COMPTE RENDU INTÉGRAL DES AUDITIONS DES
MARDI 20, MERCREDI 21 ET JEUDI 22 JANVIER 2004

M. Nicolas ABOUT, président - Le projet de loi relatif à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social est sans conteste un texte important pour notre droit social, et plus largement pour notre démocratie sociale. Son premier volet, celui de la formation rénove en profondeur notre système de formation dont notre commission a souvent pointé les limites. Son second volet, consacré à la négociation collective, vise pour sa part à donner un nouvel élan au dialogue social en lui ouvrant de nouveaux espaces et en réformant les conditions de conclusion des accords collectifs. Ce texte est particulier, puisqu'il s'appuie sur deux accords interprofessionnels récents : la Position commune du 16 juillet 2001 sur les voies et les moyens de l'approfondissement de la négociation collective d'une part, l'accord national interprofessionnel du 20 septembre 2003 sur l'accès des salariés à la formation d'autre part. C'est pourquoi, en accord avec nos deux rapporteurs, j'ai tenu à organiser un large programme d'auditions afin de nous permettre d'entendre la position de l'ensemble des partenaires sociaux sur ce texte. Pour la clarté de nos travaux, les deux volets de ce texte ont été dissociés. Nos auditions des jours à venir concernent le dialogue social. Quant à la formation professionnelle, une table ronde rassemblant l'ensemble des organisations signataires de l'accord sera organisée jeudi matin.

Audition de M. Michel JALMAIN
Secrétaire national de la Confédération française
démocratique du travail (CFDT)
(mardi 20 janvier 2004)

M. le PRÉSIDENT - Je cède la parole à M. Michel Jalmain, secrétaire national de la confédération française démocratique du travail (CFDT).

M. Michel JALMAIN - La CFDT appelait cette réforme de ses voeux de longue date, car le système français de négociation sociale et de négociation collective était compliqué et s'inscrivait dans un paysage syndical complexe. L'organisation même du système, notamment pour ce qui est de la négociation collective, de la validation des accords et plus généralement de la représentativité, entraînait souvent des complications, voire des discordes. Si ces dernières sont quelque peu naturelles entre les organisations syndicales et le patronat, les organisations syndicales elles-mêmes entraient parfois en conflit quant à leurs stratégies et à leurs règles de négociation et de validation des accords. De même, des conflits pouvaient opposer les partenaires sociaux et l'État. Ce système « à trois bandes » était soumis aux tentatives d'instrumentalisation de certains acteurs, pour servir certaines causes. C'est ainsi que des employeurs ont pu réclamer d'accorder une place prépondérante à la négociation collective par rapport à la loi, avant de se retourner vers la loi lorsqu'elle répondait mieux à leurs intérêts. Les syndicats ont également privilégié la voie négociée mais, lorsque les obstacles étaient trop difficiles, se sont tournés vers le législateur. Il importait de mettre de l'ordre dans ce système à géométrie variable.

Par ailleurs, le système doit être modifié de telle sorte que la représentation et la négociation collective soient étendues à tous les secteurs qui en étaient dépourvus par le passé, notamment celui des petites et moyennes entreprises. Il ne s'agit pas d'appliquer aux petites entreprises les systèmes de représentation et de négociation des grandes entreprises, mais de mettre en place des dispositifs adaptés et opérationnels, tant pour les entreprises que pour les salariés.

Enfin, cette réforme est nécessaire car elle s'intéresse à la place de la loi et du contrat. A cet égard, nous nous inscrivons dans l'esprit du protocole social de Maastricht, qui privilégie le temps de la négociation sur celui de la loi. Ce protocole prévoit qu'au terme d'un certain délai, il est possible de s'inspirer d'un accord pour le traduire sous forme de loi. Ce système reste certes à construire.

Telles sont les raisons pour lesquelles la CFDT plaidait pour une réforme du système de la représentation et de la négociation collective. Il en est ressorti une Position commune. Celle-ci diffère d'un accord, car sa rédaction est inachevée et contient certaines ambiguïtés ou contradictions, qui ont suscité des difficultés de traduction législative. Le ministère du travail a éprouvé des difficultés à concilier les points de vue et les lectures des différentes organisations. Un projet de loi a ensuite été présenté. Nous estimons qu'il constitue une avancée et un texte d'étape, bien qu'il soit inachevé et qu'il n'entraîne pas une réforme de grande ampleur qui aurait pu conférer davantage de sens et de cohérence à l'ensemble, notamment pour ce qui est des principes de validation des accords ou de la mesure de la représentativité par l'organisation d'élections. Ces deux points constituent des faiblesses du texte.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous avez tout d'abord dressé un constat et insisté sur la nécessité d'opérer une réforme. Vous nous avez également fait part de votre analyse de la Position commune, socle sur lequel un certain nombre d'organisations syndicales - dont la vôtre - se sont accordées. En revanche, vous semblez considérer que la loi issue de ce socle ne répond pas à vos attentes sur certains points. En quoi ce projet de loi est-il inachevé ? Vous noterez que le texte de loi n'aborde le rapport entre les décisions conventionnelles et la loi que dans l'exposé des motifs, car ce problème constitutionnel ne peut pas être résolu dans le cadre de la loi.

M. Michel JALMAIN - La Position commune est un compromis, ce qui explique que nous ne soyons pas satisfaits par tous ses aspects. La loi est la traduction de ce compromis. Nous déplorons plusieurs écarts entre la Position commune et la loi. Tout d'abord, la Position commune privilégiait la logique d'engagement majoritaire à celle d'opposition. Or le législateur a opté pour l'opposition.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Le législateur a choisi l'opposition dans une certaine mesure, mais n'a pas pour autant abandonné l'engagement, qui peut être mis en oeuvre par la conclusion d'accords de méthode.

M. Michel JALMAIN - La Position commune prônait une logique d'engagement majoritaire, que nous jugeons préférable à la recherche d'une majorité d'opposition. Cet aspect culturel important renvoie à de futurs changements de pratique.

Par ailleurs, le texte de loi s'écarte de la Position commune pour ce qui est de l'organisation d'élections de représentativité dans les branches. Nous estimons que ces élections sont nécessaires afin de mesurer précisément la représentativité de chacun, pour faire évoluer le système à l'échelle des branches et nous inscrire dans la logique de validation des accords et d'engagement par la signature. Il faut s'assurer que le nombre de signataires représente bien une majorité des salariés de la branche. Tant que ce système ne sera pas en place, nous ne pouvons pas aller en ce sens.

En outre, nous décelons une contradiction entre notre conception de la Position commune et la lecture qu'en a faite le projet de loi sur la hiérarchie des normes. Il est vrai que la Position commune est ambiguë. En effet, pour aboutir à un accord à son sujet, il a fallu prendre en compte les souhaits du patronat et d'une partie des syndicats. C'est ainsi qu'un paragraphe précise que les accords de branches peuvent êtres supplétifs par rapport aux accords d'entreprises, mais qu'il appartiendra, au niveau de l'accord interprofessionnel ou de la branche, de déterminer le champ des dérogations possibles.

Il faut rappeler que la Position commune présentait deux scénarios contradictoires. Le projet de loi a opté pour l'inversion des normes, en l'assouplissant toutefois. En effet, si le principe de non-rétroactivité était validé, le MEDEF ne devrait pas obtenir satisfaction sur sa demande de rétroactivité. Il ne devrait donc pas être possible de déroger aux accords d'entreprises conclus avant l'entrée en vigueur de la loi.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Le texte le mentionne.

M. Michel JALMAIN
- Cette mention est en effet inscrite dans le texte du projet de loi et a été confirmée par le Conseil d'État. La version de la hiérarchie des normes ne vaudrait donc que pour les accords à venir. Dans les futures négociations, il faudra donc discuter non seulement des contenus, mais aussi de la nature même de l'accord. L'accord est-il normatif, d'encadrement, d'impulsion ou dérogatoire sur certains aspects ? Il conviendra d'adapter les pratiques syndicales de négociation à ce nouveau texte, pour confirmer dans la pratique de la négociation la lecture que nous faisons actuellement.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Qu'en est-il des petites entreprises qui souffrent d'une insuffisance de négociation ?

M. Michel JALMAIN - J'aborderai tout d'abord la question des lois et des contrats. La Position commune proposait de modifier la Constitution. Les partenaires sociaux signataires ont convenu qu'il était préférable de s'en tenir à une première étape, marquant la volonté des pouvoirs publics d'accorder la prépondérance à la négociation collective sur certains domaines sociaux.

Pour ce qui est du développement de la représentation et de la négociation dans les petites entreprises, le projet de loi est assez fidèle à la Position commune. Dans les entreprises dépourvues de syndicat, il est possible de négocier avec les élus, selon les règles de validation édictées par la loi et après validation par une commission paritaire de branche. Le système est donc bien délimité. Dans les entreprises ne comptant ni syndicat ni élu, il est prévu une extension du mandatement à l'ensemble des thèmes de négociation.

Pour sa part, la CFDT comptait récemment 20.000 mandatés dans les entreprises de moins de dix salariés. La disposition prévue par la loi devrait ouvrir le champ de la négociation et du développement de la représentation dans ce secteur, sous cette forme de mandatement. S'y ajoutent les commissions paritaires locales, qui peuvent ouvrir la voie à une prise en charge mutualisée des problèmes locaux. En effet, des accords d'intérêts locaux peuvent être conclus, ce qui peut être intéressant pour traiter de questions d'emploi, d'insertion, de RMI et de RMA, d'exclusion, des jeunes...

M. Louis SOUVET - J'évoquerai le fait syndical en général - sans viser la CFDT - dans lequel il semble prévaloir une culture du conflit. Si les organisations syndicales ont si peu d'adhérents, c'est précisément qu'elles cultivent le conflit.

Par ailleurs, la négociation collective doit-elle avoir la primauté sur la loi ?

M. Michel JALMAIN - Nous sommes attachés à la négociation collective. Toutefois, nous ne sommes des adversaires ni de l'État, ni de la loi. Il importe d'organiser une complémentarité entre la loi et le contrat. C'est dans cette optique que je faisais référence au protocole social de Maastricht. Etant donné que nous partageons un objectif de progrès social, nous devons pouvoir trouver une articulation constructive et dynamique entre le rôle de l'État et le rôle des partenaires sociaux. Pour les questions sociales, qui concernent au premier chef les partenaires sociaux, l'on pourrait raisonnablement accorder la primauté à la négociation collective, étant entendu qu'en contrepartie, les pouvoirs publics doivent s'engager à traduire les accords conclus dans une loi. Nous ne devrions pas nous inscrire dans une logique d'opposition, ce qui est difficile dans la mesure où le temps du politique ne coïncide pas toujours avec le calendrier social

M. le PRÉSIDENT - Ces deux légitimités ne peuvent pas se trouver en opposition permanente. Le Parlement doit aussi tenir compte de ce volet de négociation sociale et le transposer dans ses textes, sans quoi il s'en suivra une contestation immédiate des textes proposés.

M. Michel JALMAIN - La situation est très délicate, notamment du fait de la loi de mobilisation sur l'emploi.

M. Roland MUZEAU - Le patronat revendique de longue date que les accords d'entreprises constituent un nouveau mode des relations sociales, déterminant par rapport à la loi. Le projet de loi qui nous est présenté répond très largement à cette revendication. M. Fillon prend la Position commune pour prétexte, Position commune dont vous avez justement rappelé qu'elle comportait des ambiguïtés. Manifestement, le projet de loi interprète ces ambiguïtés en faveur du patronat.

La loi protège l'ensemble des salariés grâce à un socle minimum. Les accords d'entreprises ou les accords de branche constituent des éléments de négociation de nature à améliorer ce socle minimum. Or le projet de loi défend une logique inverse. Vous avez souligné que cette loi ne vaudrait que pour les accords à venir. Pourtant, de nombreux exemples nous permettent de concevoir des craintes - dont le dernier est la dénonciation de la convention collective des banques. C'est ainsi que le patronat des banques a pu remettre en cause certains avantages. Certaines organisations de salariés ont retrouvé les garanties de leurs précédentes conventions collectives, d'autres les ont perdues. Plusieurs accords de branche, en particulier dans l'industrie, ont des durées limitées. Lorsqu'ils seront parvenus à terme, cette loi permettra de construire de nouveaux dispositifs. L'on pourrait donc craindre que pour les accords existants, les garanties aient une durée limitée.

J'ai pris connaissance dans le quotidien Libération d'une prise de position du Secrétaire national de la CFTC, qui affirmait que la réforme du dialogue social était « une folie douce ». Comme mes collègues sénateurs, j'ai reçu un grand nombre d'interventions de la CGC, de FO et de la CGT nous faisant part de griefs quant à cette remise en cause de la situation actuelle, qui constituait une garantie. Que pensez-vous de ces prises de position, qui se sont amplifiées après la première lecture à l'Assemblée nationale ?

M. Michel JALMAIN - Plutôt que les déclarations, nous analysons les textes et les conclusions qui en découlent au regard de nos objectifs et des pratiques qui devront être mises en oeuvre. Nous n'étions pas demandeurs de la façon dont le projet de loi a été rédigé par le ministre du travail. Par ailleurs, nous avons toujours revendiqué la mise en oeuvre des accords interprofessionnels de 1995 signés par la CFDT, la CFTC et la CGC, qui prévoyaient qu'il appartenait aux accords de branches de déterminer quelle était la nature des accords qu'ils souhaitaient conclure et le champ des dérogations possibles. Le pivot de la négociation collective devait rester la branche. En cela, le projet de loi s'écarte de nos préconisations.

Comment se traduira le projet de loi dans la pratique ? Il me semble que le patronat sera pris à son propre jeu. Nous avons pris soin d'indiquer dans la Position commune que les nouvelles dispositions ne remettaient pas en cause la valeur hiérarchique des accords conclus avant l'entrée en vigueur de la loi. Ce point est essentiel. S'il est confirmé que l'on ne peut pas déroger aux accords antérieurs, de nombreuses interrogations seront levées. En effet, l'un des enjeux pour une partie du patronat était de contourner les accords sur le temps de travail. Or ces derniers ont tous été conclus avant que la loi ne paraisse.

Qu'adviendra-t-il demain ? Si vous concevez de fortes craintes, nous sommes pour notre part plus réservés. Dans toute négociation - comme c'est le cas actuellement avec la négociation sur la restructuration de l'emploi - il est question de la portée juridique de l'accord. Si la loi s'applique malgré la conclusion d'un accord, il est inutile de bâtir cet accord. Les syndicats demandent donc aux employeurs que l'accord soit normatif sur certains sujets et ouvert à la négociation d'entreprise sur d'autres sujets. La portée de l'accord est devenue un thème de négociation. Cela rejoint notre demande que soient appliqués les accords interprofessionnels de 1995, qui stipulent que l'échelon supérieur de la négociation détermine la nature et la portée juridique de l'accord, ainsi que les espaces de dérogation pouvant être confiés à l'échelon inférieur, la branche ou l'entreprise.

Pour le côtoyer à certaines occasions, je peux témoigner que l'ensemble du patronat n'est pas satisfait de l'orientation prise par le projet de loi. Avec ce projet de loi, les syndicats de salariés pourront encore avoir la main dans les négociations, face aux employeurs. Ils devront toutefois être vigilants sur la portée juridique des accords qu'ils concluront. Ce nouveau dispositif législatif nécessitera de réviser les pratiques syndicales.

L'exemple des banques n'est pas le plus pertinent à cet égard. Après la dénonciation de la convention collective, un nouveau texte a été signé par tous les syndicats. Certains aspects de la convention collective initiale ont été modifiés, ce qui a conduit les entreprises soit à maintenir les acquis précédents, soit à les redéployer. C'est tout le jeu de la négociation.

Imaginons qu'une branche dénonce sa convention collective. Les entreprises garderont leurs dispositifs acquis. Dans la négociation d'une nouvelle convention collective, les syndicats pourront refuser la position du patronat selon laquelle, hormis les salaires minimaux et les classifications, toutes les autres mentions doivent être dérogatoires. Nous sommes contraints de nous entendre sur la nature et la portée des accords.

La loi a prévu que pour qu'une entreprise puisse déroger à certains aspects de l'accord de niveau supérieur, il doit exister un accord dans l'entreprise. Cet accord doit en outre être validé selon les nouvelles règles. Une amélioration pourrait être apportée sur ce point : une entreprise qui souhaiterait déroger à un accord de niveau supérieur devrait être soumise à une obligation d'accord majoritaire - au sens de l'engagement majoritaire. Notre inclination pour la validation majoritaire vise à favoriser le développement de la négociation collective et de l'autonomie des partenaires sociaux. La négociation sur des sujets politiques d'importance nécessite une certaine légitimité, d'autant plus qu'à l'échelon interprofessionnel, il est possible de conclure des accords entraînant des demandes de modifications législatives. La validation majoritaire constitue une légitimité relative permettant de discuter à armes égales avec le législateur.

M. Gilbert CHABROUX - Monsieur le président, je comprends que vous sépariez le débat sur la formation professionnelle du débat sur le dialogue social. Toutefois, le volet consacré à la formation professionnelle n'explique-t-il pas la position que défend la CFDT ? Le large accord obtenu sur la formation professionnelle explique-t-il votre adhésion au volet du dialogue social ? J'avais cru comprendre que tous les syndicats étaient opposés aux propositions relatives au dialogue social. Je souhaite que vous exprimiez des positions claires, alors que votre discours est très nuancé.

Pour ma part, je m'inquiète de constater que le législateur sera dessaisi. Le rapporteur à l'Assemblée nationale a été attentif à ce problème et a déposé un amendement proposant que des parlementaires soient membres de la Commission nationale sur la négociation collective, afin d'associer le Parlement le plus en amont possible aux évolutions du droit du travail. Cela serait d'autant plus utile que le rapport de Virville propose de réformer le code du travail par voie d'ordonnance. Ne risquons-nous pas d'être pris au piège ? J'estime que le rôle conféré à la négociation d'entreprise est exorbitant. Vous savez comme moi que le rapport de forces est plus favorable aux employeurs dans les entreprises que dans les branches. Or la loi présente l'avantage d'être supérieure.

Une fois encore, quelle est la position claire de la CFDT ?

M. Michel JALMAIN - Nous ne sommes pas favorables à l'écriture du projet de loi Fillon. Notre position repose sur les accords interprofessionnels de 1995.

Par principe, nous ne sommes pas hostiles à toute possibilité de dérogation. Toutefois, l'on peut déterminer que l'entreprise peut déroger aux accords de niveau supérieur soit par la loi, soit par la négociation collective. Nous avons signé en 1995 des accords interprofessionnels qui prévoyaient cela. Ces accords n'ont jamais été appliqués car ils nécessitaient des traductions législatives que les gouvernements de l'époque n'ont pas cru utile de mettre en place.

Nous n'étions pas demandeurs de la rédaction du projet de loi. Toutefois, nous ne sommes pas hostiles à accorder une place élargie à la négociation collective décentralisée, y compris en dérogeant aux accords de niveau supérieur. Il reste qu'il appartient aux accords de niveau supérieur - interprofessionnels ou de branche - de déterminer l'aspect pouvant donner lieu à une discussion élargie, au niveau de la branche ou de l'entreprise.

Enfin, il me semble que le patronat est pris à son propre jeu. En effet, il n'a pas obtenu satisfaction sur la possibilité de déroger, à l'échelle de l'entreprise, sur les accords antérieurs. Cela compliquera les relations sociales et la négociation collective. Nous devrons non seulement nous confronter sur des contenus, mais encore sur la portée des accords que nous négocierons. Cette complexité n'est pas bienvenue, à l'heure où M. de Virville souhaite simplifier le droit du travail et certains aspects de la négociation.

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le secrétaire national, je vous remercie, ainsi que vos collaborateurs. Si vous le souhaitez, vous pourrez apporter toute information ou déclaration complémentaire à notre rapporteur. Je vous demande également de bien vouloir répondre par écrit aux questions que notre rapporteur ou d'autres commissaires pourraient vous transmettre.

Audition de Mme Christine DUPUIS
Secrétaire nationale chargée du dossier de l'emploi et de l'économie
à l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA)
et M. Luc MARTIN-CHAUFFIER
Secrétaire général de la Fédération nationale des banques, assurances et sociétés financières à l'Union nationale des syndicats autonomes (UNSA)
(mardi 20 janvier 2004)

Mme Christine DUPUIS - Je vous remercie de nous recevoir. J'occupe la fonction de secrétaire nationale chargée du dossier de l'emploi et de l'économie à l'UNSA. M. Luc Martin-Chauffier est pour sa part notre secrétaire général de la Fédération nationale des banques, assurances et sociétés financières. Il pourra vous apporter un témoignage concret du dialogue social sur le terrain.

En préliminaire, je dirai que le projet de loi, tel qu'il est présenté par le ministre du travail, reste un projet fermé. Il s'inscrit dans un système clos qui ne touche pas à l'essentiel, puisqu'il ne remet pas en cause l'arrêté de 1966 qui fige le paysage syndical aux organisations syndicales dites représentatives, qui bénéficient d'une représentativité irréfragable. Qu'en serait-il si le paysage politique avait été figé en 1966 ? Le PC seul subsisterait. Cet exemple illustre le fait que la situation ne tient pas compte des réalités du terrain. Le projet de loi ne répond donc pas à nos espérances d'ouverture du dialogue social et de la négociation collective. Malgré ses aspects positifs, comment cette loi peut-elle faire évoluer la situation alors que les acteurs du terrain n'ont aucun intérêt à cette évolution ? Les organisations syndicales dites représentatives ne sont pas favorables à ce que leur représentativité soit mesurée ni à ce que des accords majoritaires soient conclus. Dès lors que sans adhérent, elles peuvent désigner un délégué syndical pour signer un accord - au nom d'on ne sait qui -, nous considérons que la démocratie est bafouée. Pour notre part, chaque fois que nous investissons une entreprise, nous sommes confrontés à des règles qui mettent à mal la démocratie.

M. Luc MARTIN-CHAUFFIER - Je suis responsable, pour l'UNSA, de la fédération nationale des banques, assurances et sociétés financières. Le projet de loi sur le dialogue social qui nous est présenté et qui a été voté en première lecture à l'Assemblée nationale est à nos yeux entaché du péché originel : il ne modifie pas la règle du jeu. Le « club des cinq » que constituent les organisations syndicales dites représentatives est intouché. Pour que la situation évolue et que le dialogue social s'instaure, il importe d'ouvrir le champ d'intervention à tous les syndicats constitués, et qui ont prouvé leur surface. C'est à ce titre que nous demandons à participer à l'ensemble du dialogue social et des négociations sociales dans les entreprises, dans les branches ou sur le plan interprofessionnel.

Il nous a été rétorqué que si nous enregistrions un bon résultat aux élections prud'homales, il serait prouvé que nous étions représentatifs nationalement. Je rappelle qu'en 1997, nous avions recueilli 0,73 % des voix et avions présenté 217 listes sur 1.271. Or lors des dernières élections, nous avons recueilli 5 % des suffrages - soit plus de 260.000 voix - et nous avons présenté 913 listes - soit plus de 5.000 candidats - sur 1.271. Notons que les élections prud'homales sont les élections les plus difficiles en France. Elles nécessitent de constituer des listes complètes, à 150 % au minimum compte tenu des éventuels défauts de présentation des candidats. Par extrapolation, si nous avions présenté 100 % des listes, nous aurions obtenu 6,24 % des voix, ce qui nous aurait placé à égalité avec la CGC et à proximité de la CFTC. En outre, le total des élections de la Fonction publique et des prud'homales nous place largement devant la CGC et à 10.000 voix de la CFTC.

Selon le Préambule de la Constitution, chacun est libre de se syndiquer dans l'organisation de son choix. Or ce Préambule date de 1946, alors que la section syndicale et les délégués syndicaux ont été créés en 1968. Pour être présent dans une entreprise, désigner un délégué syndical et participer aux élections, nous devons prouver notre représentativité. Dès lors, nous estimons que le principe d'égalité devant la loi n'est pas respecté. Certains bénéficient d'une représentativité automatique, alors que d'autres doivent prouver leur existence.

Nous nous sommes présentés à quatre reprises devant le tribunal d'instance dont relève la BRED, qui s'est à chaque fois enquis de notre nombre d'adhérents. Lorsque nous nous sommes interrogés sur le nombre d'adhérents des autres organisations, nous nous sommes vu répondre qu'elles n'avaient pas à prouver leur représentativité. Comment expliquer cette inégalité ? Il est arrivé que l'une des organisation qui nous contestait ne compte qu'un délégué syndical et deux adhérents ! Le projet de loi nous empêche donc de participer véritablement à la négociation collective, professionnelle ou interprofessionnelle.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous avez abordé un problème qui ne figure pas dans le texte. En revanche, vous avez souligné que le projet de loi comportait des aspects positifs. Quel est votre jugement sur ce texte ? Quel est par exemple votre point de vue sur la possibilité pour les entreprises de conclure des accords en dérogation par rapport aux accords de branche ?

Mme Christine DUPUIS - L'UNSA est un syndicat réformiste. Tout ce qui concourt à améliorer le dialogue, que ce soit à l'échelle interprofessionnelle, dans la branche ou dans l'entreprise, est positif. Nous approuvons tous les éléments qui permettront à la négociation de se développer et aux accords majoritaires d'apparaître. Néanmoins, nous aurions souhaité que la loi favorise les accords majoritaires plutôt qu'un droit d'opposition majoritaire. Dès lors qu'un accord devra rassembler l'ensemble des signataires légitimes, des osmoses se créeront entre les organisations syndicales. Cela entraînera un rapprochement de projet, pour le bien des salariés, ce que nous ne pouvons qu'approuver. Au droit d'opposition majoritaire, nous aurions donc préféré l'accord majoritaire.

Pour ce qui est du développement de la négociation, avec les accords de branche et les accords d'entreprise, nous estimons que la hiérarchie des textes doit être respectée. Dans ce cadre, le développement d'accords de branches et d'entreprises peut trouver une complémentarité. Un accord de branche n'a pas pour vocation de traiter du détail d'une entreprise, mais de définir des lignes directrices propres à une branche et qui devront être déclinées à l'échelle de l'entreprise. C'est ainsi que se développe la négociation. A nos yeux, ces aspects de la loi sont donc positifs.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - J'en conclus que l'article 39 sur la sécurité juridique vous convient.

Mme Christine DUPUIS - En effet. Nous souhaitons éviter des situations semblables à celle qui a suscité la jurisprudence Majorette, dans laquelle un plan social a été remis en cause trois ans après son application.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous estimez que ce texte constitue une avancée dans l'absolu, sous la réserve - considérable de votre point de vue - qu'il ne résout pas votre problème.

Mme Christine DUPUIS - Nous considérons que ce texte est hémiplégique ! La réforme ne s'applique pas à la totalité du système. Nous affirmons que la légitimité des accords devra correspondre à la légitimité des acteurs. Or pour que les acteurs soient légitimes, ils doivent pouvoir se présenter au premier tour des élections et avoir été reconnus comme des acteurs de l'entreprise. Ainsi, les accords ne pourront plus être contestés.

M. Roland MUZEAU - Vous avez indiqué que vous étiez favorable aux accords d'entreprise dérogeant aux accords de branche et à la loi.

Mme Christine DUPUIS
- Ce n'est pas exact. Nous pensons que la hiérarchie des normes doit être préservée. En revanche, nous ne plaçons pas la négociation sur le même plan en ce qui concerne la branche et l'entreprise. Quel serait l'intérêt de négocier des accords de branche ou des accords interprofessionnels dès lors que l'accord d'entreprise dérogerait sur tout ?

M. Roland MUZEAU - Considérez vous que l'article 39, stipulant que l'application de cette loi n'est pas rétroactive et ne s'applique pas aux accords déjà conclus, offre une réelle garantie ? Dans le domaine des banques par exemple, la convention collective a été dénoncée et renégociée. Il est donc possible de mettre un terme à des accords existants et d'instaurer une nouvelle loi qui définit de nouvelles règles du jeu.

M. Luc MARTIN-CHAUFFIER - Toute convention collective peut être dénoncée à tout moment par l'un des signataires. La convention collective est alors renégociée, à la baisse ou à la hausse en fonction du rapport de forces dans le secteur.

