III. COMPTE RENDU INTÉGRAL DES AUDITIONS
DES MARDI
29 ET MERCREDI 20 AVRIL 2003
M. Nicolas ABOUT, président - Le 3 février dernier, le Premier ministre a précisé, lors d'une intervention, la méthode et le calendrier de la réforme des retraites. Il avait ainsi distingué une phase d'information et d'écoute, suivie d'un dialogue social formalisé, puis une phase de présentation des propositions du Gouvernement soumises au débat ; enfin le temps de la décision viendra.
Nous sommes aujourd'hui au stade des propositions du Gouvernement. Ces propositions ont été adressées aux partenaires sociaux le 18 avril dernier et ont été exposées par M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, la semaine dernière. Par ailleurs, le temps de la décision sera ponctué par deux échéances. Une communication sera effectuée en Conseil des Ministres le 7 mai prochain et le dépôt du projet de loi est prévu pour le 28 mai. Dans la perspective de ces échéances, notre commission a souhaité faire vivre le débat et entendre les réactions des partenaires sociaux au moment où les grandes lignes du projet de loi sont dessinées, mais non encore arrêtées.
Tel est l'objet de nos auditions de cet après-midi et de demain, qui seront retransmises par notre chaîne parlementaire. Elles seront complétées par le détail des positions de l'ensemble des organisations syndicales sur le projet de loi, tel qu'il nous parviendra de l'Assemblée nationale.
Nous avons maintenant le plaisir d'accueillir les représentants de l'Union professionnelle artisanale, son président, M. Robert Buguet, son secrétaire général, M. Pierre Burban, et M. Guillaume Tabourdeau, chargé des relations avec le Parlement.
Si cela vous convient, monsieur le président, nous souhaiterions que vous procédiez à un exposé liminaire d'une dizaine de minutes. Puis un échange aura lieu avec les commissaires, qui sont nombreux aujourd'hui et qui sont impatients de vous questionner.
Audition de
M. Robert BUGUET
président de l'union professionnelle artisanale
(UPA)
(mardi 29 avril 2003)
M. Robert BUGUET - Merci monsieur le président. Mesdames et messieurs.
Le thème de cette séance, qui intéresse l'ensemble de notre pays, est un sujet « brûlant ». Je constate ainsi que l'assistance est nombreuse, plus nombreuse que lorsque d'autres projets de loi ont été évoqués.
L'historique de l'artisanat en matière de retraite
L'artisanat a suivi un parcours atypique en matière de retraite, qui explique en partie notre position sur ce sujet. En 1945, une volonté d'instaurer un régime unique pour tous les Français est apparue. Néanmoins, dès 1947, le corps social des artisans s'est montré frondeur et a voulu instaurer son propre régime. Ce régime, non solidaire, a montré ses limites avant la fin des années 1960. Ce régime n'était pas réellement finalisé ; il ne comportait pas d'obligation de cotisation par rapport au revenu. Seules les cotisations minimales étaient obligatoires. Au moment du départ en retraite, les artisans ne touchaient qu'une retraite minimale. L'aide de M. Poujade avait été requise et des manifestations avaient eu lieu pour demander que l'Etat paie le complément de retraite, ce qui était impossible pour « sauver » le régime. Les cotisations furent multipliées par six et le montant des retraites par trois.
Malheureusement, les mêmes causes produisant le même effet, douze ans plus tard, notre porte-parole était M. Nicoud et notre régime de retraite était toujours défaillant. Cependant, le Premier ministre de l'époque, M. Messmer, sollicité par les plus lucides d'entre nous, fait promulguer la loi dite d'alignement. Les artisans et une partie des commerçants ont été alignés sur le régime général. Les cotisations et les prestations devenaient identiques. Cependant, certains régimes se sont vu déléguer « l'autonomie de gestion ».
Le régime des artisans a été modifié au fur et à mesure de l'évolution du régime général. Ainsi, depuis 30 ans, les artisans sont rattachés au régime général pour la retraite de base. Quelques problèmes mineurs se posent en termes de liquidation, mais les artisans ont réellement tiré la leçon du passé. Une fois que tous les régimes ont été examinés, il semble évident que le régime par répartition reste le meilleur système. Les régimes par capitalisation ne peuvent constituer que des « plus », en aucun cas des palliatifs et encore moins des substitutifs au régime par répartition.
La position de l'UPA
Nous avons participé, dans cet état d'esprit, aux travaux du Conseil d'orientation des retraites. Ces travaux sont réellement appréciés. Il est vrai qu'organiser une réflexion de l'ensemble des partenaires dans un lieu neutre, sans pouvoir de décision ni de préconisation, s'avère pertinent. Ainsi ce conseil examine la situation : il décrit les paramètres et les variables en jeu et quels effets seront induits lorsque ces paramètres sont modifiés.
Ainsi, nous avons mieux compris pourquoi le régime est actuellement en difficulté.
Quant aux propositions, l'UPA a toujours été favorable à des solutions plutôt mixtes. Certains considèrent l'allongement de la durée de cotisation à neuf ans comme la panacée, d'autres l'augmentation des cotisations, d'autres encore la réduction de 30 % du montant des retraites. Ces trois solutions sont extrêmes. Elles pourraient contenter une partie du corps social, mais soulèveraient la désapprobation du reste des Français. A contrario , nous préconisons, à l'instar du Gouvernement dans ses propositions, de faire preuve de réalisme et de pragmatisme.
L'allongement de la durée de cotisation
L'allongement de la durée de cotisation nous semble une idée satisfaisante, avec quelques réserves. Pour nous, il ne s'agit pas de combler un manque de financement. Il s'agit de faire face à l'allongement de la durée de vie, qui s'élève à environ deux mois et demi par an. Ce phénomène, d'après les experts, ne cessera pas avant longtemps. Augmenter la durée de cotisation permet d'établir un juste équilibre entre le temps de travail et le temps de retraite.
L'augmentation des cotisations
L'augmentation des cotisations constitue l'une des rares pierres d'achoppement avec la proposition du Gouvernement. Puisque notre système est contributif, puisqu'il propose un revenu de substitution, nous soutenons que le financement doit être proportionnel aux revenus de chacun. Notre système est non pas égalitariste, mais équitable. Chacun ne doit pas toucher strictement la même retraite, mais doit percevoir un revenu correspondant à la contribution qu'il aura apportée. Néanmoins, nous avons constaté qu'en 1945, au moment où le système a été mis en place, le PIB était composé à 98 % du produit du travail. En l'an 2000, le produit du travail représentait 60 % du PIB français, contre 40 % pour le capital et les placements financiers. Or ces derniers ne concourent pratiquement pas au financement de la protection sociale. Nous demandons ainsi, depuis 40 ans, sachant que nous représentons une activité de main d'oeuvre, la diversification de l'assiette des cotisations sociales. Certes, la CSG contribue à la protection sociale, mais cet impôt ne finance pas les retraites.
Le niveau des retraites
J'aborderai maintenant le problème du niveau des retraites. Au sein de notre groupe confédéral, ce sujet était presque systématiquement abordé lors des discussions. Deux points ont été évoqués : le niveau de remplacement, au moment où nous partons à la retraite, et le maintien du pouvoir d'achat des retraités. En 1993, M. Edouard Balladur a mis en place une réforme qui a contribué à la solution financière du problème. Toutefois ce dispositif doit être revu, comme l'a évoqué M. François Fillon. En effet, auparavant, les personnes cotisaient 50 ans avec 5 ans d'espérance de retraite. Aujourd'hui, nous cotisons 40 ans avec 20 ans d'espérance de retraite, demain 42 années avec 25 ou 30 ans d'espérance de retraite.
Il apparaît incontournable d'indexer de façon réaliste le niveau des retraites sur le coût de la vie et l'accroissement de la richesse. Sinon, la perte de pouvoir d'achat des retraités peut atteindre un tiers, voire 50 % en fin de retraite. Les effets seront dévastateurs. L'UPA propose d'indexer le niveau des retraites sur le coût de la vie, au minimum. En cas de croissance, une partie de l'accroissement de la richesse pourrait également profiter aux retraités. Il s'agit d'éviter la paupérisation des retraités âgés. Je pose ce problème en termes mesurés, mais il reste le problème de fond. Nous estimons, à la suite de certaines organisations représentatives des salariés, que le Gouvernement doit prendre des engagements. J'ai cru comprendre que M. François Fillon avait évoqué cette question, en termes très tempérés.
La nécessité de s'inscrire dans la durée
Au-delà de ces trois paramètres sur lesquels nous pouvons jouer, je rappellerai que nous nous inscrivons dans la durée. Ce n'est qu'en 2020 que nous devrons trouver 15 milliards d'euros. Il semblerait étrange de vouloir mettre en place une réforme qui créerait immédiatement 15 milliards d'excédents. De plus, en France, lorsque des excédents sont constatés, ils sont captés pour combler des déficits par ailleurs.
Ce phénomène n'est pas sain. Le raisonnement d'un bon gestionnaire consiste à faire correspondre à une dépense une ressource, de manière équilibrée. L'idée d'un comité de suivi a donc été évoquée. Ce comité pourrait s'articuler sur les travaux du Conseil d'orientation des retraites (COR). Il s'agirait ensuite, d'après le ministre, de confier à un conseil de quatre « sages », le soin d'alerter le Gouvernement en cas de difficultés afin de procéder aux ajustements nécessaires.
L'avenir du système par répartition
En réalité, le système par répartition, qui répartit de manière immédiate, n'a pas d'inertie, ni de « sas de décompression ». Les ajustements doivent alors se faire très rapidement. Nous avons sans doute cru que ce dispositif était valable à très long terme. En période de croissance, le système s'ajuste de lui-même ; au pire, les cotisations doivent être augmentées. En revanche, lorsque la conjoncture économique est moins performante, il convient d'ajuster plus finement. Nous devons tenir compte, en outre, de l'augmentation de la durée de vie. Le phénomène du « papy boom » se juxtaposera également durant deux décennies et augmentera les difficultés momentanées du dispositif.
Néanmoins, nous sommes convaincus que le système par répartition reste le seul qui ne peut pas faire faillite. Il restera toujours une richesse créée à répartir. Par ailleurs, ce dispositif constitue un engagement moral entre les générations, que nous devons tenir. Je rappellerai également que la capacité de consommation des retraités contribue de manière significative à l'activité économique.
Mis à part la réforme des retraites, il a été constaté que, contrairement à l'idée généreuse de 1945, le régime de retraite s'est révélé non pas unique, mais très divers. Les mêmes principes ont été appliqués pour la fonction publique et le secteur privé. Cela n'a pas été le cas des régimes dits spéciaux, même si le régime des artisans s'est fortement rapproché du dispositif unique. Aujourd'hui, il est d'ailleurs prévu que les commerçants s'alignent sur le régime général concernant la retraite complémentaire.
Secteur public et secteur privé
En effet, la solidarité doit s'exercer et il ne faut pas que certains aient le sentiment de davantage contribuer que d'autres pour, au final, moins toucher que d'autres. L'équité nous oblige à un minimum d'harmonisation. Ainsi, la nécessité d'aligner sur 40 ans la durée de cotisation pour la fonction publique me semble évidente à l'heure actuelle pour une meilleure solidarité. Je reconnais tout de même, pour avoir étudié la question dans le détail, que les fonctionnaires ne sont pas les nantis qu'on nous présente. Nous pouvons comparer la différence qui existe entre le moins bien traité des fonctionnaires et le mieux traité, à celle existant entre le salarié du privé le moins bien traité et le salarié le mieux considéré. La différence est plus grande au sein du secteur public.
Le taux effectif de remplacement atteint 60 % dans ce secteur et 59 % au sein du secteur privé. Néanmoins, si rien n'est fait aujourd'hui, dans trente ou quarante ans, ce taux atteindra 40 % dans le secteur privé et restera le même dans le secteur public, ce qui n'est pas acceptable. Ces systèmes ont besoin d'être ré-harmonisés, recadrés, remis à niveau.
De plus, nous avons constaté que des différences n'existaient pas seulement entre le public et le privé, ou entre les régimes spéciaux. Nous nous sommes aperçus que la manière de liquider les retraites aboutissait à de graves injustices. A la suite de la réforme Balladur, ce sont, non plus les 10 meilleures années qui sont prises en compte dans le calcul de la retraite, mais les 25 meilleures années. Or, le calcul de ces meilleures années s'effectue par rapport à chaque régime. Actuellement, nous prenons en compte les 20 meilleures années dans chaque régime. Si vous avez travaillé 20 ans en tant que salarié et 20 ans en tant qu'artisan, ces 40 « meilleures années » seront prises en compte. Alors que ceux qui ont fait toute leur carrière dans un seul régime ont l'avantage d'éliminer les 15 plus mauvaises années ...
De même, les deux années d'apprentissage sont comptées dans le calcul du revenu annuel moyen. Si vous avez travaillé 20 ans, dans le régime des salariés, la prise en compte de ces deux années abaisse votre salaire annuel moyen de 10 %. De plus, vous ne validez que deux trimestres, alors que vous en avez travaillé huit. La retraite de base est donc réduite de 15 ou 20 %. En outre, si un artisan a accepté d'être membre d'un jury d'examen de CAP durant les dix années où il était artisan, il a perçu 300 francs par an. Pendant dix ans, ces 300 francs sont considérés comme des annuités qui s'ajoutent à ses annuités de salarié. La moyenne du revenu tombe alors en dessous du seuil de pauvreté. Il aurait mieux valu pour lui qu'il ne soit jamais jury ! Ces injustices sont bien réelles.
Pour rétablir l'équité, autrement dit proratiser les 20 meilleures années tous régimes confondus, plus d'un milliard d'euros sera nécessaire. S'agissant des très faibles cotisations, leur annulation pure et simple est envisagée.
Finalement, en termes d'harmonisation et d'équité, la réforme va bien au-delà du coeur du problème pour mettre fin à certains manques d'équité.
Conclusion
Je terminerai en dénonçant une autre injustice. Avec certaines organisations salariales, nous ne pouvons accepter que les personnes qui ont commencé à travailler à 14 ans dans des conditions pénibles, qui ont aujourd'hui 57 ou 58 ans et qui sont épuisées, se voient refuser l'accès à la retraite dans des conditions normales. A contrario , beaucoup de leurs collègues sont poussés, dans le même temps, à partir en retraite à 52 ou 53 ans, en raison de plans sociaux.
Nous avons effectué un calcul au sein du Conseil d'orientation des retraites. Le fait que des salariés partent à la retraite bien avant 60 ans engendre un coût colossal. Si toutes les entreprises du secteur privé employaient les seniors comme nous les employons dans l'artisanat, les difficultés financières du régime seraient reportées de plus de dix ans.
