2. Une dynamique contractuelle incontestable, mais inégale
La construction progressive et discontinue du droit de la négociation collective témoigne certes des hésitations qui ont entouré la place que devait occuper l'accord collectif dans notre droit du travail, mais elle illustre aussi la tendance à l'extension du champ de la négociation collective et à sa décentralisation. Elle a alors permis et accompagné, même si ce fut parfois avec retard, le développement, lui aussi progressif et heurté, de la pratique contractuelle.
De fait, la place acquise par les normes conventionnelles peut s'apprécier aujourd'hui à deux niveaux :
- l'évolution de la couverture conventionnelle des salariés ;
- l'évolution du nombre d'accords collectifs de travail conclus chaque année.
a) Une couverture conventionnelle de plus en plus large
La place du droit conventionnel, dans le droit du travail, n'a cessé de s'étendre pour concerner désormais la quasi-totalité des salariés.
Ainsi, alors qu'en 1972, seuls 75 % des salariés employés dans des établissements de plus de dix salariés étaient couverts par une convention collective, ce taux est passé à 90,4 % en 1982, puis à 96,7 % en 1997.
Pour s'en tenir aux seules conventions collectives et en l'absence de statistiques actualisées postérieures à 1997 4 ( * ) , c'est notamment la couverture conventionnelle de branche qui s'est fortement améliorée entre 1985 et 1997, passant de 86,4 % à 93,4 % dans les établissements de dix salariés et plus (hors établissements publics à statut).
Evolution de la couverture conventionnelle de branche
entre 1985 et 1997
dans les établissements de dix salariés et
plus
(1)
(en pourcentage)
Activités économiques |
Etablissements |
Salariés |
||
1985 |
1997 |
1985 |
1997 |
|
Industrie |
88,4 |
98,4 |
92,5 |
98,1 |
Construction |
74,8 |
99,4 |
61,8 |
99,4 |
Tertiaire |
81,9 |
92,6 |
85,2 |
89,7 |
Ensemble |
82,9 |
94,5 |
86,4 |
93,4 |
(1) Etablissements publics à statut exclus.
Source : Enquêtes ACEMO sur les conventions collectives de 1985 et 1997.
De fait, il existe aujourd'hui 698 textes conventionnels de base applicables au niveau des branches (de niveau national ou local). Parmi ceux-ci, 389 sont des accords étendus (dont 211 de niveau national). Et quand bien même la couverture conventionnelle de branche pourrait, dans certains secteurs, être encore lacunaire, la couverture d'entreprise peut la suppléer. Ainsi, en 1997, 2,7 % de salariés des entreprises de dix salariés et plus étaient couverts, à titre exclusif, par une convention collective d'entreprise.
Il reste que, malgré ces améliorations, la couverture conventionnelle demeure encore inégale selon le secteur et la taille de l'établissement.
Ainsi, si la couverture conventionnelle est presque totale dans les secteurs de la construction et de l'industrie, elle reste perfectible dans le tertiaire (et notamment dans le secteur associatif).
De même, la couverture conventionnelle diffère selon la taille de l'établissement. Si elle atteint 93,7 % pour l'ensemble des entreprises, elle monte à 96,7 % dans les établissements de dix salariés et plus, mais plafonne à 83,9 % dans les établissements de moins de dix salariés.
b) Une pratique contractuelle toujours très soutenue
La vitalité de la pratique contractuelle doit s'apprécier, au-delà de la seule couverture conventionnelle, au regard du nombre et de la nature des conventions et accords collectifs de travail conclus chaque année. Un bilan annuel de la négociation est d'ailleurs présenté tous les ans à la commission nationale de la négociation collective.
A cet égard, votre rapporteur tient à souligner le fort développement de la négociation collective depuis la loi de 1982. Si on constate un essoufflement de la négociation interprofessionnelle, la négociation de branche continue d'occuper une place significative et la négociation d'entreprise a connu un essor considérable.
Evolution annuelle du nombre de textes
conventionnels
(1)
signés de 1995 à 2002 selon le
niveau de négociation
Niveau |
1995 |
1996 |
1997 |
1998 |
1999 |
2000 |
2001 |
2002 |
Interprofessionnel |
41 |
57 |
45 |
32 |
30 |
25 |
39 |
43 |
Branche |
969 |
1.030 |
877 |
741 |
761 |
870 |
897 |
892 |
Entreprise |
8.615 |
9.274 |
11.797 |
13.328 |
35.469 |
36.620 |
35.000 |
28.058 |
(1) Ce tableau recense l'ensemble des textes conclus (conventions, accords et avenants) quel que soit leur champ territorial. Compte tenu de la modification du système de collecte de l'information intervenue en 2002, la rupture des séries statistiques pour les accords d'entreprise impose une extrême prudence dans les comparaisons entre 2001 et 2002.