Nous considérons que la nouvelle convention collective qui a été signée dans le secteur des banques est défavorable, notamment en ce qui concerne les salaires. La convention précédente prévoyait une réelle politique de salaires, avec des augmentations pour l'ensemble de la profession. A l'inverse, la nouvelle convention collective ne prévoit qu'une revalorisation des minima . La dernière branche professionnelle qui bénéficiait d'une véritable politique salariale de branche a donc disparu, de façon toutefois légale. Nous avons jugé que la négociation avait été mal menée et qu'il ne convenait pas de signer la nouvelle convention. Or n'étant représentatifs ni sur le plan national ni dans la branche, nous n'avons pas pu intervenir.

M. Roland MUZEAU - Il n'existe donc pas de garantie.

Mme Christine DUPUIS
- La loi ne sera pas rétroactive. Toutefois - et heureusement - il n'existe pas de garantie sur les accords. Il est souhaitable que les accords évoluent et qu'ils puissent être modifiés par avenant ou dénoncés par les organisations syndicales ou patronales. Ils sont alors obligatoirement renégociés. Tel est le jeu de la négociation en France.

M. Roland MUZEAU - Dès lors que la dénonciation a été prononcée, l'on entre dans un nouveau cadre de relations sociales.

Mme Christine DUPUIS
- En effet.

M. Gilbert CHABROUX - Qu'en est-il du temps de travail ? Les 35 heures risquent-elles d'être remises en cause ?

Mme Christine DUPUIS - L'UNSA a toujours approuvé la loi sur les 35 heures, pour plusieurs raisons. Notre expérience nous a permis de constater que lorsque cette loi a été bien négociée, elle a apporté un certain confort aux salariés, voire des gains de productivité et une souplesse aux entreprises. Il reste que ce qu'une loi a fait, une loi peut le défaire. Nous ne serions pas favorables à ce qu'une loi remette en cause les 35 heures.

M. Gilbert CHABROUX - Le projet de loi qui nous occupe peut-il y contribuer, par le biais des accords d'entreprises ?

Mme Christine DUPUIS - La loi précise que la durée légale hebdomadaire de travail est de 35 heures, soit 1.600 heures voire 1.607 heures si un jour férié est supprimé. Aujourd'hui, certaines entreprises dénoncent leurs accords sur le temps de travail pour en renégocier d'autres, ce qui fait partie du jeu de la négociation des acteurs. Il est vrai que certains de ces accords ont parfois été mal négociés et ne sont pas en adéquation avec les besoins des entreprises. Il est alors préférable de renégocier l'accord dans de bonnes conditions, de telle sorte qu'il soit plus équilibré. Hormis dans l'hôtellerie, les 35 heures sont applicables dans toutes les entreprises de France. Telle est la loi, qui pour le moment n'est pas remise en cause.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - L'article 39 sur la sécurité juridique n'entraîne pas une obligation de renégocier. La sécurité juridique intervient en matière de hiérarchie des accords. Le projet de loi introduit la possibilité pour les accords d'entreprises de déroger à des accords de branche, et aux accords de branche de déroger à des accords interprofessionnels. Néanmoins, la loi interdit ces dérogations pour les accords qui existent déjà. Les accords d'entreprise ne peuvent donc pas remettre en cause l'armature juridique créée précédemment.

Mme Gisèle PRINTZ - Quel est votre rôle dans une entreprise, dès lors que vous n'êtes pas reconnue comme une organisation syndicale représentative ?

M. Luc MARTIN-CHAUFFIER - Pour être présents dans une entreprise, nous devons y prouver notre représentativité. Il faut pour cela remplir un certain nombre de critères, au titre desquels le nombre d'adhérents, les cotisations, l'ancienneté ou l'attitude patriotique pendant la guerre. Ces critères doivent être argumentés devant le tribunal d'instance lorsqu'une des parties de l'entreprise - employeur ou organisation syndicale - conteste notre représentativité. S'il est prouvé que nous sommes représentatifs dans l'entreprise, nous jouissons des mêmes droits que les autres organisations. C'est lors de l'étape initiale que les droits sont inégaux. Ainsi, si l'une des cinq organisations dites représentatives ne compte qu'un adhérent, ce dernier peut être nommé délégué syndical et signer un accord au nom de l'ensemble de l'entreprise ! C'est pourquoi nous contestons le principe de l'accord minoritaire. Pour avoir longtemps siégé à l'Association française des banques, je peux témoigner que les accords de salaires proposés par la délégation patronale n'étaient signés que par la CGC !

Mme Christine DUPUIS - Cette loi, pour son volet sur le dialogue social, a le mérite d'exister. Nous considérons toutefois qu'elle est incomplète et « hémiplégique » : il lui manque un membre. Je souligne que le rapport de Virville pose le problème de la représentativité et avance des propositions fort intéressantes. Il préconise ainsi d'imposer un test de représentativité à l'ensemble des organisations syndicales qui se présentent. Ce test sera utile pour élire les conseillers prud'homaux. En outre, ceux qui recueilleront un certain nombre de voix pourront négocier. Les autres ne disposeront pas de la légitimité d'engager leur signature et leur parole au nom de salariés qu'ils ne représentent pas. Nous aimerions que ce principe soit appliqué à l'ensemble des organisations syndicales.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie d'avoir accepté de répondre à nos questions.

Audition de M. Marc BLONDEL
Secrétaire général
et Mme Michèle BIAGGI
Secrétaire confédérale chargée de la négociation sociale
de la Confédération générale du travail - Force ouvrière (CGT-FO)
(mardi 20 janvier 2004)

M. Marc BLONDEL - Je vous remercie de votre invitation à expliquer la position de notre organisation syndicale sur l'importante question de la démocratie sociale. Je me permets de préciser que je quitterai mes fonctions le mois prochain. C'est volontairement que j'ai voulu accompagner Mme Michèle Biaggi, car il me semble que le problème qui nous occupe n'est pas uniquement technique, mais aussi d'ordre politique. Je laisserai Michèle Biaggi vous expliquer nos préoccupations et les questions que nous nous posons. J'apporterai pour ma part un commentaire, sous un angle politique, sur la question de la négociation collective en général, ainsi que quelques précisions sur le comportement de l'organisation syndicale Force ouvrière sur cette question capitale.

Mme Michèle BIAGGI - La Confédération a grandement travaillé sur ce dossier. Deux aspects principaux du projet de loi nous semblent difficiles à accepter pour l'ensemble des salariés de ce pays. Le premier point concerne l'accord majoritaire. En effet, le projet de loi remet en cause ce que nous avons pu construire depuis plus de cinquante ans, avec l'ensemble des organisations syndicales et des organisations patronales.

Le projet de loi présente donc le premier inconvénient d'envisager la signature par des syndicats majoritaires. En second lieu, ce projet comporte un réel danger pour les conventions collectives, le code du travail et le statut des fonctions publiques, avec la possibilité pour les accords d'entreprise d'être dérogatoires et le développement de la négociation au niveau de l'entreprise. L'entreprise pourra donc faire moins que les accords de branche ou les accords interprofessionnels.

Nous retrouvons là les volontés du MEDEF émises lors de la première discussion sur la refondation sociale le 3 février 2000 : une décentralisation de la négociation à l'échelon de l'entreprise, avec la possibilité de signer des accords dérogatoires. Cela entraîne des difficultés pour les syndicats, mais aussi pour les salariés dans leur ensemble.

Nous avons travaillé sur ce sujet avec M. François Fillon et ses collaborateurs, en nous efforçant de parvenir à des accords. Nous avons éprouvé les plus grandes difficultés à trouver un terrain d'entente, en particulier en ce qui concerne l'accord majoritaire. M. Fillon s'est appuyé sur la Position commune, que nous avons signée le 16 juillet 2002. Il convient toutefois de rappeler que cette Position commune permettait de conclure les discussions sans aboutir à un constat d'échec, sur des dispositions qui, à l'origine, étaient antagonistes. M. Fillon s'est très librement inspiré de la Position commune, n'en reprenant pas certains éléments ou en aménageant d'autres. Il faut donc relativiser la valeur de cette Position. Certes, nous l'avons discutée pendant 18 mois et l'avons signée. Cette Position présentait notamment le mérite de bloquer certaines velléités de textes sur le sujet. En réalité, la situation n'a fait que s'aggraver.

Avec les accords dérogatoires, la possibilité de rester en deçà des accords de branche ou des accords interprofessionnels équivaut à placer les salariés à la merci de l'employeur. Les propositions de la commission de Virville ne font que renforcer notre inquiétude à cet égard.

Concernant l'accord majoritaire, nous aurions préféré que le droit d'opposition soit élargi et plus facile à utiliser. Or il ne sera possible d'y recourir qu'en cas de silence de la branche. Nous ignorons quelle sera l'attitude de la branche. Sur certains sujets, elle pourra laisser le droit d'opposition s'exercer comme par le passé. A l'inverse, elle pourra décider que d'autres sujets nécessitent un accord majoritaire.

Par ailleurs, en remettant en cause l'accord majoritaire, l'on place les syndicats dans l'obligation de se recomposer et de se réunir pour signer des accords dès lors qu'ils n'auront pas recueilli 50 % des voix aux élections. Aujourd'hui, peu d'organisations syndicales atteignent ce seuil de 50 %. C'est donc, en quelque sorte, une recomposition obligatoire qui est imposée aux syndicats. Cela a également des conséquences en matière de financement.

Le droit de saisine faisait partie de nos revendications. Nous ne le retrouvons pas pleinement dans le projet de loi, qui stipule que le droit de saisine ne peut s'exercer que dans l'entreprise ou dans la branche, à condition que cette dernière en fixe les règles. Il n'est pas fait mention de l'échelon interprofessionnel. Ainsi, lorsque nous adressons une demande de négociation aux organisations patronales, nous n'avons pas nécessairement de retour.

M. Marc BLONDEL - Pendant de nombreuses années, Force ouvrière a été l'organisation qui a particulièrement privilégié la négociation collective comme moyen d'évolution et de régulation, et comme un instrument de l'organisation syndicale permettant d'obtenir satisfaction à ses revendications. Nous pratiquons de la sorte depuis la loi du 11 février 1950, peu de temps après la création de notre organisation syndicale. Il s'agit même d'un débat interne au mouvement syndical. Comment devons-nous obtenir satisfaction ? Est-ce par la négociation avec les employeurs, à tous les niveaux ? Est-ce plutôt par la législation ?

Notre cheminement a été facilité par la prise de position du président du CNPF, M. Ceyrac, qui a expliqué dans un ouvrage qu'il avait choisi délibérément d'entrer dans la voie de la négociation collective, contrairement aux positions alors défendues par les organisations patronales. M. Ceyrac avançait la nécessité de régulariser les conditions de concurrence et de faire en sorte que les entreprises soient dans l'obligation d'assurer des prestations comparables. Les organisations syndicales y ont vu un élément de réduction des inégalités, notamment entre grandes et petites entreprises. Le mouvement syndical n'est d'ailleurs guère représenté dans les petites entreprises. Toutefois, par le biais des conventions collectives de branche, nous avons pu influer sur la situation des salariés. Cela a permis aux organisations syndicales de construire une grande partie du code du travail. L'on constate en effet que généralement, les novations - comme les congés payés - apparaissent après des vagues de négociations successives, les dispositions d'un secteur étant étendues à l'ensemble des secteurs et des salariés. C'est ainsi que le code du travail a progressé durant les « trente glorieuses ».

Des difficultés sont apparues lorsque les employeurs - le CNPF puis le MEDEF - ont affirmé que les négociations collectives devaient d'abord se dégager des dispositions dites obsolètes. Il a ensuite été question de négociations « donnant-donnant » et de négociations portant à leur ordre du jour des revendications patronales plutôt que des revendications des syndicats. Certains syndicats ont accepté de « détricoter l'existant » et de remettre en cause les acquis, sans toujours les remplacer par un nouveau dispositif.

Nous avons aujourd'hui atteint le point extrême du raisonnement. Après avoir abandonné la convention collective, après avoir utilisé la négociation collective pour remettre en cause les acquis, le MEDEF entend localiser la négociation prioritairement dans l'entreprise. Il voudrait donc que nous abandonnions tout principe de solidarité. En outre, le MEDEF place les salariés des entreprises à la merci de la situation économique, politique et générale de l'entreprise. Que répondre à un employeur qui demande la négociation d'un accord car il est dans l'incapacité de payer le treizième mois de salaire, pourtant prévu dans la convention collective, sans quoi il devra fermer son entreprise ? Les organisations syndicales seront dans l'obligation de s'y soumettre. Tel est l'élément le plus problématique de la démarche du projet de loi.

Le dialogue social marque avant tout la volonté des parties de négocier. Pour ma part, j'ai le sentiment que le MEDEF ne défend plus cette position. Même lorsqu'il a émis l'idée de la refondation sociale, il n'a jamais abordé aucun sujet nouveau. La refondation sociale n'a jamais traité que des dossiers qu'il était prévu d'aborder, notamment en ce qui concerne le financement de l'UNEDIC. En 2000 par exemple, M. Seillière prévoyait - tout comme moi - que nous manquerions en 2005 de professionnels de l'informatique de haut niveau. Je lui avais alors proposé de négocier un plan de formation pour satisfaire ces besoins. Mon organisation syndicale se serait engagée dans ce plan de formation et aurait constitué un partenaire loyal. Or ce problème nouveau est resté lettre morte. De même, lors de l'accident d'AZF, nous avons demandé au MEDEF de discuter d'un objectif de sécurité industrielle et de sécurité de l'environnement. Il s'agissait d'un dossier nouveau, auquel le MEDEF n'a pas donné suite. C'est pourquoi nous préconisons le droit de saisine. Les organisations syndicales doivent pouvoir porter à l'ordre du jour des commissions paritaires certaines revendications, qui devront être traitées. Dans la situation présente, il suffit pour les employeurs de faire abstraction des dossiers.

Il existe un instrument intéressant, qui est pourtant de moins en moins utilisé par le gouvernement actuel, comme ce fut le cas avec les gouvernements précédents : la convocation, par le ministère du travail, à des négociations collectives sur des points qui lui semblent utiles. Le ministère du travail peut à tout moment déléguer un directeur départemental du travail pour présider la commission paritaire devant traiter d'un sujet donné. J'ai saisi les ministres du travail de l'époque sur les deux sujets que j'ai évoqués précédemment. Or cette pratique n'est plus de mise.

Je souligne que le Gouvernement a laissé 18 mois aux organisations syndicales et patronales pour envisager des substituts. Les réunions se succèdent pourtant sans espoir de résultat. Je ne fais pas un procès d'intention au patronat, mais je dresse un constat. Il apparaît que la convention collective n'est plus le moyen qui permet de résoudre les problèmes ou les différends qui interviennent entre les organisations syndicales et patronales.

Comme je l'ai rappelé, le patronat réclamait la remise en cause de la hiérarchie des normes, avec la négociation d'entreprise. En guise de garantie accordée aux organisations syndicales, M. François Fillon prévoit que les dérogations soient acceptées par la majorité. Nous rejoignons en cela la loi américaine de Taft-Hartley, qui stipule que si 50 % des votants plus une personne réclament un syndicat, la négociation est obligatoire. Aux Etats-Unis, certaines entreprises ferment dès lors que le résultat d'une consultation atteint ce seuil et que se profilent la possibilité de créer un syndicat et l'obligation de négocier une convention collective. La société JP Stevens en est l'exemple flagrant. Il me semble que M. François Fillon s'inscrit dans cette orientation, arguant qu'il offre une garantie que les accords devront être acceptés par le personnel et qu'ils ne seront pas remis en cause devant les tribunaux. Or nous sommes opposés au recours devant les tribunaux lorsqu'il s'agit de négociations collectives. En revanche, nous nous tournons vers les tribunaux pour faire appliquer la loi. Dans le secteur privé, aucune organisation syndicale ne représente 50 % des voix. Seule la CGT enregistre de tels résultats à la SNCF et chez EDF. Par définition, les syndicats seront contraints de s'accorder et perdront une part de leur liberté. Afin de mener une action efficace, ils devront accepter des rapprochements, ce qui conduira à une certaine clarification du nombre d'organisations syndicales. Je suis persuadé qu'à un horizon de dix ans, nous assisterons à un bouleversement du paysage syndical, d'autant plus que ceux qui plaident pour les rapprochements s'empressent de reconstituer des organisations syndicales plus « pures » que les autres. Alors que nous comptions jusqu'à présent cinq organisations syndicales représentatives, nous en aurons bientôt six ou sept. Peut-être la loi suscitera-t-elle la création de nouvelles organisations, qui permettront aux plus importantes d'atteindre le seuil des 50 %. Je souhaite que mon organisation syndicale reste libre de son comportement. Elle ne fusionnera que si elle l'a décidé. Je ne souhaite pas qu'elle contracte des alliances pour s'adapter à des circonstances particulières, ce qui ne lui permettrait plus de s'exprimer librement.

Le gouvernement actuel s'est félicité de la complicité de certaines organisations syndicales. Je m'étonne que ces organisations, qui ont signé des textes en régression par rapport à l'existant, revendiquent elles aussi l'accord majoritaire. Je ne porte pas de jugement sur les organisations qui ont jugé utile de signer le protocole sur les retraites, mais j'affirme que pour défendre les salariés, je ne l'ai pas signé.

En outre, du fait des accords majoritaires, il ne s'agira plus d'être capable de signer les textes, mais de s'opposer à leur signature. Signer, c'est toujours prendre un engagement difficile. Certains estiment toujours qu'il était inopportun de signer et que la négociation aurait dû perdurer, afin d'obtenir davantage. En signant, l'on accepte un compromis. On ne peut signer un accord si l'on n'est pas animé par une volonté politique. Je crains que le projet de loi ne crée une dynamique consistant, pour exister, à s'opposer aux accords. Certaines organisations refuseront de signer pour ne pas prendre de risque et assurer leur succès aux élections suivantes. Ce faisant, elles dissuaderont également les autres organisations de signer. Cela ne peut que nuire à l'action syndicale. Je souligne que nous ne disposons pas des moyens de contrôler ces élections. Organiserons-nous des élections de représentativité un dimanche, branche par branche ? Personne ne s'y rendra. La citoyenneté syndicale n'est pas suffisamment répandue pour cela, moins encore que la citoyenneté politique.

Enfin, si les salariés n'obtiennent pas satisfaction par le biais des négociations collectives, ils tenteront d'obtenir satisfaction par la loi. Néanmoins, nous ne serons plus indépendants. La ligne de conduite de FO sera par exemple remise en cause car nous devrons nous allier à une organisation politique à qui nous proposerons de pratiquer une forme de travaillisme. C'est bien ce qui advient entre le Labour Party et les TUC en Grande-Bretagne. En France, nous sommes plutôt attachés à une tradition de syndicalisme indépendant, bien qu'il ait pu exister des liens historiques entre le Parti communiste et la CGT. Toutefois, je ne crois pas que la CGT ait financé le Parti communiste, alors qu'il est notoire que les TUC britanniques ont financé le Parti travailliste et Tony Blair. De même, le DGB allemand est fractionné en interne en fonction de l'appartenance politique de ses membres. Telle n'est pas notre tradition.

C'est le rapport de force qui décide de la négociation collective, et les travailleurs ont le droit de s'exprimer. Si nous souhaitons maintenir une certaine richesse en matière de négociation, nous devons nous garder de soutenir un texte qui entraînera un gel des conventions. Les conventions collectives gelées n'ont plus de valeur après un délai de cinq ans. Dans la pratique, elles sont contournées. Ainsi, quelle est l'entreprise qui pratique encore les périodes d'essai ? Toutes proposent des contrats à durée déterminée. J'y vois les fruits de la faiblesse de l'activité conventionnelle dont nous souffrons depuis une dizaine d'années.

Pour finir, je rappellerai que FO a souvent accepté des avancées, parfois modestes, pour sauver le principe de la négociation collective. Nous jouissons d'une expérience dans ce domaine, et je souhaite que vous teniez compte de nos préoccupations.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Monsieur Blondel, je salue votre foi dans la négociation collective. Vous avez posé deux problèmes : l'accord majoritaire et les dérogations. Pour ce qui est de ces dernières, je vous rappelle que selon l'article 39 du projet de loi, elles ne peuvent pas porter sur ce qui existe actuellement. En outre, il sera toujours possible, dans les accords de branches, d'interdire les dérogations.

Quelle est votre position sur les dispositions de l'article 39 ?

M. Marc BLONDEL - Après un délai de cinq ans, les conventions sont obsolètes. Je m'intéresse aux textes qui seront négociés à l'avenir, et qui comporteront une possibilité de dérogation. Le monde du travail change, et la notion de contrat de travail a profondément évolué. Certaines entreprises offrent aujourd'hui des contrats atomisés et de formes diverses. Comme l'a fait la CGT, j'ai demandé qu'une négociation porte notamment sur les entreprises sous-traitantes. En effet, rien n'est plus facile que de ne pas respecter une convention collective pour certaines activités de l'entreprise en recourrant à la sous-traitance. Après cinq ans, cela équivaut à annuler les conventions. Il n'existera plus alors que des contrats individuels.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - S'agissant de l'accord majoritaire, j'ai cru comprendre que vous souhaitiez maintenir le système actuel. Même s'il est décidé qu'il existera un engagement majoritaire - ce qui est possible dans un accord de méthode - vous êtes opposé aux accords majoritaires et à la majorité d'opposition. Or vous n'êtes pas non plus favorable aux élections de branche. Dès lors, quelle sera la légitimité des parties prenantes de l'accord ? Quelle sera la légitimité d'un accord qui n'aura été signé que par un syndicat non majoritaire ?

M. Marc BLONDEL - Ce sont les salariés qui confèrent aux organisations leur légitimité au moment des élections professionnelles. Chaque organisation syndicale reconnue comme étant représentative a le droit de négocier. Dans les secteurs professionnels qui pratiquent encore la négociation collective, tous les accords ont été signés par des organisations minoritaires.

M. le PRÉSIDENT - Le temps est-il venu de remettre en cause le caractère irréfragable de la représentativité de certains syndicats ?

M. Marc BLONDEL - Il revient au ministère d'en décider.

La notion de représentativité irréfragable ne me heurte pas. Je vous rappelle que lorsque nous signons un texte, il s'applique à tous les salariés. Aux Etats-Unis au contraire, les éléments négociés ne sont applicables qu'aux seuls syndiqués. En France, le ministre du travail peut réserver le sort qu'il souhaite à un accord signé par une organisation représentative. S'il considère que l'accord est insuffisant, il peut ne pas l'étendre.

M. Guy FISCHER - Vous semblez considérer que M. Fillon a abusé de la Position commune.

M. Marc BLONDEL - M. François Fillon a effectué une interprétation libre de la Position commune.

M. Guy FISCHER - Etes-vous fondamentalement opposé au projet de loi ?

M. Marc BLONDEL - Oui. J'ai rencontré M. François Fillon à plusieurs reprises et je l'ai alerté des conséquences que pouvait entraîner son texte.

M. Guy FISCHER - L'évolution du paysage syndical que vous avez évoquée est-elle comparable à l'évolution du paysage politique, faite de fusions et d'émiettement ?

M. Gilbert CHABROUX - Durant l'audition précédente, l'UNSA a affirmé que si le paysage politique avait été figé en 1966, il ne resterait plus aujourd'hui que le Parti communiste. Je conviens qu'il est difficile de mesurer la représentativité des syndicats. Néanmoins, pourquoi ne pas organiser des élections générales un jour ouvré ?

M. Marc BLONDEL - M. Seillière serait ravi de votre proposition !

M. Gilbert CHABROUX - J'apprécie que vous soyez résolument opposé au caractère dérogatoire des accords d'entreprises. Il me paraît en effet dangereux de s'engager dans cette voie. Vous avez cité des faits concrets, et j'aimerais que vous en citiez d'autres encore afin de nourrir notre argumentation. S'agissant du treizième mois par exemple, je suis persuadé que la menace est réelle.

De votre point de vue, quels acquis sont menacés ? Quelles seront les conséquences concrètes de cette loi pour les salariés ?

M. Marc BLONDEL - Depuis l'implosion du système soviétique et la remise en cause de la tradition marxiste-léniniste, la notion d'unité d'action s'est considérablement démultipliée. Dans leur stratégie, il est probable que certaines organisations syndicales défendront la réunification syndicale ou le syndicalisme rassemblé, autant de formules de propagande. Peut-on raisonnablement affirmer que l'on ne travaillera avec les syndicats que lorsqu'ils partageront tous un même point de vue ? Les propagandistes syndicaux - y compris au sein de mon organisation - essayeront de donner l'image la plus large du mouvement syndical, d'autant plus que le débat est désormais en partie international et européen. Or peu de pays européens comptent autant d'organisations syndicales que la France. Le mouvement syndical français a toujours été victime des comportements politiques. L'histoire de la CGT, depuis 1895, révèle que c'est toujours sous l'effet d'oppositions politiques que sont intervenues des scissions ou des réunifications. J'ignore comment la situation évoluera. Ce qui m'importe avant tout est de sauvegarder la liberté de comportement des syndicats.

Pour ce qui est de l'UNSA par ailleurs, je ne crois pas en la notion de syndicat autonome mais en celle de syndicalisme confédéré, qui est son exact contraire. Je ne comprends pas la revendication de l'UNSA de se faire reconnaître en tant que confédération. Je ne crois pas non plus aux prédictions dont l'UNSA vous a fait part sur l'évolution du paysage politique. Rappelons en incidence que les partis politiques existent aussi parce que les citoyens leur font confiance ! L'UNSA argue qu'elle ne peut pas répondre au critère de représentativité lié au comportement de son organisation pendant la guerre. Ce critère ne constitue en rien un blocage : il suffit à l'UNSA de répondre qu'elle n'existait pas encore à l'époque. Je rappellerai que l'UNSA est le successeur de la FEN. Or cette dernière n'a pas accepté de rejoindre Force ouvrière au moment de la scission car elle voulait provoquer une réunification entre la CGT et Force ouvrière. J'ai personnellement fait partie d'une association syndicale dont le but était d'aboutir à cette réunification. Or les camarades de la FEN sont devenus FSU et UNSA, et l'UNSA revendique maintenant son existence en tant que confédération ! J'y vois une part d'opportunisme.

Pour en revenir aux exemples concrets, si un texte conventionnel qui fixe les salaires n'est pas renégocié tous les ans, il conduit à une perte de pouvoir d'achat annuelle de 1,9 %. Après cinq ans, cela équivaut à une perte de 10 % ! Les salaires les plus bas de la convention collective sont donc rejoints par le SMIC, ce qui annule la hiérarchie des textes.

En outre, comment organiser des élections alors qu'il existera une multitude de contrats individuels ? Un salarié sera par exemple embauché pour mener un projet informatique précis dans une entreprise. Il relèvera alors de la métallurgie. Lorsqu'il aura mené son projet à bien, il pourra rejoindre une entreprise du bâtiment, avec un autre contrat de projet informatique. Soit nous en revenons aux syndicats corporatistes, soit les élections que vous envisagez ne seront représentatives que pour une très courte durée. Peu d'entreprises pratiquent aujourd'hui une seule activité professionnelle. Il s'ensuit un réel problème de représentativité. Plus encore, je ne tiens pas à ce que les organisations syndicales deviennent des « machines à voter ». Une organisation syndicale doit être dirigée par les syndiqués, selon la tradition de Léon Jouhaux. Un syndicat doit être libre de désigner lui-même ses représentants et de définir sa ligne de conduite. Du point de vue de l'expression syndicale, je n'assimile pas un travailleur syndiqué à un travailleur non syndiqué. M. de Virville souhaite que les délégués syndicaux soient désignés par les salariés, même lorsqu'ils ne sont pas adhérents à l'organisation syndicale. Pour peu que les syndicats reçoivent de surcroît un financement, cela équivaudra à la création de syndicats officiels. L'engagement individuel s'en trouvera brisé. Il est vrai que pour des raisons historiques, notre pays ne compte pas des organisations syndicales très représentatives. Toutefois, je préfère que les individus puissent adhérer volontairement à une organisation, ce qui est une expression de la démocratie. Plus encore, je préfère que ces individus s'expriment par la voix des syndicats plutôt qu'au travers des religions.

M. le PRÉSIDENT - Nous sommes preneurs de toute position que vous pourrez nous remettre. Je salue votre engagement au service de votre syndicat. Je me réjouis de vous avoir reçu une dernière fois à la commission des Affaires sociales.