J'indiquerai également que les salariés sont plus nombreux au sein des entreprises de moins de 20 salariés que dans les entreprises de plus de 200. Les très petites entreprises continuent encore actuellement à créer des emplois de manière positive. Les plans sociaux, les disparitions d'emplois et l'augmentation du chômage sont donc plutôt à imputer aux grandes entreprises.
La notion d'entreprise citoyenne est réellement d'actualité. Des mesures appropriées et, au besoin, coercitives sont nécessaires, comme nous l'avons expliqué à M. Ernest-Antoine Seillière, ainsi qu'à M. François Fillon.
Recourir à des plans sociaux revient, pour certaines entreprises, à reporter sur la solidarité nationale la gestion de leur pyramide des âges. Cette attitude se révèle non seulement très coûteuse pour notre économie, mais pernicieuse pour l'équilibre de nos systèmes de retraite.
M. le PRÉSIDENT - Etant donné que nous sommes quelque peu en retard, je demanderai aux commissaires de synthétiser leurs questions.
M. Dominique LECLERC, rapporteur - Monsieur le président, je vous remercie de votre exposé et j'essaierai d'être assez concis. J'ai beaucoup apprécié la façon dont vous avez expliqué votre attachement au régime par répartition, en faisant d'abord référence à l'histoire de votre branche depuis 1945. Par ailleurs, vos propos mettent en avant l'importance de la pédagogie. Vous semblez adhérer aux grands traits de la réforme.
Vous liez l'allongement de la durée de cotisation à l'accroissement de la durée de vie et nos concitoyens ont du mal à appréhender ce lien. Les gains mensuels par rapport aux années sont réellement à prendre en compte.
Quant à l'augmentation des cotisations, vos propos très clairs sur l'évolution du PIB m'ont particulièrement intéressé. Auparavant, le PIB reposait sur le produit du travail à 98 %. A ce jour, il bénéficie des mouvements financiers. Vous avez évoqué la CSG qui a une autre destinée que de financer les retraites. Une alternative est donc nécessaire. Elle ne doit être pénalisante, ni pour le monde du travail, ni pour le pouvoir d'achat des retraités et des cotisants. Je souhaiterais que vous précisiez l'assiette diversifiée que vous avez évoquée.
Quant au niveau des retraites, vous avez insisté sur le pouvoir d'achat des retraités et vous souhaitez qu'il soit corrélé à la richesse acquise, au-delà d'une indexation sur les prix inscrite dans la loi.
Vous avez également mis en avant l'équité, qui est très demandée par les Français. Ainsi, vous avez démontré l'importance du travail des seniors, qui permet un allongement de la durée de cotisation. Nous savons que l'artisanat garde plus longtemps ses collaborateurs d'expérience que les grandes entreprises. Au-delà d'une grande campagne nationale, des mesures concrètes doivent être prises. Je souhaiterais que vous expliquiez votre position sur le travail des plus de 55 ans, de manière plus générale.
Vous avez également décrit l'injustice qui touche les pluripensionnés. Retenir les vingt meilleures années, tous régimes confondus, est une solution à étudier.
Concernant les jeunes travailleurs, une évolution progressive est prévue par le texte.
Globalement, vous adhérez à la philosophie de cette réforme, en apportant quelques détails spécifiques à votre branche professionnelle. Votre contribution à la réflexion nous intéresse au plus haut point.
M. Robert BUGUET - Je parlerai sans langue de bois. Selon les médias, la Bourse a connu hier des hausses significatives. Des actions ont augmenté de 15 %. Dans quelle mesure les bénéfices retirés de ces opérations contribuent-ils au financement de la protection sociale de ce pays ? Nous posons la protection sociale comme une valeur républicaine qui cimente notre société. Nous devons nous poser la question de son financement. Pour notre part, nous considérons que l'ensemble de la richesse produite doit contribuer au financement de cette disposition.
Quant au travail des seniors, M. François Fillon nous a présenté le langage qu'il tiendrait au monde patronal. Dans un premier temps, les cotisations ne seront pas augmentées. Néanmoins si le monde patronal persiste dans une attitude non-citoyenne concernant l'emploi des jeunes et des anciens, ces cotisations seront accrues.
Cependant, je lui ai opposé une remarque. La garantie de salaire est passée de 0,10 à 0,35. Comme nous représentons une masse salariale au moins équivalente à celle des grandes entreprises, nous finançons au moins la moitié de cette garantie. Or nous ne mettons pas en place de plans sociaux et nous contribuons à leur financement pour moitié ! De ce point de vue, augmenter les cotisations patronales pour équilibrer le régime ne nous semble pas réellement justifié. Je préconise un dispositif plus coercitif visant les entreprises où la gestion de la pyramide des âges a consisté à faire partir les seniors, sans nécessairement embaucher de juniors non plus d'ailleurs.
M. le PRÉSIDENT - Je passe la parole à Serge Franchis.
M Serge FRANCHIS - Je partage la plupart des points que vous avez évoqués, notamment l'harmonisation minimum nécessaire, la répartition en temps réel des ressources de la Nation et l'indexation des retraites sur un niveau de vie décent. J'ai trop connu de salariés, de retraités et de rentiers vivant dans la misère. Je me souviens, par exemple, d'un ancien commerçant qui avait cessé son activité professionnelle avant la guerre de 1914 et qui avait 85 ans dans les années 50. Il était alors très pauvre, alors que sa situation était normale à son départ en retraite.
Nous gérons donc le problème des retraites dans le temps et nous devons penser aux périodes de crise qui peuvent se produire. Nos systèmes se révèlent fragiles dans ces situations.
Je souhaiterais vous poser deux questions sur les 25 meilleures années à intégrer dans le calcul des retraites du privé. J'observe que, dans les propositions ministérielles, il est prévu que les trois dernières années soient prises en compte pour les salariés de la fonction publique au lieu des six derniers mois. Ces deux régimes sont profondément disparates. La rémunération de fin de carrière est tout à fait différente de la moyenne des 25 meilleures années pour le remplacement des ressources.
Quant à la durée des cotisations - 42 années à terme - cette proposition me semble pertinente. Cependant, que pouvons-nous proposer aux personnes qui, malgré leur bonne volonté ne pourront, en tout état de cause, jamais atteindre ces 42 années ? Nous avons connu une génération qui a prolongé ses études et que le chômage a touchée. Comment ces personnes pourront-elles compenser la différence avec le nombre d'années requis, alors que le régime de retraite deviendra plus strict ?
Quelques dispositions sont prévues dans les propositions de M. François Fillon. Le rachat des cotisations et un outil d'épargne retraite pourraient compenser.
En outre, vous avez évoqué la surcotisation pour obliger les employeurs à accepter de garder les seniors. J'ai observé que dans certains Etats, le taux de chômage se calcule par rapport aux travailleurs de 16 à 74 ans. Quelles sont les propositions des artisans sur l'emploi, et notamment sur les 35 heures, qui pourraient permettre d'améliorer le taux de présence?
M. Robert BUGUET - La question des 25 meilleures années pour le privé et des 3 dernières pour le public est une question plus complexe qu'il n'y paraît. En réalité, très souvent, des fonctionnaires faisaient l'objet de promotion de fin de carrière 8 mois avant leur départ, pour partir avec une meilleure retraite. En passant à 3 années, ce « fait du Prince » commence à être atténué. Le décalage n'est pas si important que cela, mais davantage de temps serait nécessaire pour vous l'expliquer. Nous sommes en face de problèmes d'une rare complexité.
Mes propos pourraient laisser penser que je défends les fonctionnaires ; en réalité, un esprit très cartésien guide mon raisonnement. Il s'agit d'une première étape. Notre dispositif évoluera au fur et à mesure du temps. Ce régime a besoin d'une sérieuse adaptation, mais pas d'une révolution.
Quant à la durée du travail, nous acceptons l'allongement de la durée de cotisation, pour autant, nous n'acceptons pas dans l'artisanat d'augmenter à 61 ou 62 ans l'âge de départ à la retraite, comme le MEDEF le proposait. Aujourd'hui, nous pouvons remarquer que nombre de jeunes, qui ont fait des études, commencent à travailler à 25 ans et s'arrêteront donc à 65 ans.
Vous pouvez regarder les documents qui sont à votre disposition. Nous pouvons toujours plaider pour une équité de cotisation et de calcul de liquidation de pension. Toutefois, une « injustice » perdure : un ouvrier du bâtiment vivra sept ans de moins qu'un cadre.
Les « petites carrières » ont également été évoquées. Elles font l'objet de pénalisations lourdes actuellement. Dans le système privé, un trimestre manquant correspond à 2,5 % de retraite en moins, ce qui est très dissuasif. Si dix années vous manquent, vous partez théoriquement en retraite sans aucune pension. Des évolutions seront nécessaires à terme, quelques jalons ont été posés par le projet de loi.
La richesse produite devra être intégrée. En effet, 1,4 point de croissance, correspondant à une croissance très basse, fait cependant doubler la richesse nationale au bout de 40 ans. Or les raisonnements sont effectués sur la base « d'euros constants » 2003. Prenons le cas de projections effectuées sur l'année 2040. Si le taux de croissance reste à 1,4 % durant les 40 prochaines années, ces euros constants doivent être multipliés par deux car la richesse aura doublé.
Rien n'interdit de financer le surcroît de coût par l'accroissement de richesse. D'ailleurs, les travaux du COR sont éloquents. Un tableau montre qu'augmenter la charge du financement est possible, tout en continuant à faire progresser le pouvoir d'achat et le niveau de vie de nos concitoyens. Nous ne sommes pas habitués à raisonner sur de telles périodes. Les taux de croissance pourraient également être supérieurs à 1,4 %.
En fait, je résume la situation devant mes collègues de la façon suivante : le problème auquel nous serons confrontés d'ici l'année 2040 sera moins difficile à résoudre que l'effort que nous avons déjà dû consentir entre 1960 et l'an 2000. Si, en 1960, quelqu'un nous avait décrit l'effort nécessaire et le coût de la retraite en 2000, cela nous aurait paru insensé. Or nous avons réussi à y faire face. C'est pourquoi mes propos sont optimistes, tout en restant raisonnés.
M. Claude DOMEIZEL - Vous avez évoqué l'allongement de la durée de cotisation. Vous adhérez à cette idée, mais j'aurais aimé que vous nous expliquiez davantage vos réserves sur ce sujet. Quant au niveau des retraites, vous avez préconisé de revoir le dispositif Balladur, particulièrement les 25 annuités. Est-ce que l'UPA souhaite que le dispositif soit revu tout de suite ou plus tard, et pourquoi ? Enfin, le Gouvernement a organisé une concertation ces dernières semaines. L'UPA a-t-elle été conviée à cette réflexion ?
M. Robert BUGUET - Je répondrai d'abord à votre troisième question. Nous avons participé à la concertation et cela a représenté 36 heures de discussion. Ces pourparlers étaient à la fois difficiles et passionnants.
M. Jean CHÉRIOUX - J'insisterai sur le caractère totalement objectif de ce qui vient de nous être dit. Dans un débat tel que celui de ce jour, cette objectivité est impérative. Celle-ci nous incite à oublier les aspects partisans de nos positions et indiscutablement, nous en avons besoin pour résoudre le problème.
J'ai été également étonné que vous évoquiez une solution évolutive au problème des retraites. Vous avez expliqué que nous ne pourrions tout résoudre maintenant et qu'il n'était pas nécessaire de dégager des sommes dans l'immédiat. Est-ce que vous estimez tout de même que, parce qu'un lissage devra être effectué, nous devons continuer à mettre de l'argent dans un fonds de garantie ?
M. Alain VASSELLE - Je trouve remarquable la tonalité de ces propos et des commentaires de fond sur la réforme des retraites. Je me réjouis que la Commission commence ses travaux dans des conditions qui permettent un débat riche et intéressant.
Je poserai trois questions.
En premier lieu, devons-nous conclure que l'UPA est favorable à une mesure qui permette qu'une partie de la CSG soit affectée au financement des retraites ? Ou bien considérez-vous que cela est déjà le cas aujourd'hui ? J'indiquerai que la CSG contribuerait bien au financement des retraites si des manipulations n'avaient été effectuées sur le fonds de solidarité vieillesse (FSV). Il était prévu que les excédents dégagés par le FSV, lui-même alimenté par le produit de la CSG, qui a l'assiette que vous espérez, devaient financer les besoins futurs des retraites.
En deuxième lieu, quant à l'épargne retraite, pensez-vous que le dispositif actuel pour les artisans est satisfaisant ou que nous devons aller plus avant ?
Enfin, je souhaite revenir sur les propos de M. Serge Franchis sur les 3 années opposées aux 25 ans. Pouvez-vous affirmer que, prendre en compte les 3 dernières années de salaire comme référence pour le calcul des retraites des fonctionnaires, permettra d'atteindre la neutralité actuelle ? En effet, les revenus de remplacement sont assurés à des niveaux équivalents aujourd'hui par le privé et le public. Cependant, vous nous avez expliqué que si aucune mesure n'est prise, le privé assurera 40 % des revenus de remplacement, alors que le public restera à 60 %.
M. Louis SOUVET - Monsieur le président, je crois pouvoir m'honorer d'être de ceux que vous connaissez bien. En effet, je rapporte les textes sur la législation du travail depuis 1980 et j'ai toujours eu le souci d'entendre l'UPA.
J'aimerais revenir sur une image qui est véhiculée assez facilement. Je ne suis pas un boursicoteur. Vous avez donné un chiffre sur la Bourse tout à l'heure. Mes journées commencent trop tôt et finissent trop tard pour que je regarde la télévision. J'écoute donc la radio. J'ai entendu effectivement hier que la Bourse avait grimpé. Cependant, le commentateur a ajouté que nous ne perdions plus qu'environ 4 % depuis le début de l'année : une personne ayant placé 100 euros en début d'année n'avait encore réussi à récupérer que 93 euros hier. Les profits ne se réalisent donc pas à la Bourse, mais ailleurs.
Mme Annick BOCANDÉ - Monsieur le président, le commerce, l'artisanat et d'autres professions possèdent une spécificité. Il s'agit des conjoints collaborateurs, qui pour le moment ne sont pas les mieux traités dans le domaine des retraites. Comment envisagez-vous d'offrir à ces personnes des retraites convenables ?
M. Guy FISCHER - J'évoquerai « le fait du Prince », qui permettrait que les fonctionnaires partent avec une retraite plus honorable que les salariés privés. Or souvent, les dix dernières années sont bloquées au niveau de l'évolution. En outre, les différences de salaires à l'intérieur de la fonction publique sont significatives.
