, si on y ajoute
des accords interprofessionnels territoriaux normatifs, on ne sait plus quel
est le droit conventionnel applicable. C'est tellement vrai qu'il est
écrit dans la Position commune que «
la volonté des
interlocuteurs sociaux d'élargir le dialogue social doit
également trouver une traduction concrète au niveau territorial
interprofessionnel. Ce dialogue social interprofessionnel territorial,
qui
ne saurait avoir de capacité normative
, doit être l'occasion
d'échanges, de débats
». On le constate, les sept
signataires considéraient que ces accords territoriaux
interprofessionnels ne devaient pas être normatifs. J'atténue ce
jugement critique en reconnaissant que l'état d'esprit dans lequel il a
été décidé que cette disposition figure
néanmoins dans la loi vise surtout les accords d'intérêt
locaux. Cette éventualité, qui correspond au principe de
subsidiarité, est d'ailleurs déjà ouverte aujourd'hui.
Notre troisième critique est un point sur lequel beaucoup de mes
interlocuteurs syndicaux ont dû appeler votre attention :
l'organisation d'élections de branche pour juger de la
représentativité d'un syndicat. Ce point a été
très longuement évoqué par les négociateurs sociaux
lors de l'adoption de la Position commune, et formellement
écarté. Pourquoi ? En raison de l'opposition totale entre la
CGT et la CFDT, qui tiennent absolument à des élections de
branche organisées tout de suite pour s'assurer de leur
représentativité, et les trois autres syndicats qui
considèrent que la CGT et la CFDT, qui ont en général une
implantation nationale plus importante que la leur seraient favorisés
par des élections de branche, ce qui conduirait à une rupture
d'équilibre du paysage syndical français. Le projet Fillon
reprend malheureusement, mais habilement, l'idée que nous avions
écartée, en en posant le principe puisqu'il appelle des
élections de branche, tout en précisant que celles-ci doivent
être organisées par des accords de branche. Cela sera difficile,
puisque trois syndicats y seront radicalement opposés... L'affichage de
la notion d'élections de branche donne à penser qu'il se passera
quelque chose à ce niveau dans les années à venir.
Notre quatrième critique porte sur le point que soulève le
sénateur Chérioux à propos de l'article 40 : il
est incompréhensible que la loi, qui reprend la Position commune, la
trahisse de cette façon. En effet, si l'article définit
très clairement les limites d'un groupe, pour une raison qui nous
échappe, et contrairement à toute la philosophie de la Position
commune et même à toute la philosophie de la loi, qui est
favorable au développement de l'autonomie de la négociation, on
nous dit que l'accord de groupe doit respecter dans tous ses
éléments les accords de branche, et
a fortiori
les accords
interprofessionnels. Autrement dit, on admet qu'un accord passé dans une
entreprise puisse répondre au principe d'autonomie, tout en affirmant
que ce n'est pas le cas dans un groupe, où par hypothèse
l'équilibre entre les négociateurs est pourtant renforcé.
Cette disposition est d'autant plus aberrante que les groupes sont le plus
souvent multinationaux et multi-branches. S'il y a vraiment un endroit
où il faut accorder l'autonomie de la négociation, avec la
légitimation par le recours à une procédure de type
majoritaire, c'est bien dans le groupe.
On fait souvent référence à la Haute Assemblée en
parlant « des sages ». Or le mot de sagesse me semble
très proche de celui d'équilibre, que j'ai utilisé
à de multiples reprises pendant mon intervention. Encore une fois, la
Position commune est un monument d'équilibre. A l'exception de
l'article 40, qui est idiot...
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous ne pouvez vous permettre de
laisser entendre que le législateur est idiot...
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Je retire le mot. Disons que cet article
est incongru et en tout cas pas en ligne avec le reste. Ces textes
répondent à un « équilibre au point de
croix », comme on dit dans le monde de la dentelle. Ils ont
été acceptés du bout des lèvres par les signataires
en 2001. Leur mise en oeuvre amène même certains à
s'interroger : « Est-ce que l'on a vraiment signé
ça ? ». Oui, on a signé cela. La loi aurait
été mise en oeuvre quinze jours plus tard, il n'y aurait pas eu
de problème. La sagesse, si je peux me permettre de vous la recommander,
serait de vous en tenir à la rédaction actuelle. Nous avions
d'ailleurs l'habitude de dire à M. Fillon lorsqu'il nous
consultait : « Toute la Position commune, rien que la Position
commune ». Nous aurions tendance à vous dire, Monsieur le
président, mesdames et messieurs les sénateurs, en mettant
à part l'article 40, que je ne requalifierai pas :
« toute la petite loi, rien que la petite loi ».