Audition de M. Robert BUGUET
Président de l'Union professionnelle artisanale (UPA) ,
M. Pierre PERRIN
Premier Vice-Président ,
M. Pierre BURBAN
Secrétaire général
et M. Guillaume TABOURDEAU
de l'Union professionnelle artisanale (UPA)
(mardi 20 janvier 2004)

M. Robert BUGUET - Je préciserai tout d'abord que Pierre Perrin, qui est à mes côtés, prendra la présidence de l'UPA dans quelques jours. L'UPA est une direction collégiale constituée de trois organisations : le bâtiment, les services et l'alimentation. Elle compte un président et deux vice-présidents. Le premier vice-président devient président, et le deuxième devient premier vice-président. Pierre Perrin oeuvre à l'UPA depuis six ans. Il occupe encore pour quelques jours la fonction de Président de la Confédération française de la boucherie, ainsi que de la section artisanale de la Confédération générale de l'alimentation en détail.

Le projet de loi qui nous est soumis nous occupe d'autant plus que l'artisanat emploie deux millions de salariés. Notre approche privilégie, en termes de dialogue social, les accords de branche par rapport aux accords d'entreprises. En effet, nous ne pourrions envisager des accords d'entreprises alors que les sociétés que nous représentons comptent en moyenne 4,5 salariés. La problématique du dialogue social a toujours reposé, pour nous, sur les accords de branche. Nous avons toutefois la volonté d'adapter le dialogue social à nos entreprises. Trop longtemps, dans l'artisanat, seuls participaient aux négociations des conventions collectives des représentants des grands groupes ou des grandes entreprises. Des salariés de Bouygues discutaient ainsi des 35 heures dans le bâtiment ! Il nous semblait au contraire important de déléguer des interlocuteurs issus de petites entreprises. L'accord-cadre qui en est ressorti permet une soixantaine de possibilités d'adaptation.

Les débats qui prévalent chez certains partenaires sociaux ne se posent pas dans les mêmes termes en ce qui nous concerne. En effet, nous accordons une place prépondérante aux accords de branche. Naturellement, nous n'excluons pas cette possibilité pour les autres, et nous n'avons jamais prétendu représenter l'ensemble du monde de l'entreprise.

Jusqu'à présent, dès lors qu'il n'existait pas d'opposition majoritaire, un accord pouvait être étendu. De nombreux accords ont été signés par une ou deux organisations, parfois très minoritaires, les autres organisations ne s'y opposant pas ou les cautionnant tacitement. Voilà une forme étrange de dialogue social. Nous espérons que le projet de loi imposera de marquer clairement son accord ou son désaccord. Certes, cela demandera du temps, car nous avons été marqués par des décennies de comportements quelque peu anormaux. S'agissant de l'artisanat toutefois, les textes importants que nous avons signés l'ont été à l'unanimité.

Nous approuvons le projet de loi, qui reprend en grande partie les accords que nous avons signés. Dans son article 42, le projet de loi mentionne la mise en place de commissions paritaires, professionnelles ou interprofessionnelles et favorise en cela le développement du dialogue social à l'échelon territorial.

Le 12 décembre 2001, l'ensemble des partenaires sociaux de l'artisanat ont signé un accord permettant de financer le dialogue social. Ce point est capital à nos yeux, bien qu'il soit contesté par une grande centrale patronale. Les lois de l'immédiat après-guerre qui ont mis en place l'architecture des rapports sociaux actuels ont instauré une représentation obligatoire pour les entreprises de plus de cinquante salariés, avec le financement d'heures de délégation et la désignation de délégués syndicaux. Lorsque les partenaires sociaux d'une branche se réunissent, les salariés se voient financer le temps qu'ils consacrent à la négociation. Or tel n'est pas le cas pour nos entreprises. La loi ne nous a jamais interdit de contractualiser ni de signer des conventions collectives. L'artisanat est d'ailleurs régi par 26 conventions collectives de branche. Pour autant, ceux de nos représentants qui ont discuté ces conventions l'ont fait à leurs propres frais. Pour leur part, les centrales nous envoyaient les salariés qui pouvaient être pris en charge dans le cadre des heures de délégation. Nous nous trouvions donc toujours face à des représentants des grandes entreprises, voire de l'administration. Il était donc essentiel que nous discutions avec de véritables partenaires.

Si la loi n'interdit pas qu'une petite entreprise compte un délégué syndical, elle lui impose de financer son activité syndicale ! Pourtant, ces salariés ont, comme les autres, le droit de s'exprimer et de discuter avec leurs employeurs. C'est pourquoi il était essentiel de mettre en place des systèmes mutualisés. C'est tout l'esprit du fameux « 0,15 % », auquel s'opposent d'ailleurs certaines grandes entreprises qui préféraient le temps où le monopole de la discussion était accaparé par une seule structure. L'architecture du dispositif prévoit dorénavant une collecte de 15 millions d'euros, ce qui n'est pas démesuré dans un secteur qui compte 800.000 entreprises et deux millions de salariés. Ces fonds permettront de financer les frais de déplacement. Ainsi, lorsqu'un salarié d'une petite entreprise sera mandaté par une organisation syndicale pour négocier une convention collective ou les salaires au plan régional, l'entreprise ne déduira pas sa journée d'absence de son salaire mais sera remboursée, par le fonds, des charges qu'elle aura dû supporter.

L'article 42 institue des négociations régionales. Nous disposerons dorénavant des moyens matériels de mandater nos interlocuteurs et de faire fonctionner le dialogue social. Dans une déclaration prononcée en décembre dernier, le ministre des Affaires sociales, du travail et de la solidarité a d'ailleurs affirmé qu'il envisageait de réunir les partenaires sociaux et de les consulter afin d'instaurer un dispositif de financement du syndicalisme. Le législateur s'honorerait à mettre en place un tel mécanisme, qui existe d'ailleurs chez tous nos voisins européens.

Pour le reste, nous nous réjouissons que dans le cadre de la simplification administrative, l'article 43 n'impose pas de mettre à disposition des salariés la convention collective dont ils relèvent.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Je constate que le projet de loi répond à nombre de vos souhaits. Toutefois, ne craignez-vous pas que le privilège accordé à la négociation d'entreprise ne vide la négociation de branche de son contenu, d'autant plus que la négociation d'entreprise a peu de sens pour les petites sociétés ? Vous demandez donc que la négociation puisse être adaptée à votre situation particulière.

Nous sommes disposés à répondre votre souhait. Quel est le moyen d'y parvenir ?

M. Robert BUGUET - Les articles 36 et 37 du projet de loi, qui prévoient l'articulation entre les accords interprofessionnels, les conventions de branche et les accords d'entreprise, disposent qu'il est possible de déroger à une clause plus favorable prévue à un niveau supérieur de la hiérarchie des normes, sauf si l'accord stipule qu'il ne peut y être dérogé. Il suffira donc que nos accords de branche comportent cette interdiction de dérogation.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Etes-vous couverts par l'ensemble des branches ?

M. Robert BUGUET - L'artisanat compte vingt-six conventions collectives.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Votre stratégie permettra-t-elle aux branches d'évoluer suffisamment et de répondre à leurs besoins ? Votre prédécesseur nous a expliqué que dans cinq ans, les accords de branches n'auront plus de valeur et devront être renégociés.

M. Robert BUGUET - Nous nous sommes battus pour mettre en place le financement du dialogue social car nous avons compris la nécessité pour les conventions collectives d'évoluer régulièrement. L'évolution des métiers traditionnels et l'apparition des nouvelles techniques d'information et de communication nous y obligent. Les 35 heures nous ont d'ailleurs contraints à accentuer notre action et à envisager un mandatement syndical là où nous ne comptions pas de délégués. Il est prévu de désigner des délégués du personnel dans les entreprises de onze à quarante-neuf salariés. Pourtant, 90 % des petites entreprises n'ont pas de délégués. En effet, la procédure est excessivement formelle et trop contraignante. C'est ainsi que dans ma société, l'application de la procédure a été tellement complexe que les salariés avaient officieusement désigné leurs délégués bien avant la tenue des élections !

M. Dominique LECLERC - Combien de salariés compte votre entreprise ?

M. Robert BUGUET - J'ai créé mon entreprise il y a quatre ans avec treize salariés, et j'en emploie aujourd'hui trente.

M. Dominique LECLERC - Je viens de vivre une situation analogue à la vôtre. Je n'en soupçonnais pas la complexité !

M. Robert BUGUET
- Les partenaires sociaux ne sont pas opposés à une évolution de la désignation des délégués du personnel. En effet, la procédure actuelle est tellement formelle qu'elle ne peut pas être appliquée.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Avez-vous des propositions particulières à nous soumettre ?

M. Robert BUGUET - Nous n'avons pas d'amendement à vous proposer. L'architecture du texte ne nous heurte pas. Certains de ses articles ne nous concernent pas et n'appellent pas de jugement de notre part. Pour les articles qui touchent les petites entreprises, en particulier les articles 36 et 37, nous considérons qu'il est essentiel de préserver le droit des branches. Dès lors que cette nécessité est reconnue, il nous appartient de nous réapproprier le dialogue social.

M. Guy FISCHER - J'ai apprécié la liberté de parole du président Buguet. Vous avez souligné votre attachement aux accords de branche, alors que nous estimons que ce texte porte atteinte aux pratiques syndicales et à la hiérarchie des normes. Pensez-vous que ce texte, de façon générale, risque de mettre en cause les accords signés antérieurement ?

M. Robert BUGUET - Cela dépendra de la façon dont les partenaires sociaux feront vivre ces accords. Il faut reconnaître que la vie sociale en France s'est quelque peu figée. Nous avons accepté d'emblée le principe de refondation sociale avancé par M. Kessler, même si nous avons refusé sa méthode. Il était nécessaire d'évoluer, car il n'existait plus ni discussion ni dialogue. Si nous sommes capables de discuter entre véritables partenaires et de vivifier le dialogue social, nous n'avons pas de crainte à concevoir. Nous affichons délibérément notre volonté de changement.

Depuis trois ans, les rencontres sont nombreuses entre le Mouvement des entreprises de France (MEDEF), la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CG-PME), l'Union professionnelle artisanale (UPA) et les cinq centrales de salariés. Pour ce qui est des responsables nationaux au moins, la situation a déjà grandement évolué sur le terrain. Nous commençons ainsi à mettre en place des comités d'entreprises interprofessionnels, qui permettent d'agréger les petites entreprises d'un même bassin d'emploi. Ces dernières créent une structure auprès de laquelle elles cotisent, et qui offre les mêmes services que les comités d'entreprises plus importants. Nous développons des projets considérables.

Naturellement, nous ne sommes pas gagnés par un altruisme absolu, et je n'ai pas honte d'affirmer que nous restons des patrons. Dans les douze ans à venir, l'artisanat devra remplacer un million d'emplois, dont 400.000 chefs d'entreprises et 600.000 salariés. Compte tenu du vieillissement de la population et des besoins exprimés par la clientèle, nous devrons encore créer un million d'emplois supplémentaires. Cela nous oblige à offrir des conditions de travail et des rémunérations attrayantes et comparables à celles que peuvent offrir les grandes entreprises. Nous regrettons que le MEDEF ne l'ait pas compris.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous craignez donc que le texte ne suffise pas à rompre avec les comportements du passé.

M. Robert BUGUET - J'ai le sentiment que les partenaires ont la volonté d'évoluer. Toutefois, nous devons disposer de l'espace et des moyens matériels nécessaires. Nous ne demandons pas des fonds, mais la possibilité d'instaurer un système transparent dans lequel l'utilisation des moyens est connue de tous. Dès lors que ces moyens seront disponibles, nous n'aurons plus d'excuse pour ne pas faire avancer le dialogue social. C'est l'intérêt bien compris de tous, des partenaires sociaux comme de notre pays.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie. N'hésitez pas à remettre à notre rapporteur des documents détaillant la position de l'artisanat. Je vous remercie de la collaboration que vous avez toujours entretenue avec le Sénat. Pour l'avenir, je souhaite la bienvenue au président Perrin, qui nous apportera toute sa compétence.

Audition de Michel COQUILLION
Secrétaire général adjoint de la Confédération française
des travailleurs chrétiens (CFTC)
(mercredi 21 janvier 2004)

M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le secrétaire général, nous sommes heureux de vous accueillir afin de connaître la position de la confédération française des travailleurs chrétiens sur ce texte. Vous avez dix minutes pour présenter votre perception de ce projet de loi, avant que le rapporteur et les commissaires ne vous interrogent.

M. Michel COQUILLION - Je vous prie d'excuser l'absence de M. Jacques Voisin. Il a malheureusement eu un empêchement ce matin.

Le projet de loi sur le dialogue social fait suite à des négociations successives, marquées par l'accord du 30 octobre 1995 sur le dialogue social et par l'accord du 16 juillet 2001, venant compléter celui de 1995. Je rappelle que nous avions signé les deux accords et que nous étions favorables à une traduction dans la loi du texte élaboré en 2001. Ce dernier comportait plusieurs volets et l'un d'entre eux portait notamment sur l'articulation entre la loi et la négociation. Il précisait sous forme d'exercice d'application ce que souhaitaient les signataires. Le principe que nous mettions en avant était le suivant : il est souhaitable que la négociation précède autant que possible la loi dans les domaines de la compétence des partenaires sociaux, dans le respect du rôle souverain des élus de la Nation. C'est à peu de chose près ce qu'a dit le Président de la République dans son allocution du 14 juillet 2003. Il est certain que l'exercice est délicat puisqu'il faut à la fois ménager la responsabilité des élus et celle des partenaires sociaux.

L'actuel projet de loi reprend un certain nombre des dispositions de l'accord. Mais il ne les reprend pas toutes et n'apporte pas de réponse à la question de l'articulation entre loi et négociation. Ce sujet mérite selon nous une étude spécifique. Nous avions d'ailleurs demandé au ministère du travail de conduire une réflexion en ce domaine, en partenariat avec les parlementaires, les partenaires sociaux et le Gouvernement. Malheureusement, le point n'a pas été approfondi alors qu'il est fondamental. De lui dépend le respect de l'esprit et de la lettre de l'accord. Selon nous, bien des dispositions du projet de loi sont conformes à ce que nous avions négocié, mais deux dispositions viennent dénaturer gravement et dangereusement le texte. Il s'agit premièrement de la validation majoritaire des accords et deuxièmement de la modification de la valeur normative des accords de branche.

La notion d'accord majoritaire s'est trouvée au centre des débats et des négociations avec les partenaires sociaux. Parmi ces derniers, un consensus s'est dégagé sur le point suivant : il ne devrait plus être possible qu'une seule organisation, même représentative, puisse signer seule un accord qui soit ensuite applicable, si elle n'est que très peu représentative des salariés de l'entreprise ou de la branche concernée. Les partenaires sociaux ont dans ce contexte avancé une proposition équilibrée, consistant à garantir aux organisations syndicales un droit d'opposition dans l'application des accords, et notamment des accords de branche ou des accords interprofessionnels. Ceci représentait une amélioration sensible.

Malheureusement, ce droit d'opposition s'est transformé en droit pour la branche de conclure des accords recueillant la majorité des suffrages. D'une part, cela remet en cause l'équilibre de la négociation. D'autre part, cela laisse sans réponse les problèmes liés à la conclusion d'accords majoritaires. Sur quels critères la « majorité » est-elle définie ? Quels scrutins permettraient de mesurer la représentativité ? Je rappelle ici que les élections professionnelles connaissent un taux d'abstention de 70 %. Je rappelle aussi que les salariés, lorsqu'ils choisissent les personnes qui les représentent aux comités d'entreprise, ne votent absolument pas dans l'idée de choisir l'organisation syndicale qui négociera pour eux les accords professionnels ou interprofessionnels. Compte tenu du contexte actuel, un vote par branche, mené partout le même jour, nous semble une vue de l'esprit. Cela poserait des problèmes d'organisation insolubles.

Le nouveau type de validation des accords vers lequel nous nous dirigeons aboutira très probablement à des blocages dans nombre de branches. Il sera la plupart du temps impossible de trouver une majorité pour signer tel ou tel accord, surtout si la deuxième disposition que nous contestons, à savoir la remise en cause de la hiérarchie des normes, entre en vigueur. Et la majorité risque de ne pas être une majorité démocratique. Retenir le mode de validation proposé aurait donc trois conséquences : premièrement, les négociations ne déboucheront souvent sur aucun accord ; deuxièmement, les accords validés risquent de ne pas reposer sur une majorité démocratique ; troisièmement, la qualité du dialogue social s'en trouvera dégradée.

La CFTC, précisons-le, n'est pas hostile à la recherche d'une légitimité accrue des accords et d'une meilleure prise en compte des souhaits des salariés. Mais elle considère que l'accord majoritaire n'est pas la bonne réponse. J'en prendrai pour exemple la réforme des retraites. Le Gouvernement actuel, issu d'élections législatives où la droite a obtenu une large majorité des suffrages, dispose d'une légitimité certaine. Or il s'est fait fortement contester à l'occasion de la réforme des retraites. La réaction des Français n'a pas été de se dire : « L'action du Gouvernement est légitime dans la mesure où elle est approuvée par la majorité des représentants de la Nation », mais de s'exclamer : « Nous n'avons pas voté pour cela », « Nous ne sommes pas d'accord avec le Gouvernement », ou bien encore « On ne nous a pas demandé notre avis ». Si la question posée est de savoir comment accroître aux yeux des salariés la légitimité des accords, la réponse, selon la CFTC, est la suivante : il faut accroître la consultation des salariés.

Notre syndicat n'a toutefois pas soumis directement cette proposition, car elle induit d'autres problèmes. Développer la pratique du référendum en entreprise revient en effet à fonder la légitimité des négociations et des accords non plus sur les organisations syndicales mais sur le vote ad hoc des salariés. Par ailleurs, si les accords sont soumis à référendum, il est probable que l'essentiel des informations dont disposeront les salariés proviendront des employeurs. Les salariés ne seront donc que partiellement, voire mal, informés. La fiabilité du référendum en souffrirait. En conclusion, le sujet de la légitimité des accords aux yeux des salariés devrait faire l'objet d'une étude beaucoup plus approfondie. La réponse qui est aujourd'hui apportée à cette question est totalement insatisfaisante et ne fera que compliquer la situation.

La deuxième disposition que nous contestons fortement, c'est la remise en cause de la valeur normative des accords de branche. Elle est même plus inquiétante que la mesure précédemment évoquée. Certains disent que nous avions accepté le principe d'une remise en cause de la hiérarchie des normes dans l'accord du 16 juillet 2001 mais il n'en est rien. La Position commune, il est vrai, était rédigée de façon assez confuse, si bien qu'il est facile de dire tout et son contraire à son sujet. Malgré tout, je vous certifie que nous étions opposés à la révision de la hiérarchie des normes et s'il y a un regret que je pourrais avoir concernant le texte signé en 2001, c'est de ne pas l'avoir spécifié noir sur blanc.

Remettre en cause la valeur normative des accords de branche nous paraît extrêmement dangereux. Rappelons que la négociation d'un accord collectif est déjà un exercice délicat, surtout quand il s'agit d'accords donnant-donnant : il faut parvenir à établir un compromis acceptable pour tous, pour les employeurs comme pour les syndicats, dans un contexte où les équilibres sont parfois difficiles à trouver. L'exercice deviendra encore plus délicat s'il faut dégager une majorité pour valider l'accord. Et si l'on ajoute à ces deux difficultés une troisième, en demandant aux parties prenantes de s'accorder sur le principe normatif ou non du texte, l'exercice deviendra quasiment impossible.

Les organisations syndicales exigeront que cette question soit réglée en début de négociations, au motif qu'il est, pour elles, inutile de s'investir dans la conclusion d'un accord non normatif. Si les employeurs refusent de reconnaître à l'accord un caractère normatif, la négociation sera terminée avant même d'avoir commencé. Il s'agira là d'une première source de blocage. Si les employeurs proposent de distinguer la normativité du texte selon les dispositions, cela conduira à des discussions interminables, puisqu'il faudra négocier avec les organisations syndicales la portée de chaque disposition. Il s'agira là d'une seconde source de blocage. Si la démarche aboutit malgré tout, il faudra alors compter avec la difficulté d'application d'un tel accord, puisque les parties prenantes devront s'interroger sur le caractère plus ou moins normatif de chaque disposition. Et quand, dans quelques années, des litiges opposeront salariés et employeurs, il faudra pour les trancher prendre en compte la date de conclusion des accords en jeu. Le texte stipule par ailleurs que pour la conclusion de tout nouvel accord, les partenaires sociaux doivent inclure dans la négociation les accords précédents, et ce, afin d'éviter l'empilement de textes contradictoires. Mais si l'on reprend d'anciens textes, entièrement normatifs, pour les intégrer à de nouveaux accords, on les rend supplétifs. Les organisations syndicales voudront donc discuter de la normativité de toutes les anciennes dispositions, ce qui aboutira à une complexification extrême des négociations.

Loin de simplifier le dialogue social, le texte proposé ne ferait donc que le compliquer. Et loin d'accroître le rôle des partenaires sociaux, il ne ferait qu'accentuer l'importance de la loi. Le MEDEF demande à ce que la législation fasse davantage place à la contractualisation mais les dispositions qu'il soutient aboutissent à l'effet inverse. Si les accords n'ont plus valeur normative, seule la loi aura le pouvoir d'encadrer les pratiques des entreprises. Et dès qu'un problème apparaîtra, les individus se tourneront vers l'État.

Pour le ministre du travail, le projet de loi repose sur l'équilibre suivant : le MEDEF cède sur la validation majoritaire des accords mais obtient pour les entreprises le droit de déroger aux accords de branche. Ce compromis est selon nous un marché de dupes, dans lequel certaines organisations syndicales se sont malheureusement laissées prendre. Soit le texte ne changera rien à la situation existante, soit il compromettra les négociations interprofessionnelles de branche. Il est vrai, en effet, que certaines branches ne changeront rien à leur pratique. Elles nous l'ont affirmé ; elles en resteront à des accords de branche normatifs. Mais des problèmes sont déjà palpables. Nous voyons par ailleurs poindre des discussions sur le caractère supplétif ou normatif de certains textes, au sujet de restructurations par exemple. Concernant le principe de faveur, nous aimerions savoir si la possibilité de déroger favorablement aux accords sera maintenue.

S'il y a bien un point sur lequel nous demandons au Sénat d'être très attentif, c'est donc le risque que fait courir la remise en cause de la normativité des accords sur les négociations. Nous regrettons vraiment les écarts constatés entre le projet de loi et les accords auparavant négociés.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - En résumé, vous estimez que le projet de loi génère deux problèmes, l'un lié à la redéfinition de la valeur juridique des accords et l'autre à la modification des règles de conclusion des accords collectifs par l'introduction du principe majoritaire. Et vous ajoutez que ces deux problèmes s'interpénètrent. Toutefois, j'avoue avoir un peu de peine à vous comprendre. Vous considérez que la situation actuelle n'est pas satisfaisante mais vous soulignez dans votre discours qu'avec le texte proposé, il deviendra impossible de négocier comme auparavant. Cette position me semble contradictoire.

En ce qui concerne le principe de l'accord majoritaire, je rappelle que des verrous ont été prévus : en premier lieu, l'article 39, dont vous avez fait état, garantit le caractère normatif des accords conclus avant l'entrée en vigueur de la présente loi ; en second lieu, l'accord majoritaire n'est pas de droit, contrairement à ce que vous semblez dire et contrairement aux souhaits de certains syndicats. Ce qui est de droit, c'est le droit d'opposition majoritaire. La branche ne peut suivre le principe majoritaire que si elle décide d'un accord de méthode.

Concernant le déroulement des négociations au niveau de l'entreprise, j'ajouterai que le projet de loi prévoit certaines dispositions pour favoriser l'égalité des forces entre salariés et patronat. A ce sujet, j'ai l'impression que votre organisation est prête à développer la pratique des référendums, ce à quoi d'autres syndicats sont opposés.

En fin de compte, votre position me semble motivée par le raisonnement suivant : le problème fondamental, c'est le manque de légitimité des accords ; pour le surmonter, il faudrait faire cautionner les accords par les salariés ; or le projet de loi ne spécifie aucunement les conditions dans lesquelles le vote des salariés pourrait cautionner un accord. Ai-je bien compris ?

M. Michel COQUILLION - Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Pour la CFTC, la légitimité d'un accord réside d'abord dans sa qualité, dans sa contribution au bien commun et à l'entreprise. Mais pour d'autres, la légitimité d'un accord tient au soutien dont il bénéficie parmi les salariés. Si c'est cette conception de la légitimité que l'on entend défendre, il faut alors chercher à consulter les salariés. Pour assurer la légitimité perçue d'un texte, il ne sert à rien de conclure des accords majoritaires - les salariés ne savent même pas ce dont il s'agit -il faut demander aux personnels leur avis. Mais ce n'est pas une revendication de la CFTC que de solliciter le vote des salariés. Notre organisation s'en tient à ce qui a été négocié dans l'accord de juillet 2001.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous dites toutefois que si l'objectif est d'accroître la légitimité perçue des accords, le texte n'y répond pas, puisqu'il ne précise aucune méthode en la matière.

M. le PRÉSIDENT - Evitons de demander à M. Coquillion ce qu'il ne souhaite pas. J'ai cru comprendre en effet que la CFTC n'était pas favorable à la pratique des référendums et qu'elle préférait s'en tenir aux dispositions négociées en 2001.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Si le texte souffre de lacunes, il faut bien que nous en débattions.

M. Michel COQUILLION - Le texte stipule qu'une branche peut adopter le principe de l'accord majoritaire, mais il ne précise pas en fonction de quels critères on juge du caractère majoritaire d'un accord. Cela est fort ennuyeux. Vous nous expliquez que les organisations syndicales auront toujours à leur disposition le droit d'opposition. Cela est vrai, et c'est pourquoi certaines organisations estiment que le texte n'acte pas le passage à l'accord majoritaire. Mais il est tout aussi vrai que le texte définit un principe nouveau, tout en appelant à son développement. Nous sommes donc conduits à nous prononcer également sur des questions de principe. Notre position en tient compte.

Certains prétendent que si la loi était votée, elle ne changerait en rien à la situation. Ils estiment que la CFTC fera opposition dans toutes les branches avec le soutien de la CGT et de FO et que le patronat ne voudra pas non plus appliquer le texte. Si tel est le cas, à quoi bon rédiger ce texte de loi ? Pourquoi vouloir à tout prix faire passer un texte que les employeurs ne veulent pas, qui ne sera pas appliqué et que seules deux organisations syndicales souhaitent ? La CFTC s'oppose donc à ce projet de loi, qu'elle trouve d'autant plus dangereux qu'il ne prévoit pas un minimum de garanties pour assurer le caractère démocratique des accords majoritaires, et demande à ce que la législation s'en tienne à la Position commune.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous admettez que le texte maintient le droit d'opposition majoritaire comme droit commun. Pour que la branche suive une autre méthode, elle doit le prévoir par un accord de principe. En cas de blocage, les partenaires sociaux peuvent donc recourir au droit d'opposition.

M. Michel COQUILLION - Le texte affirme une chose et conduit à une autre. Cela est-il pertinent ? Est-il sain d'annoncer un changement de méthode dans la validation des accords alors qu'en réalité, les changements seront bien plus marginaux ? J'admets qu'il s'agit d'une question plutôt politique que technique.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Les blocages que vous avez évoqués devraient plutôt aboutir au maintien de la règle de l'opposition majoritaire, ce qui correspond à ce que vous souhaitez.

M. Michel COQUILLION - Nous sommes d'accord.

M. le PRÉSIDENT - Je donne à présent la parole aux commissaires.

M. Roland MUZEAU - La CFTC est foncièrement opposée à ce projet de loi. Le Président de votre syndicat le qualifiait même récemment de « folie douce », en émettant les griefs dont vous nous avez fait part. Nous considérons également qu'il s'agit d'une folie douce. La mise à mort de l'ordre public social est un fait extrêmement grave. Les négociations, par le biais des accords de branche et des accords interprofessionnels, ont permis au fil des ans d'enrichir la loi et d'améliorer les conditions dans lesquelles travaille l'ensemble des actifs. La possibilité qu'offre aujourd'hui le projet de loi aux entreprises de déroger aux accords de branche remet en cause ces acquis. Il est bien évident que les dérogations iront dans un sens défavorable aux salariés, puisqu'à l'heure actuelle, rien n'interdit à une entreprise de conclure des accords plus favorables aux salariés que ne le sont les accords de branche. Vous êtes également opposé à ce projet de loi dans la mesure où il n'encadre pas l'expression de l'avis majoritaire. Dans ce contexte, que pensez-vous de l'affirmation de M. Fillon, selon laquelle le Gouvernement se serait contenté de reprendre la Position commune ?

