III. LES OBSERVATIONS ET PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION DES LOIS : RACCOURCIR LES DELAIS D'EXAMEN DES DEMANDES ET PRÉCISER LES GARANTIES RECONNUES AUX DEMANDEURS D'ASILE
Le Gouvernement a souhaité rendre plus effectif le droit d'asile pour les étrangers qui peuvent à juste titre s'en prévaloir. Le projet de loi soumis à l'examen du Sénat répond à cette ambition et votre commission des Lois en approuve entièrement l'économie générale.
L' unification des procédures de demande d'asile autour de l'OFPRA représente un progrès majeur au regard du droit existant : d'abord elle simplifie c onsidérablement les démarches pour le demandeur, ensuite, elle apporte à ce dernier les garantie d'un examen approfondi et impartial de sa demande. La généralisation du caractère suspensif du recours contre la décision de refus d'accorder l'asile (sauf dans les cas d'examen prioritaire de la demande par l'OFPRA 20 ( * ) ) marque également une avancée par rapport à l'asile territorial. Enfin, la reconnaissance des persécutions non étatiques rompt avec l'interprétation restrictive de la convention de Genève par la jurisprudence française.
Cependant, certaines des dispositions de ce texte, en particulier celles qui s'inspirent des directives européennes, ont toutefois suscité des inquiétudes auprès des associations et des juristes entendus par votre rapporteur 21 ( * ) . Aussi, a-t-il semblé nécessaire à votre commission des Lois d'apporter les précisions nécessaires pour surmonter certaines incompréhensions et souligner les avancées indéniables permises par ce texte au regard du droit existant.
Le succès de la réforme du droit d'asile se jugera sur le raccourcissement des délais d'examen des demandes d'asile, aujourd'hui excessivement longs. Dans cette perspective, le présent projet de loi doit être complété par une mobilisation des services et la mise en oeuvre de moyens supplémentaires pour l'OFPRA et la Commission des recours des réfugiés.
A. LES CONDITIONS DE SUCCÈS DE LA RÉFORME: LE RACCOURCISSEMENT DES DÉLAIS
Le projet de loi ne suffira pas seul néanmoins à mettre fin aux dysfonctionnements dénoncés par le président de la République. La réforme du droit d'asile a en effet pour enjeu complémentaire la réduction des délais d'examen des demandes d'asile.
Les délais, aujourd'hui considérables, d'octroi de l'asile sont d'abord une source d'iniquité pour les personnes réellement persécutées ou menacées dans leur vie ou dans l'exercice de leurs droits les plus fondamentaux. Tant que l'asile ne leur a pas été accordé, ils vivent en effet dans une situation de grande précarité : ils ne peuvent travailler et l'allocation qu'ils reçoivent reste modeste. Il faut d'ailleurs saluer ici le travail des associations qui leur apportent dans cette période difficile un appui essentiel pour faire valoir leurs droits.
Inversement, ces délais sont mis à profit de manière systématique par les étrangers qui souhaitent s'établir dans notre pays pour des motifs économiques. Il s'agit en effet de se maintenir sur le territoire le plus longtemps possible et créer ainsi une situation de fait rendant plus difficile une mesure d'éloignement lorsque la procédure se conclut finalement par un rejet.
A cet égard, la complexité des procédures d'examen des demandes d'asile en France et la lenteur des décisions ont un effet d'attraction incontestable pour l'immigration économique. On constate en revanche que les efforts de réduction des délais peuvent entraîner une diminution des demandes d'asile. Ainsi, il a été indiqué à votre rapporteur que le raccourcissement des délais de convocation des demandeurs d'asile territorial dans le département des Bouches du Rhône s'était traduit par une réduction du nombre des demandes déposées auprès de la préfecture.
Enfin, ces délais soulèvent de graves difficultés au regard des droits sociaux des demandeurs d'asile. Ils génèrent une saturation du dispositif d'accueil des demandeurs d'asile au détriment des personnes qui pourraient en bénéficier de manière plus légitime. Les centres d'accueil pour demandeur d'asile (CADA) comptent un part non négligeable de déboutés du statut de réfugié.