M. Robert BUGUET - Je reste prudent sur la différence entre le privé et le public au niveau des retraites ; c'est une question plus complexe qu'il n'y paraît. Je préciserai tout de même que les fonctionnaires ont tout intérêt, demain, à voir se rapprocher les dispositifs. J'estime que la retraite est un sujet qui doit transcender nos clivages politiques. Les conversations au conseil des retraites ont été ainsi très édifiantes et constructives. C'est pourquoi je reste confiant.
Chacun est convaincu que quelque chose doit être fait, mais les erreurs du passé ne seront pas effacées par une loi. Vingt ans seraient nécessaires si nous voulons changer tout le dispositif. Certaines iniquités persisteront.
Concernant l'allongement du temps de cotisation, nous prônons la retraite à 60 ans. Nous n'avons pas de raison objective de changer notre position, d'autant plus que la durée de vie augmente. Si en 1960, il nous avait été dit qu'en l'an 2000 nous aurions 20 ans d'espérance de retraite, personne ne l'aurait cru. Or c'est bien la réalité.
Quant au dispositif Balladur, je constaterai qu'à ce jour, le niveau de vie des retraités équivaut environ au niveau de vie des actifs. Ce constat nous interpelle certes. Cette moyenne cache des injustices, pour autant la priorité n'est sans doute pas d'augmenter le niveau des retraites. En outre, il ne suffit pas de l'indexer sur le coût de la vie, sinon les niveaux de vie futurs seront très bas. Si nous l'indexons sur l'accroissement de la richesse, donc sur les salaires, les salariés actuels seront fortement ponctionnés. Donc nous pouvons suggérer que, dans le cas d'un accroissement de la richesse nationale significatif, ce dernier permette de donner un « coup de pouce » aux retraites.
Par ailleurs, dans un système comme le nôtre qui se réajuste en temps réel, un fonds de garantie ne semble pas nécessaire. Il est uniquement justifié aujourd'hui par l'effet « papy boom ». Ce phénomène crée un surcroît de charge que l'on impute uniquement à la génération suivante. Je préciserai que, en France, le taux de natalité, qui s'élève à 1,9, reste très satisfaisant. Si nous étions dans le cas de pays de l'Europe du Sud où le taux est plus bas, à 1,4, serait requis 0,4 point de PIB de plus pour financer les retraites.
L'épargne retraite est un bon dispositif, mais il avantage les revenus les plus élevés. De plus, ce dispositif ne fonctionne que parce qu'il est défiscalisé. Sauf à appliquer le modèle suédois, autrement dit, une épargne obligatoire pour chacun et gérée en commun, ce qui est, il faut le reconnaître, très éloigné de notre perception des fonds de pension.
M. le PRÉSIDENT - Monsieur le président, voulez-vous avoir la gentillesse de répondre par écrit aux questions restantes ? Nous devons maintenant passer à l'intervention suivante.
Audition de M.
Jean-François VEYSSET
vice-président de la
Confédération générale des petites et moyennes
entreprises
(CGPME)
(mardi 29 avril 2003)
M. Nicolas ABOUT, président - Comme convenu, nous attendons de vous que vous nous indiquiez votre point de vue sur les propositions du Gouvernement puis les commissaires se livreront avec vous au jeu des questions.
M. Jean-François VEYSSET - Mesdames et messieurs les sénateurs, je crois utile de confirmer tout d'abord notre adhésion à la méthodologie retenue par le Gouvernement pour, enfin, se saisir du problème des retraites. Les contributions des partenaires sociaux ont été prises en compte dans le contenu et l'argumentation du projet de loi. La CGPME a été très présente au sein de l'organisme d'observation en vue de ce projet. Ainsi, nous étions informés très en amont des données économiques nécessaires à la réflexion.
Nous partageons le rapport Charpin sur le constat, mais nous avons combattu le rapport Teulade. Ce rapport ne tenait pas compte de l'actualisation des revenus et de ses conséquences sur les retraites ; de plus, il prônait de ne pas agir dans l'immédiat.
L'horizon à prendre en compte : 2020 ou 2040
L'axe de réflexion actuel est de prévoir à l'horizon 2020 et 2040 ce qui se passera. La démographie nous montre que le nombre d'actifs par rapport au nombre de retraités est préoccupant. Si nous tenons compte du taux de chômage actuel de 9 %, environ 23 milliards d'euros manqueront en 2020 dans le secteur privé. Concernant les régimes publics civils et militaires, associés aux régimes spéciaux, un manque de 37 milliards d'euros serait envisagé à la même date. En 2020, le manque de financement global s'élèverait donc à 60 milliards d'euros. La dépense pour les retraites représentera 15 % du PIB, alors qu'aujourd'hui elle représente 12 %.
Nous avons donc été très vigilants lors des débats au sein du groupe confédéral. J'ai eu l'honneur de défendre la représentation des petites et moyennes entreprises, enracinées dans le territoire. Nous avons ainsi voulu freiner les velléités des syndicats de salariés, qui refusaient de s'inscrire dans un concept d'équilibre des régimes de retraite par répartition. Ces syndicats souhaitaient mettre fin à certaines iniquités. Cependant cela se serait révélé très coûteux et serait venu complexifier le problème plutôt qu'apporter des solutions.
Nous considérons que l'équité en matière de durée est une solution prioritaire pour les retraites. Nous appuyons ainsi l'idée que les régimes de retraites du secteur public rejoignent le régime général pour la durée de cotisation. Nous posons également la question de la généralisation des 40 ans et de la mise en place d'une démarche complémentaire dès maintenant.
Nous ne souhaitons pas la hausse des cotisations dans la conjoncture difficile actuelle.
Vous êtes sans doute destinataires d'un document qui reprend les principes généraux et les objectifs ainsi que les moyens de la réforme, base sur laquelle le groupe confédéral s'est accordé, mais qui reste critiquable. Nous sommes notamment déçus car l'allongement n'est pas présenté comme l'axe premier. En outre, l'épargne est évoquée. Mais un système type loi Madelin aurait dû être précisé, qui encourage ceux qui auraient recours à cette épargne retraite, qui est souvent un substitutif à des heurts de carrière voire à des parcours internationaux.
Enfin, maintenir les pensions de retraite calées sur un concept de haut niveau ne nous semble pas judicieux. Nous ne pouvons plus qu'actualiser les retraites sur les prix. Actualiser sur les salaires n'est plus possible d'autant plus que le niveau du SMIC sera harmonisé sous peu ce qui demandera un effort minimum de 15 % sur 3 ans.
La position de la CGPME sur le projet de loi Fillon
Je détaillerai maintenant notre perception du travail du Gouvernement à travers le projet Fillon.
Au niveau du champ de ce projet de loi, il concerne certes le régime général des salariés et les régimes de la fonction publique. Cependant, nous avons eu la surprise de constater le développement d'un régime obligatoire pour les commerçants, qui existe déjà pour les artisans. Cela entraînera des difficultés. De plus, ce développement devrait concerner également l'ensemble des non-salariés, qui appartiennent à la catégorie des indépendants sans pour autant faire partie des régimes des professions libérales ou des agriculteurs. Nous recommandons une grande vigilance lors de la généralisation de cette obligation complémentaire.
Quant à la structure du projet, nous approuvons que l'exposé sur les motifs reprenne les travaux du groupe confédéral. Nous prônons de rester attentifs aux contributions des différentes organisations.
Les titres seraient au nombre de cinq.
Les principes généraux
Le premier titre concernerait les principes généraux. Le statut du C.O.R. serait le premier de ces principes. La loi donnerait à ce conseil d'orientation, chargé du suivi de l'évolution des régimes, davantage d'autorité sur les organismes et observatoires concernés. En effet, obtenir les données chiffrées des organismes de retraites est difficile. Toutefois, nous avons insisté, avec le MEDEF, pour que ce conseil ne soit jamais un organisme de normalisation. Il peut proposer des scenarii.
Par ailleurs, nous avions demandé la création d'un comité de pilotage qui se serait situé entre le comité de suivi et les travaux parlementaires : aucune réponse ne nous a été fournie. Nous avons appris depuis la création d'une commission ad hoc qui ne serait composée que de trois ou quatre responsables.
Le régime général
Le régime général constituerait le deuxième titre. Les deux représentants du ministre Delevoye ont été très clairs. Nous sommes face à de très grandes difficultés. Par conséquent, l'idée de proposer un alignement général sur 37 années et demie est à écarter définitivement. Les mesures du Gouvernement Balladur ne sont pas à remettre en cause.
En outre, l'injustice actuelle concernant les pluripensionnés a divisé les représentants du patronat. Si vous alternez une appartenance au régime général, au régime artisanal et au régime des commerçants, les conditions de durée et de salaires sont additionnées au lieu d'être proratisées. Une mesure serait envisagée pour mettre fin à cette iniquité, mais elle coûterait un milliard d'euros.
J'aborderai le chapitre des économies possibles. Une perspective de passer d'ici 2020 à 41 ans trois quarts de durée de cotisation existerait. En 2040, l'allongement se situerait à 44 ans. Pour 2020, cela représente une économie de 3,3 milliards d'euros. Par ailleurs, il reste le problème de l'amoindrissement des retraites en cas d'anticipation, lorsque le nombre de trimestres n'est pas suffisant. Il serait envisagé de passer d'un concept de 40 années correspondant à 150 trimestres à 40 années pour 160 trimestres. L'économie serait alors de 1,7 milliard d'euros à l'horizon 2020.
Enfin, dans le cadre de l'élargissement du cumul emploi retraite, par effet de sur-côte, une économie d'un milliard d'euros peut être réalisée. En effet, les personnes continueraient à cotiser tout en prenant quelques points supplémentaires de retraite. Comme celles-ci prolongeraient également leurs versements aux autres institutions de protection sociale, un effet général de meilleures ressources serait constaté.
Par conséquent, sur les 15 millions d'euros de déficit affichés par le Gouvernement, chiffre sur lequel nous ne sommes d'ailleurs pas d'accord, manqueraient encore 10 milliards. L'économie est de 6 milliards mais est ajouté 1 milliard de dépenses. Ces 10 milliards manquants représentent environ 10 % du financement global nécessaire aux régimes de retraite. Nous avons fortement réagi face à cela. Je rappellerai que ces chiffres sont établis sur une croissance qui progresserait régulièrement de 2,5 % mais également sur un taux de chômage ramené à 4,5 %. Je rappelle que ce taux est de 9 % actuellement. La CGPME ne s'inscrit donc pas dans cette perspective optimiste.
Le régime public
Quant au troisième titre, il concernerait le régime public. Nous partageons le concept de convergence de durée pour tous en 2008. Au-delà de cela, un principe a été évoqué : deux années d'activité pour une année de retraite.
Les non-salariés
Les non-salariés sont évoqués dans le quatrième titre. L'équité concernant la proratisation des règles de durée et de calcul du revenu moyen a été mise en avant. En outre, l'obligation d'un régime complémentaire nous semble incontournable dans la mesure où deux tiers des petites et moyennes entreprises que nous représentons sont encore en exploitation personnelle. Le chef d'entreprise a ainsi le statut de non-salarié. Le statut des conjoints et des conjointes représente, en outre, une problématique particulièrement importante. M. Dutreil nous a promis d'aborder ce sujet au deuxième semestre et nous comptons sur lui pour, au moins, travailler ensemble sur ce point.
L'épargne retraite
L'ouverture sur l'épargne retraite, avec incitation fiscale, serait abordée en cinquième position.
Nous avons eu communication d'un certain nombre de points, avant de procéder à un dernier tour de table des acteurs du groupe confédéral. Tout d'abord, le fonds de réserve des retraites a été évoqué. Un prélèvement obligatoire affecté serait mis en place. Vous serez peut-être mieux informés que nous sur ce point important. Sans un fonds d'un certain montant, en cas de difficulté conjoncturelle même temporaire, aucun lissage ne pourrait être effectué. Nous devons être certains qu'il sera constitué.
Quant aux départs à la retraite avant 60 ans, leurs coûts sont particulièrement préoccupants. Ils se situent entre 2 et 13 milliards d'euros. Faute de moyens, cette piste doit être abandonnée. M. François Fillon a tout de même évoqué certaines conditions pour y accéder. Néanmoins ces conditions sont telles qu'elles ne concerneront qu'un nombre limité de personnes par rapport au 1,3 million d'individus qui ont réuni à ce jour les 160 trimestres sans avoir 60 ans. Ces trimestres sont validés, mais pas forcément contributifs. Une distinction doit être établie entre ces deux notions. Ces trimestres sont parfois octroyés de manière discriminatoire. Certaines personnes ont pu bénéficier pour trois mois de travail de leurs quatre trimestres annuels, d'autres se sont trouvés avec des validations de trimestres sans aucun revenu. M. Buguet vous en a sans doute parlé.
Concernant les petites retraites, nous regrettons que différencier ce qui relève de la solidarité et du contributif soit aussi improbable. Nous ne formulons pas de demande pour un taux de remplacement qui pourrait s'approcher de 75 % pour ceux qui ont été rémunérés au SMIC pendant toute leur carrière. Cependant, nous veillerons à ce que la solidarité ne rattrape pas trop vite et dépasse l'effort contributif de certaines couches de la population, notamment dans les milieux ruraux.
Conclusion
Pour terminer, je vous communiquerai notre position telle que je l'ai expliquée à MM. François Fillon et Jean-Paul Delevoye. Nous considérons que les hypothèses envisagées sont insuffisantes, même si elles sont courageuses après des années de laisser-aller.
Certes, ces hypothèses freinent la dégradation de la situation, mais elles ne résolvent pas le manque de financement à l'horizon 2020. De plus, les entreprises de moins de 10 salariés dans les territoires sont encore nombreuses à ne pas réussir à recruter de nouveaux collaborateurs. Ainsi notre confédération ne croit pas à un chômage résiduel de 4,5 % en 2010. Je rappelle que, fin 2003, le taux de chômage risque de dépasser les 10 %. Dès lors, notre demande d'un nouvel allongement pour tous, ne serait-ce que de quelques mois, semble incontournable dès maintenant, tout comme la revalorisation des pensions sur la seule base de l'évolution des prix. Enfin, nous considérons urgent de créer avec incitation fiscale un troisième étage à travers l'épargne retraite.
Je vous remercie de votre attention et je suis prêt à répondre à vos curiosités.
M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie de cet exposé très clair. La première question sera posée par M. Dominique Leclerc.