M. Louis SOUVET - Vous déclarez que la signature d'un accord par un syndicat qui ne représente rien constitue une remise en cause des accords. Aujourd'hui, seulement cinq syndicats sont dits représentatifs, selon une classification déterminée à la Libération. La CFTC en fait partie. Or, dans certains secteurs et dans certaines nouvelles entreprises, les syndicats dits représentatifs ne représentent rien. Que penseriez-vous d'un élargissement de cette représentativité, sous réserve que les syndicats maison se rattachent à l'un ou à l'autre des syndicats dits représentatifs ? La situation actuelle, selon moi, mérite d'évoluer. De nouveaux syndicats se sont formés autour de l'informatique et des NTIC et je ne suis pas sûr qu'ils veuillent se rattacher à la CGT ou à la CFTC par exemple.

Vous semblez surpris qu'un accord signé par un syndicat puisse être remis en cause par le personnel. C'est ce que vivent les élus tous les jours. Nous sommes élus sur la base d'un programme, détaillant nos intentions. Pourtant, dès que nous voulons avancer dans la réalisation de ce programme, nous devons réunir la population, organiser des réunions, tout expliquer à nouveau et convaincre sans cesse. Je ne prétends pas que cela soit une bonne chose. Je me contente de constater qu'il en est ainsi. Et il est évident que ce phénomène ira s'élargissant, pour toucher notamment les organisations syndicales. Cela est inévitable.

Enfin, vous critiquez la disposition selon laquelle il faudrait reprendre tous les accords existants. Pour ma part, j'estime indispensable de revoir un code du travail qui n'a pas été revu depuis trente ans et qui est devenu totalement illisible en se transformant en un empilement de dispositions successives. Pour pouvoir comprendre le code du travail aujourd'hui, il faut être un juriste spécialisé en ce domaine. Est-ce normal ? Ne faudrait-il pas simplifier ce code ?

M. Gilbert CHABROUX - Votre position est très claire. Vous nous avez livré un exposé net et précis sur les raisons de votre opposition au projet de loi. Je n'ai donc aucune question à vous poser à ce sujet. Mais j'aimerais vous interroger à propos de l'article 39. Il reprend l'une des dispositions de la Position commune de 2001, stipulant que la règle relative à la hiérarchie des normes ne s'applique qu'aux accords conclus postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi. Il en résulterait que les dérogations prévues par les accords de branche se trouveraient validées. Vous dites que le MEDEF, qui voulait obtenir l'effet de rétroactivité, fait les frais de l'article 39. En êtes-vous certain ? Ne sera-t-il pas possible de contourner ces obligations ?

M. Michel COQUILLION - Pour répondre à M. Muzeau et à M. Chabroux, je précise que nous ne sommes pas opposés à la totalité de la loi. Nous sommes seulement opposés à certaines de ses dispositions. Je précise aussi que la loi ne suit pas les mesures de l'accord négocié en 2001.

Lors des discussions, nous avons soulevé le problème de la faible syndicalisation des petites entreprises. C'est l'un des principaux problèmes auquel se trouve confronté le syndicalisme : alors qu'il est bien implanté dans les grandes entreprises, il est très peu présent dans les petites entreprises. Or les premières tendent à se contracter tandis que les secondes deviennent de plus en plus nombreuses. Il faut donc s'attacher à développer le champ du dialogue social dans les petites entreprises.

L'accord conclu en 2001 stipule qu'il faut accorder aux élus le droit de négocier. Que cette disposition soit reprise dans le projet de loi ne nous gêne donc pas. Mais cette mesure ne suffira pas à résoudre le problème. Aujourd'hui, de la même manière qu'en 2001, la question de la syndicalisation dans les petites entreprises n'est pas assez prise en considération. Il faudra bien un jour étudier le sujet de manière approfondie, en veillant à bien écouter les propositions des partenaires sociaux. La loi ne doit pas fixer des dispositions qui n'ont pas été discutées entre partenaires sociaux. Quand certains cherchent à obtenir par la loi ce qu'ils n'ont pu obtenir par la négociation, ils sclérosent le dialogue social. C'est un phénomène très malsain, qui concerne autant les organisations syndicales que les organisations patronales, et qui dure depuis beaucoup trop longtemps. J'ajouterai à ce sujet que nous récusons totalement les conclusions du rapport de Virville. Si nous voulons des organisations syndicales fortes et représentatives, il ne faut pas chercher par tous les moyens à se passer d'elles dans les négociations menées au sein des petites entreprises.

Il y a une dernière raison pour laquelle nous pensons que l'accord majoritaire ne sécurise pas réellement les négociations. A l'occasion de plans sociaux, certaines entreprises n'hésitent pas à présenter aux organisations syndicales des propositions clés en main : elles leur demandent d'approuver sans réserve le plan social proposé sous peine de fermer l'ensemble des sites de France pour développer ceux d'autres pays. Il n'y a en ce cas aucune égalité dans la négociation et un accord majoritaire ne vaut rien. Si on admet par ailleurs que les accords d'entreprise peuvent déroger aux accords de branche, les rapports de force deviennent encore plus inégaux et les négociations encore plus dangereuses.

Concernant la rétroactivité, nous craignons avant tout que les conventions collectives ne soient dénoncées. Il est vrai qu'un certain nombre de branches ne souhaitent pas revenir sur ces conventions - et c'est pourquoi nous estimons qu'un décalage réel existe entre les souhaits du MEDEF et ceux des entreprises -, mais celles qui voudront procéder ainsi n'auront aucune difficulté à le faire. En second lieu, nous craignons qu'en révisant d'anciens accords pour conclure de nouveaux textes, nous ne les rendions supplétifs alors qu'ils étaient normatifs.

Quant à la représentativité des syndicats, elle mérite à elle seule un débat. Ceux qui s'opposent à la multiplication des organisations syndicales et ceux qui souhaitent voir leur organisation reconnue doivent notamment discuter entre eux. Pour notre part, nous sommes prêts à débattre des critères de la représentativité et de leur éventuelle révision. Mais ne touchons pas à la présomption irréfragable de représentativité. Si les organisations syndicales ne bénéficient plus du monopole de présentation au premier tour, les structures non syndiquées, et parmi elles, des structures d'origine patronale, se multiplieront. Cela sera notamment le cas dans les petites entreprises, où l'employeur a un grand poids. Si nous récusons la formule du centre des jeunes dirigeants d'entreprise (CJD), c'est justement pour cette raison. Couper le lien entre le syndicalisme d'entreprise et le syndicalisme confédéré au niveau national revient à affaiblir le syndicalisme confédéré.

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le Secrétaire général, je vous remercie. Pourriez-vous transmettre par écrit les positions de votre syndicat à notre rapporteur ? Pourriez-vous aussi répondre à des questions qui n'auront pas été écrites ?

M. Michel COQUILLION - Bien entendu.

Audition de M. Pierre-Jean ROZET
Membre de la Commission exécutive confédérale,
chargé de la démocratie sociale de la Conférence générale du travail (CGT)
(mercredi 21 janvier 2004)

M. le PRÉSIDENT - Monsieur, je vous remercie d'avoir répondu à l'invitation de notre commission et de nous exposer votre point de vue sur ce texte. Vous avez dix minutes pour présenter votre perception de ce projet de loi, avant que le rapporteur et les commissaires ne vous interrogent.

M. Pierre-Jean ROZET - Merci, monsieur le président. Ce texte comporte trois volets et nous avons des avis nuancés sur chacun d'entre eux. Concernant le premier volet, qui porte sur les règles de validité des accords collectifs, nous pensons qu'il aurait été plus simple, plus transparent et plus démocratique d'instituer un système fondé sur l'expression majoritaire des salariés, et ce, quel que soit le niveau de la négociation. Il est assez curieux, par exemple, que le ministre du travail propose pour la validation des accords de branche que soit prise en compte l'expression de la majorité des organisations syndicales et non l'expression de la majorité des salariés. Si un tel système était appliqué à la démocratie parlementaire, l'UMP n'aurait jamais vu le jour. Ses militants auraient bien compris qu'il valait mieux avoir plusieurs petits partis plutôt qu'un grand. Selon nous, cette disposition représente donc une incitation à l'émiettement syndical. Dans le contexte actuel, il serait pourtant préférable de rechercher une plus forte cohésion du paysage syndical.

Concernant le deuxième volet du texte, qui porte sur la hiérarchie des normes, nous émettons de sérieuses réserves. Nous sommes très attachés au principe de faveur et à celui de la hiérarchie des normes sociales. Qu'un accord ne puisse qu'améliorer un accord signé à un niveau supérieur nous semble une garantie essentielle, étant donné les caractéristiques du monde du travail, la mobilité des salariés et l'hétérogénéité des petites entreprises. Si cette disposition est votée, elle risque de faire disparaître la branche en tant que niveau pertinent de négociation sociale au profit de l'entreprise, qui deviendrait le pivot essentiel dans l'établissement des normes sociales.

M. le PRÉSIDENT - La branche doit préalablement autoriser les entreprises à déroger à ses accords.

M. Pierre-Jean ROZET - Il convient de faire une distinction entre les dérogations autorisées par la branche et les dérogations non interdites par la branche.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - La CGT, de par son importance, a la possibilité de proposer d'interdire les dérogations.

M. Pierre-Jean ROZET - Un accord doit être signé par deux parties. Les organisations syndicales, seules, ne peuvent statuer sur cette question.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - L'article 39 sécurise la situation pour le passé.

M. Pierre-Jean ROZET - C'est plutôt pour l'avenir que nous éprouvons des craintes. Le droit social n'est pas un droit figé. Il suit les évolutions du monde du travail, des technologies et des ambitions citoyennes de la société. Si toutes les nouvelles dispositions, en matière sociale, sont dorénavant décidées au niveau des entreprises, il en résultera une grande fragilisation de la situation des salariés, et notamment de ceux qui travaillent dans les petites entreprises. Je ne me fais guère de souci pour le personnel de la SNECMA, de Renault ou de la BNP par exemple. En revanche, je suis inquiet pour les 55 % de salariés qui travaillent dans des entreprises de moins de cinquante personnes, où les rapports entre employeurs et salariés sont beaucoup plus déséquilibrés, au profit des premiers. C'est sur ce point que nous exprimons la plus vive opposition au projet de loi.

Par ailleurs, nous désapprouvons l'article 41. Cet article prévoit qu'en l'absence de délégués syndicaux, l'entreprise peut contracter avec les élus du personnel. Cela représente une sorte de prime à l'absence syndicale. Pour résoudre le problème posé par l'absence de délégués syndicaux, il aurait mieux fallu selon nous développer le système de mandatement. Or dans le texte proposé, le mandatement n'intervient qu'en troisième possibilité, en cas d'absence et de délégués syndicaux et de représentants du personnel. Il a donc peu de chances d'être mis en oeuvre.

Concernant l'article 42, qui précise les conditions de création des commissions paritaires ainsi que leurs missions, nous souhaitons formuler deux remarques. L'article L. 132-30 du code du travail était déjà très précis à ce sujet. Il est vrai qu'il l'était peut-être trop. Quasiment aucune commission paritaire n'avait d'ailleurs été créée. Cependant, nous regrettons que le projet de loi omette de mentionner deux dispositions qui figuraient auparavant dans le code du travail. Alors que l'article L. 132-30 ne concernait que les entreprises de moins de cinquante salariés, l'article 42 ne fait référence à aucun seuil. Il ne fait pas non plus mention d'une protection pour les salariés participant à ces commissions. Il est pourtant nécessaire de les protéger un minimum.

Quant à l'information des salariés, nous estimons qu'il aurait fallu avancer des propositions plus ambitieuses. Remettre aux salariés une note détaillant les normes applicables à leur statut n'est qu'une petite avancée. Par ailleurs, stipuler que les employeurs et les organisations syndicales ont la possibilité de négocier un accès à l'Intranet et aux messageries n'a aucun intérêt. Les entreprises qui n'y sont pas opposées l'ont déjà fait. La loi devrait plutôt obliger chaque entreprise d'une certaine taille à négocier avec les organisations syndicales un accès à ces médias internes. Enfin, il serait intéressant de préciser dans quelles conditions des informations syndicales peuvent être diffusées sur le poste de travail. Le code du travail n'inclut aucune disposition en cette matière et nous devons souvent nous rendre devant les tribunaux pour défendre face à certains employeurs le droit d'information des organisations syndicales.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Je vous remercie d'avoir répondu à nos questions et d'avoir ouvert dans votre exposé des pistes de réflexion intéressantes. J'ai en particulier noté vos remarques concernant les articles 41 et 42. En ce qui concerne l'article 41, je crois comprendre que vous auriez préféré adopter le mandatement syndical comme solution de droit et le recours aux représentants du personnel comme solution secondaire.

M. Pierre-Jean ROZET - Nous estimons nécessaire de réserver aux organisations syndicales le droit de contracter, que ce soit directement ou indirectement. Offrir la possibilité de contracter aux représentants du personnel modifierait les rapports sociaux dans notre pays. Le mandatement assure des rapports plus équilibrés. Nous n'étions pas initialement de chauds partisans de ce système, mais nous avons constaté à l'occasion de la mise en oeuvre des 35 heures qu'il avait permis d'augmenter de façon sensible la présence syndicale dans les entreprises et d'aboutir à la conclusion d'accords intéressants.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - En ce qui concerne l'article 42, je crois comprendre que vous êtes favorables à la conclusion d'accords à caractère local ou régional, s'étendant sur le périmètre d'un bassin d'emploi déterminé, mais que vous regrettez la suppression de certaines dispositions du code du travail. Avez-vous en ce domaine des propositions ?

M. Pierre-Jean ROZET - Actuellement, les entreprises de moins de cinquante salariés et notamment celles de moins de onze salariés, souffrent d'une très faible implantation syndicale. Envisager pour ces entreprises une représentation au niveau local, départemental ou régional nous semble donc plutôt intéressant. Avec l'ensemble des organisations syndicales, nous avons d'ailleurs négocié un accord avec l'UPA pour développer ce type de négociations. Cependant, la rédaction actuelle du projet de loi souffre de deux défauts. D'une part, aucun seuil n'est précisé, ce qui laisse la porte ouverte à des effets de substitution. Des entreprises de plus de cinquante salariés, ayant la possibilité de mettre en place un certain nombre d'instances, pourraient se contenter des commissions paritaires locales, bien moins contraignantes. D'autre part, aucune protection n'est prévue pour les salariés élus à ces commissions, ce qui nous semble dangereux.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - En matière d'information, vous souhaitez que le texte introduise une obligation de négociation.

M. Pierre-Jean ROZET - En stipulant que les entreprises peuvent négocier un accord sur l'accès à l'Intranet, le texte de loi n'apporte rien. Il aura en revanche une certaine portée s'il édicte l'obligation de négocier en ce domaine.

M. Roland MUZEAU - Depuis le début des auditions, vous demandez aux organisations syndicales leurs sentiments au sujet de l'article 39. Pour notre part, nous considérons qu'il s'agit d'un verrou très facile à faire sauter. Rien n'interdit de dénoncer un accord de branche ou un accord interprofessionnel. J'en veux pour exemple la convention des banques, dénoncée en 1998. Or si un accord est dénoncé, les négociations reprennent sur la base de la nouvelle loi. Que pensez-vous donc du prétendu verrou que représenterait l'article 39 ? Par ailleurs, que pensez-vous de M. François Fillon lorsqu'il affirme devant l'Assemblée nationale que la philosophie de son texte n'est pas seulement inspirée par la Position commune mais qu'elle en est le reflet ?

M. Pierre-Jean ROZET - Les interprétations divergent beaucoup au sujet de l'article 39. Pour notre part, nous constatons qu'il suffira de rouvrir une discussion, sous l'impulsion du législateur ou par voie conventionnelle, pour que l'ensemble des normes ayant trait au thème discuté entrent dans le cadre du nouveau système. Ceci ne peut que nous inquiéter, compte tenu de l'attitude du MEDEF, qui souhaite développer autant que possible les accords d'entreprise et vider de leur contenu les accords de branche. Nous pouvons légitimement craindre qu'après quelques années, l'article 39 n'ait plus trait qu'à un corpus de textes réduit à sa portion congrue.

Concernant la Position commune, ce sont les signataires qu'il convient d'interroger. Pour ma part, je constate simplement que les différentes organisations syndicales, avant même de signer le texte, ne partageaient pas la même lecture de la Position commune. Je constate aussi que le projet de loi tranche un certain nombre de questions sur lesquelles la Position commune était restée plutôt floue. La Position commune indiquait par exemple au sujet des accords d'entreprise que deux types de validation étaient possibles - l'accord majoritaire et le droit d'opposition majoritaire - sans trancher entre les deux possibilités. Pour rédiger le projet de loi, le ministre du travail a logiquement estimé qu'il fallait prévoir les procédures à suivre en cas d'absence d'accord au niveau de la branche. Il a alors choisi de privilégier le droit d'opposition au droit majoritaire, même si cela n'était pas précisé dans la Position commune.

Si la CGT a refusé de signer ce texte, c'est aussi en raison de ses ambiguïtés. Nous avons cherché à négocier avec le MEDEF de sujets tels que le droit syndical, la carrière des militants syndicaux et les conditions de négociation dans les entreprises, mais en vain. Le MEDEF n'a pas voulu traiter avec nous de questions qui pourtant relèvent du périmètre des partenaires sociaux. C'est pourquoi les discussions ont abouti à un appel au Gouvernement et au législateur. La « Position commune » n'en est finalement pas vraiment une.

M. le PRÉSIDENT - La Position commune est rédigée de telle façon que les désaccords opposant sur certains points les parties prenantes ont été précisés. Puisque la possibilité vous était offerte de marquer les désaccords que vous pouviez éprouver sur des points circonscrits, pourquoi ne vous êtes-vous pas associés à l'ensemble de la Position commune ?

M. Pierre-Jean ROZET - Nous éprouvions également un désaccord de méthode. Nous voulions que la discussion débouche sur un accord normatif, où seraient précisés les engagements des organisations syndicales et patronales en faveur du développement du dialogue social et de la négociation collective. Or la discussion a débouché sur un texte qui ne répondait en rien à ce souhait et qui représentait un coup politique plutôt qu'une véritable réflexion sur le dialogue social.

M. le PRÉSIDENT - Nous vous remercions. Si vous souhaitez apporter des compléments écrits, n'hésitez pas à les remettre à notre rapporteur.

Audition de M. Jacques BARTHÉLÉMY
Avocat
(mercredi 21 janvier 2004)

M. le PRÉSIDENT - Mes chers collègues, nous accueillons aujourd'hui Maître Jacques Barthélémy. Nous sommes très heureux que vous ayez accepté de venir présenter votre point de vue devant notre Commission. Vous avez beaucoup écrit sur le thème du dialogue social. Vous avez également enseigné, et même négocié ; il est important pour nous de savoir comment vous ressentez ce texte sur le dialogue social. Je vous propose, pendant une dizaine de minutes, de nous donner votre opinion sur ce texte. Par la suite, nous irons plus dans le détail, en nous appuyant sur les questions que poseront le rapporteur et les commissaires. Maître, vous avez la parole.

M. Jacques BARTHÉLÉMY - Monsieur le président, je vous remercie. Pour que les choses soient claires, je tiens à vous dire que j'ai organisé mon exposé liminaire de telle sorte que je n'aborde pas les six questions que vous m'avez transmises : nous pourrons ainsi avoir un débat aussi vivant que possible. Je voudrais tout d'abord essayer de retenir l'idée que l'économie de projet de loi est constituée peut-être de trois idées : plus de responsabilité des acteurs sociaux en matière de politique sociale, plus d'autonomie de l'accord en matière de hiérarchie des sources, et plus de légitimité des négociations en matière de qualité des acteurs. Dans cette perspective, l'on touche évidemment à des concepts juridiques qui ne sont pas simplement des concepts juridiques : ils sont au contraire chargés d'une très grande affectivité, voire d'une grande psycho-affectivité. Je pense, par exemple, au concept d'avantage acquis, auquel l'on donne dans les faits une importance plus grande que ce que le droit lui confère. Nous touchons là au concept de l'avantage le plus favorable.

Cette notion d'avantage le plus favorable ne matérialise pas, à tout le moins dans notre droit constitutionnel, un principe général, à savoir le principe de faveur. Le Conseil constitutionnel a d'ailleurs eu l'occasion de le préciser. Pour autant, il n'en demeure pas moins que, par les effets conjugués du législateur, et de la jurisprudence, nous sommes relativement proches du principe de faveur. Dans la loi, quatre articles concernent cette théorie de l'avantage le plus favorable.

L'article L. 132-4, qui définit les rapports entre le tissu conventionnel et la loi.

L'article L. 132-13, présent dans ce projet de loi, qui définit les rapports entre les accords de rang inférieur, par rapport aux accords de rang supérieur.

L'article L. 132-23, qui est un cadre d'application pratique de ce principe, puisqu'il concerne la relation entre l'accord d'entreprise et la convention de branche.

L'article L. 135-2, qui définit les rapports entre le contrat de travail et les accords collectifs. Le principe de la relativisation de la règle de l'avantage le plus favorable n'est pas, d'un point de vue théorique, très étranger à la relation entre l'accord collectif et le contrat de travail. Par exemple, dans le droit allemand, les avantages de l'accord collectif s'incorporent naturellement dans le contrat de travail. De ce fait, la règle de l'avantage le plus favorable n'existe pas dans la relation entre la convention collective et l'accord d'entreprise, lorsque cet accord d'entreprise est négocié par le Comité d'entreprise, ce qui est le cas pour les conditions de travail.

Nous ne pouvons donc pas appréhender l'intérêt, la faisabilité de la relativisation de la règle de l'avantage le plus favorable sans avoir préalablement appréhendé tout ce panorama. En outre, la Cour de cassation a élargi le champ de la règle de l'avantage le plus favorable à d'autres sources de droit, et en particulier à l'usage et à la décision unilatérale de l'employeur. Cela a été fait sans texte, uniquement en se référant à la règle de l'avantage le plus favorable. Dans ces conditions, il me semble nécessaire de souligner que la règle de l'avantage le plus favorable n'est pas, en soi, l'expression du progrès social. En effet, dans un certain contexte, elle contribue à le réaliser, sans pour autant le faire de manière absolue. Si équilibre des pouvoirs entre les contractants il y a, si le niveau d'autorité des syndicats est suffisant, nous n'avons pas besoin de cela, tout au moins dans les rapports existant entre accords collectifs de rang différent.

Par ailleurs, nous ne pouvons pas dissocier ce qui se fait dans ce projet de loi de ce qui a été réalisé en 1982, par l'introduction de la technique de dérogation dans les relations entre la loi et le contrat collectif ; nous sommes en effet face à des logiques de même nature. Je dirais même que ce qui a été proposé à l'époque va encore plus loin que ce qui est proposé aujourd'hui, dans la mesure où, non seulement l'on relativisait l'autorité d'une disposition légale et réglementaire à l'égard des dispositions conventionnelles, mais, en outre, cela se traduisait par la relativisation de la règle de l'avantage le plus favorable, mais aussi par la remise en cause de règles de droit qui sont, théoriquement, impératives. En conséquence, nous ne pouvons pas dissocier cette question de l'avantage le plus favorable de la technique de dérogation, et de sa pratique depuis 20 ans. En effet, il n'est pas de législateur, depuis 1982, et l'introduction de l'ordonnance des 39 heures, qui n'ait pas élargi le champ des techniques de dérogation : nous pouvons ainsi penser à la loi Delebarre de 1986, la loi Seguin de 1987, la loi Soisson de 1990, la loi quinquennale sur la durée du travail de 1993, les lois Aubry... Nous ne pouvons donc pas dissocier les deux, il s'agit d'un phénomène d'expansion de la contractualisation du droit du travail, dont nous retrouvons d'ailleurs in fine une autre manifestation dans la loi de janvier 2003, relative à la durée du travail. En effet, en matière de contingents d'heures supplémentaires, désormais, la norme de droit commun n'est plus la norme réglementaire, mais la norme conventionnelle : la norme réglementaire n'intervient en effet que par défaut. Je crois que nous devons rappeler ce panorama pour bien comprendre l'orientation qui est suivie aujourd'hui, dans le cadre du projet de loi qui nous intéresse aujourd'hui.

Cette remarque fondamentale faite, je voudrais rappeler que le droit du travail a une fonction protectrice, que j'ai l'habitude de qualifier de génétique : l'autonomie de cette discipline repose en effet sur l'état de subordination du salarié, qui rend de ce fait son consentement suspect. Il devient donc nécessaire de disposer d'un droit protecteur. Ce droit protecteur s'assigne plus comme objectif de corriger les effets de la subordination que de favoriser l'équilibre contractuel. Tout le dispositif qui instaure des avantages minima tant dans la loi que dans la convention collective va dans ce sens. En d'autres termes, l'on se satisfait de la qualité de « mineur social » du travailleur : l'on considère qu'il est incapable, du fait de son état de subordination, de défendre lui-même ses intérêts. Il faut donc que l'arsenal législatif, conventionnel et réglementaire le fasse à sa place.

Dans cette perspective, quelles que soient les modifications que l'on est susceptible d'apporter au code du travail, et quelles que soient les justifications qui sont à l'origine de ces modifications, il me semble que le volume des contraintes juridiques, dans un état de droit comme le nôtre, ne peut régresser. Par contre, l'on peut parfaitement s'attacher à la nature de ces contraintes, en partant de l'idée qu'un droit social davantage contractuel est mieux à même de concilier économique et juridique, en l'occurrence les aspirations sociales et les objectifs économiques : en effet, le contrat, par nature, peut plus facilement bâtir la loi des parties, et donc adapter des normes à un contexte particulier. Mes derniers propos s'appliquent autant à la technique de la dérogation, inventée depuis 20 ans, qu'à ce dispositif. Sous cet angle, il ne me semble pas que nous puissions formuler des critiques de fond. Encore faut-il que nous soyons certains que l'équilibre contractuel soit effectif, que les acteurs sociaux adoptent un comportement de bonne foi, et que l'on garantisse l'exécution loyale des conventions. C'est d'ailleurs peut-être sur ce dernier point que des réflexions importantes doivent être conduites, d'autant qu'elles n'ont pas leur traduction dans le projet de loi actuel.

Sous cet angle, trois idées doivent être développées en ce qui concerne la faisabilité du projet. En ce qui concerne l'autonomie de l'accord d'entreprise par rapport à la convention de branche, et plus généralement de l'accord de rang inférieur par rapport à l'accord de rang supérieur, il ne me paraît pas choquant que l'on relativise la règle de l'avantage le plus favorable. Pour autant, il faut que la mise en oeuvre de cette autonomie soit davantage encadrée, à la fois en ce qui concerne les domaines qui doivent rester impératifs, et les conditions de mise en oeuvre. Or nous sommes là au coeur du débat : les signataires de l'accord de rang supérieur doivent-ils définir les conditions de l'autonomie des signataires de l'accord de rang inférieur ? Au contraire, la solution inverse doit-elle prévaloir ? La solution inverse figure in fine dans le texte. Les partenaires sociaux, dans le texte de juillet 2001, ont été plus nuancés. Quoi qu'il en soit, c'est un problème d'une importance certaine, mais, dans la pratique, nous pouvons relativiser celui-ci. En effet, nous devons attacher une grande importance à la nécessité de l'effectivité de l'équilibre contractuel. C'est la condition de la conciliation entre l'autonomie de l'accord et le respect de la fonction protectrice du droit social. Dans cette optique, l'autonomie de l'accord ne peut être critiquée en soi.

En ce qui concerne la légitimité de l'accord, l'accord majoritaire, en soi ne veut rien dire. Tant que l'objet de la négociation n'était que de créer des avantages plus favorables, l'on n'avait pas besoin que celui qui signe ait disposé d'une représentativité effective plus importante. Ce que nous pourrions appeler l'ordre public interne à la collectivité n'est donc pas menacé. Dès l'instant où, que ce soit par la technique de dérogation ou par l'organisation de la relativisation de la règle de l'avantage le plus favorable, l'on donne plus d'autonomie à la source de droit inférieure, il est clair que l'exigence de représentativité ne suffit plus, il faut donc la compléter par une exigence de légitimité. Jusqu'à présent, et ceci depuis l'ordonnance des 39 heures, l'on s'est satisfait du droit d'opposition, dans la mesure où il était le seul moyen de ne pas remettre en cause le principe selon lequel tout syndicat, dès lors qu'il est représentatif, peut signer valablement seul. Simplement, l'on introduisait ce droit d'opposition. Aujourd'hui, sous l'impulsion de certains partenaires sociaux, et également de la pratique de la technique dérogatoire, l'on en vient à penser qu'il vaudrait mieux imaginer une mesure positive d'appréciation de la légitimité des signataires, d'où l'accord majoritaire. En effet, le principal reproche que l'on peut faire à la technique d'opposition est de mesurer négativement la légitimité de ceux qui signent, par la signature de ceux qui ne signent pas. Sous cet angle, l'accord majoritaire est indiscutablement un progrès. Pour autant, subsiste, dans un cas comme dans l'autre, une faille. En effet, si l'on reste dans la mesure de l'audience effective de chaque organisation syndicale par la référence aux résultats des élections professionnelles, l'on effectue un exercice insatisfaisant, dans la mesure où l'on mesure la légitimité des signataires à partir d'une élection qui a un tout autre objet. Ceci étant, l'idée de faire des élections spécifiques génère une lourdeur, et un coût. Je vous signale qu'en Espagne, c'est bien cette solution qui existe, tout le monde s'en satisfait.

