LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS

Réunie le mercredi 26 novembre sous la présidence de M. René Garrec, président, la commission des Lois a examiné, sur le rapport de M. Pierre Fauchon, la proposition de résolution n°70 (2003-2004), présentée au nom de la délégation pour l'Union européenne, sur l'autorisation de signer le projet d'accord entre l'Union européenne, et la République d'Islande et le royaume de Norvège sur l'application de certaines dispositions de la Convention de 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale et du protocole de 2001 à celle-ci (E 2421).

Le rapporteur a souligné que le projet d'accord ne soulevait aucune difficulté de fond, dès lors qu'il visait simplement à rendre applicables à l'Islande et la Norvège - pays non membres de l'Union européenne, mais liés par les accords de Schengen - certaines dispositions de la convention de l'Union relative à l'entraide judiciaire en matière pénale.

Il a toutefois indiqué que cet accord, négocié sur la base de l'article 24 du traité sur l'Union européenne, allait être conclu par la seule Union européenne et non par ses Etats membres, ce qui ne paraissait pas correspondre à l'état de la répartition des compétences entre l'Union européenne et ses Etats membres. Il a ajouté que le Gouvernement n'envisageait pas de soumettre ces accords au Parlement pour autorisation de ratification, bien que le Sénat - à propos d'accords d'entraide avec les Etats-Unis - ait adopté une résolution demandant que les accords d'entraide en matière pénale donnent lieu à autorisation de ratification .

Sur proposition de son rapporteur, la commission a adopté une proposition de résolution tendant à :

- approuver le contenu du projet d'accord avec l'Islande et la Norvège ;

- estimer que cet accord est un accord « mixte » relevant à la fois des compétences de l'Union et des Etats membres ;

- considérer qu'en tout état de cause cet accord doit être soumis au Parlement pour autorisation de ratification .

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est saisi, en application de l'article 88-4 de la Constitution, d'un projet d'accord entre l'Union européenne, et la République d'Islande et le Royaume de Norvège sur l'application de certaines dispositions de la Convention signée en 2000 dans le cadre de l'Union européenne relative à l'entraide judiciaire en matière pénale.

Ce projet d'accord est lié à la situation très spécifique de l'Islande et de la Norvège à l'égard de l'Union européenne. Bien que n'étant pas membres de l'Union, ces pays sont liés par les accords de Schengen, qui ont été intégrés dans le droit de l'Union par le protocole annexé au traité d'Amsterdam relatif à l'acquis de Schengen.

Certaines dispositions de la Convention de l'Union du 29 mai 2000 relative à l'entraide judiciaire en matière pénale, et de son protocole du 16 octobre 2001, qui constituent un développement de l'acquis de Schengen, sont donc d'ores et déjà applicables à ces deux pays.

L'Islande et la Norvège ont souhaité conclure un accord leur permettant d'appliquer aussi les autres dispositions de cette convention et de son protocole.

Ce texte ne soulève pas de difficultés de fond. En revanche, la procédure envisagée pour la conclusion de ces accords est beaucoup plus contestable, puisqu'elle interdirait toute autorisation de ratification par le Parlement français.

En avril dernier, le Sénat avait adopté -à propos d'accords d'entraide judiciaire avec les Etats-Unis- une résolution demandant au Gouvernement de faire en sorte que ces accords soient soumis à un vote du Parlement conditionnant leur approbation 1 ( * ) . Il n'avait pas été entendu.

La même situation se reproduit à propos du projet d'accord avec l'Islande et la Norvège, ce qui a justifié l'adoption par la délégation pour l'Union européenne du Sénat d'une proposition de résolution renvoyée à votre commission.

I. UNE PROCÉDURE CONTESTABLE DE CONCLUSION D'ACCORDS INTERNATIONAUX

A. UNE BASE JURIDIQUE AMBIGUË

Le projet d'accord avec la Norvège et l'Islande soumis au Sénat a été négocié sur la base de l'article 24 du traité sur l'Union européenne, comme l'ont été il y a quelques mois les accords d'entraide judiciaire avec les Etats-Unis.