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous vous êtes livrés
à une défense et illustration du texte de la Position commune en
nous recommandant d'y toucher le moins possible. J'en accepte le principe,
à condition qu'il ne souffre pas d'exception. En effet si l'on admet une
exception dans un domaine à votre demande, il faudra peut-être que
nous soyons amenés à en prendre d'autres, pour rétablir
cette fois-ci l'équilibre des concessions faites de part et d'autre.
Comme vous avez répondu à toutes mes questions, je vais laisser
mes collègues vous poser les leurs.
M. Alain GOURNAC
- Vous avez évoqué une modification de la
Constitution, et je serais ravi de siéger à nouveau à
Versailles, car j'habite dans les Yvelines, mais je pense néanmoins
qu'il faut faire preuve de retenue dans ce domaine, car une constitution qui
est toujours revisitée est une constitution qui est moins
respectée.
Comme vous le savez, je suis un grand défenseur du dialogue social, y
compris ces dernières années où celui-ci était
très ténu. Je trouve comme vous qu'il y a beaucoup trop de lois
dans ce pays et que l'on devrait régler davantage de questions par le
seul biais du dialogue social. Nous devons réhabiliter le dialogue
social, car il a été vilipendé. Cela suppose que les
syndicats et le patronat parlent d'une façon différente, à
l'image de ce qu'ils ont fait pendant la précédente table ronde.
Le patronat devra aussi trouver d'autres mots, sans jamais tomber dans ce
travers qui consiste à montrer sa puissance. Ce texte n'est
peut-être pas parfait, mais il a le mérite de constituer une base
de départ.
M. Roland MUZEAU
- Monsieur le président, vous avez
terminé votre propos par ces mots : « La Position
commune, toute la Position commune, rien que la Position commune ».
Le problème pour nous, c'est qu'il y a autant d'interprétations
de cette Position commune que de signataires. J'ai pris connaissance d'une
déclaration du président de la CFDT selon laquelle « ce
projet de loi est une folie douce ». J'ai également entendu
FO, la CGT et la CFDT déclarer lors des auditions que notre commission a
organisées, que cette Position commune, qui avait tous le sens que vous
lui avez donné en 2001, après de très longs mois de
travail, est marquée par un contexte qui n'est plus celui d'aujourd'hui.
Vous avez évoqué l'autonomie que vous souhaitiez donner à
l'accord d'entreprise, afin qu'il puisse prendre en compte les
négociations au plus près des intérêts des
salariés. Or il ne faudrait pas, à mon sens, oublier un
paramètre essentiel : le grand nombre des petites ou très
petites entreprises, où travaillent la plupart des salariés, mais
où la représentation des organisations syndicales est la plus
faible. Mon souci ne vise pas les grandes entreprises où le dialogue
social est en place depuis un certain temps, mais le désert de
représentation des salariés qui existe ailleurs.
En ce qui concerne les accords de branche, l'équilibre que vous mettez
en avant doit prendre en compte à mon sens les évolutions du
paysage syndical. Un débat sur la représentativité des
cinq centrales syndicales est ouvert et je constate que d'autres organisations
syndicales au plan national, et plus encore au niveau de certaines branches,
ont désormais un poids que l'on ne peut pas négliger.
La hiérarchie des normes et le principe de faveur reçoivent
quelque peu les foudres du MEDEF. Vous avez tenté de nous convaincre que
le fait de « faire autrement » pouvait avoir des
conséquences positives pour les salariés. Pour ma part, je ne
sais pas ce que signifie « faire autrement ». Je sais en
revanche ce que signifient le principe de faveur et la hiérarchie des
normes. Ces principes constituent des garanties face aux déserts de
représentation syndicale que j'évoquais
précédemment. Il faudrait que vous précisiez ce que vous
entendez par « faire autrement » pour nous convaincre. De
la même manière que personne ne remet en cause la théorie
de l'évolution, à l'exception de quelques charlatans, il me
semble que cette théorie de l'évolution vaut aussi pour le droit
social. Je n'ai jamais rencontré un quelconque « faire
autrement » en la matière, à moins qu'il ne s'agisse
simplement du principe de faveur.
Enfin, la garantie ultime que vous présentez en excipant de
l'article 39 est très insuffisante, car cet article ne stipule pas
qu'une convention ou un accord ne pourront être dénoncés.