Personnellement, je trouve que, dans la mesure où l'on introduit une plus grande autonomie de l'accord de rang inférieur par rapport à l'accord de rang supérieur, cela se traduit inévitablement par une consistance juridique donnée à la collectivité concernée. Si nous autonomisons, cela signifie que l'on aboutit à une remise en cause de certains avantages les plus favorables. Si les syndicats signent, c'est bien parce qu'ils y trouvent, malgré tout, un avantage. Cela signifie que l'on introduit forcément une approche de la solution la plus favorable sur la globalité de l'accord, et plus simplement avantage par avantage : ceci donne de la consistance à la collectivité. Prenons les accords ARTT : ce sont des accords dans lesquels l'on fait un tout indivisible de quatre éléments :

- la réduction de la durée effective, pour parvenir à 35 heures ;

- l'optimisation des normes d'organisation des temps de travail, grâce à la technique de dérogation, pour les adapter au contexte particulier, ce qui, en soi, est facteur de gains de productivité, et qui peut justifier le surcoût induit par la baisse du temps de travail sans baisse des salaires ;

- la glaciation des rémunérations ;

- l'augmentation des effectifs, en pourcentages, qui ne profite à personne, si ce n'est à la collectivité. L'on voit bien que l'on échange un avantage collectif contre l'abandon d'avantages individuels ; c'est bien pour cela que je dis que cela donne de la consistance à la collectivité.

Cette consistance exige que la mesure de l'audience se fasse par rapport à la totalité des personnes, donc par rapport aux inscrits, et non par rapport aux votants. Si l'on choisit la solution des votants, c'est dans un souci de facilité, il est en effet plus aisé de conclure. Pour autant, ce n'est pas totalement satisfaisant d'un point de vue juridique.

L'accord majoritaire ne constitue pas une panacée universelle. En Espagne et en Italie, l'on a créé des commissions paritaires, dans lesquelles chaque organisation est représentée au prorata de son audience réelle. Cette commission prend ses décisions à la majorité. Dans l'entreprise, c'est bien le comité d'entreprise, qui est élu à la majorité, qui a ce pouvoir. En Espagne, la décision n'est effectivement prise que si 60 % des personnes ont voté dans le sens souhaité. Nous voyons donc bien que nous sommes dans une logique complètement différente.

En ce qui concerne la nature juridique des accords, il s'agit peut-être d'une faille du dispositif. Pour autant, je ne pense pas que nous pouvons le reprocher au ministre du travail, dans la mesure où sa doctrine a été de se placer sous l'aile protectrice de l'accord du 16 juillet 2001. De ce fait, l'on ne s'attache pas à la nature juridique des accords. L'introduction souhaitable, dans notre droit français, par la loi du 13 novembre 1982, du double niveau de négociation branche/entreprise aurait dû, quelques années plus tard, se traduire par une réflexion sur la différenciation de la nature juridique de l'accord d'entreprise et de la convention collective de branche. Cette dernière en effet a une nature duale, de contrat et de loi professionnelle, en raison de son caractère normatif dans la branche. Il me semble que l'accord d'entreprise devrait avoir une nature contractuelle plus pure, ce qui n'apparaît pas dans nos dispositions, sauf en ce qui concerne la négociation annuelle obligatoire, régie par les articles L. 132-27, L. 132-28 et L. 132-29 du code du travail. Il est dit dans ces articles que l'on a l'obligation dans l'entreprise de négocier les salaires effectifs, la durée effective et l'organisation du temps de travail, alors que la convention de branche ne s'occupe que des minima. Cette distinction n'est pas neutre : tant que l'on ne s'occupe que des minima, la finalité poursuivie est purement sociale ; dès l'instant où l'on s'intéresse aux avantages effectifs, l'on s'intéresse aussi aux aspects économiques. La négociation annuelle obligatoire porte sur les salaires et les temps de travail, dans la mesure où ces deux points représentent les moyens permettant de réaliser un objectif économique.

Nous voyons bien que cette distinction devrait apparaître, d'autant plus que le niveau amont, à savoir l'accord interprofessionnel, mérite une réflexion. Que l'on décide de soumettre, désormais, toutes les lois qui concernent les rapports de travail aux partenaires sociaux avant même que le législateur n'intervienne, j'y suis personnellement favorable, d'autant que le droit communautaire nous y incite fortement depuis le Traité de Maastricht. Cela dit, il faut alors distinguer, entre les accords professionnels, plusieurs types d'accords. L'accord professionnel « pré-législateur » débouche sur un texte qui aura valeur législative et sera, au minimum, annexé par la loi. Nous disposons d'ailleurs d'un exemple dans notre droit français, il s'agit de l'accord sur la mensualisation du 10 décembre 1977 : cela n'a rien à voir avec le texte qui sera destiné à décliner par la suite un tissu législatif pour en faire les modalités d'application, se substituant ainsi aux textes réglementaires. La nature de l'accord n'est pas la même ; cela est encore pire si l'accord demeure une sorte de « super convention collective de branche ». Les acteurs de ces trois types d'accords ne peuvent pas être les mêmes, et l'intervention de l'État ne doit pas être la même. En effet, dans le premier cas, il faut que toutes les interprofessionnalités soient présentes, dans la mesure où, dans le cas contraire, l'on ne voit par ailleurs très bien comment un texte qui a, à l'origine, des négociateurs ne concernant qu'une partie des employeurs et des salariés, pourrait devenir, par la suite, la loi.

Dans ce cas, si l'on procède comme le fait le droit communautaire, le texte change de qualification, le contrat devient loi, comme cela est d'ailleurs le cas pour l'accord de 1977 relatif à la mensualisation. Dans le second cas, un tel constat est beaucoup moins net : l'on pourrait imaginer d'abandonner la technique dite d'extension et d'élargissement au profit de la technique d'agrément, c'est-à-dire celle qui est en vigueur dans le cadre des accords chômage. Pourquoi, dans ces derniers, avons-nous adopté la technique d'agrément ? Tout simplement parce que le champ de l'accord doit être le même que celui de la loi ; or la technique d'extension ne permet pas cela, et la technique d'élargissement ne le permet pas plus. En effet, l'article L. 133.12 du code du travail ne permet que d'élargir le champ à une ou plusieurs professions, mais pas à toutes : il faut en effet préserver la nature contractuelle de l'accord. En conséquence, l'on voit bien que des outils juridiques sont inadaptés à ce type d'objectifs.

La troisième catégorie, évidemment, demeure dans le droit commun. Il peut y avoir une interprofessionnalité industrie/commerce, MEDEF/CGPME, et une interpofessionnalité pour les professions libérales. La seconde catégorie est importante également. Les régimes complémentaires ARRCO et AGIRC, dont le champ est identique à celui de la loi, demeurent soumis à la technique de l'élargissement alors qu'ils devraient plutôt être soumis à la technique de l'agrément. Il y a donc toute une réforme à conduire, à propos de l'architecture des sources de droit en ce qui concerne leur nature.

Un dernier point concerne les manques existant dans le dispositif. Un certain nombre de questions méritaient un certain affinage, elles l'ont été plus ou moins au travers d'amendements. Par contre, il y a un certain nombre de faiblesses dans le texte, susceptibles d'avoir des conséquences futures dans les contentieux. Je vous en donnerai quelques-unes au hasard, sans entrer dans les détails.

Lorsque l'on dit que le contentieux électoral, relatif à la mesure de l'audience effective des organisations, sera soumis au tribunal de grande instance (TGI), l'on n'a pas besoin de le dire, dans la mesure où ce dernier est le juge de droit commun. Par contre, en matière de contentieux électoral, le tribunal d'instance est compétent, dans la mesure où il est plus rapide et mieux adapté. Je ne vois donc pas très bien l'intérêt de confier une telle tâche au TGI.

En outre, la mesure de la légitimité ne touche pas à la notion de représentativité. Il ne faut pas entrer dans une telle logique, étant donné que ces deux problèmes sont complètement différents. Or la rédaction des textes, à tout le moins celle relative à l'article L. 132-23, n'est pas suffisamment claire à cet égard. Il faudrait donc faire preuve de davantage de précisions, et bien distinguer la notion de représentativité qui n'est pas touchée. Il faut que les choses soient claires, la mesure de l'audience effective d'une organisation n'a rien à voir avec la mesure de sa représentativité. La condition de légitimité est complémentaire de celle de représentativité.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Préféreriez-vous que l'on substitue la notion d'audience à celle de représentativité ?

M. Jacques BARTHÉLÉMY - En effet. Il me semble qu'une rédaction plus fine devrait être apportée.

Je souhaite mettre l'accent sur un dernier point, celui de la révision des accords. Notre régime juridique de la révision est né d'une jurisprudence célèbre, ayant donné lieu à un rapport de Maître Bélier : ceci a été intégré dans la loi du 31 décembre 1992. Il est évident que les principes civilistes fondamentaux qui régissent tout contrat font qu'il est impensable qu'une personne n'ayant pas signé l'acte initial signe l'acte de révision ; il n'en demeure pas moins que, tel que le texte est rédigé, l'on a l'impression que ceux qui n'ont pas signé le texte initial participent aux négociations sans pouvoir signer. Or la fonction même de négociation implique le droit de signer. En conséquence, cette disposition n'est pas totalement satisfaisante.

M. le PRÉSIDENT - Maître, je vous remercie pour cet exposé très important. La parole est au rapporteur.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Je souhaite revenir sur certaines des questions que j'ai transmises à M e Barthélémy. L'utilité de ces questions repose sur ce que nous avons entendu au cours des précédentes auditions : que pensez-vous de la nécessité de construire un droit du dialogue social ? Certaines remarques faites, à propos notamment de l'article 39, semblent impliquer nécessairement une organisation du droit de négocier. Pourriez-vous approfondir cette question ?

M. Jacques BARTHÉLÉMY - J'avais laissé volontairement de côté cette question, dans la mesure où elle demeure, à mes yeux, un point essentiel. En préambule, je vous ai dit que la relativisation de la règle de l'avantage le plus favorable ne doit pas être diabolisée. Il existe des ensembles juridiques cohérents et protecteurs, autres que ceux qui existent en France, qui ne connaissent pas la règle de l'avantage le plus favorable. Pour autant, les salariés ne sont pas perdants. Il faut donc placer le problème sur un autre terrain. De toute façon, si cela était le cas, l'on n'aurait pas inventé la technique de dérogation en 1982, qui a eu des effets infiniment plus importants en matière de relativisation de la hiérarchie des sources que ce qui est proposé là.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous parlez des textes Auroux, n'est-ce pas ?

M. Jacques BARTHÉLÉMY - En effet, je parle de l'ordonnance des 39 heures. Cela dit, nous avons rencontré par la suite une amplification du volume et de l'étendue des techniques de dérogation texte après texte, que les gouvernements soient de gauche ou de droite. L'on peut me dire que cela ne concerne que le droit de la durée du travail, ce qui est vrai. Potentiellement, cela peut concerner autre chose et, du reste, cela touche les salaires. Le fond du problème est ailleurs : je rappelle que les textes Auroux faisaient le pari de rendre les salariés acteurs du changement ; au-delà de ce point, il s'agissait également de la philosophie de M. Chaban-Delmas, relative à la « nouvelle société » : le but était de donner une plus grande dignité aux salariés, en leur donnant la possibilité de contracter. Dans cette perspective, je soutiens que la relativisation de la règle de l'avantage le plus favorable n'est pas critiquable, à condition que l'on soit certain de l'équilibre contractuel, du comportement de bonne foi des acteurs sociaux et de l'exécution loyale de la convention. Or il n'est pas, à mon sens, souhaitable que le législateur entre dans les détails, comme nous l'avons fait pour les règles de fonctionnement du comité d'entreprise, dans un univers différent. Par contre, il faut que l'accord de méthode s'intéressant aux règles de conduite de la négociation soit obligatoire, encore plus dans l'entreprise que dans la branche. Par ailleurs, il faut que le non-respect des règles de cet accord de méthode soit sanctionné. En clair, il faut que ces règles soient qualifiées de substantielles par le législateur.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Estimez-vous que ce point est manquant dans le texte ?

M. Jacques BARTHÉLÉMY - En effet. Je dirais même que c'est ce qui manque le plus dans le projet de loi. Si vous avez lu l'article que j'ai rédigé sur le pré-projet, vous avez dû remarquer que je considère ces deux points comme étant indissociables. J'ai beaucoup écrit, depuis plusieurs années, sur l'exigence de l'accord de méthode, pour estimer qu'il existe une faille majeure dans le dispositif.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous considérez donc qu'il ne faut pas entrer dans les détails de ces accords de méthode ; vous estimez en revanche utile que nous prévoyions une obligation d'accord de méthode, et un caractère substantiel donné aux règles.

M. Jacques BARTHÉLÉMY - C'est cela. Soyons clairs, cela existe déjà dans le code du travail : l'article L. 132-22 prévoit expressément que la négociation sur le fond ne peut être engagée que si sont définies la durée et la périodicité des réunions, les informations à remettre aux syndicats préalablement à la négociation pour que ceux-ci puissent négocier en toute connaissance de cause. C'est bien de cela dont nous parlons. Malheureusement, cela n'est pas suffisamment étoffé, cela mériterait de l'être davantage. Surtout, il faut donner un caractère substantiel à ces règles relatives à l'accord de méthode.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Il faut donc se référer à cet article pour exiger, dans ce texte, un accord de méthode.

M. Jacques BARTHÉLÉMY - Deux manières peuvent permettre d'introduire cette exigence. Tout d'abord, s'il n'existe rien dans l'entreprise, il est impossible d'entamer des négociations sur le fond tant que cet accord de méthode n'est pas mis en place, sauf si le non-engagement de la négociation est sanctionné pénalement, ce qui est le cas pour les négociations annuelles obligatoires : dans une telle situation, la loi du 13 novembre 1982 a pris la précaution, très utile à mon avis, de dire que c'est l'employeur qui prend unilatéralement les décisions relatives à ces règles de conduite de la négociation, mais après avoir constaté l'échec d'une possibilité de concrétisation par accord. La conjugaison des articles L. 132-22 et L. 132-28 du code du travail me permet d'être très affirmatif sur ce point.

Par contre, l'on peut imaginer que la convention collective de branche définisse les règles pour toute la profession. Dans une telle hypothèse, l'accord d'entreprise n'a pas besoin de les mettre en place. Pour ma part, il me semble que l'articulation entre les articles L. 132-23 et L. 132-13 mérite d'être affinée.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Ce point est apparu au cours des auditions : l'on a attiré notre attention sur ce problème essentiel.

M. Jacques BARTHÉLÉMY - Depuis quelques années, un débat se tient sur la capacité, en l'état, au sein de notre droit, d'une convention collective d'organiser elle-même sa supplétivité. Il existait deux théories : celle de l'équipe de Nanterre, qui considérait que les dispositions des articles L. 132-13 et L. 132-23 sont d'ordre public : toutes clauses de la convention collective de branche disant que, sur ce point précis, l'accord d'entreprise doit déroger, seraient des clauses nulles. La Cour d'appel de Paris a suivi cette théorie. Pour ma part, je pense que cela est excessif d'un point de vue juridique ; de surcroît, cela conduit à une solution pire que celle que nous élaborions en reconnaissant le principe de validité. En effet, si nous mettons en place un avantage, en considérant qu'il est possible d'y déroger par accord d'entreprise, les deux font alors un tout indivisible. Cela veut dire que, là où la négociation d'entreprise ne peut pas prospérer, l'on débouche sur un vide, ce qui ne constitue pas une solution intéressante. La solution intéressante serait la suivante : dans la convention de branche, l'on met en place un ensemble de règles. Là où la négociation ne peut pas prospérer, elle s'applique, mais il existe une certaine autonomie là où la négociation collective d'entreprise peut prospérer. Pour que l'on soit certain qu'elle puisse valablement prospérer, sans que cela soit au détriment de la fonction protectrice du droit du travail, nous exigeons l'accord de méthode qui fixe des règles en matière de conduite des négociations.

Pour avoir été négociateur, et compte tenu de l'approche organisationnelle du droit que je préconise, je peux affirmer avec certitude que, dans les branches moyennes, qui sont importantes en nombre, ce sont les directeurs des ressources humaines des trois ou quatre plus grandes entreprises qui négocient, ils veulent baliser le dispositif. Or il apparaît que ces personnes paupérisent la convention de branche, pour se donner de l'espace de négociation pour leur propre entreprise. Si cela n'est pas gênant pour ces entreprises, puisque le double niveau de négociation permet de rétablir l'objectif de progrès social par l'accord d'entreprise, cela n'est plus le cas pour les petites entreprises, où il n'y a rien d'autre. C'est pour cela que je considère que la clause de supplétivité était une clause intelligente : un dispositif est mis en place, mais il laisse la possibilité, là où la négociation d'entreprise peut prospérer, dans une certaine limite définie, d'y déroger. C'est d'ailleurs ce qu'a fait la loi Aubry II, avec les accords d'application directe pour les entreprises de moins de 50 salariés : l'on mettait en place un accord ARTT qui rendait nécessaire une négociation dans l'entreprise pour devenir effectif, mais l'on prévoyait un dispositif qui permettait, dans les petites entreprises, une application directe.

Ce n'est pas la relativisation de la règle de l'avantage le plus favorable qui est critiquable, au contraire. Ce qui est critiquable est bien la manière dont on le conçoit. Il me semble que nous devons nous intéresser aux règles de procédure de la négociation. Ensuite se pose une question simple : est-ce la convention collective de branche qui doit autoriser la dérogation, et jusqu'où ? Au contraire, y a-t-il une liberté totale, sauf interdiction par la convention de branche ? Cela est important, dans la mesure où l'on organise une liberté sous condition. C'est également important, dans la mesure où la Position commune du 16 juillet 2001 avait prévu les deux hypothèses, selon les thèmes. Le premier avant-projet de M. Fillon prévoyait également ces deux hypothèses, mais l'on cherchait en vain les raisons décidant que tel ou tel sujet relevait d'un domaine. Ceci étant, la source principale n'est pas la Position commune du 16 juillet 2001, mais l'accord du 31 octobre 1995. En effet, celui-ci constituait un véritable accord collectif, qui a eu, par ailleurs, des effets. Elle a inspiré la loi Robien, dont on retrouve aujourd'hui les vertus et qui a, en outre, trouvé des implications concrètes. Vous avez évoqué dans une de vos questions le problème du substitut à l'intervention des syndicats : cette question est contenue dans l'accord du 31 octobre 1995. En tant que conseil de la profession d'expert-comptable, j'ai mis à l'époque en place un accord de branche qui permettait d'utiliser cette technique du transfert sur le comité d'entreprise, avec agrément, par la Commission paritaire. Près de cent accords ont pu être conclus par ce biais au niveau des experts comptables, ceci avec une réelle efficacité.

M. le PRÉSIDENT - La parole est à M. Muzeau.

M. Roland MUZEAU - Maître, vous appuyez votre raisonnement sur un préalable, qui n'est pas inintéressant en soi, à savoir la bonne foi des partenaires. Par contre, ce préalable, que nous pouvons entendre, se heurte à un autre préalable, celui de la réalité économique et sociale de notre pays. En effet, 80 % des salariés travaillent dans des PME. Ma préoccupation principale va vers cette partie du monde du travail, qui est éclaté dans le pays entre des centaines d'entreprises, celles-ci comprenant entre cinq et cinquante salariés ; chacun sait bien que la représentation syndicale est la plus délicate, voire est totalement inexistante. Lorsque l'on rapproche de la réalité vos propos sur la bonne foi des partenaires, votre préalable ne tient plus : l'on ne peut pas faire abstraction du paysage que j'ai décrit en quelques mots, dans la mesure où c'est bien celui-ci qui s'impose. Ce n'est pas une vue idyllique de ce paysage qui nous intéresse, mais bien la vue que nous en avons aujourd'hui. Il m'importe donc de vous interroger, sans qualifier qui que ce soit de mauvaise foi, sur le risque réel porté par ce texte, d'aller vers une dérive évidente : à partir du moment où l'ordre public social est mis à bas, la bonne foi ne suffira pas à construire un statut de salarié, avec des avantages. A plusieurs reprises, vous avez cité la réalité économique, c'est-à-dire l'adaptation : vous avez dit que le législateur et les partenaires sociaux avaient pris acte que l'environnement économique avait changé et que quelques dérogations étaient donc nécessaires pour aller au-delà, dans un sens positif sur un certain nombre de questions et en « lâchant » sur d'autres aspects. Je pense notamment aux 35 heures, qui ont introduit la flexibilité.

M. Jacques BARTHÉLÉMY - Ce sont les 39 heures qui ont introduit la flexibilité, et non les 35 heures. En effet, c'est bien l'ordonnance des 39 heures qui a inventé la technique de dérogation.

M. Roland MUZEAU - J'ai vécu en entreprise pendant 20 ans : je peux vous dire que les 39 heures ne nous ont pas fait de mal. Les 39 heures ont engagé un processus, et les 35 heures ont généralisé totalement la flexibilité. Nous avons cette situation aujourd'hui, qui me préoccupe beaucoup au travers de ce texte. Je ne pense pas qu'il soit de nature à nous faire aller de l'avant.

M. le PRÉSIDENT - La parole est à M. Chabroux.

M.Gilbert CHABROUX - Je voudrais être très concret, et m'arrêter sur l'article 39 : quelle est votre lecture cet article ? L'on nous a donné quelques garanties, l'on a vu ce qu'a dit le Ministre. Cela dit, je viens de lire les déclarations du Président du MEDEF, lors de l'Assemblée générale de son mouvement, à Lille. J'ai lu également l'interview qu'il a donnée au journal Les Echos. Il dit bien que tout sera renégocié : il parle du temps de travail, des rémunérations... Il ne semble y avoir aucune limite. Il dit également qu'il s'agit de la feuille de route qui a été négociée par le Président de la République. Je ne veux pas m'étendre sur les 35 heures : si l'on revient sur les heures supplémentaires par exemple, l'on revient également sur les 35 heures. Si l'on supprime le 13ème mois, l'on revient sur les rémunérations. Quelles vont être les conséquences concrètes de cet article 39 ?

M. Jacques BARTHÉLÉMY - Le problème que vous évoquez est évidemment important. Pour autant, aujourd'hui, nous sommes dans une logique qui a été initiée par l'introduction dans notre droit français de la technique de dérogation par l'ordonnance des 39 heures. Ce phénomène n'a cessé de s'amplifier. Chaque fois que l'on substitue des normes banalisées à des normes de contexte, l'on crée des conditions pour une plus grande compatibilité entre économique et social. Or c'est bien dans cette logique que se situe ce texte, comme la loi sur le contingent, votée l'année dernière : aujourd'hui, la majoration de 25 % n'est plus légale, puisqu'il appartient à la convention collective de fixer le taux des heures supplémentaires ; celle-ci peut la fixer à 10 %, si elle le veut. Nous sommes donc dans une logique bien différente, qui vise à construire un droit du travail plus contractuel, et moins réglementaire. Il faut bien reconnaître, en tant que praticien, que le droit du travail, en s'intéressant trop aux questions de détail, est devenu d'une grande complexité, cela est particulièrement vrai dans le domaine du droit du temps de travail : au final, plus personne ne comprend rien, ce qui engendre une certaine inefficacité de la loi. Cela est dommage. Ceci étant, le problème que vous évoquez est important ; c'est bien pour cela que je crois que nous devons baliser la possibilité d'accords dans des petites entreprises, en laissant l'autorité de la convention de branche chaque fois qu'elle est susceptible d'être effective. Plusieurs moyens existent, et le débat sur le fait de savoir si c'est la convention de branche qui doit autoriser la dérogation, ou si, au contraire, c'est le droit commun qui doit autoriser la dérogation, n'est pas neutre par rapport au problème que nous évoquons.

Le second problème que vous avez évoqué est celui de la capacité de négocier dans les entreprises : ce problème a bien été mentionné dans le cadre des lois Aubry, puisque l'on voulait absolument développer les accords 35 heures, qui permettaient justement d'adapter des normes à un contexte particulier. Cela permettait plus aisément de faire supporter le passage de 39 heures à 35 heures, sans perte de salaires. Nous sommes dans la même logique, c'est pourquoi l'on fait ressurgir ce que l'accord d'octobre 1995 avait créé, à savoir le possible transfert du pouvoir de négociation dans les petites entreprises sur le Comité d'entreprise et, à défaut sur les délégués du personnel ou en dernier ressort sur un mandataire ad hoc . Le but de cette opération est aussi de favoriser la syndicalisation. La principale critique que nous sommes susceptibles de faire sur cet ensemble est simple : effectivement, avons-nous un poids des syndicats suffisant pour nous permettre, aujourd'hui, de relativiser la règle de l'avantage le plus favorable ? L'on peut y répondre de deux manières, ce qui revient à la question de la poule et de l'oeuf. En effet, en Allemagne, le taux de syndicalisation est plus élevé parce que la convention collective, théoriquement, est au seul bénéfice des salariés syndiqués. Nous voyons là qu'il existe une question intéressante à soulever.

En ce qui concerne l'article 39, il est clair que l'objectif du Gouvernement est d'éviter que la convention collective conclue antérieurement à la loi puisse se voir imposée des règles nouvelles. Tel est bien le fond du débat. En d'autres termes, il faudra pouvoir renégocier les accords pour atteindre une certaine effectivité. Il existe une sécurité par la pratique de la négociation collective : l'introduction de la règle de l'accord majoritaire, ou du droit d'opposition fondé sur l'audience effective de chaque syndicat ne sera pas de droit : elle viendra d'un accord qui l'organisera, cet accord demeurant soumis aux règles actuelles. Chaque syndicat, dans une telle optique, a le même poids. C'est donc la règle de la majorité qui interviendra, mais appréciée sur le nombre des syndicats, et non pas sur le poids effectif de chacun d'eux. C'est bien cette solution qui existe actuellement pour la révision des accords. En conséquence, pour introduire la possibilité de relativiser la règle de l'avantage le plus favorable, il faudra un avenant. Pour que cet avenant soit signé, aujourd'hui, il faut que trois des cinq syndicats soient signataires. C'est une des raisons pour laquelle je pense que l'accord majoritaire ne sera pas fréquent. Je ne vois pas en effet la CFE-CGC, la CFTC ou FO se saborder au nom de la mise en place de l'accord majoritaire. Je pense pour ma part que ce dernier est un plus, même si je crois beaucoup plus à la pratique espagnole, qui institue une commission paritaire dans laquelle chaque organisation syndicale est représentée au prorata de son audience, et qui prend ses décisions à la majorité, tant au niveau des salariés que des employeurs. Dans l'entreprise, le problème de la négociation avec le Comité d'entreprise se pose dès lors. Si nous adoptons cette logique, il faut aller jusqu'au bout du raisonnement, il faut réformer le droit des comités d'entreprise : il est en effet anormal que le Président soit membre du CE ; il faut également revoir les règles d'élection, pour que les personnes soient élues au premier tour, en faisant tomber la représentativité de droit.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie infiniment pour le temps que vous nous avez consacré.

Audition de M. Georges TISSIÉ
Directeur des Affaires sociales
Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
(mercredi 21 janvier 2004)

M. le PRÉSIDENT - Je dois tout d'abord excuser M. Veysset, qui ne peut pas être parmi nous aujourd'hui : il est retenu pour une négociation consacrée au traitement social des restructurations.

Je ne doute pas, pour autant, que vous nous apporterez tous les éclaircissements dont nous avons besoin. Monsieur Tissié, vous êtes directeur des Affaires sociales de la CGPME. Je vous propose, pendant une dizaine de minutes, de nous donner votre point de vue sur ce texte ; vous pouvez évidemment vous appuyer sur les questions qui vous ont été transmises.