M. Dominique LECLERC, rapporteur - Je vous remercie et je note tout d'abord votre adhésion à la méthodologie du projet de loi. Vous nous avez fait part de vos préoccupations, et surtout de vos suggestions. Je reviendrai sur les travaux du COR, lieu de concertation et d'évaluation. Ces travaux sont partis d'une hypothèse d'un taux d'emploi qui permettrait de limiter le chômage à 4 ou 5 %. Vous savez que notre difficulté actuelle, au-delà de la durée de cotisation ou des taux de remplacement, se situe surtout sur le plan démographique. Nous croyons les uns et les autres que demain, nous pourrons opposer au déficit démographique un meilleur taux d'emploi grâce à la formation. Vous évoquez un manque de 10 milliards d'euros dans l'équation proposée par le Gouvernement. Néanmoins la perspective est à l'horizon 2020 et cette réforme est évolutive, avec un rendez-vous tous les 5 ans. Je souhaiterais que vous nous précisiez votre avis sur ce pari sur l'emploi, qui permettrait le transfert des cotisations chômage sur des points retraites, pari qui semble réalisable.
M. le PRÉSIDENT - Monsieur le président, vous étiez plutôt pessimiste tout à l'heure ; êtes-vous devenu optimiste ?
M Jean-François VEYSSET - Je répondrai par la négative. Je ne partage pas l'explication suivante : trouver les 10 milliards d'euros manquants à travers un mieux être de l'assurance chômage. Nous connaissons actuellement une période particulièrement difficile puisque le chômage augmente. Nous avons souscrit, certes avec la bénédiction de l'Etat, un emprunt. Si la situation de l'emploi s'améliore, alors que nous ne créons plus d'emplois, l'effet ne peut être que très différé. En effet, nous devrons d'abord rembourser l'emprunt avant d'obtenir un solde positif à réaffecter. Je rappelle que, si nous avons prévu de ramener l'assurance chômage à une situation excédentaire d'ici trois ans, nous ne serons libérés de l'emprunt que dans cinq ou six ans au mieux. Nous serons déjà en 2009.
Par conséquent, nous devrons faire face à une difficulté. D'une part, nous devrons essayer de ne pas effrayer nos concitoyens en annonçant des mesures encore plus difficiles que celles qui sont envisagées. D'autre part, nous devrons veiller à ne pas nous fermer la possibilité de revoir ce qui sera décidé sous peu et dans cinq ans. J'estime d'ailleurs qu'un rendez-vous intermédiaire sera indispensable pour maintenir les chances de réussite de ce projet. Nous pourrons mieux cerner comment nos concitoyens répartiront leur revenu d'ici quelque temps. En effet, une étude démographique du conseil économique prouve que, au fil des années, les dépenses des ménages consacrées au logement, à la nourriture et aux loisirs varient.
Ainsi, nous pouvons considérer qu'une part un peu plus importante du revenu soit consacrée aux systèmes de protection sociale dont les retraites.
M. Claude DOMEIZEL - Je vous remercie de votre long exposé sur le projet de loi. Cet exposé me permet de constater que vous êtes capable de présenter le projet du Gouvernement ; peut-être que la réciproque est vraie et que M. François Fillon est prêt à présenter le projet de loi de la CGPME et du MEDEF. En outre, cela me permet d'éviter de vous poser la question de votre participation à la concertation.
J'en reviens à vos propos. J'ai bien saisi que vous aviez donné la priorité à la durée et vous avez très bien expliqué pourquoi. Vous avez rejeté la hausse des cotisations ou d'autres financements. J'aimerais avoir davantage de précisions sur les motivations de ce rejet.
M. Jean CHÉRIOUX - J'estime que ce problème est trop crucial pour polémiquer et le souci d'objectivité doit être très grand. Monsieur le président, vous nous avez expliqué que le COR est un organisme pertinent mais ses travaux ne doivent pas donner lieu à des décisions normatives. Il ne doit pas se substituer à la responsabilité politique, je suis d'accord avec vous. En revanche, j'ai été étonné que vous ne souhaitiez pas davantage d'informations sur les travaux du COR pour éclairer l'opinion publique.
Etant donné que l'objectivité est primordiale et que, certainement, cet organisme possède l'approche la plus objective, j'estime que nous devons parfaitement connaître les positions du COR. Mettriez-vous en cause son objectivité ?
M. Serge FRANCHIS - Dans notre société, je considère qu'une certaine contradiction dans nos législations existe. Tantôt, des textes nous empêchent de travailler davantage, avec la loi sur les 35 heures. Aujourd'hui, l'allongement de la durée d'activité est évoqué.
Je vous poserai deux brèves questions. Concernant les fins de carrière, êtes-vous favorable au développement du travail à temps partiel ? En outre, quel est, à votre avis, l'âge de fin d'activité ? Certains Etats de l'Europe vont plus loin que 65 ans.
M. André LARDEUX - Ma question vient en complément de l'intervention de M. Serge Franchis. Vous avez évoqué la durée de cotisation, mais le projet affiche le maintien de la retraite à 60 ans. Or l'Allemagne est en pourparlers pour fixer la retraite à 67 ans. En Autriche, 65 ans est l'âge discuté en ce moment, d'où certains mouvements sociaux. Pouvons-nous prôner à la fois d'augmenter la durée de cotisation et de maintenir le droit au départ à la retraite à partir de 60 ans ?
M. Alain VASSELLE - Monsieur le président, il me semble que vous n'avez pas évoqué l'une des mesures du projet, à savoir le maintien de l'activité des seniors. Aujourd'hui, la moyenne de départ à la retraite tourne autour de 50 ans. Quelle est la position de la CGPME ? Etes-vous prêt à accompagner le Gouvernement sur ce sujet ?
M. Jean-François VEYSSET - Je tenterai d'être synthétique. Nous ne sommes effectivement pas favorables à la hausse des cotisations pour financer les retraites, alors qu'un effort contributif sera nécessaire, effort qui remettra d'ailleurs probablement en cause la notion de stabilisation des prélèvements obligatoires.
En réalité, je suis également responsable du secteur maladie. L'état actuel des dépenses en matière de maladie est tel qu'un effort contributif sera incontournable. Nous ne pouvons pas demander aux mêmes personnes de contribuer davantage sur tout, en même temps. Je peux revenir vous parler du projet Mattei, vous verrez qu'il est tout aussi préoccupant.
En outre, la communication sera bien un point clé de la réforme. Chacun de nos concitoyens devra savoir clairement, de plus en plus tôt, quelles sont ses perspectives de retraite. A partir de là, ils comprendront mieux certaines nécessités : maintenir l'équilibre, continuer à croire demain au régime par répartition. N'oublions pas que les actifs du moment paient pour les retraités du moment. L'effort sera demandé à des personnes dont les enfants et les petits-enfants à leur tour devront encore croire au système. Nous sommes dans l'intergénérationnel.
Je considère que le travail des seniors et les fins de carrière représentent une grande difficulté. Nous sommes plus à l'aise en tant que représentants de petites structures pour dénoncer des licenciements et des départs à la retraite anticipés. Ces décisions proviennent généralement d'outre-atlantique. Cela s'inscrit dans une tendance à la délocalisation et à une certaine déstructuration qui est observée non seulement dans l'industrie, mais aussi dans le secteur des services. Cette tendance est préoccupante.
En outre, nous ne réussirons à améliorer les fins de carrières qu'à condition de comprendre que d'autres partages de temps, tels que le mi-temps, sont nécessaires. Nous devons être vigilants, le temps partiel a des limites en fonction des temps de transport pour aller de son domicile au lieu d'exécution du travail. Il ne faut pas non plus conforter le temps partiel imposé. Les concertations territoriales et locales sont à développer davantage.
Enfin, nous devons nous convaincre que, lorsque nous avançons en âge, nous ne gardons pas forcément nos capacités de productivité. Par conséquent, la rémunération n'est pas forcément une ligne droite ascendante ; au bout d'un certain temps, cette courbe devra fléchir, à un moment d'ailleurs où les besoins sont différents.
Concernant le départ à 60 ans, je considère qu'il s'agit d'un trompe-l'oeil. En effet, si nous n'avons pas les trimestrialités requises, les conditions imposées de diminution de retraite ou de complément de retraite sont telles que cela dissuade 99 % des personnes. Aujourd'hui, l'âge de la retraite est, en fait, davantage 65 ans que 60. Les personnes, notamment les femmes, qui n'atteignent pas 25 années, même si elles ont 60 ans et plus, ne peuvent pas faire valoir le droit à leur liquidation de retraite. Le faire valoir revient à accepter une diminution de moitié de leur retraite.
En outre, nous devrons faciliter plus largement le cumul emploi retraite. Cependant nous devons définir les limites de ce cumul, qui ne doit pas être un obstacle à l'embauche des jeunes. Trop nombreux sont les juniors qui ne trouvent pas place rapidement sur le marché du travail. Je considère nécessaire de développer la formation, pour deux raisons.
D'une part, la formation permet d'atténuer les handicaps de ceux qui sortent du système scolaire sans avoir acquis les fondements de la lecture et du calcul, pour un minimum de compréhension des règles de sécurité notamment.
D'autre part, les connaissances doivent être actualisées tout au long d'une carrière pour rester en activité. Par ailleurs, nous pouvons envisager de valider des trimestrialités pour ceux qui ont une activité bénévole.
M. le PRÉSIDENT - Monsieur le président, je vous remercie.
Audition de M. Guy
ROBERT,
secrétaire général de l'union nationale des
professions libérales (UNAPL)
(mardi 29 avril 2003)
M. Nicolas ABOUT, président - Monsieur le secrétaire général, nous attendons de vous que vous nous indiquiez vos réactions sur les propositions du Gouvernement, puis notre rapporteur et les commissaires vous poseront quelques questions.
M. Guy ROBERT - 60 % des professions libérales sont des professions de santé. Celles-ci comptent de moins en moins de salariés. Les professions techniques et juridiques représentent l'autre partie des professions libérales.
La situation des professions libérales en matière de retraite
Nous sommes très satisfaits que le Gouvernement s'attaque profondément au problème des retraites et nous accompagnons cette démarche avec beaucoup d'attention. Il était temps de prendre à bras le corps ce problème, qui préoccupe tous nos concitoyens et qui concerne notre avenir. Nous souhaitons que la solidarité soit mise en avant, car notre système par répartition doit demeurer, ainsi que l'équité et la responsabilité. Nous avons 13 caisses autonomes, qui n'ont réussi que partiellement, sur la question de base, à s'unir. Cependant, la caisse nationale des professions libérales existe et gère la retraite de base. Elle regroupe 12 caisses, excepté celle des avocats. Ces derniers ont des problèmes d'aide juridictionnelle qu'il faut traiter à part. Malgré cette dispersion, nous sommes d'accord sur la nécessité d'une réforme générale de la retraite et sur les moyens de faire évoluer nos propres caisses de retraite.
Nous sommes répartis sur tout le territoire. Actuellement, la transmission des cabinets, des officines, des études pose problème différemment selon l'emplacement géographique, dans le monde rural, en ville ou en périphérie. Cette transmission ne se fait plus et le personnel ne trouve pas forcément de nouvel employeur.
La position de l'UNAPL sur le projet de loi Fillon
Je reprendrai ce que prévoit le Gouvernement pour unifier l'ensemble des retraites et trouver des solutions, comme l'allongement de la durée du travail et l'équilibre entre le public et le privé. Nous sommes parfaitement en phase avec lui et nous devons tenir bon dans ce domaine.
Les professions libérales forment un monde à part. La moyenne d'âge d'entrée dans la vie active s'élève à 36 ans. Si la durée de cotisation est prolongée, nous arrivons à des âges conséquents. Pour les avocats, cette durée est de 40 ans, pour les autres, elle atteint 37 années et demie. Nous devons trouver des solutions pour ces professionnels qui ont bac + 8 à bac + 10 et qui doivent effectuer des stages au début de leur carrière. Nous devons améliorer ces retraites qui ont été d'abord salariées, puis libérales.
Nous voulons également faire en sorte que l'entrée dans la vie libérale soit plus rapide, à l'aide d'une vision plus large de l'activité salariée. En effet, aujourd'hui nous considérons qu'une activité est soit salariée, soit libérale. Lorsque quelqu'un veut intégrer un cabinet, il est d'abord collaborateur. L'URSSAF considère alors que la personne est salariée et les charges sociales sont à payer. Un contrat de collaborateur libéral devrait être créé pour permettre d'accéder à la profession, ainsi que cotiser aux caisses de retraites plus tôt.
De plus, les personnes qui possèdent un bac +8 ou +10 devraient avoir la possibilité de racheter des points selon leurs études pour un meilleur équilibre. Un chirurgien de 65 ou 70 ans a davantage de mal à travailler qu'une personne de 40 ans. Malgré les compétences, la fatigue s'impose. Nous devons ainsi prévoir les moyens d'une entrée plus précoce dans la profession, mais également d'en sortir plus tôt, quitte à perdre quelques avantages au niveau de la retraite et à trouver une autre manière d'exercer sa profession.
Par conséquent, notre objectif est de trouver au sein de nos propres caisses de retraites des solutions d'unification meilleures, notamment sur le régime de base. Chacun cotisera ainsi de manière proportionnelle à ses revenus. En outre, chacun cotisera de la même façon pour la partie fixe forfaitaire. Pour le moment, cette partie fixe varie de 1 à 1,8. Nous travaillons à ces solutions et nous souhaitons que les pouvoirs publics nous aident dans notre réflexion. La solidarité interprofessionnelle doit très bien fonctionner au sein de notre propre exercice.
Nous avions une obligation de réversion nationale très forte à une époque, qui a cependant été modifiée par les différentes mesures concernant les retraites. Ainsi, un jeune avocat qui venait de s'installer concédait 8.000 francs par an pour la réversion nationale, somme équivalente à un mois de revenu. L'élargissement de l'assiette des cotisations générales a mis fin à cette pratique, mais nous subissons toujours des iniquités.
Nos conjoints ne touchent que 50 % de nos retraites et nous souhaitons que ceux-ci soient alignés sur 54 %, comme dans d'autres secteurs d'activité.
Par ailleurs, nous ne sommes pas éligibles au fonds de réserve des retraites. Il est vrai que nos 13 caisses de retraites sont parfaitement bien gérées. Etant donné que nous entretenons de très bons rapports avec les cotisants et les prestataires, cela empêche notre éligibilité. Toutefois, les professions libérales représentent un secteur d'activité éminemment mouvant. Les formes d'exercice varient considérablement.
Ainsi, dans le monde rural, des regroupements sont nécessaires et certains professionnels se retrouvent salariés. Nous souhaitons que ces salariés d'entreprises libérales cotisent à nos caisses de retraite, sinon les fonds seront trop réduits. La création des sociétés d'exercice libéral a conduit un secteur d'activité tel que les géomètres experts à changer de régime. La C3S, qui devrait rééquilibrer ces mises en société, n'est pas versée à un fonds qui équilibrerait nos régimes, mais à d'autres caisses moins solides que les nôtres. Nous devons rester vigilants afin de ne pas être amenés à faire appel à la solidarité nationale, alors que nous aurions pu prévoir plus tôt une quote-part de la C3S versée à nos fonds de retraite. Nous comprenons parfaitement que, par cette mesure, nous aidions les régimes déficients mais nous considérons qu'une part doit revenir à l'activité libérale.