Cet article, introduit par le traité d'Amsterdam et modifié par le traité de Nice, s'applique aux dispositions relatives à la politique étrangère et de sécurité commune, ainsi qu'à la coopération policière et judiciaire en matière pénale.

Il dispose, dans son premier alinéa, que : « Lorsqu'il est nécessaire de conclure un accord avec un ou plusieurs Etats ou organisations internationales en application du présent titre, le Conseil peut autoriser la présidence, assistée, le cas échéant, par la Commission, à engager des négociations à cet effet. De tels accords sont conclus par le Conseil sur recommandation de la présidence ».

Le deuxième alinéa prévoit que : « Le Conseil statue à l'unanimité lorsque l'accord porte sur une question pour laquelle l'unanimité est requise pour l'adoption des décisions internes ».

La rédaction de l'article 24 est ambiguë, dans la mesure où elle ne précise pas si les accords sont conclus au nom de l'Union européenne, des Etats membres, ou encore de l'Union européenne et des Etats membres.

Dans un avis rendu en décembre 2002 à propos des accords d'entraide judiciaire avec les Etats-Unis, examinés par le Sénat au titre de l'article 88-4 de la Constitution, le service juridique du Conseil de l'Union européenne a estimé que tout accord conclu en application de l'article 24 du traité sur l'Union européenne était conclu au nom de la seule Union, et non au nom des Etats membres.

Dans sa résolution sur les projets d'accords avec les Etats-Unis, le Sénat a estimé que ces accords constituaient des « accords mixtes » et devraient être signés au nom de l'Union européenne et des Etats membres, observant notamment que l'interprétation de l'article 24 du traité donnée par le service juridique du Conseil de l'Union européenne revenait à reconnaître à l'Union européenne une compétence externe pour négocier et conclure des accords internationaux en des matières relevant pourtant de la compétence des Etats membres en vertu des traités.

Le Conseil de l'Union européenne a cependant suivi l'avis de son service juridique et estimé que l'Union pouvait, à elle seule, conclure de tels accords.

B. UNE PROCÉDURE IGNORANT LES DROITS DU PARLEMENT FRANÇAIS

Le refus par le Conseil de l'Union de reconnaître aux accords de l'article 24 le statut d'accords mixtes n'empêche pas en principe les Etats membres de soumettre ces accords à leurs parlements conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.

Le cinquième alinéa de l'article 24 prévoit en effet que : « Aucun accord ne lie un Etat membre dont le représentant au sein du Conseil déclare qu'il doit se conformer à ses propres règles constitutionnelles ; les autres membres du Conseil peuvent convenir que l'accord est néanmoins applicable à titre provisoire. »

Ainsi, lors de la signature des accords d'entraide judiciaire avec les Etats-Unis, treize Etats membres de l'Union européenne sur quinze ont fait une déclaration aux termes de laquelle ils ne seraient liés par ces accords qu'après avoir satisfait à leurs règles constitutionnelles respectives.

Il s'agissait de la première utilisation de cette clause de l'article 24, qui montrait clairement que les accords en question -portant sur l'entraide judiciaire- étaient très différents des accords relatifs à la politique étrangère et de sécurité commune conclus sur le fondement de l'article 24.

Deux Etats cependant, la France et la Grèce, n'ont pas fait usage de la réserve constitutionnelle prévue à l'article 24 du traité sur l'Union européenne. La position du gouvernement grec s'expliquait par l'hostilité forte du parlement grec à la conclusion des accords avec les Etats-Unis en raison de l'engagement américain en Irak.