M. Georges TISSIÉ - Vous m'avez demandé quelle était mon analyse sur l'état actuel de la négociation collective et du dialogue social dans notre pays. Nous avons la même position depuis de nombreuses années. Nous considérons que le dialogue social, au niveau des branches, mais aussi au niveau national interprofessionnel, demeure toujours très important en France. Nous pourrions nous remémorer tous les accords nationaux interprofessionnels qui ont été signés au cours des 30 dernières années. Sans remonter à 1969, par exemple, nous savons tous que deux accords importants ont été signés au niveau national interprofessionnel sur la formation professionnelle ; un accord a également été signé sur la retraite complémentaire. Peu avant, un accord avait été signé à propos de l'assurance chômage.

Il ne faut surtout pas minimiser la réalité du dialogue social au niveau des branches, au niveau interprofessionnel et également, dans une moindre mesure, au niveau des entreprises elles-mêmes. Même dans les branches et les entreprises, nous voyons bien, chaque année, lors de la réunion ad hoc de la commission nationale de la négociation collective, qu'il y a de très nombreux accords sur des sujets variés, qui peuvent d'ailleurs, selon les années, être différents. Il y a une dominante une année, et une autre dominante l'année suivante. Le dialogue social demeure donc très important. Lorsque nous regardons ce qu'il se passe dans les autres pays occidentaux, qu'ils soient européens ou non, nous remarquons de toute évidence que nous n'avons pas à rougir des actions que nous conduisons en France lorsque nous nous intéressons au total des trois niveaux.

Nous sommes signataires de la Position commune du 16 juillet 2001, comme la quasi-totalité des partenaires sociaux, puisqu'il y avait les trois organisations patronales représentatives au plan national interprofessionnel, et quatre confédérations nationales de salariés sur cinq. Si nous sommes signataires, c'est que, nous avons, globalement, approuvé ce texte. Nous considérons que le texte en débat, tel qu'il est issu des travaux de l'Assemblée, nous satisfait. Je pense notamment à la rédaction de l'article 34, telle qu'elle actuellement. Je pense également à l'article 41, auquel nous tenions beaucoup.

En ce qui concerne votre troisième question, nous considérons que l'article 41, tel qu'il est rédigé, devrait permettre d'accentuer le dialogue social dans les PME ; il devrait surtout permettre de donner un débouché juridique au dialogue social. En effet, il existe un dialogue social informel dans toutes les PME, y compris dans celles comprenant moins de cinquante salariés. Il faut bien avoir à l'esprit que ce dialogue est informel, il existe depuis de très nombreuses années. Force est de constater en outre qu'il s'est considérablement amélioré, en particulier au cours des dernières périodes. Cet article 41 devrait permettre, comme nous n'avons cessé de le demander depuis de nombreuses années, de donner un débouché juridiquement reconnu à ce dialogue social. Sous certaines conditions, il sera possible de négocier des accords juridiquement reconnus entre la Direction de l'entreprise et les représentants élus du personnel : ce n'est d'ailleurs qu'une solution, puisqu'une seconde solution est proposée. J'insiste néanmoins sur cette première solution. Nous sommes donc favorables à cet article 41. Pour autant, nous devons raison garder. Nous pensons néanmoins qu'il s'agit d'une mesure positive qui devrait déboucher sur un certain nombre d'accords dans les PME. En tout état de cause, il sera susceptible d'enclencher un mécanisme que nous jugeons positif.

En ce qui concerne votre quatrième question, nous estimons qu'une petite critique devrait être formulée à propos de l'article 42, en tous les cas dans sa mouture actuelle. Nous ne sommes pas hostiles à l'idée de commissions paritaires territoriales, qui peuvent être des lieux de concertation. Pour autant, nous sommes dubitatifs, et ceci pour diverses raisons, à propos du rôle que l'on voudrait faire jouer aux commissions paritaires. Ainsi, il est dit, dans le premier alinéa, qu'elles « concourent à l'élaboration et à l'application de conventions et accords collectifs de travail, négocient et concluent des accords d'intérêt local notamment en matière d'emploi et de formation continue ». L'on peut imaginer qu'une ouverture soit faite sur ce point, notamment par rapport à ce qui existe dans le code du travail actuellement. Pour autant, nous ne sommes pas des « fanatiques » des accords interprofessionnels locaux, même s'ils peuvent avoir, dans certains cas, un réel intérêt. Malheureusement, trop souvent, les accords ne tiennent pas compte de l'environnement des accords d'entreprise, ou même de réalités concrètes. Nous craignons également que, dans certains cas, les négociateurs de ces accords ne soient pas totalement représentatifs, y compris du côté patronal. En effet, sur le plan interprofessionnel local, il peut arriver que nous ayons des difficultés à trouver des négociateurs compétents. Vous le voyez, mon jugement n'est pas totalement négatif, mais il est pour partie critique, y compris pour des raisons pratiques.

En ce qui concerne votre cinquième question, je dois vous dire que nous aimons la négociation nationale interprofessionnelle : nous considérons en effet qu'elle correspond à une tradition française, en matière de protection sociale par exemple, ou encore en matière de formation professionnelle. Nous sommes également très favorables à la négociation de branche, dans la mesure où elle prend en compte la spécificité des PME et où elle permet d'égaliser, dans la plupart des cas, les conditions de la concurrence entre des entreprises d'une même branche. En outre, les négociateurs patronaux et salariés sont à égalité et, de part et d'autre, les participants sont des praticiens de la négociation. Nous sommes donc très en faveur de la négociation de branche, je le répète. Nous considérons cependant qu'il fallait donner plus de souplesse au système, et « mettre de l'huile dans les rouages ». En ce sens, nous sommes donc favorables aux dispositions de l'article 37, tels qu'ils sont sortis de la première lecture à l'Assemblée nationale ; ils introduisent, selon nous, un certain nombre de garde-fous. Il fallait tout de même mettre un peu de souplesse dans le système, après plusieurs dizaines d'années de pratiques. En outre, nous ne pensons pas que cela va remettre en cause la négociation de branche. En tout état de cause, nous comptons sur les partenaires sociaux au niveau de la branche, dans la mesure où ils disposent de leviers très forts : ce sont eux qui vont déterminer les conditions dans lesquelles les entreprises pourraient éventuellement déroger, au-delà des quatre sujets sur lesquels il est impossible de déroger. Au-delà de ces quatre sujets, ce sont les partenaires sociaux de la branche qui vont déterminer les conditions détaillées dans lesquelles les partenaires sociaux, dans une entreprise, pourraient déroger. Nous comptons donc en tout état de cause sur les partenaires sociaux dans les branches pour encadrer, au sens positif du terme, les nouvelles dispositions qui pourraient être utilisées au niveau des entreprises. Nous n'avons donc pas de crainte quant à la disparition ou la diminution de l'importance des accords de branche. En effet, ce seront les négociateurs de branche qui définiront le cadre d'autonomie des négociateurs d'entreprise.

En ce qui concerne votre dernière question, relative au principe majoritaire, nous estimons que le texte, tel qu'il est actuellement à la sortie du débat en première lecture à l'Assemblée nationale, nous convient. Nous étions plutôt favorables à la notion du droit d'opposition. Cela dit, nous verrons comment cela se passera concrètement, selon les cas et selon les secteurs. En son temps, nous avions milité pour la possibilité d'une prise en compte du nombre d'organisations dans la notion d'accord majoritaire. Nous avions posé cette idée pour l'accord national interprofessionnel, mais cela pourrait être étendu à l'accord de branche. Nous sommes favorables à cette disposition. Si nous y sommes favorables, c'est bien parce que nous ne souhaitons pas voir apparaître un ou des systèmes qui, de par leur complexité, finissent par bloquer la négociation. L'idée du principe majoritaire, sous la forme d'une autre organisation, nous agrée. Cela est valable pour l'accord professionnel et représente également une des solutions pour l'accord de branche.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie. La parole est au rapporteur.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Je souhaite obtenir des précisions sur un point précis : vous avez été très dithyrambique sur l'accord 41, qui correspond aux problématiques propres à vos entreprises. La solution retenue a tendance à réduire le rôle des syndicats dans la négociation. Estimez-vous que ceci est vrai au premier stade ? Un agrément devra être donné au niveau des branches ; cela ne rétablit-il pas l'équilibre ?

M. Georges TISSIÉ - Je crois qu'un effort de précision est nécessaire : l'alinéa 2 de l'article 41 précise que la solution proposée n'est applicable « qu'en l'absence de délégués syndicaux dans l'entreprise ou l'établissement ». Il ne s'agit donc pas d'une substitution ; il s'agit au contraire de trouver une solution en l'absence de délégués syndicaux. Je crois que ce point est très important.

Les partenaires sociaux, dans la branche, ne sont pas exclus de cette mécanique, puisque ce sont eux qui vont fixer les conditions dans lesquelles les accords qui seraient éventuellement signés dans ce cas seront validés. Là aussi, la branche conserve un rôle ; l'on parle expressément, dans cet article 41, de l'approbation par une commission paritaire nationale de branche. Faute d'approbation, l'accord est réputé non écrit. En conséquence, il y a là une forme d'encadrement de la mécanique. Il eût été étonnant, de toute façon, que l'on ouvre d'un côté une possibilité, et qu'on la ferme complètement de l'autre. Là aussi, nous estimons qu'un équilibre a été trouvé.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Je vous remercie pour cette précision.

M. le PRÉSIDENT - En conclusion, nous pouvons estimer que votre organisation est globalement favorable au projet de loi relatif au dialogue social.

M. Georges TISSIÉ - C'est exactement cela. Nous souhaitons que le texte conserve sa rédaction actuelle.

M. le PRÉSIDENT - Monsieur Tissié, nous vous remercions pour votre contribution.

Audition de M. Guy ROBERT
Secrétaire général
et Mme Valérie RAMAGE
chargée d'études
de l'Union nationale des professions libérales (UNAPL)
(mercredi 21 janvier 2004)

M. le PRÉSIDENT - Mes chers collègues, nous accueillons M. Guy Robert et Mme Valérie Ramage, de l'UNAPL. M. Robert est secrétaire général à Union nationale des professions libérales, et Mme Ramage chargée d'études. Monsieur le secrétaire général, je vous propose, pendant une dizaine de minutes, de nous donner un premier sentiment sur ce texte. Ensuite, M. le rapporteur et les membres de la commission vous interrogeront, si vous en êtes d'accord.

M. Guy ROBERT - Nous vous remercions d'accueillir l'Union nationale des professions libérales, qui regroupe soixante syndicats de professions libérales, dans le domaine de la santé, du droit, ou encore du chiffre. Un problème clair se pose à nous : il s'agit justement de la diversité des secteurs d'activité, avec pour autant des points communs entre les professions libérales. Les réglementations professionnelles varient entre les professions, qu'elles soient réglementées ou non, et avec des problèmes de déontologie bien spécifiques. Tout le monde, bien sûr, doit respecter une éthique dans sa vie personnelle et professionnelle mais, pour notre part, nous en faisons un devoir : pour nos salariés, il s'agit d'un problème auquel ils sont souvent confrontés et qui les différencie des salariés du secteur marchand. Par ailleurs, la taille des entreprises que nous représentons doit être rappelé : en moyenne, les entreprises ont une taille de 3,5 salariés et regroupent au total 1,2 million de salariés. Pour la plupart, ils sont dans le secteur le plus minoritaire, à savoir le secteur des techniques et du juridique. Dans le même temps, les professionnels de santé, hors pharmacie, radiologie et chirurgie n'ont plus de salariés : les médecins généralistes se groupent, sous-traitent la prise de rendez-vous. Aujourd'hui, la petite entreprise libérale médicale n'est plus du tout la norme, il y a maintenant très peu de salariés. Certains chirurgiens dentistes ont encore une assistante, mais cela n'est pas le cas partout. Cela ne va pas sans poser problème, en matière de secours ou de protocole d'hygiène, notamment. Or nous avons des obligations bien évidentes sur de telles questions.

Nous devons également rappeler que le salarié des professions libérales, la plupart du temps, dispose d'un niveau de diplôme très élevé, à bac + 4 ou + 5 ; un avocat salarié dispose d'un niveau de diplôme encore plus élevé. En ce qui concerne les techniciens, ou les salariés qualifiés dans le domaine de l'architecture par exemple, ils disposent d'un niveau de diplôme conséquent. Nous sommes donc face à des professionnels qui ont besoin de salariés hyper-spécialisés, ce qui ne va pas sans nous poser un certain nombre de soucis. Le nombre des professionnels et des salariés font que, bien entendu, nous préférons conduire des négociations par branche. Par exemple, il est difficile, pour une petite entreprise libérale, de disposer d'un représentant syndical, dans la mesure où les grands syndicats ne sont pratiquement pas représentés dans nos milieux. Parfois, nous sommes face à de petits syndicats autonomes tout à fait différenciés des grandes centrales syndicales. Cependant, nous avons, vis-à-vis de tous nos salariés, signé des accords interprofessionnels. Par exemple, l'organisme paritaire collecteur agréé (OPCA) des professions libérales est très bien organisé et a permis de conduire des négociations très productives à propos de la formation professionnelle. Un accord a été conclu à propos de la formation continue, et nous venons de signer un accord relatif à un dispositif d'épargne interprofessionnel spécifique à toutes les professions libérales. En conséquence, l'UNAPL dispose bel et bien de ce rôle de représentation, dans le monde du travail, de l'ensemble professions libérales.

Ces dernières années, nos problèmes ont été essentiellement relatifs à la multiplicité des lois ; je crois que, dès que l'on en crée une, il faudrait en enlever dix ! si nous y ajoutons le code du travail, nous sommes face à des textes qu'il devient difficile d'appliquer en raison de leur nombre. En outre, l'on nous impose certaines normes de sécurité, dans les cabinets, qui n'ont pas trait à de telles structures, mais plutôt à des entreprises industrielles. En outre, le temps partiel ne correspond pas du tout à nos besoins. Nous pouvons concevoir la prise en compte de ce problème au niveau des grandes surfaces, mais pour les médecins, les lois actuelles ne font pas du tout l'affaire. Je pense même que le temps partiel serait davantage promu si les lois étaient beaucoup plus souples. Il est évident en effet qu'un médecin ne peut pas prévoir, comme une grande entreprise, un temps partiel six mois à l'avance. Je ne veux pas revenir sur les 35 heures, nous en avons assez débattu. Pour autant, nous ne pouvons que constater que les 35 heures sont proprement catastrophiques : nous devons fermer les cabinets le vendredi après-midi, ou les fermer tous les soirs à 19 heures. Or une telle logique ne nous permet pas de prendre en charge les situations d'urgence.

Cette insécurité juridique fait que les professions libérales éprouvent des difficultés à embaucher : les dispositifs deviennent en effet compliqués, et il y a peu de place laissée, en-dehors des grandes professions, à la négociation collective. Par ailleurs, certaines professions ne bénéficient pas de convention collective, alors que nous souhaitons qu'il en existe partout.

Pour notre part, nous estimons qu'il faut redynamiser le dialogue social au sein de nos petites entreprises, de telle sorte que les professionnels se sentent bien. Il faut également qu'un rapport de confiance s'instaure, d'autant que la convivialité dans le travail est absolument nécessaire dans nos professions. En effet, nous évoluons dans une logique de rapports très étroits. En outre, l'on nous dit qu'il faut parfois faire des groupements d'entreprises, mais l'on ne peut pas grouper les entreprises d'avocats avec des salariés passant de l'une à l'autre. En raison du secret professionnel, l'on ne peut pas faire cela. Il faut donc redynamiser, et faire davantage appel à la négociation collective pour s'adapter aux spécificités et aux contraintes de ces différents secteurs d'activité, qui sont effectivement différents. Les règles communes doivent donc pouvoir être adaptées.

Nous considérons qu'il faut privilégier la branche. En effet, si l'on veut créer au sein de nos entreprises des syndicats, et des mandataires qui viendraient dans nos cabinets, je pense que la zizanie s'installerait rapidement : l'on ne peut pas diriger comme cela des cabinets et des professions libérales qui touchent à ce qu'il y a de plus essentiel dans la vie de l'homme, à savoir sa santé, sa protection juridique ou encore la protection de ses biens et son environnement. L'on ne peut pas lier cela à des phénomènes extérieurs qui viendraient imposer des règles de vie dans des cabinets ou des entreprises aussi sensibles.

Nous sommes véritablement d'accord pour que le projet de loi s'appuie sur la Position commune signée par les partenaires sociaux. Nous sommes en faveur de cette dynamique et d'une concertation préalable avec les partenaires sociaux avant toute réforme sociale. Effectivement, cela nous arrange. En outre, nous sommes également favorables au renvoi, le cas échéant, à la négociation collective avant toute réforme du droit du travail. D'ailleurs, je tiens à dire à ce titre que, si l'on avait appliqué cette logique au temps partiel, nous aurions aujourd'hui beaucoup plus de salariés dans les cabinets. En effet, de nombreuses salariées féminines cherchent une telle forme de travail, qui correspond à leurs obligations extraprofessionnelles.

Nous éprouvons un souci au niveau des professions libérales : nous représentons 1,2 million de salariés et nous ne sommes membres de la commission nationale de la négociation collective (CNC) que depuis 1997. Depuis, nous sommes partenaire social mais, dans bien des domaines, nous ne sommes pas invités par le MEDEF : ce dernier n'invite que les partenaires sociaux reconnus depuis 1945. En clair, nous ne sommes pas là, et nous sommes dans l'obligation d'entériner des accords qui ne tiennent pas compte de nos spécificités. Nous nous en sommes entretenus avec les gouvernements successifs. La gauche nous a dit d'aller voir le patronat, et la droite nous fait les mêmes réponses. Nous devons donc nous imposer dans ce domaine, de telle sorte que le personnel spécialisé que nous représentons puisse avoir droit de cité dans les grandes négociations.

Pour nous, la limite réside tout d'abord dans une bonne prise en compte de la représentativité syndicale. Je crois que nous devons nous sortir des règles existantes qui sont, dans certains cas, figées. Par exemple, nous sommes obligés de traiter avec tel ou tel syndicat. Je pense que nous devons nous décider, en France, à revoir quels sont les représentants syndicaux, ainsi que leur valeur et leur représentativité, de manière à ce que l'ensemble de la vie sociale soit représenté. Nous devons en finir avec cet « archéo-syndicalisme » que nous connaissons aujourd'hui. En conséquence, notre problème est bien là. Nous sommes favorables au principe majoritaire pour les accords, mais nous devons nous entendre clairement sur ce point : nous avons déjà signé des accords mais, pour cela, il faut avant toute chose qu'il n'y ait pas de blocages. Nous préférerions, lorsque nous signons des accords, pouvoir adopter la logique suivante : nous ne voulons pas que des blocages surviennent dès que nous avons signé quelque chose. Nous souhaitons donc que la possibilité de s'abstenir soit laissée aux organisations syndicales, cela permet de progresser, de signer des accords et de les appliquer. Cela permet surtout d'éviter les blocages, et nous préférons sans conteste cette règle-là.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous préférez donc le droit d'opposition.

M. Guy ROBERT - C'est cela, il me semble que cette méthode est préférable : elle est plus efficace, en tous les cas comme règle de base. La représentativité syndicale, comme vous le savez, a toujours posé de nombreux problèmes. Il n'est pas souhaitable qu'un syndicat minoritaire engage l'ensemble d'un mouvement ou d'une entreprise au nom de sa représentativité. Nous parvenons alors à des situations de conflits difficiles. Même dans le domaine des conventions médicales ou de santé, cela pose problème : si nous traitons avec un syndicat minoritaire, qui engage toute la profession, celle-ci se rebiffe. Il faut, sur ce point, être très vigilants : les minoritaires ne doivent pas agir au nom de tous. Cela ne rime à rien ; les nouvelles règles de majorité, au niveau de la négociation d'entreprise, doivent s'appliquer dans notre secteur, mais il est évident que cela posera de réelles difficultés. Nous n'avons en effet pas de délégués syndicaux. Pour nous, entreprises de moins de dix salariés, nous ne pouvons que constater que de larges pans de ce projet de loi ne s'appliqueront pas à nous. Nous ne sommes pas suffisamment nombreux, et je pense que ce texte sera d'application restreinte compte tenu de la taille de nos entreprises et de leur faible capacité à négocier. Nous souhaitons véritablement que le dialogue social ait lieu avant toute proposition de loi. Evidemment, le législateur reste libre, par la suite, de prendre les décisions qu'il juge bonnes. Nous considérons que nous devons pouvoir négocier et laisser, dans certains domaines, en fonction des régions, la possibilité de prendre en compte les problématiques locales. L'intérêt local doit être pris en compte, dans la mesure où il existe des besoins spécifiques et locaux. Encore faut-il que cela entre dans un accord de branche, qui n'y verrait pas une atteinte au cadre général fixé.

M. le PRÉSIDENT - Vous êtes donc d'accord avec le texte sur ce point.

M. Guy ROBERT - C'est cela. Je vous ai rappelé en quelques minutes quel était notre principal problème : les professions libérales sont très diverses, mais elles connaissent, pour nombre d'entre elles, les mêmes problèmes transversaux. Surtout, il existe des problèmes particuliers, famille par famille, et des exercices différents dans certaines régions.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie, la parole est au rapporteur.

M. Jean CHERIOUX, rapporteur - Il est certain que les lignes générales de ce projet de loi, dans leur esprit, vous conviennent ; pour autant, certains problèmes spécifiques à votre profession doivent être pris en compte. Si je comprends bien, vous êtes face à un double problème de représentativité, au niveau patronal, mais aussi au niveau salarié. Des deux côtés, vous vous trouvez dans une situation de tutelle. En outre, vous voulez disposer de règles adaptées au niveau de la branche. A ce titre, je souhaite savoir de combien de branches vous disposez, et quelles sont-elles. Je souhaite également savoir quelles branches ne sont pas encore couvertes par une convention collective.

Mme Valérie RAMAGE - En fait, toutes nos professions réglementées disposent d'une convention de branche, elles sont donc dès à présent organisées. Tout à l'heure, M. Robert a parlé des accords interprofessionnels, qui doivent être signés au niveau de l'UNAPL : ce sont des accords cadres. Ces derniers ont vocation à impulser la négociation de branche, dans les branches organisées, mais ils ont aussi vocation à couvrir les professions libérales qui sont peu structurées, et qui ne sont pas couvertes par des conventions de branche. Il s'agit, en majorité, de professions libérales non réglementées. Il s'agit notamment des professions de conseil, qui sont relativement nombreuses.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Existe-t-il une convention de branche pour les professions juridiques ?

Mme Valérie RAMAGE - En effet.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Ce texte vous intéresse en ce qui concerne les accords de branche. Se pose le problème de votre participation aux négociations de branche. En tant qu'employeur, vous n'êtes pas représentés dans ces négociations de branche. En outre, pouvez-vous nous dire comment sont impliqués vos salariés ? Je suppose qu'ils le sont par l'intermédiaire des syndicats traditionnels.

Mme Valérie RAMAGE - C'est cela. Le problème de l'implication de l'UNAPL dans les négociations collectives se pose essentiellement au niveau des négociations nationales interprofessionnelles. Nous en revenons à l'exposé des motifs du projet de loi, qui nous intéresse bien évidemment.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Pour vous, le fait que la loi ne règle pas tout, mais que la réglementation soit faite par les professionnels, vous convient.

Mme Valérie RAMAGE - En effet. Pour nous, le problème réside dans la transposition d'accords nationaux interprofessionnels dans une loi, qui seraient des accords auxquels nous n'aurions pas participé.

M. Guy ROBERT - Nous nous entendons très bien avec le MEDEF, mais il n'en demeure pas moins que nous avons encore besoin de lui faire comprendre que nos professions sont pour le moins particulières. Nous avons besoin de temps pour cela, mais je suis persuadé que nous allons y parvenir.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Au niveau des branches, l'UNAPL conduit les négociations, n'est-ce pas ?

M. Guy ROBERT - En effet. Cela dit, je vous donnerai un simple exemple : lorsque le MEDEF organise une réunion, avec les grandes centrales syndicales, nous ne sommes pas invités.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - La réglementation de branche vous intéresse tout particulièrement, mais votre problème se situe essentiellement au niveau interprofessionnel.

M. Guy ROBERT -C'est exactement cela.

M. le PRÉSIDENT - La parole est à monsieur Muzeau.

M. Roland MUZEAU - Je souhaite faire une remarque : si j'ai bien compris vos propos, vous êtes d'accord avec ce texte, dans la mesure où, en premier lieu, il ne vous concerne pas. Vous n'êtes pas touchés par la problématique de l'accord d'entreprise, qui viendrait supplanter l'accord de branche. Vous nous avez rappelé que, vu l'atomisation de ceux que vous représentez- 1,2 million de salariés, des entreprises de très petite taille, peu de salariés dans chacune d'entre elles - je comprends pourquoi vous êtes d'accord avec un texte qui ne bouleverse pas la donne dans le domaine de responsabilité qui est le vôtre. Je comprends également pourquoi vous soulignez avec force combien l'accord de branche et l'accord interprofessionnel vous intéressent ; il est normal que vous demandiez à y être associés, à chaque fois que vous vous sentez concernés.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Le problème de la dérogation, a priori , ne vous intéresse pas au niveau de la branche et de l'entreprise. Au niveau interprofessionnel, cela vous concerne en revanche, dans la mesure où cela vous permet de disposer de dérogations qui vous permettent de faire face à vos spécificités. Cela n'était pas possible auparavant.

M. Guy ROBERT - C'est cela, c'est d'ailleurs bien ce qui nous intéresse dans le projet de loi. En outre, nous sommes très intéressés par la possibilité qui serait donnée, dans certains endroits, dans la mesure où la branche n'y est pas opposée, à la prise en compte de solutions localement mieux adaptées à la vie économique des entreprises, en raison d'un problème économique local.

M. le PRÉSIDENT - Monsieur le secrétaire général, madame, je vous remercie pour votre contribution.

Audition de M. Gilles BÉLIER,
Avocat
(mercredi 21 janvier 2004)

M. le PRÉSIDENT - Mes chers collègues, nous accueillons maintenant Maître Gilles Bélier qui est également membre de la commission présidée par M. Michel de Virville sur la simplification du droit du travail.

Maître, nous sommes heureux que vous ayez répondu à notre invitation afin de nous exposer votre point de vue sur ce projet de loi. Je vous propose, donc de développer votre position pendant une dizaine de minutes, avant que vous ne répondiez aux questions du rapporteur et des commissaires. Maître, vous avez la parole.

M. Gilles BÉLIER - Monsieur le président, je vous remercie. La question de la légitimité des accords n'est pas nouvelle : je travaillais avec Jean Auroux en 1982 et, déjà, cette question était posée par une partie des organisations syndicales. Nous avions fait un choix très clair : nous n'avions pas voulu nous engager dans cette voie, pour des raisons qui, pour partie, demeurent valables aujourd'hui.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous parlez de la représentativité, n'est-ce pas ?

M. Gilles BÉLIER - Non, je parle des accords majoritaires. L'avis général que je me permettrais de développer devant vous est le suivant : le fait de se saisir de cette question est d'ores et déjà important. Il s'agit d'un beau sujet, mais je crains qu'il ne soit ni complètement traité, ni parfaitement bien traité. En effet, je vois mal comment nous pouvons aborder cette problématique de la place de la négociation collective sans avoir posé la question de la représentativité des acteurs. Je trouve que le débat est trop limité, si nous parlons de la légitimité des accords sans même avoir traité celle des acteurs. En outre, il convient de s'interroger sur l'articulation entre la loi et la convention collective. De ce point de vue, l'exposé des motifs du projet de loi et les déclarations du Président de la République sont en train d'être contredits dans les faits. Il apparaît que nous souffrons fondamentalement, en France, de la démocratie de l'émotion : un problème se pose, il est amplifié par les médias, et nous n'avons d'autre issue que de faire une loi. Prenons la loi de modernisation sociale, par exemple, nous savons tous qu'elle a été topique de ces conséquences de la démocratie de l'émotion. Si nous n'avons pas un pacte clair, et des dispositions inscrites dans les textes à propos de la manière dont nous devons fonctionner en France en matière de droit du travail, nous ne pourrons pas parvenir à de bons résultats. Nous avons développé l'idée de créer une articulation de méthode ou une articulation procédurale pérenne, dans un pacte clair entre le Parlement et la société civile. Il n'est en effet pas question de changer la Constitution, il n'est pas plus question que le politique renonce à ses prérogatives. En revanche, nous devons nous demander comment nous pouvons fonctionner, sans renouveler les échecs que nous avons connus dans le cadre des 35 heures : je rappelle que le débat parlementaire n'a pas complètement respecté la logique contractuelle qui émanait des négociations de branche ou d'entreprise. Je le dis d'autant plus volontiers que j'ai préparé le projet de loi du Gouvernement : le projet déposé à l'Assemblée nationale ne ressemblait que de très loin au texte définitif. Cela est normal, nous sommes dans un processus démocratique. Simplement, si la logique adoptée dit que la convention collective doit être forte en amont de l'intervention du législateur, il faut un pacte clair.

