3. Favoriser le développement du dialogue social à tous les niveaux
Ces deux réformes du droit à la négociation collective - introduction du principe majoritaire et révision de l'articulation des normes conventionnelles - n'auront toutefois de sens et ne permettront le développement de la négociation collective que si elles s'accompagnent d'une démarche parallèle visant à lever les obstacles qui freinent encore l'exercice du dialogue social à tous les niveaux.
A ce titre, le projet de loi, se fondant là encore sur la Position commune du 16 juillet 2001, cherche à élargir le champ de la négociation collective de diverses façons.
a) La prise en compte de la spécificité des petites entreprises
La Position commune observait, à son point I-2, la faiblesse de la négociation collective dans les petites entreprises :
« Les conditions de fonctionnement du dialogue social peuvent encore être améliorées tant les règles qui le régissent présentent encore des insuffisances et des éléments inadaptés aux PME, TPE et entreprises artisanales. (...)
« Le développement de la négociation collective ne devrait pas être limité, au moins dans l'immédiat, par l'absence d'une section syndicale dans l'entreprise . »
L' article 41 , reprenant à son compte les propositions de la Position commune, introduit alors de nouvelles modalités de négociation et de conclusion d'accords collectifs dans les entreprises dépourvues de représentants syndicaux.
S'inspirant fortement de l'accord national interprofessionnel qui avait été transposé par la loi du 12 novembre 1996, le dispositif prévoit qu'un accord pourra être conclu, en l'absence de délégués syndicaux, par le comité d'entreprise ou les délégués du personnel ou, à défaut, par un salarié mandaté à ce titre par une organisation syndicale. Mais la mise en oeuvre de ces nouvelles possibilités de négociation reste subordonnée à la conclusion préalable d'un accord de branche qui en précise les modalités.
b) La reconnaissance de l'accord de groupe
Alors même que les groupes emploient aujourd'hui plus de la moitié des salariés et peuvent constituer le lieu de négociation approprié pour les questions d'intérêt commun, la négociation de groupe n'est pas encore reconnue par le code du travail, même si la jurisprudence la prend déjà en compte.
L' article 40 consacre en droit le niveau du groupe pour la négociation collective et précise le régime applicable à ce niveau de négociation, en indiquant que la convention ou l'accord de groupe suit, pour l'essentiel, le régime applicable à la convention ou l'accord d'entreprise, tant pour ses effets que pour ses règles de validité.
c) L'incitation au développement du dialogue social territorial
Le bilan 2002 de la négociation collective a souligné l'effacement progressif de la négociation infranationale tant au niveau interprofessionnel que professionnel.
Or, celui-ci peut constituer, dans certains cas, le niveau pertinent de négociation notamment pour adapter les dispositions d'accords de portée plus large aux spécificités d'un bassin d'emploi ou pour traiter des questions d'emploi ou de formation, en particulier dans certains bassins frappés par d'importantes restructurations.
La Position commune, à son point II-2, suggérait d'ailleurs des solutions pour développer le dialogue social territorial :
« La volonté des interlocuteurs sociaux d'élargir le dialogue social doit également trouver une traduction concrète au niveau territorial interprofessionnel. Ce dialogue social interprofessionnel territorial, qui ne saurait avoir de capacité normative, doit être l'occasion, à l'initiative des interlocuteurs concernés, d'échanges et de débats réguliers sur le développement local dans sa dimension sociale et économique. Les commissions paritaires interprofessionnelles régionales de l'emploi (COPIRE) constituent, dans leur champ de compétence, un lieu de développement de ce dialogue social . »
L' article 42 du projet de loi prévoit donc d'organiser ce dialogue social territorial en permettant, par voie d'accord, la mise en place de commissions paritaires territoriales professionnelles ou interprofessionnelles.
Ce faisant, il modifie le champ et les missions des commissions paritaires déjà prévues par l'article L. 132-30 du code du travail pour renforcer leur rôle.
d) L'instauration d'un droit de saisine des organisations syndicales
L'exercice effectif de la négociation suppose à l'évidence l'existence d'un réel équilibre des parties garantissant notamment leur capacité d'initiative à l'engagement d'une négociation.
A ce titre, la Position commune a souhaité, à son point II-3, l'instauration d'un droit de saisine des organisations syndicales :
« Ce droit a pour objet d'éviter que des demandes adressées par les organisations syndicales de salariés restent sans réponse et que l'équilibre des parties soit assuré y compris en matière de droit d'initiative.
« La négociation de branche fixera les modalités de la saisine tant au niveau de la branche que de l'entreprise, en fonction des pratiques de la profession et des caractéristiques des entreprises qui la composent telle que, par exemple, l'inscription à l'ordre du jour d'une réunion paritaire annuelle des demandes adressées par les organisations syndicales depuis la dernière réunion et qui n'auraient pas reçu de réponse de la partie patronale dans l'intervalle.
« Au niveau national interprofessionnel, l'engagement sera pris de donner une réponse à toute demande émanant d'une organisation syndicale représentative.
« Cette nouvelle obligation de réponse patronale à une saisine syndicale constitue la réponse à d'éventuelles nouvelles obligations légales de négocier sur des thèmes facultatifs. »
L' article 44 constitue la traduction de cette demande. Ce droit de saisine s'appliquera tant au niveau de la branche que de l'entreprise et ses modalités de mise en oeuvre sont, conformément à la Position commune, définies par accord de branche.
e) Le renforcement des moyens du dialogue social
Au-delà de l'introduction d'un droit de saisine, l'équilibre contractuel suppose également que les parties, et notamment la partie syndicale, disposent des moyens leur permettant d'exercer leurs missions dans les meilleures conditions.
A ce titre, la Position commune formulait deux suggestions.