Nous souhaitons, par ailleurs, développer l'aide complémentaire et continuer à gérer nos régimes complémentaires. Nous voulons nous laisser toute possibilité d'outils d'épargne retraite. Ainsi, l'UNAPL a signé avec la CFDT et FO un accord d'épargne salariale qui concerne la majorité des professions libérales. Les petits patrons et leurs employés peuvent notamment participer, avec un même fonds, à la mise en place d'une retraite complémentaire meilleure.
M. Dominique LECLERC, rapporteur - Monsieur le secrétaire général, nous avons constaté votre satisfaction de voir enfin abordé le problème des retraites.
Vous avez également évoqué la possibilité de l'accompagner, dans la mesure où ce problème est national et que les solidarités interprofessionnelles doivent s'exprimer.
Vous avez terminé votre exposé par des propos liés à la démographie. Ainsi la démographie des professions libérales semble favorable. Néanmoins, en amont, l'intégration d'une période salariée suscite des interrogations ; en outre, en aval, un autre problème est posé par la variation de l'activité au cours de la vie professionnelle. Parfois des professionnels libéraux se reconvertissent en salariés et quittent alors vos caisses. Par conséquent, vous devriez pouvoir devenir éligible au fonds de réserve des retraites à l'avenir.
J'évoquerai enfin la démographie. 60 % de vos adhérents appartiennent au monde médical. Or, une certaine pénurie est observée aujourd'hui. Dans le projet de loi, le cumul emploi retraite est évoqué. Avez-vous des propositions pour favoriser celui-ci ? Je pense à la pénurie de médecins et d'infirmières libérales. Le cumul emploi retraite pourrait pallier ce déficit.
M. Guy ROBERT - Concernant les professions de santé, nous pouvons être étonnés que, quatre ou cinq ans en arrière, les praticiens étaient considérés comme trop nombreux. Des médecins étaient contraints de partir à la retraite. Aujourd'hui, nous en manquons. Les prévisions ne sont pas effectuées correctement alors que la démographie reste tout de même une science précise.
Nous sommes effectivement favorables au cumul emploi retraite. Nous devons élaborer des solutions de retraite progressive qui permettrait une activité en soutien dans des domaines où les praticiens manquent. Ainsi les infirmières sont trop peu nombreuses et nous avons oublié d'en former. Par ailleurs, les professions de ce type sont davantage attirées par le public que par l'exercice libéral à cause des 35 heures et des avantages sociaux du salariat. Etre infirmière libérale exige beaucoup de courage pour exercer, notamment dans le monde rural. L'appétence à cet exercice n'est plus le même.
Nous prônons donc une modulation dans la sortie de l'exercice, sachant que la durée de vie augmente. Un homme et une femme de 70 ans aujourd'hui correspondent sans doute à un couple de 65 ans il y a vingt ans. Pour certains, une durée plus longue de travail peut être envisagée, surtout pour les métiers dans lesquels nous rentrons assez tôt. Des infirmières peuvent avoir atteint les 40 ans de cotisation et être encore prêtes à travailler.
M. Claude DOMEIZEL - Je vous remercie de votre exposé. Votre intervention est d'autant plus intéressante que, en tant que représentant des professions libérales, vous êtes au coeur des difficultés de la retraite. Ainsi, l'entrée dans la vie active libérale est tardive et vos professions ne peuvent tolérer la présence de personnes trop âgées.
Je vous poserai trois questions. Concernant la solidarité inter-régime, vous avez évoqué la réversion, avez-vous des propositions à formuler ? Par ailleurs, pour notre information, quel est le taux de cotisation pour la retraite des professions libérales ? Enfin, avez-vous participé à la concertation sur les retraites ?
M. Guy ROBERT - Nous faisons partie de la commission nationale des négociations collectives (CNNC) depuis 5 ans. Notre organisme, qui regroupe 60 syndicats, est invité, au même titre que d'autres confédérations, aux grandes rencontres nationales. C'est assez récent ; or, les professions libérales exercent à proximité de la population. Elles peuvent être immédiatement appréhendées. Elles fonctionnent bien et elles sont parfois oubliées. Durant des années, les professions libérales ont été oubliées par les grands administrateurs de l'Etat. Aujourd'hui, les difficultés de nos métiers sont mieux connues et nous nous faisons entendre.
Quant à la solidarité, nous souhaitons réformer notre régime de base. Pour nos 13 caisses autonomes, la base de la cotisation est, d'une part, proportionnelle au chiffre d'affaires à hauteur de 1,4 % pour tous, d'autre part, un complément varie selon les professions de 1 à 1,8 %. Nous souhaitons un régime de base harmonieux où le calcul du revenu de la retraite soit calculé de la même manière. Du temps sera nécessaire pour cette unification, environ 5 à 7 ans.
Concernant la solidarité nationale, nous souhaitons une solidarité équitable et pour tous. Nous ne voulons plus être ceux qui sont les plus ponctionnés. En tant que professionnels libéraux, nous restons avant tout des travailleurs. Vingt ans ont été nécessaires pour l'équité fiscale pour un même revenu entre un salarié de la fonction publique ou privée et un travailleur indépendant.
En résumé, nous sommes prêts à partager si le partage reste équitable.
M. Claude DOMEIZEL - Par qui le taux de la cotisation est-il fixé ?
M. Guy ROBERT - Nous comptons 13 caisses. Elles se réunissent et une compensation interne est effectuée. Le régime de base est calculé d'une part en fonction des revenus, d'autre part, une partie forfaitaire est fixée. Cette partie forfaitaire varie en fonction de chaque caisse, nous souhaitons améliorer cela.
Par ailleurs, la partie complémentaire est également versée. Par exemple, un chirurgien dentiste donne environ 50 000 francs par an pour obtenir une retraite, tout compris, de 17 000 francs par mois. La retraite est à partir de 65 ans et 37 années et demie de cotisation sont nécessaires. Pour un kinésithérapeute, la situation est encore différente.
M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie de votre exposé et des réponses que vous avez apportées à nos questions. Le rapporteur ne manquera pas de vous contacter dès que l'Assemblée se sera prononcée sur le texte du Gouvernement afin de connaître vos réactions avant que le Sénat ne s'en saisisse.
Notre séance d'auditions est close.
M. Nicolas ABOUT, président - Mes chers collègues, lors de son intervention le 3 février dernier, M. le Premier ministre avait précisé la méthode et le calendrier de la réforme des retraites. Il avait ainsi distingué une première phase d'information et d'écoute, une seconde de dialogue social formalisé, une troisième comportant la présentation par le Gouvernement de ses propositions soumises à débat et enfin le temps de la décision. Nous nous trouvons aujourd'hui au stade des propositions du Gouvernement. Celles-ci ont été adressées aux partenaires sociaux le 18 avril dernier et précisées par François Fillon lors de son intervention de la semaine dernière. Le « temps de la décision », pour reprendre l'expression du Premier ministre, sera ponctué par deux échéances : une communication du conseil des ministres, le 7 mai prochain, et le dépôt du projet de loi, le 28 mai.
Dans la perspective de ces échéances, notre commission a souhaité faire vivre le débat et entendre les réactions des partenaires sociaux, au moment où se dessinent les grandes lignes du projet de loi qui n'est pas encore figé. Tel est ainsi l'objet des auditions de notre journée. Elles seront retransmises par notre chaîne parlementaire et feront également l'objet d'un compte rendu intégral qui vous sera adressé et qui sera publié dans le rapport de notre commission.
J'espère que les présentes auditions apporteront une forte contribution à notre réflexion. Elles devront être complétées, une fois le moment venu, par le détail des positions de l'ensemble des organisations syndicales sur le projet tel qu'il sera adopté et nous sera transmis par l'Assemblée nationale.
Audition de M. Jean-Christophe LE
DUIGOU,
Secrétaire de la Confédération
générale du travail (CGT),
responsable du dossier
retraite
(mercredi 30 avril 2003)
M. le PRÉSIDENT - Je vous remercie d'avoir accepté notre invitation. Vous avez la parole pour un propos liminaire d'une quinzaine de minutes. Les commissaires vous poseront ensuite leurs questions.
M. Jean-Christophe LE DUIGOU. - Merci, monsieur le président. Je tiens à dire très sincèrement combien nous sommes satisfaits de ce type d'audition et de concertation, à un stade où les décisions législatives ne sont pas encore prises. Il me semble en effet très positif qu'il puisse y avoir un tel débat sur un dossier de grande ampleur.
Dans la procédure, telle qu'elle s'est déroulée jusqu'à présent, le Gouvernement a écouté les organisations syndicales et nous nous en réjouissons. Nous n'avons, en revanche, pas pu aboutir à de véritables négociations avec le Gouvernement, alors que nous considérons qu'il existe une double légitimité d'intervention sur ce sujet.
• la légitimité d'intervention des syndicats et des partenaires sociaux
La retraite est extrêmement liée au travail, et nous souhaitons que cela demeure. Ce lien justifie à notre sens une véritable négociation, et non une simple concertation.
• la légitimité d'intervention de la représentation nationale
Loin de contester cette légitimité, nous l'affirmons, puisque la retraite constitue un élément à part entière du pacte social global.
Un dossier de ce type nécessite d'articuler ces deux légitimités dans une réforme capable de répondre aux besoins sociaux et nationaux.
Je ne vais pas reprendre devant vous l'ensemble du diagnostic et de nos contributions. Au sein du Conseil d'orientation des retraites (COR) dans lequel votre assemblée est également très présente, nous avons largement participé à l'élaboration du premier diagnostic partagé réalisé par cette instance. Celui-ci constitue notre base de réflexion et de proposition, même si nous avons eu l'occasion d'exprimer que certaines des orientations de ce rapport n'allaient pas dans le sens de notre propre réflexion. Le COR avait en effet pour tâche de proposer et d'examiner un ensemble de solutions, sans préconiser plus spécifiquement certaines d'entre elles.
Je me concentrerai donc sur notre réflexion et notre analyse à propos du projet du Gouvernement. Chacun de nous connaît les termes publics du débat, et, parmi eux, les déclarations de M. Fillon lors de l'émission télévisée de la semaine dernière. Nous avons également pu, au cours de la concertation avec le Gouvernement, échanger sur certains aspects techniques. Néanmoins, nous ne connaissons pas les termes mêmes de l'avant-projet de loi qui sera soumis à différents organismes (Caisse nationale d'assurance vieillesse, conseils supérieurs des diverses fonctions publiques, Conseil d'Etat) à partir de la fin de la semaine prochaine, avant que ne soit arrêté le projet de loi définitif, le 28 mai. C'est, en conséquence, à partir des informations disponibles que je formulerai trois remarques à l'égard du présent projet.
Tout d'abord, nous ne disposons pas des garanties souhaitées quant au niveau futur des retraites. Nous nous inquiétons, en outre, des conséquences sous-tendues par un certain nombre de choix qui sont d'ores et déjà arrêtés. La question du niveau des retraites est importante pour deux raisons.
• l'importance sociale du niveau des retraites
Il en va des conditions de vie de plusieurs millions de personnes. Les chiffres ne sont pas aisés à établir : il existe douze ou treize millions de retraités aujourd'hui ; il y en aura vingt aux alentours de 2020 et un peu plus par la suite. Le niveau de vie de ces personnes constitue donc un enjeu social majeur.
• l'importance économique du niveau des retraites
Compte tenu du nombre de retraités que comptera la population active, le niveau de vie de ces derniers sera un des éléments clés du contexte macro-économique dans lequel s'inscriront les entreprises, l'activité et la mobilisation du travail salarié.
Nous ne pouvons pas ignorer que les enjeux démographiques, qui nous sont toujours présentés en termes de financement des retraites, auront avant tout des conséquences économiques. Le choc démographique concerne moins l'allongement de la durée de vie, qui est un phénomène déjà ancien et qui se prolongera pendant des décennies, que l'arrivée brutale à l'âge de la retraite de la génération nombreuse d'après-guerre. Cet afflux peut provoquer un bouleversement économique comparable au choc pétrolier du milieu des années 70 et induire une longue phase de croissance ralentie, marquée par une rupture de la productivité par habitant. Nous nous trouvons là face à un véritable enjeu économique, au sein duquel la demande, le niveau des retraites et la dynamique qui en résulte nous paraissent être des éléments essentiels. Or, bien que François Fillon ait tenu quelques propos un peu plus précis - bien qu'encore vagues - à la télévision, la principale variable d'ajustement proposée pour le moment par le Gouvernement nous semble être le niveau des retraites.
Nous avons réalisé des calculs qui tendent à prouver qu'un certain nombre de futurs retraités verront le niveau relatif de leur retraite baisser. Ne confondons pas niveaux absolu et relatif. J'espère qu'il ne se produira pas de baisse du niveau absolu des retraites : ce serait un signe social et économique dramatique ! En revanche, le niveau relatif des retraites par rapport aux perspectives d'évolution de salaire (qui sont pourtant modérées : le rapport du COR indique 1,6 % par an de croissance réelle des salaires) sur les quinze ans à venir, pourrait subir un ajustement que nous situons sur une fourchette allant de 20 à 30 %.
Nous avons complété cette approche par une seconde, davantage « macro-financière », qui a consisté à étudier l'évolution de trois régimes : le régime général, le régime des fonctionnaires de l'Etat et le régime de la CNRACL. Nos calculs confortent nos conclusions antérieures, puisqu'ils signalent une diminution relative des retraites moyennes dans ces trois régimes, comprise entre 20 et 30 %. Soulignons que ces calculs ont été réalisés dans l'hypothèse où l'allongement de cotisation provoquerait un allongement de la durée effective de travail. Ainsi, bien qu'ils incluent une modification de comportement des salariés, ces chiffres indiquent une baisse du niveau des retraites.
Les garanties avancées par François Fillon, dans son intervention télévisée, n'invalident pas ces constats. Tout d'abord, en effet, garantir un minimum contributif de 75 % revient à entériner une baisse de 10 % par rapport à la situation présente, puisque ce minimum - lorsqu'on y ajoute la retraite complémentaire ARCCO que M. Fillon y incluait sans doute - représente 83 % du SMIC net. Je vous rappelle qu'à sa création, au début des années 80, le minimum contributif équivalait à 95 % du SMIC net.