Les avantages de tels principes sont importants : l'on remarque que les textes ayant donné lieu à des négociations préalables, dans un cadencement ordonné, ont donné une grande stabilité aux textes. Je ne crois pas que d'autres démocraties européennes que la nôtre connaissent cette situation, dans laquelle les lois relatives au droit du travail sont modifiées à chaque mandature. Je pense que le droit du travail doit être stable, il s'agit d'une des conditions essentielles du progrès économique et social. Il faut parvenir à trouver des logiques de stabilisation, cette question est donc essentielle.

En ce qui concerne la question très importante de la représentativité des acteurs, nous émettons, dans le rapport de Virville, l'idée d'une élection, tous les cinq ans, éventuellement calée sur l'élection présidentielle. Nous considérons également que ces élections devraient également servir pour les prud'hommales, afin de diminuer le taux d'abstention.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Dans ce cas, maintiendriez-vous l'arrêté de 1966 ?

M. Gilles BÉLIER - Non, pour notre part, nous sommes pour sa suppression. Les élections seraient organisées nationalement, tous les syndicats pourraient se présenter dès lors qu'ils sont légalement constitués. Il serait ainsi possible de déterminer le nombre de sièges dédiés à chaque syndicat au niveau des tribunaux des Prud'hommes. Cela donnerait une légitimité plus forte aux conseillers prud'hommaux. Cela permettrait également de déterminer, par branche, la représentativité des organisations syndicales. Nous pourrions imaginer qu'une organisation syndicale disposant par exemple de 5 % des voix dans la branche, est représentative au plan national, sans même qu'il y ait une confédération. Dans la branche d'activité, elle pourrait présenter des candidats au premier tour des élections professionnelles. De toute façon, les pistes sont nombreuses, et cette question est centrale : il faut en effet avoir à l'esprit que l'adoption d'une telle logique entraînerait la disparition de certains syndicats aujourd'hui représentatifs au plan national. Prenons la CFTC : l'UNSA a battu la CFTC aux élections prud'hommales. Nous pouvons trouver des dispositifs transitoires, mais, quoi qu'il en soit, il existe un vrai problème.

En ce qui concerne la question de la légitimité des accords, nous devons avant toute chose nous demander ce que nous voulons éviter, et ce que nous visons. Il apparaît que nous voulons déléguer de nombreuses questions à la convention collective. Plus on délègue à la convention collective, plus l'on doit s'assurer que les accords sont légitimes. Or nous devons nous demander si cette légitimité se retrouve nécessairement dans la majorité. A mes yeux, l'on est en train de procéder à une confusion regrettable entre démocratie sociale et démocratie politique. La majorité est la règle de la démocratie politique. Dans le cadre de la démocratie sociale, il s'agit de savoir si un accord d'entreprise est supporté par une part suffisamment importante des salariés pour qu'elle puisse légitimement entrer en application.

Est-il serein de s'engager dans des accords, suivant la logique majoritaire ? Pour ma part, je n'y suis pas du tout favorable. Je crains que, si ce débat devait être posé à l'avenir dans une autre configuration majoritaire, l'on nous dise que la loi Fillon n'est pas allée assez loin et qu'il faudrait passer directement aux accords majoritaires.

Je n'y suis pas favorable et je tiens à vous dire, à ce titre, que je fais partie d'une petite école qui s'est battue sur les accords légitimes. Je tiens à vous en donner les raisons. Tout d'abord, dans notre pays, il faut avant toute chose rappeler l'état des lieux : 50 % des salariés appartiennent à des entreprises dont les effectifs sont inférieurs à cinquante. Les syndicats n'ont pas toujours la majorité aux élections professionnelles, ce phénomène a donc un sens très limité. Vous pourriez me dire que cela serait la même chose dans le cadre d'une majorité qualifiée, mais la logique majoritaire repose, à ce moment-là, sur un état des lieux et un terrain qui ne représentent pas cela. En outre, notre culture nationale est largement fondée sur des logiques protestataires. Que s'est-il passé, par exemple, chez EDF ? La CGT était prête à signer un accord, qui, en soi, ne changeait rien au niveau des acquis des salariés. L'on a fait voter ces derniers, qui ont voté contre. Prenons encore l'exemple des intermittents, problème pour lequel l'on a dit n'importe quoi : la CGT n'est majoritaire que chez les intermittents, mais elle n'est pas majoritaire dans l'accord interprofessionnel UNEDIC.

Du fait de cette logique protestataire, lorsque des syndicats s'engagent dans une dynamique de changement, les effectifs de ces syndicats fondent, les adhérents vont rejoindre des syndicats plus protestataires, SUD par exemple. Prenons l'exemple de Michelin : pour les négociations 35 heures, la CFDT a dit qu'elle voulait changer les relations sociales dans cette entreprise. Un engagement a été pris entre Edouard Michelin et les responsables de la CFDT-Chimie. Au final, la moitié des effectifs de la CFDT Michelin, après que l'accord ait été signé, a rejoint SUD... Prenons la SNCF : l'approbation des principes sur les retraites aboutit au fait que de nombreux syndiqués ont rejoint SUD. L'aspect protestataire de notre syndicalisme est difficile à intégrer à ce principe, puisque l'accord majoritaire repose sur une logique de régulation à froid des relations du travail. Pour ma part, je milite pour cela depuis plus de 20 ans. Dans le cadre des lois Auroux, nous ne voulions pas donner plus de pouvoir à l'un ou l'autre, nous voulions juste permettre une régulation à froid des relations du travail. L'accord majoritaire est la suite logique de cela, mais, dans notre pays, nous ne sommes pas prêts à passer de l'ultra-minoritaire au majoritaire. Ma position est très simple : je pense donc que nous devons commencer par des accords légitimes, nous devons donner du mouvement à un syndicalisme d'engagement, et nous pourrons ensuite faire un bilan, inscrit dans la loi, nous permettant de savoir quand nous sommes prêts à passer à la logique de l'accord majoritaire. Le changement complet du paysage français du syndicalisme a mis 20 ans à se faire, nous ne pouvons pas passer aux accords majoritaires en trois mois.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Il existe une logique dans ce texte : on a cherché à s'appuyer sur le pluralisme. Il existe cinq syndicats représentatifs et l'on exige que trois soient signataires. Cela permet de penser que l'on couvre une plage plus grande.

M. Gilles BÉLIER - Vous avez raison. Simplement, trois petits syndicats peuvent s'entendre contre les deux syndicats les plus importants. Je suis l'un des auteurs du concept du droit d'opposition, et je ne le renie pas du tout. Simplement, en 1982, nous avons parlé pour la première fois de la légitimité des accords, certes dans une optique négative. Pour autant, comme nous introduisions le droit dérogatoire, nous avons voulu placer ce verrou, en disant clairement que le droit dérogatoire ne devait pas être mis en place n'importe comment.

Aujourd'hui, dans notre pays, mettre en place l'accord majoritaire revient à donner la négociation collective à la CGT, il faut très clair sur ce point. M. Thibault fait de grands progrès, comme son organisation et son équipe ; la CGT signe en outre de nombreux accords, nous sommes bien loin des illusions que propage le MEDEF. Dans le même temps, il existe parallèlement une forte capacité de blocage. Je ne suis pas certain que l'inspiration donnée par M. Thibault et son équipe à la CGT soit durablement assise. Il n'est pas sûr que le changement impulsé se fera, d'autant que des fédérations très importantes ne sont pas prêtes d'évoluer.

Que va-t-il se passer ? Aujourd'hui, il existe le droit d'opposition, placé en alternative au fait majoritaire. Mais, à l'évidence, nous aurons un règne absolu pour le droit d'opposition. Il faut en effet qu'un accord de branche se détermine : comme trois syndicats sur cinq sont hostiles au fait majoritaire, nous serons face à deux solutions. Soit rien ne se passera (nous serions alors dans le cadre du droit d'opposition), soit les accords de branche iront sur le droit d'opposition. FO ne veut pas entendre parler du fait majoritaire, comme la CFTC et la CGC.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Ce n'est pas ce que nous avons compris au cours des auditions : certains reprochaient en effet l'importance du système tel qu'il a été prévu, au niveau du droit d'opposition. Ils considéraient que l'on n'avait pas fait une place assez grande à l'accord majoritaire.

M. le PRÉSIDENT - Je ne suis pas certain que cette position soit si tranchée, tout est beaucoup plus subtil.

M. Gilles BÉLIER
- Vous m'avez demandé pourquoi la Position commune a été signée par FO : ce syndicat a voulu éviter que l'accord majoritaire soit de mise. Il faut également rappeler que, si un accord majoritaire ne se fait pas dans un endroit où l'accord majoritaire est de mise, nous passerions alors au référendum. Naïvement, j'ai cru qu'il existait un certain antagonisme entre le fait majoritaire et le référendum. Le fait majoritaire, structurellement, est contraire au référendum, nous ne pouvons pas entrer en contradiction, par le référendum, à la volonté des majoritaires. Sur ce point, un effort de précision est nécessaire.

En ce qui concerne l'articulation des niveaux de négociation, se pose un problème bien français, et très grave : si nous plaçons en regard la position qui a été adoptée par le Gouvernement et celle qui pourrait être acceptée par les organisations syndicales, nous constatons des effets relativement proches. En revanche, au niveau de la présentation politique, l'éloignement est beaucoup plus fort. Pour ma part, je suis radicalement contre le projet Fillon sur ce point, ainsi que sur la lecture de la Position commune par le MEDEF dans ce domaine : ils sont en effet contraires aux objectifs poursuivis. La façon dont est rédigée la Position commune conduit à dire que l'accord d'entreprise peut déroger à l'accord de branche, sauf si l'accord ne le dit pas.

M. le PRÉSIDENT - Le texte dit-il « sauf si l'accord ne le dit pas », ou « sauf si l'accord ne le permet pas » ?

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Le texte dit « sauf si l'accord ne le dit pas ».

M. Gilles BÉLIER - L'accord interprofessionnel de 1995 disait, ce qui à mon avis est préférable en droit positif, que les partenaires de la branche pouvaient disposer de l'effet impératif de l'accord collectif. En clair, une norme est édictée, elle s'appliquera sauf s'il y a une négociation collective sur le même thème dans l'entreprise. Je suis totalement partisan de cela. En effet, la branche demeure maîtresse des règles du jeu, ce qui est indispensable quant aux grandes fonctions de la négociation collective, à savoir la prise en compte des intérêts des salariés des PME, là où il n'y a pas de syndicats, pour améliorer leur situation, et la régulation de la branche d'un point de vue économique. En outre, je pense qu'il s'agit, dans ce cadre, de démocratie sociale. La branche ne confisque pas ce qui fonde sa légitimité, à savoir ses militants syndicaux. Comment pouvons-nous fonctionner sur un système en disant que les délégués syndicaux sont des incapables, surtout si nous introduisons une logique de légitimité dans les accords d'entreprise ? Je rappelle d'ailleurs que ce sont les délégués syndicaux qui font vivre une fédération. Enfin, je pense qu'il existe une raison très pragmatique : comment se fait une négociation collective de branche ? Au sein d'une Commission sociale, les employeurs discutent entre eux ; arrive un sujet que les organisations syndicales souhaitent voir traiter. Les dirigeants des grandes entreprises refusent d'en parler au motif qu'ils sont précisément en train de négocier ce point chez eux. Au final, la séance survient, les syndicats demandent à évoquer ce sujet, et on leur dit qu'il faut laisser les entreprises négocier. En conséquence, les salariés des PME ne bénéficient d'aucun avantage. Or je suis favorable au dispositif pour ce point. Nous avons là une vraie construction de démocratie sociale, dans la mesure où les PME seraient concernées.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Dans le projet de loi, il est possible de conclure un accord dérogatoire d'entreprise dans le silence de la branche. Vous avez donc une possibilité, pour la branche, de réguler la négociation d'entreprise. Ce n'est pas obligatoire que l'accord d'entreprise s'impose dans le silence de la branche. Au sein de celle-ci, il existe toujours la possibilité, pour les organisations syndicales, d'exiger l'accord de la branche. Comme il existe un droit de saisine dans le texte, les syndicats peuvent exiger que le sujet soit inscrit à l'ordre du jour.

M. Gilles BÉLIER - En effet. Je vous ai dit que nous étions face à une problématique bien française, et je vais vous expliquer pourquoi : le contenu de l'accord national interprofessionnel pourrait très bien être appliqué avec le texte Fillon. J'ai rencontré des organisations syndicales à ce sujet, et nous leur avons dit que les discussions seraient organisées comme au sein de l'accord national interprofessionnel (ANI) : quand des sujets de négociation surviendraient, nous déciderions si, oui ou non, nous disposerions de l'effet impératif. Actuellement, dans certaines branches, il apparaît clairement qu'un gel est en train de s'instaurer, en prévision de l'application de la loi Fillon. Si vous prenez le code du travail, nous lisons que l'accord de niveau inférieur ne peut pas comporter de dispositions moins favorables, sauf si l'accord le permet. Or il s'agit de faire autrement, mais le projet de loi affiche que les dispositions sont moins favorables.

M. Roland MUZEAU - Vous venez de rappeler ce qu'est cette démocratie sociale. Or votre démonstration ne vaut que s'il y a respect de la hiérarchie des normes. Lorsque vous indiquez, dans votre propos, que l'ouverture à la négociation d'entreprise est un élément de la démocratie sociale, vous ne dites pas qu'elle vient en amoindrissement de l'accord de branche, au contraire. Votre postulat de départ est le suivant : la convention d'entreprise vient construire, en s'appuyant sur les spécificités de l'entreprise. Vous terminez en disant que le problème du texte, tel qu'il est déposé, réside dans le fait que l'accord d'entreprise apparaît nécessairement dérogatoire.

M. Gilles BÉLIER - Je ne veux pas mettre en cause la hiérarchie des normes.

M. Roland MUZEAU - Le texte, lui, la met en cause.

M. Gilles BÉLIER - Cela n'est pas nécessairement le cas, puisque le texte dit que la branche peut obliger à ne pas modifier les accords d'entreprise sur certains points. Cela dit, il faut bien s'entendre sur la notion de dérogation, j'y reviendrai d'ailleurs ultérieurement, en m'appuyant sur l'une des questions transmises par M. Chérioux. Plus généralement, il faut bien avoir à l'esprit que déroger ne signifie en aucune manière faire moins. A ce titre, je dois vous dire que j'éprouve quelques soucis à propos des classifications, dans la mesure où des milliers d'entreprises ont négocié des classifications intermédiaires : cela constitue-t-il une dérogation à la classification de branche ?

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous proposeriez donc une petite modification de terminologie dans le texte.

M. Gilles BÉLIER - Je pense avant toute chose qu'il faut éviter de dire que déroger est forcément moins favorable. Si nous conservons cette terminologie, nous assisterons à un effet d'annonce qui sera très dommageable.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Le débat, comme toujours, est pipé, dans la mesure où il est porté sur un terrain qui n'est pas le bon. Prenons le débat à l'Assemblée nationale : il a porté essentiellement sur le principe de faveur, alors que le coeur du problème n'est pas là.

M. Gilles BÉLIER - Je ne suis pas favorable à ce que l'on dise que le principe de faveur doive être mis en cause. Je préfère de beaucoup dire ce que la Cour de Cassation a édicté dans un arrêt de 1991. La Cour d'appel de Paris a par la suite balayé cela, au motif que le projet de loi Fillon était en cours d'études. Dans le cadre de l'accord national interprofessionnel de 1995 (ANI), il n'était pas question de mettre en cause le principe de faveur mais de dire que le pouvoir supérieur de la branche avait la possibilité de décider de l'effet impératif. Le principe de faveur, qu'est-ce que c'est ? Il s'agit d'un principe jouant en cas de conflits de normes, et ce n'est rien d'autre. Il faut qu'il y ait des normes en présence. Si les signataires d'un accord de branche mettent une norme sur la table, tout en admettant qu'ils disposent de l'effet impératif pour dire qu'elle n'est pas absolue si elle est remplacée par le résultat d'une procédure de négociation, la hiérarchie des normes n'est alors pas remise en cause. Dans le cas contraire, qu'est-ce que cela signifie, en termes de démocratie sociale, de partir du principe qu'il est impossible d'agir une fois que la branche a décidé ?

M. Roland MUZEAU - Il doit être possible de faire mieux que la branche.

M. Gilles BÉLIER - Comment peut-on considérer que les partenaires sociaux, les syndicalistes d'une entreprise, vont négocier en dessous de la branche ? Pour ma part, je n'ai jamais vu cela.

M. Roland MUZEAU - Il est évident que le contexte fera pression. Je pense au contexte économique, aux éventuelles délocalisations. Nous ne pouvons pas faire abstraction de ce contexte.

M. Gilbert CHABROUX - Il n'y a qu'à entendre le MEDEF parler de ce texte.

M. Gilles BÉLIER - Certes, mais si la branche dit qu'elle ne veut pas déroger sur un certain nombre de dispositions, il n'y a alors pas de débat. J'ai exposé cette analyse à Bernard Thibault, qui la trouve excellente, notamment parce que nous lui avons expliqué que la véritable démocratie sociale s'appuyait sur un système articulé, et non sur un système gelé. Vous n'êtes pas choqués par le fait de laisser certains sujets au niveau de la négociation d'entreprise. Je réponds à cela que je préfère que la branche ait dit qu'en l'absence de syndicats, ou en cas d'échec des accords, telles dispositions s'appliqueront. Si un accord avec les syndicats est trouvé, il est en revanche possible de faire différemment, à partir du moment où tous traitent le même objet. Dans une telle logique, les salariés des PME auront leurs normes, et verront leurs droits améliorés.

M. Roland MUZEAU - Quelle est la valeur juridique des actes qui seraient conclus différemment ?

M. Gilles BÉLIER - Comment pouvons-nous fonctionner sur le principe de démocratie sociale en ayant une telle vision des délégués syndicaux ? Je dois dire que je ne comprends pas votre point de vue, dans la mesure où vous partez du principe que les étages inférieurs des fédérations syndicales ne signifient rien. Pour ma part, je pense exactement le contraire. Telle est ma position.

En outre, si cela peut permettre d'éviter une délocalisation, je me félicite que les syndicats acceptent de négocier en dessous des dispositions de la branche. Encore faut-il que, dans une telle négociation, ils obtiennent de vraies garanties sur le maintien de leur emploi.

M. Roland MUZEAU - L'exemple de Daewoo, et de quelques autres, sont pour autant très significatifs.

M. Gilles BÉLIER - Globalement, que cela représente-t-il ? Combien de personnes seraient concernées au regard des millions d'autres qui ne bénéficieraient d'aucun avantage de branche ? Pouvons-nous dire réellement que nous nous désintéressons du sort des salariés des PME ? Je crois que nous devons bien mesurer le nombre de personnes concernées avant de prendre une décision. Effectivement, l'effet d'annonce de la mise en cause de la hiérarchie des normes est condamnable, c'est d'ailleurs pour cela que je suis contre la manière dont le texte est élaboré. J'ai discuté avec les dirigeants du MEDEF, en leur demandant pourquoi ils faisaient preuve d'une telle obstination. Ils m'ont répondu que l'accord national interprofessionnel (ANI) n'avait pas fonctionné : telle est la raison pour laquelle ils font preuve d'un tel état d'esprit.

M. Roland MUZEAU - Certains de leurs dirigeants ont des ambitions personnelles.

M. Gilles BÉLIER - En effet.

M. Roland MUZEAU - Nous savons très bien quelle est la capacité syndicale dans les PME, elle est à des années-lumière de celle existant dans les grandes entreprises.

M. Gilles BÉLIER - Si les fédérations appartiennent à des secteurs dont la majorité des entreprises sont de petites entreprises, il est évident qu'elles mettront des verrous. Lorsque vous appartenez à la métallurgie, que des entreprises comme Renault ou Peugeot sont présentes, croyez-vous que l'on va déroger a minima ? La réponse est évidemment négative.

En outre, je tiens à répéter que je ne comprends pas la position du MEDEF, dans la mesure où il existe un accord possible, un consensus possible sur le système de l'accord national interprofessionnel (ANI). En effet, il a un effet d'annonce et un affichage politique forts : l'on dit que tel sujet est normé, il a un effet impératif, sauf si une procédure légitime de négociation existe. On pourrait également imaginer que certaines dispositions ne soient valables que pour les entreprises de plus de 500 salariés.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Est-ce que le texte le permettrait ?

M. Gilles BÉLIER - En effet. Pour que ma thèse s'applique, il faut partir du principe que les partenaires sociaux peuvent bénéficier de l'effet impératif, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui. En effet, il est tout à fait possible que les partenaires sociaux disent qu'il ne peut pas y avoir d'accords d'entreprise qui dérogent pour les entreprises de moins de 500 salariés.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - La branche peut s'opposer à ce qu'un accord d'entreprise soit en tout ou partie dérogatoire. Dans une telle logique, la branche maintient un aspect normatif.

M. Gilles BÉLIER - En effet, mais l'affichage est très mauvais.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Je suis d'accord, mais tel n'est pas mon propos.

M. Gilles BÉLIER - Je souhaite apporter quelques précisions à propos de la notion d'établissement distinct en droit syndical : la jurisprudence de la Chambre sociale de la Cour de cassation a aligné le périmètre de l'établissement distinct pour les délégués du personnel et le périmètre de l'établissement distinct pour les délégués syndicaux, en disant qu'un établissement distinct, au sens du droit syndical, est un établissement dans lequel une personne pouvait remplacer l'employeur même s'il n'a pas la capacité de répondre aux questions posées par les délégués syndicaux. Cela est consternant : cela est contraire à la logique de négociation collective, qui est une des fonctions essentielles des délégués syndicaux. Cela est contraire à la jurisprudence, disant que l'on doit consulter le Comité d'entreprise préalablement à la signature d'un accord collectif. Cela est enfin contraire à la mesure de représentativité, puisque la représentativité des délégués syndicaux, pour la signature des accords, se fait aux élections au comité d'entreprise. Je ne sais pas que ce que représente la légitimité d'un délégué syndical, dans un établissement de moins de 50 salariés, où l'employeur n'est pas représenté, et où personne ne peut répondre aux délégués. Ce problème est fondamental. Je pense que l'on devrait adopter la logique suivante : l'établissement syndical est le même que celui imposant la mise en place d'un comité d'entreprise, quitte à en tirer des conséquences en termes de nombre de représentants. Je suis persuadé que les deux niveaux doivent être cohérents, de telle sorte que la négociation collective soit efficace. Cela n'est pas prévu par le texte alors que, pour autant, ce point est essentiel.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Nous avons déjà largement abordé les questions qui vous avaient été posées. Vous avez participé à la commission de Virville ; quelle est votre réaction par rapport aux dispositions relatives aux accords de groupe ?

M. Gilles BÉLIER - Le texte, dans sa mouture actuelle, me sied. La notion de groupe a émergé en 1982, et nous étions parfaitement conscients de l'hétérogénéité de ces groupes. En outre, il est impossible de « plaquer » le groupe sur l'entreprise. Pour autant, le premier texte le faisait, en disant qu'il ne peut y avoir d'accord de groupe que dans le champ d'application d'un comité de groupe alors que, dans les faits, cela peut être le cas dans une partie de groupe. Il est important d'avoir pris ces dispositions.

Il faudrait peut-être dire qu'il peut s'agir d'un niveau autonome de négociation. Quoi qu'il en soit, en l'état, le texte ne me pose pas de problème.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous n'avez donc rien à y ajouter ?

M. Gilles BÉLIER - Non, si ce n'est qu'une réflexion, elle devrait être conduite à propos des accords de groupe. Plus généralement, ce sont les effets qui sont importants. Nous devons également avoir les mêmes règles de légitimité, dans un accord de groupe, pour tous les périmètres d'accord. Il ne faut pas que les logiques de légitimité soient contournées en passant par le groupe. Je pense néanmoins qu'il faut s'arrêter là, en ne considérant pas le groupe comme un niveau de négociation.

M. le PRÉSIDENT - Maître, je vous remercie infiniment pour votre contribution.

M. Gilles BÉLIER - Avant de vous quitter, je souhaite dire quelques mots à propos de la seule recommandation de la commission de Virville qui ait été retenue par la presse, à savoir le contrat de projet. Je suis pour ma part proche de Martine Aubry et de Jean Auroux, mais, pour autant, je conserve ma liberté de parole, de pensée et de réflexion. Un conseiller honoraire de la Cour de Cassation, ancien membre de la CFDT, et un secrétaire général de la fédération CGT des banques et des établissements financiers étaient membres de notre commission. Vous imaginez bien que nous n'aurions pas signé un texte qui aurait instauré une précarité généralisée autour du contrat de projet. Le contrat de projet était dans l'air, nous l'avons examiné ; nous avons considéré qu'il pouvait, ici ou là, refléter un problème qui est aujourd'hui traité par des contournements du droit : il s'agit de la fausse sous-traitance, ou du portage salarial. Nous avons considéré que cela ne pouvait plus continuer comme cela, mais nous avons limité le champ des personnes qui pourraient être concernées par de telles dispositions. Surtout, il n'y aura jamais un contrat de projet dans une branche d'activité s'il n'existe pas un accord de branche étendu, qui prévoit la possibilité de les signer, des garanties salariales, et des garanties en termes de reclassement à la fin du contrat. Le débat public est scandaleux, il est lamentable de tenir les propos que nous entendons autour de ce contrat de projet.

M. Roland MUZEAU - Les parlementaires auront une vision plus claire lorsqu'ils auront pris connaissance de toutes les propositions.

M. Gilles BÉLIER - En effet. Je dois dire que nous avons fait 45 propositions, mais les médias, et certains décideurs, n'ont retenu que celle-ci.

M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie une nouvelle fois pour cette contribution.

Audition de M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC
Président du groupe de propositions et d'actions relatives au travail du MEDEF
(jeudi 22 janvier 2004)

M. le PRÉSIDENT - Je vous propose, monsieur le président, de nous présenter, comme cela a été la règle hier, pendant une dizaine de minutes votre approche du projet de loi sur le dialogue social. Le rapporteur et les commissaires vous interrogeront par la suite plus librement.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC - Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs, je partirai d'un excellent questionnaire qui m'a été adressé par M. Chérioux, car il fournit un excellent plan à mon intervention. La première question est la suivante : « Quelle est votre analyse de l'état actuel de la négociation collective et du dialogue social dans notre pays ? ». Mon analyse est ce qui a conduit à la Position commune puis au projet de loi qui est devant vous. Notre analyse, et un observateur impartial peut difficilement dire le contraire, c'est que nous avons dans notre pays un espace social qui est à la fois très occupé et réservé.

Notre espace social est très occupé en ce sens que ce sont la loi et le règlement qui occupent sa plus grande partie. A titre d'exemple, la loi dite « des 35 heures » ou la loi dite « de modernisation sociale » sont à peu près impensables dans les autres grandes démocraties occidentales, où ce sont des conventions collectives et la politique contractuelle entre syndicats et patronat qui règlent la durée du travail ou les conditions dans lesquelles s'effectuent les licenciements. La loi et le règlement occupant beaucoup d'espace en France, ils laissent une place très limitée à la négociation collective, qui est largement réduite à la portion congrue.

Notre espace social est aussi un espace réservé, car si la négociation collective existe dans notre pays, c'est au niveau interprofessionnel, comme le montre le débat qui vient d'avoir lieu sur l'accord national interprofessionnel sur la formation, dans les grandes entreprises, mais plus on descend dans l'échelle de la taille des entreprises moins il existe. Notre espace social est un espace réservé à quelques grands accords et quelques négociateurs qui ont souvent un caractère quasi-professionnel, c'est-à-dire permanent, et beaucoup moins à des négociations d'entreprise, au plus près de la réalité du terrain, avec des gens qui la vivent tous les jours parce qu'ils y travaillent tous les jours, que ce soit l'entrepreneur, le délégué syndical, l'élu du personnel ou le représentant des salariés. Face à un espace occupé et réservé, il fallait donner un nouveau souffle à la politique contractuelle.