La première a trait aux conditions d'accès et d'utilisation des nouvelles technologies de l'information et de la communication par les organisations syndicales.
La Position commune précisait ainsi, à son point II-4 :
« Les branches s'emploieront paritairement à définir des orientations pour un code de bonne conduite relatif aux modalités d'accès et d'utilisation des NTIC par les organisations syndicales de salariés dans les entreprises, à partir d'un seuil d'effectifs fixé par la branche. »
La seconde concerne la reconnaissance des interlocuteurs syndicaux et les conditions d'exercice du dialogue social, sujets abordés au point II-1 de la Position commune :
« La négociation de branche devra rechercher des dispositions facilitant le déroulement de carrière et l'exercice de leurs fonctions des salariés exerçant des responsabilités syndicales ainsi que des mesures destinées à renforcer l'effectivité de la représentation collective dans les entreprises.
« Une telle démarche participe de la cohérence d'ensemble du dispositif. Elle passe en priorité par la mobilisation des dispositifs légaux et conventionnels existants. Ainsi, la reconnaissance réciproque des interlocuteurs syndicaux et patronaux dans leur identité et leurs responsabilités respectives constituent, par définition, une condition de l'existence d'un véritable dialogue social. Elle se doit d'être actée paritairement et de trouver en outre une traduction concrète dans le renvoi aux branches professionnelles de négociations sur le déroulement de carrière des salariés exerçant des responsabilités syndicales de façon à s'assurer que l'exercice normal de telles responsabilités ne pénalise pas l'évolution professionnelle des intéressés.
« L'objectif de telles négociations est de définir un certain nombre « d'actions positives » destinées à donner une traduction concrète au principe, posé par le code du travail, de non-discrimination en raison de l'exercice d'activités syndicales. Dans cette perspective, les négociateurs de branche organiseront dans les meilleurs délais leurs réflexions autour de plusieurs thèmes tels que :
« - conciliation de l'activité professionnelle et de l'exercice de mandats représentatifs,
« - mise en oeuvre de l'égalité de traitement (en matière de rémunération, d'accès à la formation, de déroulement de carrière...) entre les détenteurs d'un mandat représentatif et les autres salariés de l'entreprise,
« - droit, garanties et conditions d'exercice d'un mandat syndical extérieur à l'entreprise au regard du contrat de travail,
« - prise en compte de l'expérience acquise dans l'exercice d'un mandat dans le déroulement de carrière de l'intéressé,
« - optimisation des conditions d'accès au congé de formation économique, sociale et syndicale en vue de faciliter la formation des négociateurs salariés. »
Le projet de loi reprend à son tour ces deux propositions en les organisant.
L' article 45 reconnaît ainsi, tout en l'encadrant, la possibilité pour les organisations syndicales de diffuser des informations de nature syndicale soit par messagerie électronique, soit sur le site intranet de l'entreprise dans des conditions fixées par accord d'entreprise.
L' article 46 améliore les conditions d'exercice du droit syndical en exigeant que l'accord de branche organise effectivement le déroulement de carrière et d'exercice des fonctions des salariés assurant des responsabilités syndicales, et qu'il précise aussi les conditions d'exercice, au niveau de la branche, des mandats de négociation et de représentation pour ces salariés.
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L'Assemblée nationale, lors de l'examen du texte en première lecture, n'a que peu modifié les dispositions des titres II et III du présent projet de loi. Il est vrai qu'il repose sur un équilibre fragile en étant le fruit d'une négociation aménagée, sur certains points, après une large consultation des partenaires sociaux.
Elle n'en a pas moins apporté trois types de modifications d'une portée non négligeable.
Les premières visent à apporter des précisions techniques , souvent d'importance significative.
A cet égard, elles tendent d'abord à mieux préciser ou à mieux encadrer les dispositions prévues de manière à garantir leur portée et leur effectivité. A titre d'exemple, on peut notamment citer les modifications apportées à l'article 34 précisant les conditions d'application du principe majoritaire en cas de carence d'élections professionnelles, à l'article 38 dont la nouvelle rédaction redéfinit les conditions dans lesquelles une disposition législative pourra être mise en oeuvre par accord d'entreprise ou, à l'article 41, relatives aux conditions de mise en oeuvre du mandatement. Ces modifications seront abordées à l'occasion de l'examen des articles.
Mais elles peuvent aussi tirer, plus généralement, les conséquences des dispositions du projet de loi sur d'autres règles de la négociation collective. Ainsi, le nouvel article 34 ter relatif à l'incorporation des accords de branche dans les conventions de branche résulte largement de l'article 39 sur la sécurisation.
Les deuxièmes modifications apportées par l'Assemblée nationale visent à transposer au plus près dans la loi des dispositions de la Position commune qui n'étaient pas intégrées dans le projet de loi initial . Ainsi, le nouvel article 38 bis instituant des observatoires paritaires de la négociation collective reprend une proposition similaire des partenaires sociaux formulée au point I-1 de la Position commune.
Les dernières modifications tendent à compléter le texte par de nouvelles dispositions .
Celles-ci peuvent alors avoir pour objet de résoudre certaines difficultés d'application du droit de la négociation collective, non abordées par les partenaires sociaux dans la Position commune. C'est le cas par exemple du nouvel article 34 bis qui précise les conditions du rattachement conventionnel d'une entreprise exerçant plusieurs activités économiques.
Mais elles peuvent également avoir pour objet d'aborder d'autres questions certes importantes et urgentes, mais dont le lien avec le droit de la négociation collective est plus ténu. Ainsi, le nouvel article 43 bis concerne la période transitoire pour l'imputation des heures supplémentaires dans les entreprises de moins de vingt salariés et l'article 51 est relatif aux missions des services d'aide à domicile.