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Je permets de répondre d'abord
à M. Roland Muzeau. Vous avez évoqué les prises de
position récentes des syndicats. Pour en juger, je crois qu'il faut
distinguer les signataires et les non-signataires, car on peut admettre que la
CGT, qui n'a pas signé la Position commune, ne soit pas contente. J'ai
rencontré chacun des signataires, pour leur faire part de mon
étonnement à l'écoute de leurs hurlements, alors qu'ils
ont effectivement signé. Leur réponse consiste en
général à dire : « On a peur que vous
alliez plus loin et que vous n'obteniez plus. En criant comme on le fait, nous
sommes à peu près sûr que le Parlement en restera à
la Position commune ».
L'interprétation ne souffre pas d'ambiguïté. La Position
commune a posé une règle : l'autonomie des niveaux de
négociation. Elle a fixé des garanties : le respect des
accords antérieurs, la possibilité d'en ajouter dans le domaine
impératif, le fait que des dispositions s'appliquent dès
maintenant de manière impérative, comme les
minima
salariaux ou les classifications. La Position commune conclut en indiquant que
les accords supérieurs peuvent être tantôt normatifs,
tantôt subsidiaires, s'il n'y en a pas d'autres. C'est normal puisque le
principe a en effet été posé qu'il y avait une autonomie
et que cette autonomie pouvait faire l'objet de corrections. Je vous assure que
si nous faisions une analyse juridique profonde, il n'y aurait pas de
difficulté réelle d'interprétation. M. Roland Muzeau s'est
soucié, à juste titre, des petites entreprises et des très
petites entreprises. Je lui ferai observer que nous avons
préservé toute la valeur de la négociation de branche,
notamment quand il n'y a pas de négociation d'entreprise. Il n'y a pas
d'inquiétude à avoir pour les TPE ou les PME : la
négociation de branche leur apporte toutes garanties.
S'agissant de l'adoption des accords de branche, j'ai cru comprendre,
M. Roland Muzeau, que vous n'étiez pas très favorable au
système de vote par nombre de syndicats dans la branche, bien que vous
sembliez accepter le vote en fonction des résultats obtenus aux
élections professionnelles dans l'entreprise. Vous avez dit cette phrase
importante : « Je ne remets pas en cause la
représentativité des syndicats qui existent
aujourd'hui ». J'en prends acte, mais je peux vous assurer que ces
syndicats se seraient sentis fondamentalement remis en cause si nous
étions allés aujourd'hui plus loin dans la
représentativité par branche. C'est le refus d'aller plus loin de
FO, de la CGC et de la CFTC qui ont amené la Position commune. Si ces
syndicats ont accepté le principe d'un vote « par
tête » dans les entreprises, ils ont considéré
que cela n'était pas encore possible dans les branches, car leur
représentativité serait mise en cause. D'où la
nécessité de trouver un équilibre entre la notion de
majorité dans la branche et la notion de majorité dans
l'entreprise.
Vous avez évoqué ensuite, M. Roland Muzeau, la hiérarchie
des normes et le principe de faveur en expliquant que vous ne voyiez pas
comment on pourrait « faire autrement » au lieu de
« faire plus favorable ». Pour vous répondre, je
prendrai l'exemple des heures supplémentaires, qui sont à l'heure
actuelle payées en argent, conformément à la loi. Depuis
la loi d'assouplissement Fillon sur les 35 heures, l'existence de comptes
épargne temps peut permettre de compenser les heures
supplémentaires par un repos ou par le versement de l'argent
capitalisé pendant la période ces heures sont restées sur
le compte épargne temps. Qu'est-ce qui est le plus favorable pour les
salariés ? Que les heures supplémentaires soient
payées en temps ou en argent ? Pour ma part, je l'ignore, car des
salariés peuvent préférer avoir du temps pour partir
à la retraite six mois plus tôt, alors que d'autres, qui ont une
maison à payer, préfèrent être payés tout de
suite en argent. Si la loi ne permet pas de faire différemment dans
certains secteurs ou dans certaines entreprises, elle fige le principe de
faveur. En proposant cela, Monsieur le Sénateur, vous privez les
partenaires sociaux d'avoir leur appréciation. En effet, le principe de
faveur n'est pas aujourd'hui déterminé par les partenaires
sociaux, mais par le juge ou par l'administration. Ce que nous avons
proposé avec la Position commune, c'est de permettre aux partenaires
sociaux de s'approprier à tous les niveaux le principe de faveur. C'est
ainsi que nous avons pu fixer l'indemnité de précarité
pour les CDD dans la Métallurgie non pas à 10 %, mais
à 6 %. Cette solution, qui correspond à une
possibilité offerte par la loi, résulte d'un accord de branche.