Malgré l'augmentation des capacités (165 CADA en 2003 soit 11.500 places contre 61 CADA en 1998, soit 3 600 places), les structures sont loin de répondre aux besoins. L'hébergement dans les centres d'accueil garantit également aux demandeurs d'asile un meilleur accompagnement dans leurs démarches auprès des services sociaux et de l'OFPRA. Par ailleurs, la réduction des délais apparaitrait aussi comme la meilleure réponse aux interrogations soulevées par l'accès à l'emploi.
Il existe un très large consensus sur l'objectif de ramener les délais actuels, de l'ordre de deux ans, à huit mois . Les personnalités entendues par votre rapporteur se sont accordées sur ce point. L'effort doit porter sur les trois étapes principales de la procédure : la délivrance de l'autorisation provisoire de séjour (APS) par les préfectures qui conditionne le dépôt de la demande d'asile devant l'OFPRA ; l'examen de la demande d'asile par l'Office ; enfin, le cas échéant, le recours devant la Commission des recours des réfugiés. Il convient de rappeler qu'en vertu de l'article 12 de la loi du 25 juillet 1952, le demandeur d'asile peut se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'OFPRA ou, si un recours a été formé jusqu'à la notification de la décision de la Commission des recours.
La délivrance de l'autorisation provisoire de séjour par les préfectures peut être très longue - des délais de l'ordre de un à huit mois en moyenne selon les préfectures ont été cités à votre rapporteur. Or, cette étape de la procédure suppose des vérifications relativement simples qui pourraient être conduites dans un intervalle beaucoup plus rapide. Ces retards apparaissent liés à la surcharge des services des préfectures chargés de l'examen des demandes d'asile territorial et de la délivrance des autorisations provisoires de séjour. Ils sont aussi parfois le fait du demandeur lui-même qui ne fait pas toujours diligence pour apporter les pièces nécessaires à la constitution de son dossier. Le ministre de l'Intérieur, M. Nicolas Sarkozy, interrogé par votre rapporteur, lors de son audition devant la commission des Lois du 30 septembre 2003, a confirmé l'objectif de ramener ce délai à 8 jours .
Le demandeur dispose d'un délai d' un mois pour déposer la demande d'asile devant l'OFPRA 22 ( * ) qui peut être nécessaire pour réunir les preuves des persécutions ou des menaces graves -dans le cas de la protection subsidiaire- auxquelles il a été confronté.
Le délai d'examen devant l'OFPRA a été fixé par le décret n°53-377 du 2 mai 1953 (article 4) à quatre mois à compter de la date de réception de la requête. Ce délai ne peut aujourd'hui être respecté : comme l'indique le rapport de l'OFPRA pour 2001 le nombre de dossiers non traités dans les 4 mois s'élevait à 22 246 à la fin de l'année 2002. Le délai d'examen s'élevait sept mois en 2002. Il s'est infléchi au cours de cette année et s'établirait à 4,5 mois actuellement. Comme l'a indiqué le directeur de l'OFPRA à votre rapporteur, il est raisonnable d'estimer que l'examen des demandes d'asile devant l'Office pourrait être ramené à deux mois .
Le délai de recours devrait rester fixé à un mois (article 5 de la loi du 25 juillet 1952). Le délai d'examen du recours par la Commission des recours s'établit aujourd'hui en moyenne à neuf mois Cette dernière étape de la procédure reste essentielle : 75 à 80% des décisions de rejet de l'Office font aujourd'hui l'objet d'un recours devant la Commission et la durée des audiences tend par ailleurs à s'accroître. Dans ces conditions, l'objectif affiché par le Gouvernement de parvenir à un délai de quatre mois paraît ambitieux 23 ( * ) .
Comment ces objectifs pourront-ils être tenus ?