Le gouvernement français, quant à lui, a cru devoir se ranger à l'interprétation de l'article 24 donnée par le Conseil d'Etat. Dans un avis du 7 mai 2003, le Conseil d'Etat a ainsi analysé la réserve constitutionnelle prévue par l'article 24 du traité sur l'Union européenne :

« Littéralement, il peut être soutenu que la réserve par un Etat membre « de ses propres règles constitutionnelles » doit s'entendre comme visant aussi bien le respect des règles d'ordre procédural prévues par sa Constitution en matière de conclusion d'engagements internationaux que le respect de règles de fond de valeur constitutionnelle.

« Néanmoins, le paragraphe 5 de l'article 24 ne peut être interprété indépendamment du contexte dans lequel il s'insère. Or l'article 24, pris dans son ensemble, constitue une procédure commune de conclusion d'un accord, dont l'économie même serait altérée par le maintien de procédures nationales particulières à la discrétion de chaque Etat. De plus, l'article 24 a été appliqué à plusieurs reprises par les institutions de l'Union et les Etats membres comme un mode de conclusion d'un engagement international. La pratique ainsi suivie doit être prise en compte en tant qu'élément d'interprétation, conformément aux principes coutumiers du droit international.

« Il y a donc lieu d'admettre que la réserve par un Etat membre « de ses propres règles constitutionnelles » a pour objet de permettre à cet Etat d'assurer uniquement le respect des règles de fond d'ordre constitutionnel.

« Il s'ensuit que, bien que les projets d'accords sur l'extradition et l'entraide judiciaire en matière pénale touchent à la procédure pénale et partant à la compétence du législateur, le parlement français, dès lors que ces accords sont conclus sur le fondement de l'article 24 du traité et non sur la base d'une recommandation adoptée en vertu de l'article 34, paragraphe 2, n'a pas à en autoriser au préalable la ratification par application de l'article 53 de la Constitution. »

Cet avis contredit ceux du service juridique de la Commission européenne et du Conseil. Aucun Etat membre de l'Union européenne n'a retenu cette interprétation. Le Gouvernement français a néanmoins choisi de suivre l'avis du Conseil d'Etat en ne faisant pas usage de la réserve constitutionnelle de l'article 24. Il a donc décidé de ne pas soumettre les accords au Parlement pour obtenir une autorisation de ratification.

Depuis la signature des accords d'entraide avec les Etats-Unis, les autorités américaines elles-mêmes ont semblé exprimer des doutes sur la valeur juridique de ces accords et ont souhaité conclure avec chaque Etat membre des « instruments écrits » par lesquels les Etats membres devront « confirmer » envers les Etats-Unis l'application des accords de l'Union européenne.

Comme le souligne, dans un article récent publié à titre personnel, M. Stephan Marquardt, membre du service juridique du Conseil de l'Union européenne 2 ( * ) :

« Du point de vue de l'Union européenne, cette approche semble remettre en cause la reconnaissance par les Etats-Unis de sa capacité de s'engager à leur égard de façon contraignante ainsi que le lien juridique qui en découle pour les Etats membres. En effet, dès lors que ceux-ci sont liés par des accords conclus par l'Union européenne, on voit mal la nécessité d'un instrument juridique supplémentaire pour « confirmer » ces engagements vis-à-vis des Etats-Unis (...).

« Au vu de ces difficultés, on peut se demander s'il n'aurait pas été juridiquement plus cohérent, dans le cas d'espèce, de prévoir une participation des Etats membres en tant que parties contractantes également, , en d'autres termes de conclure un accord « mixte » entre l'Union européenne et ses Etats membres, d'une part, et les Etats-Unis, d'autre part » concluait-il, en se référant expressément à la résolution adoptée par le Sénat.

* 1 Voir le rapport n° 252 (2002-2003) présenté par M. Pierre Fauchon au nom de la commission des Lois.

* 2 « La capacité de l'Union européenne de conclure des accords internationaux dans le domaine de la coopération policière et judiciaire en matière pénale » in « Sécurité et justice : enjeu de la politique extérieure de l'Union européenne », Editions de l'Université de Bruxelles, 2003, pp. 179 à 194.

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