Si nous avons pu descendre en dessous de la loi qui prévoit 10 %,
ce qui déroge au principe de faveur, c'est parce que quatre
organisations sur cinq ont considéré que la vraie
précarité, ce n'était pas la forme du contrat, mais le
degré de formation des gens. Plus vous êtes formé, quel
soit votre contrat, plus vous avez de chances d'obtenir un emploi. Il
était donc préférable de faire payer aux entreprises une
cotisation spéciale pour la formation des CDD plutôt que d'en
rester aux 10 % individuels de l'indemnité de
précarité. Nous avons donc signé dans la
Métallurgie un accord de branche très largement majoritaire, mais
où l'on procède différemment que la loi. Ce n'est pas au
juge ou au fonctionnaire qui n'ont en général jamais mis les
pieds dans une entreprise, de savoir ce qui est préférable sur le
terrain.
Vous avez dit, monsieur le sénateur, à propos de l'article 39,
que celui-ci ne dit pas que l'on ne peut pas dénoncer. Cela me semble
heureux car, compte tenu du fait qu'en général les accords de
branche ont une validité perpétuelle, ce qui est aussi le cas de
nombre d'accords interprofessionnels, la seule façon de les modifier,
c'est de les dénoncer ou de les réviser. C'est pourquoi nous
avons donné une garantie, pour dire que cela ne remettait pas en cause
la valeur hiérarchique des accords de branche. J'ajoute que lorsque l'on
dénonce un accord de branche, celui-ci continue à s'appliquer
pendant 18 mois et cela conduit à une remise en cause totale des
accords collectifs dans les entreprises, de sorte que le patronat le plus
réactionnaire y regarde à deux fois avant de dénoncer les
accords de branche.
M. Roland BUZEAU
- Les banques et les assurances l'ont bien fait !
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Il faut dire que l'accord de branche des
assurances et de la banque datait de 1942 ou de 1943 : on peut imaginer
que cet accord ne soit plus très pertinent soixante ans plus tard...
M. Chérioux a préconisé la transcription de l'accord dans
son intégralité, y compris l'article 40. Je me bornerai
à lui objecter que cette disposition ne concourt pas à
l'équilibre du texte mais contrevient à sa philosophie
générale. Comment comprendre que l'autonomie de l'accord
interprofessionnel, de branche et d'entreprise ne s'étende pas aux
accords de groupe, d'autant qu'il est souvent le plus légitime ?
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Vous oubliez que certains groupes
interviennent dans des branches très différentes. Vous risquez de
remettre en cause par le biais d'accord de groupe les dispositions qui sont
prises par les branches.
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Vous risquez de créer un imbroglio
épouvantable. La logique voudrait qu'un groupe soit
considéré comme une entreprise et de sorte que l'on puisse y
prendre en compte les accords signés par des représentants de
toutes les branches le composant.
M. Gournac a parlé très justement de la
responsabilité patronale. Il faut que vous sachiez que la loi sur le
dialogue social n'est pas des plus populaires dans les instances du MEDEF. Je
dirai que c'est probablement la partie la plus avancée du monde patronal
qui est favorable à ce texte, parce qu'elle considère que la
qualité du dialogue social est un élément de la
compétitivité des entreprises.
M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur
- Cette partie du patronat est
éclairée également par l'esprit de la participation et de
l'intéressement.
M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
- Je vous en donne acte et je voulais dire
à M. Gournac que la notion de dialogue social telle qu'il mettait
en avant est une notion que le monde patronal doit s'approprier, en acceptant
que son interlocuteur privilégié soit le syndicat. Lorsqu'elle a
été interrogée à la télévision par
une de vos collègues du Parlement européen, Mme Lienemann,
qui lui reprochait de négocier avec le patronat, Mme Notat a
répondu fort justement : « Mais madame, avec qui
voulez-vous que je négocie ? ». Et bien sachez que je ne
cesse de répéter dans le monde patronal : « Avec
qui voulez-vous que l'on négocie, si ce n'est avec les
syndicats » ? Nous sommes prêts, monsieur le
président, à négocier avec les syndicats.
M. le PRÉSIDENT
- Nous ne pouvons que nous en féliciter,
car il est nécessaire que les syndicats et le patronat
négocient.