Il convient d'abord d'observer que l'entrée en vigueur du projet de loi aura des effets contrastés sur les délais. Le transfert de l'ensemble des demandes d'asile vers l'OFPRA allègera la charge que représente aujourd'hui pour les préfectures l'instruction de l'asile territorial mais alourdira les missions de l'Office et de la Commission des recours de manière non seulement quantitative mais aussi qualitative. En effet l'application de la protection subsidiaire de même que des concepts nouveaux tels que l'asile interne- supposera l'élaboration d'une doctrine nouvelle sous le contrôle de la CRR et du Conseil d'Etat. La stabilisation de la jurisprudence en la matière sera l'oeuvre du temps.
Dans ces conditions, la réduction des délais supposera d'abord une attention particulière aux nombreux décrets que le projet de loi a prévu en la matière (délivrance de l'autorisation provisoire de séjour, délai de dépôt de la demande auprès de l'Office, délais dans lesquels l'Office statue dans le cadre de la procédure prioritaire). Il importe de souligner par ailleurs la nécessité d'un renforcement des moyens de l'Office et de la Commission des recours et d'une organisation plus adaptée des services concernés par les demandes d'asile.
Au chapitre du renforcement des moyens de l'Office, il faut souligner dans le cadre du budget 2003, le recrutement de 81 agents supplémentaires de catégorie A, afin de réduire le stock des dossiers anciens et de ramener à deux mois le délai de traitement des dossiers. Votre commission veillera plus particulièrement à la mise en place des moyens nécessaires dans le cadre de la loi de finances pour 2004. Dans une perspective de maîtrise globale des coûts, qui devrait en permanence guider l'action de l'Etat, il apparaît que l'effort budgétaire consenti en faveur de l'Office et de la CRR, par les progrès sensibles qu'il ne manquera pas de produire sur les délais d'examen des demandes, sera à terme rapproché une source d'économie substantielle pour l'Etat .
La réduction des délais n'est pas seulement l'affaire de financements supplémentaires mais aussi d'une organisation des services plus adaptée. Une démarche interministérielle devrait être plus systématiquement privilégiée. A cet égard, le projet de plates-formes régionales d'accueil des demandeurs d'asile dans les zones géographiques où se concentrent les flux des demandeurs, qui réuniraient sur un même site les services du ministère de l'Intérieur, de l'OFPRA et du ministère des Affaires étrangères représenterait un progrès certain. Il pourrait d'abord se concrétiser à Lyon avant d'être étendu à d'autres métropoles régionales comme Lille et Marseille. Ce dispositif permettrait de désengorger les services de l'Office et de la Commission des recours établis à Fontenay au Bois, de raccourcir les circuits d'information et de rapprocher les services des demandeurs au profit d'un traitement plus rapide des demandes.
Votre commission est pour sa part convaincue que le Gouvernement pourra réunir un large consensus sur l'objectif de réduction des délais dans le respect des principes fondateurs du droit d'asile.
* 20 La demande est l'objet d'un examen prioritaire par l'OFPRA dans trois cas : l'étranger est originaire d'un pays considéré comme sûr, la présence de l'étranger représente une menace grave à l'ordre public, la demande manifeste un recours abusif aux procédures d'asile.
* 21 Cf. en annexe la liste des personnalités auditionnées.
* 22 Le certificat de dépôt de la demande devant l'office qui permet au demandeur d'obtenir de la préfecture un « récépissé constatant le dépôt d'une demande de statut de réfugié » n'est pas délivré le jour du dépôt de la demande : dès lors,la validité de l'autorisation provisoire de séjour étant limitée à un mois, l'étranger, dans l'attente du certificat de dépôt peut se trouver de nouveau en situation irrégulière.
* 23 Un délai de quatre mois pourrait être tenu hors demande d'aide juridictionnelle par le requérant. Il convient en effet de prendre en compte le délai d'un mois, renouvelable une fois, ouvert à l'office pour produire le dossier, un délai d'un mois pour la demande, le cas échéant de l'aide juridictionnelle, un délai minimum de quinze jours pour s'assurer de la disponibilité des requérants, un délai d'un mois entre l'envoi des convocations au requérant et des rôles à l'OFPRA et la date de la séance- délai au cours duquel a lieu l'instruction,un délai de trois semaines pour la lecture de la décision.