La question suivante posée par le rapporteur est ainsi formulée : « Le MEDEF a signé la Position commune du 16 juillet. Estimez-vous que le projet de loi transcrit fidèlement cette Position commune ? ». Je rappelle que nous avons signé cette Position commune avec les deux autres organisations patronales, la CGPME et l'UPA, et surtout avec quatre organisations syndicales sur cinq. A une époque où l'on n'avait pas encore pris l'habitude de signer des accords avec les cinq organisations syndicales, comme on l'a vu depuis avec l'accord sur la formation professionnelle, c'était le premier accord depuis longtemps à être aussi consensuel sur un sujet difficile.

Après avoir répondu aux deux premières questions du rapporteur, je voudrais m'en affranchir par la suite, car les questions suivantes reviennent un peu à poser la question fondamentale de l'équilibre du projet de loi dans le domaine du dialogue social.

Je crois monsieur le président, mesdames et messieurs, qu'il faut avoir bien tête le fait que la Position commune est, derrière le projet de loi qui la reprend assez bien, et en dehors de quatre faiblesses sur lesquelles je reviendrai plus tard, un monument d'équilibre. Elle a été également une négociation délicate de dix-huit mois. C'est un monument d'équilibre qui institue un nouvel équilibre dans deux domaines. Equilibre d'une part entre la loi et le règlement, qu'il est suggéré de consacrer aux principes fondamentaux des droits du travail, et la politique contractuelle, qui est chargée de définir les modalités d'application de la loi. La loi n'a pas, me semble-t-il à rentrer dans le détail. Bien entendu, la négociation peut échouer, et si c'est le cas il faut bien que les principes fondamentaux s'appliquent, si bien que l'on peut imaginer des lois ou des règlements qui, en cas d'échec de la négociation précisent le droit applicable.

Equilibre d'autre part au sein même de la négociation collective : il s'agit de donner leur pleine possibilité d'action et donc leur autonomie aux niveaux de négociation interprofessionnelle, de branche et d'entreprise. Alors que je parle d'autonomie, certains avanceront que c'est le principe de la hiérarchie des normes et le principe de faveur qui ont été ainsi remis en cause. Ce n'est pas faux, mais les conséquences n'en sont pas généralement celles qui sont avancées. La hiérarchie des normes, c'est l'idée selon laquelle la loi est au sommet, au-dessous de laquelle on trouve un « mini-sommet » qu'est l'accord interprofessionnel, puis un sommet encore plus bas, qui est l'accord de branche, puis l'accord d'entreprise, de telle sorte que chaque sommet doit respecter celui qui est placé au-dessus de lui. Comme je vous ai dit tout à l'heure que l'espace social était occupé à 90 % par la loi, vous voyez déjà qu'il ne reste plus grand-chose, en bout de chaîne, à la négociation d'entreprise.

Le principe de faveur qui découle de la hiérarchie des normes veut que l'on puisse déroger aux accords de niveau supérieur à condition de faire mieux et d'être plus favorable. Ce principe est extrêmement plaisant à l'oreille dans beaucoup de cas, il convenait aux cinquante dernières années, mais il me semble qu'au degré de développement que nous avons atteint aujourd'hui, avec la prise de conscience des réalités de la vie économique et de la vie des entreprises, il ne s'agit pas tellement de pouvoir faire plus favorable, car cette époque est pratiquement révolue. S'il faut faire plus favorable ligne par ligne, on n'y arrivera jamais ! On aura donc une restriction de l'espace de l'accord collectif, notamment dans les entreprises. Il faut pouvoir faire différemment, ce qui n'exclut pas que les accords puissent être plus favorables. La notion d'accord plus favorable a encore de très belles heures devant elle, mais il faut prendre en compte le fait que telle disposition qui était considérée jadis comme plus favorable ne l'est plus aujourd'hui, voire est complètement obsolète.

Il faut donc une nouvelle économie des accords d'entreprise et des accords de branche, de façon à ce qu'à chaque niveau on puisse faire aussi bien que possible en matière d'équilibrage entre les besoins des entreprises et les aspirations des salariés, sans être prisonniers des autres niveaux de négociation, mais naturellement toujours dans le respect des principes fondamentaux fixés par la loi.

Bien entendu, le nouvel équilibre aura bien deux contreparties essentielles. La première, c'est que si l'on demande à la loi de laisser davantage d'autonomie au domaine de la négociation collective, il faut que celle-ci soit aussi légitime que possible. Et c'est la même contrepartie qu'il faut apporter à l'autonomie de la négociation collective. C'est pourquoi nous avons introduit le principe de l'accord majoritaire.

Comme le suggère l'une des questions du rapporteur, il est exact que nous avons introduit le principe de l'accord majoritaire de façon particulière, en retenant le système de l'opposition majoritaire, plutôt que celui de la signature majoritaire. Pourquoi n'avons-nous pas écrit dans la Position commune qu'un accord majoritaire est signé par des organisations syndicales qui représentent la majorité des salariés, ou qui ont obtenu la majorité des voix dans les élections ? Nous avons procédé ainsi simplement pour tenir compte des réalités. La Position commune a été signée par quatre syndicats sur cinq, lesquels n'étaient pas toujours d'accord entre eux. Certains voulaient un système majoritaire intégral tout de suite, alors que d'autres faisaient valoir la spécificité de la démocratie sociale, où le suffrage n'a pas la même signification que dans la démocratie politique, et ils réclamaient de pouvoir conserver le principe de la représentativité syndicale en vigueur aujourd'hui. La Position commune est une suite de compromis.

Pour arriver à mettre d'accord quatre organisations syndicales sur cinq et trois organisations patronales sur trois, nous avons distingué ce qui se passe dans la branche et dans l'entreprise. Dans l'entreprise, nous avons été plus « majoritaires » que dans la branche, puisqu'il sera apprécié si un syndicat est majoritaire ou non en fonction du nombre de voix qu'il avait obtenues aux élections professionnelles, de sorte qu'un accord non majoritaire est un accord qui a obtenu contre lui 50,1 % des voix aux élections professionnelles. Au niveau de la branche, nous avons convenu que nous ne voterions pas en fonction du nombre de voix obtenues par chaque syndicat, mais que chaque syndicat aurait sa voix, le principe étant qu'une opposition est réputée majoritaire si un accord a contre lui au moins trois syndicats de salariés sur cinq. On peut critiquer ce système, mais il a un énorme avantage, car il permet aux organisations syndicales représentatives aujourd'hui de continuer à signer un accord, et de ne pas bouleverser le paysage syndical français, en considérant qu'un seul syndicat peut, comme c'est déjà le cas, signer un accord. Cet accord n'est toutefois valable que s'il ne fait pas l'objet de l'opposition de trois syndicats au niveau de la branche, ou de syndicats ayant obtenus plus de 50 % des voix aux élections professionnelles.

Quand je vous dis que la Position commune et la loi qui la retranscrit constituent un monument d'équilibre, c'est que je crois que nous sommes allés aussi loin qu'il était possible dans la voie d'un système majoritaire. Cet équilibre est très fragile, y compris entre les organisations syndicales, comme j'ai pu m'en rendre en me rendant dans chacun de leur siège pour discuter pied à pied avec leur secrétaire général et voir jusqu'où l'on pouvait aller. L'accord de demain sera quand même beaucoup plus légitime que l'accord d'aujourd'hui, puisque par hypothèse, même s'il n'est pas signé par des organisations majoritaires, il se sera trouvé que ces organisations majoritaires n'auront pas trouvé le problème suffisant pour faire opposition. C'est une étape importante dans le développement de la démocratie sociale française et je crois qu'il faut faire attention avant de vouloir aller plus loin et de bouleverser le paysage syndical et social français, qui est un paysage fragile.

Comme il était hors de question de bouleverser du jour au lendemain le paysage social et syndical français, le nouvel équilibre auquel nous avons abouti comporte une deuxième contrepartie qui prévoit d'une part que le système ne peut pas remettre en cause la valeur hiérarchique attribuée aux accords des années précédentes. Une « majorité de rencontre » dans une entreprise ou dans une branche ne peut pas défaire ce qui a été fait par le biais d'un accord de branche ou un accord interprofessionnel passé. Cette réserve n'est pas sans poser un problème, car elle grave un peu dans le marbre les accords antérieurs, mais elle était demandée par les syndicats. D'autre part, et compte tenu du fait qu'il ne faut jamais insulter l'avenir, il est prévu qu'à tout moment les négociateurs d'un accord professionnel ou d'un accord de branche pourront décider que telle ou telle disposition de cet accord aura un caractère tellement impératif qu'elle ne saurait être remise en cause par un accord de hiérarchie juridique inférieure, et cela même si cet accord est adopté par une majorité.

Il est aussi indiqué dans la Position commune que des accords pourront être signés dans les entreprises s'il n'y a pas de délégués syndicaux, à la condition qu'un délégué du personnel ou qu'un salarié mandaté spécialement pour l'occasion les remplacent, mais aussi que ces accords soient validés par une commission paritaire de branche où siègent les représentants des organisations syndicales et patronales. Une première expérience en ce sens avait été faite à l'occasion d'une loi de 1996, mais elle n'a qu'à peine eu le temps d'être mise en oeuvre, puisqu'elle venait à échéance en 1999. Nous avons signé avec trois syndicats, en 1999, un accord de prolongation, mais la majorité parlementaire de l'époque n'a pas souhaité le reprendre à son compte, de sorte que seulement une quarantaine d'accords de branche ont été entériné le principe selon lequel des accords d'entreprise pourraient être signés par des élus du personnel. Nous l'avons repris dans la Position commune de 2001, puis dans le projet de loi.

La sixième question du rapporteur est formulée ainsi : « L'article 40 du projet de loi légalise l'accord de groupe et en définit le régime. Comment, selon-vous doivent s'articuler accords de groupe, accords de branche et accord d'entreprise ? ». Il se trouve que ce point fait l'objet de l'un des quatre critiques que nous voulons formuler à l'égard du projet de loi présenté.

Notre première critique porte sur le fait que cet accord est incomplet. Comme je vous l'ai dit précédemment, la Position commune voulait créer un nouvel équilibre entre la loi et la négociation collective. Cela supposait que des garanties soient apportées, de manière à ce que l'on ne retombe pas dans certains excès passés, comme celui qui a consisté à consacrer des heures de discussion à l'Assemblée nationale sur la question temps d'habillage et de déshabillage, pour savoir s'il s'agissait ou non de temps de travail effectif, sans que ne soit d'ailleurs évoquée une éventuelle distinction entre une comédienne revêtant son costume de Blanche Neige à Disney Land, un technicien qui met des protections extraordinaires pour s'approcher de la pile atomique d'une centrale nucléaire et le chercheur en sciences humaines qui met sa blouse pour entrer dans sa bibliothèque de peur qu'une poussière des volumes ne gâte son costume. Il faut évidemment renvoyer ce type de cas d'espèce à la négociation par branche ou par entreprise. Nous regrettons donc beaucoup que le projet de loi se contente, dans l'exposé des motifs, d'un engagement selon lequel les partenaires sociaux seront saisis lors de tout projet de modification du droit du travail. Nous aurions souhaité que l'on grave dans le marbre, c'est-à-dire dans la Constitution, l'idée que la négociation collective est la modalité d'application normale de la loi. Cela dit la loi de 2003/2004 n'est pas intangible, et j'espère qu'elle évoluera avec le temps.

Notre deuxième critique porte sur le fait qu'il y a dans la loi une disposition qui permet de faire des accords interprofessionnels territoriaux normatifs, c'est-à-dire s'imposant à toutes les entreprises de toutes les banches du département ou de la région. Si l'on comprend l'intérêt que cette disposition peut avoir dans le cadre de la démocratie locale, nous rentrons là dans une possibilité d'imbroglio épouvantable. Alors que nous avons déjà des accords nationaux interprofessionnels, des accords de branches nationaux et territoriaux, des accords d'entreprise, si on y ajoute des accords interprofessionnels territoriaux normatifs, on ne sait plus quel est le droit conventionnel applicable. C'est tellement vrai qu'il est écrit dans la Position commune que « la volonté des interlocuteurs sociaux d'élargir le dialogue social doit également trouver une traduction concrète au niveau territorial interprofessionnel. Ce dialogue social interprofessionnel territorial, qui ne saurait avoir de capacité normative , doit être l'occasion d'échanges, de débats ». On le constate, les sept signataires considéraient que ces accords territoriaux interprofessionnels ne devaient pas être normatifs. J'atténue ce jugement critique en reconnaissant que l'état d'esprit dans lequel il a été décidé que cette disposition figure néanmoins dans la loi vise surtout les accords d'intérêt locaux. Cette éventualité, qui correspond au principe de subsidiarité, est d'ailleurs déjà ouverte aujourd'hui.

Notre troisième critique est un point sur lequel beaucoup de mes interlocuteurs syndicaux ont dû appeler votre attention : l'organisation d'élections de branche pour juger de la représentativité d'un syndicat. Ce point a été très longuement évoqué par les négociateurs sociaux lors de l'adoption de la Position commune, et formellement écarté. Pourquoi ? En raison de l'opposition totale entre la CGT et la CFDT, qui tiennent absolument à des élections de branche organisées tout de suite pour s'assurer de leur représentativité, et les trois autres syndicats qui considèrent que la CGT et la CFDT, qui ont en général une implantation nationale plus importante que la leur seraient favorisés par des élections de branche, ce qui conduirait à une rupture d'équilibre du paysage syndical français. Le projet Fillon reprend malheureusement, mais habilement, l'idée que nous avions écartée, en en posant le principe puisqu'il appelle des élections de branche, tout en précisant que celles-ci doivent être organisées par des accords de branche. Cela sera difficile, puisque trois syndicats y seront radicalement opposés... L'affichage de la notion d'élections de branche donne à penser qu'il se passera quelque chose à ce niveau dans les années à venir.

Notre quatrième critique porte sur le point que soulève le sénateur Chérioux à propos de l'article 40 : il est incompréhensible que la loi, qui reprend la Position commune, la trahisse de cette façon. En effet, si l'article définit très clairement les limites d'un groupe, pour une raison qui nous échappe, et contrairement à toute la philosophie de la Position commune et même à toute la philosophie de la loi, qui est favorable au développement de l'autonomie de la négociation, on nous dit que l'accord de groupe doit respecter dans tous ses éléments les accords de branche, et a fortiori les accords interprofessionnels. Autrement dit, on admet qu'un accord passé dans une entreprise puisse répondre au principe d'autonomie, tout en affirmant que ce n'est pas le cas dans un groupe, où par hypothèse l'équilibre entre les négociateurs est pourtant renforcé. Cette disposition est d'autant plus aberrante que les groupes sont le plus souvent multinationaux et multi-branches. S'il y a vraiment un endroit où il faut accorder l'autonomie de la négociation, avec la légitimation par le recours à une procédure de type majoritaire, c'est bien dans le groupe.

On fait souvent référence à la Haute Assemblée en parlant « des sages ». Or le mot de sagesse me semble très proche de celui d'équilibre, que j'ai utilisé à de multiples reprises pendant mon intervention. Encore une fois, la Position commune est un monument d'équilibre. A l'exception de l'article 40, qui est idiot...

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous ne pouvez vous permettre de laisser entendre que le législateur est idiot...

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC - Je retire le mot. Disons que cet article est incongru et en tout cas pas en ligne avec le reste. Ces textes répondent à un « équilibre au point de croix », comme on dit dans le monde de la dentelle. Ils ont été acceptés du bout des lèvres par les signataires en 2001. Leur mise en oeuvre amène même certains à s'interroger : « Est-ce que l'on a vraiment signé ça ? ». Oui, on a signé cela. La loi aurait été mise en oeuvre quinze jours plus tard, il n'y aurait pas eu de problème. La sagesse, si je peux me permettre de vous la recommander, serait de vous en tenir à la rédaction actuelle. Nous avions d'ailleurs l'habitude de dire à M. Fillon lorsqu'il nous consultait : « Toute la Position commune, rien que la Position commune ». Nous aurions tendance à vous dire, Monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, en mettant à part l'article 40, que je ne requalifierai pas : « toute la petite loi, rien que la petite loi ».

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous vous êtes livrés à une défense et illustration du texte de la Position commune en nous recommandant d'y toucher le moins possible. J'en accepte le principe, à condition qu'il ne souffre pas d'exception. En effet si l'on admet une exception dans un domaine à votre demande, il faudra peut-être que nous soyons amenés à en prendre d'autres, pour rétablir cette fois-ci l'équilibre des concessions faites de part et d'autre. Comme vous avez répondu à toutes mes questions, je vais laisser mes collègues vous poser les leurs.

M. Alain GOURNAC - Vous avez évoqué une modification de la Constitution, et je serais ravi de siéger à nouveau à Versailles, car j'habite dans les Yvelines, mais je pense néanmoins qu'il faut faire preuve de retenue dans ce domaine, car une constitution qui est toujours revisitée est une constitution qui est moins respectée.

Comme vous le savez, je suis un grand défenseur du dialogue social, y compris ces dernières années où celui-ci était très ténu. Je trouve comme vous qu'il y a beaucoup trop de lois dans ce pays et que l'on devrait régler davantage de questions par le seul biais du dialogue social. Nous devons réhabiliter le dialogue social, car il a été vilipendé. Cela suppose que les syndicats et le patronat parlent d'une façon différente, à l'image de ce qu'ils ont fait pendant la précédente table ronde. Le patronat devra aussi trouver d'autres mots, sans jamais tomber dans ce travers qui consiste à montrer sa puissance. Ce texte n'est peut-être pas parfait, mais il a le mérite de constituer une base de départ.

M. Roland MUZEAU - Monsieur le président, vous avez terminé votre propos par ces mots : « La Position commune, toute la Position commune, rien que la Position commune ». Le problème pour nous, c'est qu'il y a autant d'interprétations de cette Position commune que de signataires. J'ai pris connaissance d'une déclaration du président de la CFDT selon laquelle « ce projet de loi est une folie douce ». J'ai également entendu FO, la CGT et la CFDT déclarer lors des auditions que notre commission a organisées, que cette Position commune, qui avait tous le sens que vous lui avez donné en 2001, après de très longs mois de travail, est marquée par un contexte qui n'est plus celui d'aujourd'hui.

Vous avez évoqué l'autonomie que vous souhaitiez donner à l'accord d'entreprise, afin qu'il puisse prendre en compte les négociations au plus près des intérêts des salariés. Or il ne faudrait pas, à mon sens, oublier un paramètre essentiel : le grand nombre des petites ou très petites entreprises, où travaillent la plupart des salariés, mais où la représentation des organisations syndicales est la plus faible. Mon souci ne vise pas les grandes entreprises où le dialogue social est en place depuis un certain temps, mais le désert de représentation des salariés qui existe ailleurs.

En ce qui concerne les accords de branche, l'équilibre que vous mettez en avant doit prendre en compte à mon sens les évolutions du paysage syndical. Un débat sur la représentativité des cinq centrales syndicales est ouvert et je constate que d'autres organisations syndicales au plan national, et plus encore au niveau de certaines branches, ont désormais un poids que l'on ne peut pas négliger.

La hiérarchie des normes et le principe de faveur reçoivent quelque peu les foudres du MEDEF. Vous avez tenté de nous convaincre que le fait de « faire autrement » pouvait avoir des conséquences positives pour les salariés. Pour ma part, je ne sais pas ce que signifie « faire autrement ». Je sais en revanche ce que signifient le principe de faveur et la hiérarchie des normes. Ces principes constituent des garanties face aux déserts de représentation syndicale que j'évoquais précédemment. Il faudrait que vous précisiez ce que vous entendez par « faire autrement » pour nous convaincre. De la même manière que personne ne remet en cause la théorie de l'évolution, à l'exception de quelques charlatans, il me semble que cette théorie de l'évolution vaut aussi pour le droit social. Je n'ai jamais rencontré un quelconque « faire autrement » en la matière, à moins qu'il ne s'agisse simplement du principe de faveur.

Enfin, la garantie ultime que vous présentez en excipant de l'article 39 est très insuffisante, car cet article ne stipule pas qu'une convention ou un accord ne pourront être dénoncés.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC - Je permets de répondre d'abord à M. Roland Muzeau. Vous avez évoqué les prises de position récentes des syndicats. Pour en juger, je crois qu'il faut distinguer les signataires et les non-signataires, car on peut admettre que la CGT, qui n'a pas signé la Position commune, ne soit pas contente. J'ai rencontré chacun des signataires, pour leur faire part de mon étonnement à l'écoute de leurs hurlements, alors qu'ils ont effectivement signé. Leur réponse consiste en général à dire : « On a peur que vous alliez plus loin et que vous n'obteniez plus. En criant comme on le fait, nous sommes à peu près sûr que le Parlement en restera à la Position commune ».

L'interprétation ne souffre pas d'ambiguïté. La Position commune a posé une règle : l'autonomie des niveaux de négociation. Elle a fixé des garanties : le respect des accords antérieurs, la possibilité d'en ajouter dans le domaine impératif, le fait que des dispositions s'appliquent dès maintenant de manière impérative, comme les minima salariaux ou les classifications. La Position commune conclut en indiquant que les accords supérieurs peuvent être tantôt normatifs, tantôt subsidiaires, s'il n'y en a pas d'autres. C'est normal puisque le principe a en effet été posé qu'il y avait une autonomie et que cette autonomie pouvait faire l'objet de corrections. Je vous assure que si nous faisions une analyse juridique profonde, il n'y aurait pas de difficulté réelle d'interprétation. M. Roland Muzeau s'est soucié, à juste titre, des petites entreprises et des très petites entreprises. Je lui ferai observer que nous avons préservé toute la valeur de la négociation de branche, notamment quand il n'y a pas de négociation d'entreprise. Il n'y a pas d'inquiétude à avoir pour les TPE ou les PME : la négociation de branche leur apporte toutes garanties.

S'agissant de l'adoption des accords de branche, j'ai cru comprendre, M. Roland Muzeau, que vous n'étiez pas très favorable au système de vote par nombre de syndicats dans la branche, bien que vous sembliez accepter le vote en fonction des résultats obtenus aux élections professionnelles dans l'entreprise. Vous avez dit cette phrase importante : « Je ne remets pas en cause la représentativité des syndicats qui existent aujourd'hui ». J'en prends acte, mais je peux vous assurer que ces syndicats se seraient sentis fondamentalement remis en cause si nous étions allés aujourd'hui plus loin dans la représentativité par branche. C'est le refus d'aller plus loin de FO, de la CGC et de la CFTC qui ont amené la Position commune. Si ces syndicats ont accepté le principe d'un vote « par tête » dans les entreprises, ils ont considéré que cela n'était pas encore possible dans les branches, car leur représentativité serait mise en cause. D'où la nécessité de trouver un équilibre entre la notion de majorité dans la branche et la notion de majorité dans l'entreprise.

Vous avez évoqué ensuite, M. Roland Muzeau, la hiérarchie des normes et le principe de faveur en expliquant que vous ne voyiez pas comment on pourrait « faire autrement » au lieu de « faire plus favorable ». Pour vous répondre, je prendrai l'exemple des heures supplémentaires, qui sont à l'heure actuelle payées en argent, conformément à la loi. Depuis la loi d'assouplissement Fillon sur les 35 heures, l'existence de comptes épargne temps peut permettre de compenser les heures supplémentaires par un repos ou par le versement de l'argent capitalisé pendant la période ces heures sont restées sur le compte épargne temps. Qu'est-ce qui est le plus favorable pour les salariés ? Que les heures supplémentaires soient payées en temps ou en argent ? Pour ma part, je l'ignore, car des salariés peuvent préférer avoir du temps pour partir à la retraite six mois plus tôt, alors que d'autres, qui ont une maison à payer, préfèrent être payés tout de suite en argent. Si la loi ne permet pas de faire différemment dans certains secteurs ou dans certaines entreprises, elle fige le principe de faveur. En proposant cela, Monsieur le Sénateur, vous privez les partenaires sociaux d'avoir leur appréciation. En effet, le principe de faveur n'est pas aujourd'hui déterminé par les partenaires sociaux, mais par le juge ou par l'administration. Ce que nous avons proposé avec la Position commune, c'est de permettre aux partenaires sociaux de s'approprier à tous les niveaux le principe de faveur. C'est ainsi que nous avons pu fixer l'indemnité de précarité pour les CDD dans la Métallurgie non pas à 10 %, mais à 6 %. Cette solution, qui correspond à une possibilité offerte par la loi, résulte d'un accord de branche. Si nous avons pu descendre en dessous de la loi qui prévoit 10 %, ce qui déroge au principe de faveur, c'est parce que quatre organisations sur cinq ont considéré que la vraie précarité, ce n'était pas la forme du contrat, mais le degré de formation des gens. Plus vous êtes formé, quel soit votre contrat, plus vous avez de chances d'obtenir un emploi. Il était donc préférable de faire payer aux entreprises une cotisation spéciale pour la formation des CDD plutôt que d'en rester aux 10 % individuels de l'indemnité de précarité. Nous avons donc signé dans la Métallurgie un accord de branche très largement majoritaire, mais où l'on procède différemment que la loi. Ce n'est pas au juge ou au fonctionnaire qui n'ont en général jamais mis les pieds dans une entreprise, de savoir ce qui est préférable sur le terrain.

Vous avez dit, monsieur le sénateur, à propos de l'article 39, que celui-ci ne dit pas que l'on ne peut pas dénoncer. Cela me semble heureux car, compte tenu du fait qu'en général les accords de branche ont une validité perpétuelle, ce qui est aussi le cas de nombre d'accords interprofessionnels, la seule façon de les modifier, c'est de les dénoncer ou de les réviser. C'est pourquoi nous avons donné une garantie, pour dire que cela ne remettait pas en cause la valeur hiérarchique des accords de branche. J'ajoute que lorsque l'on dénonce un accord de branche, celui-ci continue à s'appliquer pendant 18 mois et cela conduit à une remise en cause totale des accords collectifs dans les entreprises, de sorte que le patronat le plus réactionnaire y regarde à deux fois avant de dénoncer les accords de branche.

M. Roland BUZEAU - Les banques et les assurances l'ont bien fait !

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC - Il faut dire que l'accord de branche des assurances et de la banque datait de 1942 ou de 1943 : on peut imaginer que cet accord ne soit plus très pertinent soixante ans plus tard...

M. Chérioux a préconisé la transcription de l'accord dans son intégralité, y compris l'article 40. Je me bornerai à lui objecter que cette disposition ne concourt pas à l'équilibre du texte mais contrevient à sa philosophie générale. Comment comprendre que l'autonomie de l'accord interprofessionnel, de branche et d'entreprise ne s'étende pas aux accords de groupe, d'autant qu'il est souvent le plus légitime ?

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Vous oubliez que certains groupes interviennent dans des branches très différentes. Vous risquez de remettre en cause par le biais d'accord de groupe les dispositions qui sont prises par les branches.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC - Vous risquez de créer un imbroglio épouvantable. La logique voudrait qu'un groupe soit considéré comme une entreprise et de sorte que l'on puisse y prendre en compte les accords signés par des représentants de toutes les branches le composant.

M. Gournac a parlé très justement de la responsabilité patronale. Il faut que vous sachiez que la loi sur le dialogue social n'est pas des plus populaires dans les instances du MEDEF. Je dirai que c'est probablement la partie la plus avancée du monde patronal qui est favorable à ce texte, parce qu'elle considère que la qualité du dialogue social est un élément de la compétitivité des entreprises.

M. Jean CHÉRIOUX, rapporteur - Cette partie du patronat est éclairée également par l'esprit de la participation et de l'intéressement.

M. Denis GAUTIER-SAUVAGNAC - Je vous en donne acte et je voulais dire à M. Gournac que la notion de dialogue social telle qu'il mettait en avant est une notion que le monde patronal doit s'approprier, en acceptant que son interlocuteur privilégié soit le syndicat. Lorsqu'elle a été interrogée à la télévision par une de vos collègues du Parlement européen, Mme Lienemann, qui lui reprochait de négocier avec le patronat, Mme Notat a répondu fort justement : « Mais madame, avec qui voulez-vous que je négocie ? ». Et bien sachez que je ne cesse de répéter dans le monde patronal : « Avec qui voulez-vous que l'on négocie, si ce n'est avec les syndicats » ? Nous sommes prêts, monsieur le président, à négocier avec les syndicats.

M. le PRÉSIDENT - Nous ne pouvons que nous en féliciter, car il est nécessaire que les syndicats et le patronat négocient.