Source : Bilans annuels de la négociation collective
Les données de ce bilan pour l'année 2002 témoignent du dynamisme de la pratique contractuelle : la négociation collective s'est maintenue à un niveau élevé , en dépit d'un contexte économique difficile et d'une moindre fréquence des négociations sur le temps de travail. Ce dynamisme se vérifie d'ailleurs à tous les niveaux.
Au niveau interprofessionnel, la négociation est restée stable par rapport aux années passées : quarante-trois textes et avenants ont été conclus, soit un niveau globalement comparable à celui de 2001 (trente-neuf accords).
Au niveau des branches, l'activité conventionnelle est également restée stable avec la conclusion de 892 accords (contre 897 en 2001). Ces 892 accords se répartissent entre onze conventions collectives (dont deux dans des secteurs encore non couverts), trente-deux accords professionnels et 849 avenants. L'année 2002 marque toutefois une rupture dans la structuration de la négociation de branche avec une diminution importante du nombre d'accords de niveau infranational.
Au niveau de l'entreprise, environ 28.000 accords ont été conclus en 2002 dans plus de 20.000 entreprises et ont concerné près de quatre millions de salariés. On observera que la moitié des accords ont été signés dans les entreprises de moins de cinquante salariés. La forte croissance de la négociation d'entreprise liée à la mise en oeuvre de la réduction du temps de travail - qui a fait passer le nombre d'accords d'entreprise d'environ 5.000 par an au début des années 1990 à plus de 30.000 en 1999 et 2000 -, semble à présent se stabiliser.
Au-delà de cette seule analyse quantitative, il importe d'examiner les thèmes de la négociation collective pour apprécier la réalité du dialogue social dans toute sa diversité.
Ainsi, pour les accords de branche, les principaux thèmes de négociation ont porté sur les salaires, mais aussi sur la retraite et la prévoyance, le travail de nuit, les rémunérations et classifications.
Les principaux thèmes de la négociation de branche en 2002
Thèmes négociés |
Nombre de textes (1) |
Salaires |
366 |
Formation professionnelle |
86 |
Temps de travail |
98 |
Primes |
139 |
Retraite prévoyance |
79 |
Classifications |
44 |
Emploi |
21 |
Congés |
17 |
(1) Conventions collectives, accords professionnels ou avenants .
Source : DRT
Au niveau de l'entreprise, alors que la négociation avait été marquée ces dernières années par la prédominance d'accords sur le temps de travail, l'année 2002 permet de retrouver une négociation moins focalisée sur ce sujet et déconnectée des obligations de fait posées par le législateur. C'est ainsi le thème de la participation et de l'épargne salariale qui a été l'objet principal des négociations.
Les principaux thèmes de la négociation d'entreprise en 2002 (1)
Thèmes négociés |
En nombre de textes |
En % |
Ensemble |
28.058 |
|
Temps de travail |
8.392 |
29,9 |
Salaires et primes |
2.821 |
10,1 |
Participation, intéressement, épargne salariale |
10.145 |
36,2 |
Autres |
9.487 |
33,8 |
(1) Un même texte peut aborder plusieurs thèmes.
Source : bilan 2002 de la négociation collective
Ce dynamisme de la négociation collective repose largement sur l'implication des organisations syndicales si on en juge par leur propension à signer les accords. Si elle demeure très variable dans les branches selon chaque organisation syndicale, elle est d'environ 90 % pour l'ensemble d'entre elles dans le cadre des accords d'entreprise.
Propension à signer les différentes
organisations
organisations syndicales dans l'entreprise
(1)
CGT |
CFDT |
CGT-FO |
CFTC |
CGC |
|
Accords de branche |
37,1 % |
77,4 % |
69,1 % |
63,0 % |
59,2 % |
Accords d'entreprise |
85,5 % |
93,3 % |
89,6 % |
92,0 % |
93,2 % |
(1) La propension à signer mesure la part des accords signés par une organisation syndicale parmi l'ensemble des accords conclus dans une entreprise ou dans une branche si elle y est présente.
Source : bilan 2002 de la négociation collective
* 4 Les dernières statistiques en la matière ont été publiées dans « Premières informations et premières synthèses », n° 29-2, juillet 1999.