La seconde garantie, concernant le niveau moyen des retraites par rapport à un salaire de référence, reste beaucoup plus vague, puisqu'il existe plusieurs modes possibles d'appréhension du taux de remplacement. En prenant le concept de taux de remplacement net qui se trouvait au centre de la réflexion du COR et auquel semble correspondre la référence du ministre, il nous semble qu'assurer les deux tiers du taux de remplacement net (du moins par rapport au régime du secteur privé) revient à baisser ce dernier de 17 %, soit des 84 % actuels à 66,66 %. Notre première préoccupation concerne donc le niveau des retraites, c'est-à-dire la garantie d'un taux de remplacement, qui a été placée au centre de plusieurs réformes étrangères (Allemagne, Italie, Espagne). En France, au contraire, cette notion n'a été intégrée au débat public ni en 1981, au moment du passage de la retraite à 60 ans, ni en 1993, lors des choix Balladur.
Ma deuxième remarque porte sur l'inadaptation des réponses apportées aux nouvelles situations salariales. Nous ne nous trouvons plus aujourd'hui face à des retraités qui seraient majoritairement masculins, qui auraient commencé à travailler relativement jeunes et qui auraient connu des carrières longues et stables, selon un processus d'acquisition des droits permettant au bout de 37,5 ou de 40 ans d'obtenir des droits à la retraite à taux plein. Actuellement, le niveau moyen de trimestres validés au moment de la liquidation est encore de 164 trimestres, mais ce chiffre devrait baisser pour les hommes au cours des années à venir. En tout état de cause, il ne correspond plus à ce qu'est la carrière d'un certain nombre de catégories de personnes : les femmes, notamment, valident des durées de cotisation plus faibles et ont donc, malgré leur intégration plus forte dans le salariat, des droits à la retraite minorés.
On constate par ailleurs, que de nombreux jeunes diplômés obtiennent aujourd'hui un emploi stable à 24, 25 ou 26 ans, ce qui retarde d'autant le début de l'accumulation de droits à la retraite : la majorité des diplômés n'a en effet pas la chance des élèves de Polytechnique ou de l'ENA, dont toute scolarité compte pour la retraite. Compte tenu des normes d'acquisition de droits dont il est question actuellement, imaginez à quel âge ces personnes pourraient obtenir leur retraite à taux plein ! Le Gouvernement s'est jusqu'à présent contenté de proposer le rachat de périodes d'études. Un certain nombre d'organisations, notamment syndicales, ont souhaité cette possibilité. Pour notre part, nous pensons qu'elle est sélective, inégalitaire, et qu'elle ne correspond pas à tous les problèmes qui sont actuellement posés. Certaines entreprises s'arracheront peut-être dans un futur proche, certains diplômés, au prix de cette période de rachat : nous verrons sans doute des laboratoires pharmaceutiques prêts à racheter trois, quatre ou cinq années d'études pour embaucher tel chercheur. Mais des jeunes moins diplômés risquent de ne pas bénéficier des mêmes avantages. Il en est de même des femmes qui resteront de longues périodes sans activité. Il me semble que nous nous trouverons dans quelques années, face à une situation absolument différente de celle que les régimes ont eu à gérer jusqu'à présent, et qu'elle sera beaucoup plus inégalitaire.
Enfin, prenons l'exemple du salarié le moins qualifié qui soit aujourd'hui : lorsqu'il arrive à 60 ans, il est aussi celui qui dispose de la plus faible espérance de vie à la retraite (14 ans), qui a subi les plus importants risques de chômage (les chiffres de la DARES indiquent qu'il a au moins passé six ans de sa carrière professionnelle au chômage), qui sera sans doute au minima de pension, et qui détient une possibilité d'épargne quasiment nulle pour recourir à des compléments de pension. Il existe donc un grand risque d'inégalité si nous ne répondons pas à ces besoins nouveaux en termes de modalités d'acquisition des droits.
Ma troisième remarque concerne le bouclage financier et économique du projet. En l'état actuel de nos travaux sur l'analyse financière du projet, et malgré des hypothèses relativement volontaristes en matière d'emploi, de croissance, de modération salariale (1,6 % sur 15 ans) et de productivité, le projet témoigne d'un besoin de financement non résolu à hauteur d'environ 10 milliards d'euros. Cela pose un problème quant à la cohérence de l'ensemble du projet gouvernemental. Or les réponses ministérielles à ce sujet ne sont pas satisfaisantes. Le ministre répond que les salariés travailleront beaucoup plus pour cotiser plus : mais si cela est le cas, le besoin de financement s'en trouvera renforcé. Il y a là une contradiction interne au raisonnement, qui débouche sur une question centrale, celle de l'emploi. Nous critiquons la perspective qui vise à proposer aux salariés de travailler plus longtemps pour équilibrer le financement de la retraite : la véritable solution nous paraît être au contraire que tous les salariés puissent travailler. Rappelons en effet que nous connaissons l'un des taux d'emploi les plus faibles des pays développés. Ce problème ne concerne pas seulement les seniors, mais aussi les jeunes, les femmes et les non qualifiés. Face aux évolutions démographiques, il est donc besoin d'un véritable « contre-choc » par l'emploi, afin de répondre aux défis économiques et sociaux.
Voilà l'état de notre réflexion sur le dossier retraite, tel que nous le connaissons à l'heure actuelle.
M. le PRÉSIDENT - Monsieur le secrétaire, je vous remercie infiniment pour cet exposé très clair et très respectueux des délais qui vous avaient été proposés. C'est la première fois que cela se produit ! Cela va nous permettre de disposer véritablement d'un quart d'heure de questions et de réponses. Je vous rappelle que notre débat est retransmis par la chaîne parlementaire et que nos questions doivent être aussi bien construites que le sont les discours de nos invités. Evitons dès lors de faire des exposés longs et sans question. Je cède la parole à notre rapporteur.
M. Dominique LECLERC, rapporteur - Merci, monsieur le président.
Monsieur Le Duigou, nous vous avons, bien sûr, écouté avec beaucoup d'attention. Avant de poser mes deux questions, je ferai la remarque suivante : il m'a semblé que vous n'avez pas formulé de critique très acerbe par rapport au projet et que vous êtes parti à juste titre du bilan partagé à l'issue des réflexions du COR. Ce sont autant d'éléments essentiels au débat qui nous anime. Le COR avait en effet signalé que si aucune réforme ne devait être entreprise, le taux de remplacement chuterait de moitié d'ici à 2040, pour atteindre le niveau de 40 % !
Je serais tenté de rapprocher votre première remarque des décisions que votre centrale a prises en tant que co-gestionnaire des régimes complémentaires AGIRC et ARCCO des travailleurs salariés. Vous êtes, dans ce cadre, confronté aux mêmes problématiques que dans le régime général. Aussi, les mêmes réflexions doivent-elles sans doute conduire aux mêmes décisions. Vous voyez où je veux en venir. Je crois que le projet du Gouvernement rejoint cette préoccupation. Vous avez dit que la situation économique des pensionnés était essentielle dans les années à venir : compte tenu de l'augmentation du nombre de personnes concernées, il est indispensable pour la Nation que ces dernières contribuent socialement et par leur consommation à la vie du pays. Allonger la durée de travail, parallèlement à l'allongement de la vie, nous semble être une optique réaliste et il me semble que c'est là l'un des curseurs que vous avez bougé dans le cadre des régimes complémentaires. Pourquoi, en ce cas, raisonnez-vous différemment dans le cadre du régime général ?
Ma deuxième question porte sur votre troisième remarque. Il est bien évident que le texte de loi contient des mesures concrètes et qu'il n'est pas possible de dissocier la problématique des retraites de celle de l'emploi (en tenant compte de la variété des situations face à ce dernier). Nous constatons que les jeunes restent anormalement à l'écart du marché du travail dans notre pays : une action sur l'éducation nationale doit être entreprise et je crois que le Gouvernement y travaille. Concernant l'emploi des seniors et des non qualifiés, le texte de loi affiche une implication forte du Gouvernement et une volonté de pression vis-à-vis des partenaires sociaux et notamment patronaux. J'aimerais savoir quelles mesures concrètes vous proposez pour ces différents cas, sachant que nous nous trouvons dans le cadre d'un projet de loi qui concerne les retraites. Personnellement, je ne vois pas comment il est possible d'aller au-delà de ce qui est préconisé pour les seniors, pour la prise en compte des périodes d'études reconverties en possibilité de rachat. Pour les autres problèmes, je ne pense pas qu'ils puissent relever de ce texte-ci.
M. Jean-Christophe LE DIGUOU - Concernant votre question sur notre position par rapport au projet de loi, je vous rappelle que nous disons depuis des années qu'une réforme est nécessaire. Je crois d'ailleurs que toutes les organisations syndicales pensent aujourd'hui la même chose. Cela ne signifie pas, en revanche, que nous soyons d'accord avec la réforme proposée. Je pense que nous avons besoin d'un débat sur le contenu de cette dernière.
Le rapport de notre réflexion actuelle avec celle que nous avons menée à propos des retraites complémentaires est étroit. Nous avons défendu le fait que ce régime n'était jamais que complémentaire au régime général, malgré les différences de gestion qui existent entre les deux régimes. Dans la terminologie et l'analyse des institutions internationales, le régime complémentaire français ne relève d'ailleurs pas du second, mais du premier pilier : ce sont donc le régime général et les régimes ARCCO, AGIRC et IRCANTEC qui constituent le régime de base de la retraite. Nos discussions avec le MEDEF en 2000 ont achoppé sur la remise en cause du droit à la retraite à 60 ans. Nous avions dû manifester le 25 janvier 2001 pour obtenir que le MEDEF ne remette pas en cause le droit de partir à 60 ans avec un niveau de retraite correct. Sans cela, l'abattement aurait été de 22 %. Dans les régimes complémentaires, le MEDEF n'a en effet jamais accepté formellement le principe de la retraite à 60 ans : nous nous trouvons dans un système qui permet uniquement d'anticiper la liquidation de la retraite complémentaire. Je n'interprète donc pas comme vous, monsieur le rapporteur, les décisions que nous avons prises le 10 février 2001 : nous n'acceptons pas, pour notre part, la mise en cause du droit à une véritable retraite à 60 ans.
Enfin, je suis d'accord pour dire qu'un projet de loi sur la retraite ne peut pas régler l'ensemble des problèmes de l'emploi. Je crois d'ailleurs qu'il y a des limites à régler ces problèmes par la seule loi. Cela ne signifie pas, en revanche, que nous puissions accepter le flou qui entoure la stratégie nationale en matière d'emploi. Une conférence, organisée il y a trois semaines, a laissé l'occasion à chacun d'exprimer sa vision, en une après-midi. Or je ne suis pas sûr qu'elle ait - hormis quelques mesures gouvernementales qu'il fallait prendre - permis de dégager une véritable stratégie de l'emploi. J'ai assisté à des réunions analogues par le passé. Le 21 décembre 1995, lors d'une réunion organisée par M. Juppé à Matignon, le CNPF s'était engagé à créer 400.000 emplois jeunes après la crise de 1995 : la promesse n'a jamais été tenue. C'est pourquoi nous ne pouvons nous contenter aujourd'hui d'un engagement vague sur le relèvement du taux d'emploi : nous pensons qu'une véritable stratégie nationale et européenne s'impose en matière d'emploi et que c'est la condition de l'équilibre futur de nos retraites, quelle que soit la nature des régimes concernés. Nous ne serons en effet pas à même de financer un certain nombre de besoins sociaux et publics sans une telle dynamique, qui dépasse la simple réduction du chômage. Je vous rappelle que selon l'INSEE, 12 % de la population potentiellement active ont déjà travaillé mais ne sont pas présents sur le marché du travail. Notre problème ne concerne donc pas les 9,3 % de taux de chômage mais les 21,3 % de la population qui ne sont pas intégrés dans l'emploi aujourd'hui.
M. le PRÉSIDENT - M. Chérioux souhaite intervenir.
M. Jean CHÉRIOUX - Monsieur le secrétaire, j'ai été frappé par le réalisme avec lequel vous abordez le problème : considérer ce dernier est déjà très important, même si cela n'aide pas pour autant à le résoudre. Vous avez par ailleurs fait référence au COR et montré l'intérêt que vous portez à ses études, qui résultent d'un travail collectif. Cela aussi me paraît notable.
Votre première préoccupation est de préserver le pouvoir d'achat des retraites. La réforme s'étalant sur plusieurs années, ne pensez-vous pas que cette question peut être réglée, non pas immédiatement, mais par des rendez-vous fixés tous les trois, quatre ou cinq ans, et destinés à voir comment la situation évolue par rapport à l'idée que l'on s'en faisait. Ne devrions-nous pas accorder un pouvoir important au COR en ce qui concerne ces études, afin de tirer des conclusions pratiques de son travail, qui est objectif.
Par ailleurs, êtes-vous d'accord sur le principe d'une réforme qui englobe le public et le privé, sachant que cela n'est pas accepté par toutes les centrales syndicales ?
M. Jean-Christophe LE DUIGOU - Votre première question soulève un problème de contenu et un problème institutionnel. Sur le long terme, en effet, en matière de régime par répartition, l'évolution structurelle du niveau de retraite ne peut se décrocher structurellement de l'évolution des salaires ou de la richesse nationale. Si cela advient, le pacte social sera atteint, puisque cela reviendra à mettre dix ou vingt millions de personnes à l'écart des gains de productivité et d'efficacité. Les organisations syndicales ne sont pas les seules à le dire : un certain nombre d'experts, peu réputés pour leurs excès en matière d'exigences sociales, ont bien identifié ce problème. Je constate par ailleurs que, même dans des réformes dont les mécanismes ne nous agréent pas, comme en Suède, on trouve des critères objectifs, intégrés dans la loi, qui permettent d'associer l'évolution future des retraites avec l'évolution économique. Nous ne pouvons donc pas nous contenter d'une perspective de rendez-vous et d'un système qui, depuis 1993, désindexe les pensions à la liquidation et les pensions liquidées des salaires, et qui, dans les faits, pourrait se poursuivre jusqu'en 2020. Nous avons donc une exigence de fond.
Au plan de l'institution, différentes solutions sont envisageables. Je ne crois pas que le COR ait vocation à faire de véritables propositions : cela dépasserait d'ailleurs son statut. Ayant été de ceux qui ont proposé la constitution de cette structure, nous en connaissons aussi les limites. Selon moi, le Gouvernement ne peut pas se décharger sur quelques experts du soin de la réflexion, parce qu'il s'agit là d'un véritable débat politique. Si toute institution permettant d'éclairer ce dernier me paraît positive, il n'est pas moins nécessaire que le pilotage du système des retraites demeure sous maîtrise collective. Nous sommes dès lors contre l'automaticité de l'évolution du système.
J'ai peu abordé la question de l'alignement du public sur le privé. Voilà un sujet politiquement très sensible, qui ne m'apparaît néanmoins que comme l'un des éléments d'un ensemble structurel.
M. Jean CHÉRIOUX - Mais êtes-vous pour cet alignement ?
M. Jean-Christophe LE DUIGOU - Nous sommes pour l'égalité entre le public et le privé. Plusieurs paragraphes du rapport du COR ont quasiment été rédigés sur la base de propositions que nous avions avancées pour promouvoir un socle commun de règles et de garanties. Nous avons réaffirmé, lors de notre congrès, qu'il ne pouvait pas y avoir, sur le long terme, de différence structurelle, sans que cela ne porte atteinte à l'équilibre de l'ensemble du système. Il reste alors à définir les conditions de cette égalité et c'est là l'occasion d'un véritable débat. Rien ne garantit en effet qu'aligner le public sur le privé actuel apporte la moindre somme à l'équilibre du privé. La question réelle est ailleurs : elle consiste à trouver les ressources nécessaires pour faire face à des problèmes de financement. Le nouveau problème démographique du public trouve sa cause principale dans l'arrivée massive à la retraite de générations nombreuses de fonctionnaires embauchés dans les années 70. Les gouvernements successifs savaient, en embauchant des fonctionnaires, qu'ils auraient des retraites à leur payer 37,5 ans plus tard.
M. André LARDEUX - Monsieur le secrétaire, vous nous avez fait part de vos craintes concernant le niveau des retraites et l'allongement de la durée de cotisation et d'activité. Il ne reste donc qu'une variable : celle des prélèvements. Cela signifie-t-il que votre organisation préférerait une augmentation des cotisations, et si c'est le cas, de combien ?
Par ailleurs, êtes-vous d'accord pour partager, comme le propose le Gouvernement, le temps de vie en deux tiers de travail et un tiers de retraite ?
M. Jean-Christophe LE DUIGOU - Nous sommes d'accord avec le COR pour considérer que le problème de financement relève pour moitié du problème de l'emploi. Résoudre le problème de l'emploi ne suffirait donc pas, seul, à régler celui des retraites. C'est pourquoi nous affirmons depuis longtemps qu'une réforme est incontournable. En outre, nous pensons que la présence de 50 % de retraités supplémentaires en 2020 justifie une nouvelle répartition des richesses, capable d'assurer une couverture correspondant à leurs besoins. Nous pensons que des ressources supplémentaires doivent être trouvées à cet effet et faisons des propositions en ce sens : inclure des éléments nouveaux dans les cotisations des entreprises, agir sur les revenus financiers des entreprises (de même qu'une CSG a été créée pour faire payer les revenus du patrimoine, pourquoi ne pas l'appliquer aux entreprises), modifier l'assiette des cotisations employeurs dans l'entreprise, qui reposent exclusivement sur les salaires. Aujourd'hui l'entreprise qui licencie se déleste des charges de retraite collectives, y compris celle des salariés qu'elle a contribué à employer durant plusieurs dizaines d'années ; certaines grandes entreprises externalisent leurs activités à fort contenu de main d'oeuvre et échappent ainsi aux charges de retraite correspondantes : nous pensons qu'une modification de l'assiette permettrait de contrebalancer un peu ce mécanisme pervers, qui assèche le financement des retraites. Voilà ce que nous proposons. In fine , des cotisations salariales accrues peuvent être envisagées, à condition qu'elles soient destinées à conforter les systèmes de retraite. Nous n'excluons donc pas cette solution. Nous l'avions préconisée dans le cadre des régimes complémentaires, puisque nous nous étions battus pour passer de 4 % à 6 % de cotisation ARCCO, et personne ne s'en plaint aujourd'hui.
La question de la répartition du temps de vie entre deux tiers de travail et un tiers de retraite nous paraît extrêmement importante et nous souhaitons qu'elle soit soumise au débat. C'est une proposition dont nous avions commencé à discuter dans le cadre du COR. Nous la contestons de trois points de vue.
• Cette proposition est fondée sur le postulat selon lequel les salariés partiraient effectivement à la retraite à 60 ans
Cela n'est pourtant pas le cas pour les deux raisons suivantes : les cessations d'activité s'opèrent avant 60 ans (l'âge de cessation d'activité se situe entre 57 ans et demi et 58 ans et l'âge moyen de liquidation de la retraite est postérieur à 60 ans, puisqu'il se situe à 60 ans et demi). L'âge de 60 ans, s'il constitue un repère collectif, ne correspond donc pas aux pratiques. Cette situation me paraît justifier nos doutes quant à l'application de la formule proposée.
• un nombre non négligeable de salariés décède avant 60 ans
Il est grave de lancer une formule sans avoir réfléchi à cette dimension. Le Gouvernement devrait se fonder sur l'espérance mathématique de retraite à 60 ans. Cela modifierait complètement les données de la discussion et suscite une série de questions.
• l'allongement de la durée de vie relève pour deux tiers de la prolongation de la vie et pour un tiers de la baisse de la mortalité à des âges antérieurs
Cela implique un accroissement statistique de la durée de travail : la durée moyenne d'activité a augmenté d'un tiers par rapport au début du siècle, contrairement à l'impression que l'on peut avoir d'une baisse constante. Ce sont là les résultats de travaux très intéressants que la DARES a accomplis en 1999.
• l'allongement de la durée de vie n'est pas égal pour tous
J'ai évoqué précédemment l'espérance de vie à la retraite des différentes catégories de travailleurs. Alors que celle d'un ouvrier à la retraite est de 14 ans, celle des cadres supérieurs et des professions libérales est de 22 ans.
M. le PRÉSIDENT - Elle est même supérieure pour les instituteurs.
M. Jean-Christophe LE DUIGOU - Oui, ainsi que pour les prêtres !
M. le PRÉSIDENT - Il faut bien choisir son métier, monsieur le secrétaire !
M. Jean-Christophe LE DUIGOU - J'ajouterai un point qui a été élucidé il y a une quinzaine d'années et qui n'a pas été réétudié depuis : l'espérance de vie a tendance à s'accroître pour les catégories qui bénéficiaient déjà d'une espérance de vie élevée. Cela signifie que l'accroissement est différentiel au profit des personnes plus avantagées. L'application de la règle prônée par le Gouvernement risquerait donc de générer des injustices, puisque l'amputation de la retraite serait plus grande pour un ouvrier qu'elle ne le serait pour un cadre supérieur ou une profession libérale.
M. le PRÉSIDENT - Merci. Comme nous sommes en retard et que cinq commissaires souhaitent vous poser des questions, accepteriez-vous, monsieur le secrétaire, de les entendre à présent, mais d'y répondre par écrit ?
M. Jean-Christophe LE DUIGOU - Oui, absolument.
M. le PRÉSIDENT - Vos réponses seront jointes au procès-verbal.
M. Claude DOMEIZEL - Le fait que j'ai eu l'occasion de rencontrer M. Le Duigou en d'autres circonstances, et notamment dans le cadre du COR, me permettra de poser deux questions. Ma première question porte sur la forme du projet de loi. Dans son intervention télévisée, M. Fillon nous a expliqué qu'il y avait urgence à boucler le projet de loi, pour éviter une catastrophe. Partagez-vous l'idée qu'il est nécessaire d'agir très rapidement - afin de clore le sujet le 13 juillet au soir - ou pensez-vous qu'il faut se donner le temps pour une réforme qui concernera un public extrêmement large ?
Je souhaite par ailleurs vous interroger sur la notion de solidarité entre les régimes, que vous n'avez pas évoquée. Ma question est donc très simple : il semblerait que le projet de loi - que vous ignorez, mais dont des personnes auditionnées nous ont un peu informés - ne comporte pas la solidarité entre les régimes. Pensez-vous que la loi doive comporter ce volet, qui est important pour les retraites ?
M. le PRÉSIDENT. - M. Domeizel sait très bien qu'il n'existe pas de projet de loi. C'est pourquoi nous devons recevoir les informations qui nous parviennent avec réserve et avec l'esprit critique que tout parlementaire possède normalement.
M. Guy FISCHER - Monsieur le secrétaire général, je tiens à aborder un point qui m'a particulièrement touché dans votre exposé : il s'agit de l'inadaptation des réponses apportées aux nouvelles situations salariales. Vous avez affirmé qu'une grande partie de la réponse au problème des retraites passait par la situation de l'emploi. Aujourd'hui, nous devons constater que la plupart des emplois créés sont précaires : nous assistons à une explosion de la précarité. Pouvez-vous, dès lors, préciser comment vous concevez le niveau du minimum contributif et les mesures qui seraient à prendre ? Enfin, quelle est votre position sur les problèmes de pénibilité et d'avantages familiaux ?
M. Michel ESNEU - Monsieur le secrétaire général, vous avez abordé le problème de la durée de la cotisation, mais j'y reviens car il me manque des éclaircissements. Vous dites que la réforme doit s'effectuer sur des socles solides. Or, j'ai l'impression qu'il existe un décalage entre le terrain et le monde institutionnel. Il me semble en effet, que si, dans nos communes, les fonctionnaires admettent que l'alignement de tous sur 40 années de travail est nécessaire, la réponse que nous obtenons au niveau institutionnel n'est pas aussi claire. Ce sentiment de distorsion est commun à des personnes d'obédiences très diverses.
M. Louis SOUVET - Vous avez dit, monsieur le secrétaire, que vous craigniez un choc semblable à celui de la crise pétrolière des années 70. Je tiens à souligner que ce dernier ne pouvait être maîtrisé, alors qu'il sera possible à nos successeurs de prendre des dispositions pour sortir du choc économique que vous redoutez, parce que le système des retraites est évolutif, et non figé une fois pour toutes. Hier, certains de vos prédécesseurs disaient qu'ils préféraient la répartition à la capitalisation, parce qu'il y aurait toujours un gâteau. Or ce n'est pas tout à fait vrai : la taille du gâteau ne sera pas toujours la même. Lorsqu'on se trouve dans un système où le nombre des cotisants baisse considérablement alors même que le nombre des ayants droit augmente très fortement, le gâteau ne se répartit évidemment pas entre le même nombre de convives ! C'est pour cela que le système des retraites doit être perçu comme éminemment évolutif.
De plus, vous semblez reprocher le flou des propositions qui nous sont faites. Ce flou est pourtant nécessaire : je soutiens ce flou et cet espace d'indécision, car ce sont eux qui vous permettent aujourd'hui d'avoir quelque chose à dire. Sans cela, toutes les grandes centrales syndicales pourraient reprocher au Gouvernement d'avoir tout fixé, et de ne pas leur laisser le droit de s'exprimer. Ce flou permet donc le travail syndical et le travail parlementaire, et me paraît dès lors essentiel.
Enfin, je ne crois pas que nous puissions vivre dans un pays dans lequel la durée hebdomadaire du travail et le temps consacré au travail seraient les plus courts du monde et où nous aurions en même temps les retraites les plus élevées qui soient. Actuellement, nous voyons que le déficit social qui sévit dans les pays de l'Est est tel que toutes les grandes entreprises vont s'y installer : nous payons donc nos mesures sociales fort cher. Je pense, dans ce contexte, que nous serons sans cesse obligés de remodeler le système des retraites, à l'avenir, pour qu'il corresponde aux possibilités du moment.
M. Alain VASSELLE - Monsieur le secrétaire général, j'ai cru noter une contradiction dans les réponses que vous avez apportées à M. Chérioux et à un autre de mes collègues. Vous avez expliqué que vous ne vouliez pas d'automaticité dans l'évolution des retraites, alors que vous refusiez qu'il puisse y avoir des étapes au cours desquelles on ferait le point sur la réforme. Dénoncez-vous l'automaticité ou bien l'étape que vous a fait valoir M. Chérioux correspond-elle à votre interprétation de l'absence d'automaticité ? En ce cas, pourquoi vous être opposé aux propos de M. Chérioux ?
Suite à la question de M. Lardeux, vous avez formulé le souhait que l'assiette des entreprises soit élargie, afin que ces dernières cotisent au-delà de la masse salariale. Mais ne pensez-vous pas que les entreprises paient déjà la CSG, comme les salariés ? Cette CSG alimente indirectement les retraites puisque le FSV est financé par la CSG et que ses excédents doivent normalement être injectés dans le F2R. Cela n'a certes pas fonctionné sous le précédent Gouvernement, puisqu'il n'y a pas eu d'argent pour le FSV à cette époque, mais cela montre que des décisions ont déjà été prises dans ce sens. Vous en satisfaites-vous ou non ?
Enfin, M. Fillon a annoncé qu'il nous faudrait environ 15 milliards pour financer les retraites en 2020. Nous savons que nous pouvons obtenir environ 5 milliards grâce à un certain nombre de mesures, mais il manque 10 milliards, lesquels sont censés provenir du transfert de l'excédent de l'Unedic vers les retraites. Etes-vous d'accord avec cette proposition ? Avez-vous d'autres propositions à faire ?
M. le PRÉSIDENT - Merci beaucoup. Peut-être voulez-vous, monsieur le secrétaire, délivrer un dernier message à la commission ? Merci, quoi qu'il en soit, d'avoir accepté le principe de répondre par écrit à toutes ces questions.
M. Jean-Christophe LE DUIGOU - Nous répondrons précisément aux questions, qui sont toutes pertinentes.
Je pense qu'après avoir pris le temps de débattre à propos du diagnostic, il est important que nous prenions le temps nécessaire pour choisir. Il ne me paraît pas possible, en effet, de forcer la société par rapport à des enjeux de ce type.
Compléments écrits de l'audition
En réponse à M. Claude Domeizel, je dirai qu'à notre avis le besoin d'une réforme des retraites ne justifie pas un calendrier aussi précipité. Nous devrions nous donner au moins jusqu'à l'automne pour négocier et boucler la réforme.
Quant à la solidarité, nous nous prononçons pour une réforme de la compensation, permettant d'éviter le pillage de certains régimes et d'accroître la solidarité.
En réponse à M. Guy Fischer, je préciserais que le renforcement du minimum contributif et le relèvement de son montant ne suffisent pas. Le minimum contributif est proratisé, ce qui laisse entier le problème des carrières interrompues ou commencées tard. D'autre part, on risque d'avoir demain beaucoup plus de salariés qui relèveront de ce filet de sécurité. Il faut une série de mesures répondant aux situations de précarité, de pénibilité et aux problèmes rencontrés par les femmes. La retraite ne doit pas amplifier les inégalités au travail.
A M. Michel Esneu, je répondrais que, si le principe d'égalité public-privé n'est pas contestable, je ne vois pas ce qui justifierait les mesures d'allongement de la durée de cotisation exigée en situation de sous-emploi. Ce serait un marché de dupes et, en fait, une baisse déguisée du montant des retraites.
M. Alain Vasselle a vu une contradiction dans mon propos. Elle n'est qu'apparente. Nous avons besoin de rendez-vous pour négocier des adaptations, mais nous réclamons, en même temps, qu'un certain nombre de principes soient énoncés et ne soient pas périodiquement remis en cause.
Je suis d'accord avec l'idée que le FRR soit alimenté de manière pérenne. C'est le sens de notre proposition d'une contribution assise sur les revenus financiers.
Je trouve que les éventuelles marges de jeu sur les cotisations chômage sont déjà plusieurs fois préemptées. D'abord pour l'amélioration de la situation des chômeurs, alors qu'un sur deux n'est pas indemnisé. Ensuite pour le financement de la dépendance. Enfin pour les besoins de santé. En tant que partenaires sociaux, nous pouvons aussi penser à les utiliser pour le financement des retraites complémentaires.
Toutes ces interrogations me font dire que, même dans le cadre actuel, la réforme des retraites n'est pas financée. Ce qui laisse entrevoir de nouvelles remises en cause possibles.
Audition de M. Alain
PETITJEAN,
Secrétaire confédéral de la
Confédération française
démocratique du travail
(CFDT)
(mercredi 30 avril 2003)
M. le PRÉSIDENT - Monsieur le secrétaire confédéral, vous nous avez fait l'amitié d'entendre la première partie de nos auditions : vous en connaissez donc les règles. Si vous le souhaitez, vous pouvez exposer vos réactions aux propositions du Gouvernement durant un quart d'heure. Le rapporteur et les commissaires vous interrogeront par la suite, avec un sens de la brièveté et de la concision, afin de vous permettre de répondre le plus possible au cours de la séance.
M. Alain PETITJEAN - Je vais tâcher de vous délivrer notre appréciation générale des propositions qui nous ont été faites jusqu'à présent et de vous soumettre nos propres propositions sur les différentes mesures annoncées.
Le texte qui nous a été présenté constitue l'esquisse d'une réforme des retraites. Un certain nombre de propositions y sont formulées, mais nous pensons que beaucoup d'éléments restent à préciser et à améliorer pour que le texte devienne acceptable pour les salariés que nous représentons. Les principaux reproches que nous adressons à ce texte portent sur le fait qu'il prévoit un financement exclusivement fondé sur l'allongement de la durée de cotisation et qu'il reste aléatoire sur les deux tiers des besoins de financement : le pari sur l'emploi est indispensable, mais il risque de s'avérer insuffisant.
Ce texte met en outre en évidence que la baisse du taux de remplacement ne sera pas arrêtée. Cela signifie que les effets de la réforme de 1993 se poursuivront dans les années à venir. Je rappelle que ces effets sont plus pénalisants pour les bas salaires que pour les hauts : plus le salaire est bas, plus la partie que représente le régime de base dans la retraite d'un salarié est importante, et plus les conséquences de la réforme de 1993 pèsent lourd.
Notre appréciation du projet du Gouvernement se fera au vu du texte qui sera présenté au conseil des ministres. Notre intervention directe s'arrêtera ce jour-là. Ensuite, le débat sera mené au Parlement et nos interventions se limiteront alors à d'éventuelles demandes auprès des parlementaires que vous êtes.
L'avenir des basses pensions reste flou dans le texte actuel, même si M. Fillon a quelque peu précisé son propos lors de son intervention télévisée. Les propositions actuelles se trouvent largement en dessous du niveau qui nous paraît acceptable : un taux de remplacement de 75 % du net demeure inférieur au taux actuel des personnes qui ont gagné le SMIC tout au long de leur carrière. Annoncer un coup de pouce pour les basses pensions en commençant par les baisser de six points ne me semble pas concevable.
Le problème des longues durées de cotisation sera un élément déterminant de l'appréciation que la CFDT portera sur le projet de réforme. La proposition de M. Fillon, qui vise à permettre aux personnes qui ont commencé à travailler à quatorze ou quinze ans de partir à la retraite, reste bien en dessous des mesures nécessaires, puisqu'elle ne concerne que 10 % de la population des travailleurs qui cumulent plus de 40 ans de cotisation avant 60 ans.
Une autre de nos critiques concerne les contreparties qui sont offertes aux fonctionnaires en échange de l'effort d'harmonisation qui leur est demandé. Si nous n'avons pas d'avis négatif à propos de cette harmonisation, nous pensons néanmoins que cette dernière n'est acceptable qu'à condition de proposer des éléments de compensation, notamment en termes de taux de remplacement. Or ces points restent encore assez peu clairs pour le moment.
Enfin, concernant la revalorisation des pensions liquidées, nous croyons nécessaire d'aller au-delà d'une simple garantie du pouvoir d'achat et de donner une marge de négociation aux partenaires sociaux, pour leur permettre de négocier avec leurs employeurs respectifs (les pouvoirs publics pour les fonctionnaires et les gestionnaires pour les salariés du privé) des coups de pouce susceptibles de lier le montant des retraites aux évolutions de la richesse nationale. La comparaison entre le niveau relatif des retraites et celui des salaires d'activité peut s'effectuer de deux manières : soit sur la base du taux de remplacement au moment de la liquidation, soit sur la base de l'évolution des pensions liquidées. Il est évident qu'une évolution plus favorable que l'indice des prix permet de rééquilibrer ce système.
Je vous préciserai à présent notre approche. Le taux de remplacement, notamment celui des basses pensions, constitue donc l'une des priorités de la CFDT. L'un des moyens que nous proposons pour améliorer les retraites des personnes qui ont vécu des carrières précaires, consiste à jouer sur le minimum contributif attribué aux personnes qui ont travaillé toute leur vie. Aujourd'hui, ce minimum est inférieur au minimum vieillesse, c'est-à-dire au montant que reçoivent les personnes qui n'ont pas travaillé. Il y a là un paradoxe ! Nous proposons donc que le Gouvernement donne un coup de pouce significatif au minimum contributif dès le début de la réforme, pour le ramener au moins au niveau du minimum vieillesse. Il faudra ensuite prévoir un processus d'augmentation progressive de ce minimum jusqu'au niveau qu'il avait en 1983. Cela me semble être une condition nécessaire pour éviter à terme que les retraites ne soient inférieures au SMIC. Une telle réforme prendra un peu de temps, mais il importe que le signe d'une telle volonté soit clair dès le départ. Ce serait là une façon de rééquilibrer les dommages causés par la réforme de 1993. Je vous rappelle, en effet, que si le minimum contributif s'élève aujourd'hui à 543 euros, il se chiffrait en 1993 à 586 euros. Or la retraite de base d'un salarié qui a effectué toute sa carrière au salaire moyen ARCCO (1.500 euros par mois) représente 596 euros. Cela signifie que la revalorisation du minimum contributif permettrait une amélioration considérable des basses pensions et une forte atténuation, pour les bas salaires, des effets de la réforme de 1993.
Le texte du Gouvernement soulève un autre sujet important : la gestion de l'évolution de la durée de cotisation. Nous ne sommes pas de ceux qui promettent aux salariés qu'il sera possible de gérer définitivement l'avenir des retraites avec une durée de travail égale à 40 ans. Nous savons qu'il faudra travailler plus longtemps. Il ne nous paraît pas inintéressant d'intégrer à cette évolution de la durée de travail l'évolution de l'espérance de vie. Sans doute est-il plus juste de tenir compte de l'espérance de vie à 60 ans qu'à la naissance pour raisonner de façon cohérente.
Enfin, nous rendrions un important service à nos successeurs, si nous parvenions à mettre en place un mécanisme susceptible d'éviter la dramatisation que suscite régulièrement la question de la durée de cotisation.
Nous refusons cependant les démarches systématiques que propose le Gouvernement. Celles-ci ne sont pas acceptables, compte tenu de l'immense variabilité de l'espérance de vie en fonction des différentes catégories sociales. En revanche, l'idée de dresser, tous les cinq ans, un bilan de la réforme et des actions à mener, me paraît pertinente. Ces évaluations devront nous permettre d'ajuster les mesures en fonction de la situation économique et démographique du moment. Nous ne devons pas rester dans un système figé. Si notre marge de manoeuvre sur les prélèvements obligatoires est étroite à ce jour, nous ne devons pas moins considérer que celle-ci puisse évoluer dans les années à venir. Le COR a précisément vocation à réaliser des études sur cette évolution tous les cinq ans. En outre, il me paraît intéressant qu'un organisme indépendant du Gouvernement fasse des propositions.
La situation de l'emploi est bien sûr déterminante dans le problème des retraites, mais elle se pose à court et moyen termes, tandis que les retraites se pensent à moyen et long termes. Se pose alors le problème de l'articulation entre ces deux dimensions : il est bien évident que le fait de parler d'une évolution de la durée de cotisation dans le contexte actuel de l'emploi n'a aucun sens. Nous n'avons pas d'autre choix que de mettre en oeuvre des mesures pour favoriser notamment le taux d'activité des plus de 55 ans. Les pistes proposées par le Gouvernement en la matière méritent d'être étudiées de près, même si cette tâche repose avant tout sur la bonne volonté des entreprises. Des mesures incitant les salariés à travailler plus longtemps sont nécessaires, mais elles ne pourront qu'être très limitées si les entreprises ne s'interrogent pas sur les actions à mener pour que les salariés de plus de 55 ans conservent leur place dans l'entreprise.
Abordons la question du financement. Les propositions du Gouvernement à ce sujet sont la principale faiblesse du projet sur les retraites. Nous avons besoin de 15 milliards, mais seul un tiers de cette somme est assuré : miser sur l'évolution de l'emploi pour combler les 10 milliards manquants apparaît en effet comme un pari risqué. Il nous semble nécessaire d'envisager un éventail de solutions plus ouvert. La réforme s'étalant sur vingt ans, nous devons jouer sur les cotisations et sur la durée tout au long de cette période, sans exclure a priori des évolutions du taux de cotisation. Si le contributif doit reposer sur les salaires, à travers la durée de cotisation, le niveau des pensions et le taux de cotisation, en revanche ce qui est moins contributif peut être financé autrement, notamment par la CSG, qui présente l'avantage de porter sur l'ensemble des revenus (et pas seulement les revenus salariaux). Ces dixièmes de points de CSG supplémentaires pourront ensuite être réaffectés au fonds de réserve. Le projet du Gouvernement nous paraît donc manquer d'ambition en termes de financement. S'il n'est pas nécessaire d'actionner en même temps tous les leviers (cotisations, durée et CSG), pourquoi ne pas faire preuve d'ouverture vis-à-vis de ces divers aspects ?
Enfin, certains aspects font défaut au texte qui nous a été proposé. D'une part, nous attendons du texte qu'il soit plus offensif sur le thème de la pénibilité, tant pour le public que pour le privé. Nous devons veiller par ce biais à compenser les inégalités que subissent les différentes catégories sociales en termes d'espérance de vie. Les personnes qui subissent les conditions de travail les plus pénibles correspondent en effet à celles qui possèdent l'espérance de vie la plus courte. Les autoriser à partir plus tôt leur permettrait de combler un peu ce différentiel d'espérance de vie. D'autre part, se pose le problème de la compensation et de la surcompensation. Dans la fonction publique, notamment territoriale et hospitalière, nous sentons que nos collègues n'accepteront pas de faire des concessions désagréables s'ils s'aperçoivent que de l'argent est dans le même temps saisi dans leurs caisses pour en équilibrer d'autres auxquelles les mêmes efforts ne sont pas demandés. La décentralisation va conduire un certain nombre de fonctionnaires d'Etat dans les collectivités territoriales : cela aura un impact sur la CNRACL, dont l'assiette démographique se trouvera modifiée. Si nous n'agissons pas, cette caisse risque de participer davantage encore à la compensation et à la surcompensation. Nous ne souhaitons absolument pas que la compensation soit supprimée, bien au contraire, puisqu'elle sert à équilibrer les écarts démographiques qui existent entre les régimes. Il apparaît en revanche nécessaire de clarifier ses règles et ses conditions de fonctionnement. A l'inverse, nous pensons que rien ne justifie la surcompensation (qui permet tout au plus à l'Etat de se délester de ses engagements) et nous sommes dès lors favorables à sa suppression. La surcompensation constituera l'un de nos principaux critères d'appréciation de la réforme qui nous est proposée. La raison en est simple : notre représentativité dans le secteur public s'avérant majoritaire dans les collectivités territoriales et dans la fonction publique hospitalière, nos collègues sont très sensibles à cette question.
M. le PRÉSIDENT - Merci beaucoup, monsieur le secrétaire confédéral. Monsieur Leclerc, notre rapporteur, va vous poser ses questions.
M. le RAPPORTEUR - Monsieur le secrétaire général, vous avez dit que le problème des retraites était lié à la situation de l'emploi, mais qu'en la matière, tout dépendait de la bonne volonté des entreprises. En tant que partenaires sociaux, vous êtes souvent signataires de certains accords, aussi souhaiterais-je savoir ce que vous pensez de la situation de l'emploi des seniors et de la question des préretraites. Le texte, tel qu'il nous sera soumis, préconisera certaines mesures, dans lesquelles les préretraites seront pensées en liaison avec la pénibilité. Ne pensez-vous pas que la pénibilité devrait davantage être prise en compte dans le cadre du monde du travail que dans celui de la réforme des retraites ?
Ma deuxième question porte sur le financement du projet, dont vous nous avez signalé qu'il ne convenait pas à votre centrale. Vous avez également mentionné qu'il était possible d'utiliser des ressources supplémentaires, parmi lesquelles la CSG. Si celle-ci devait être actionnée, les pensionnés seraient concernés, et vous savez à quel refus une telle décision se heurterait. Quelles conséquences en tirez-vous ?
Enfin, je m'interroge sur votre position à l'égard de l'indexation des pensions, notamment par rapport à celle que vous avez adoptée à propos du régime complémentaire. Dans l'accord de février 2001, vous avez été amené à prendre des décisions qui n'ont certes pas concerné la durée, mais le taux de remplacement, dont vous avez dit qu'il était une de vos priorités. A l'époque, votre réalisme a prévalu et vous êtes intervenu au niveau des cotisations et des taux de remplacement. Cela signifie-t-il qu'il existe deux façons distinctes de traiter le problème des retraites, selon qu'il s'agit du régime général ou du régime complémentaire, sachant que tous deux appartiennent au « premier pilier ».
M. Alain PETITJEAN - Nous pensons qu'il faut passer d'un système de préretraites obligatoires et collectives - qui se traduit soit par des systèmes de préretraites, soit, le plus souvent par un financement par l'UNEDIC - à un système où le choix de partir relève davantage de l'individu ou de situations particulières. Le processus serait donc beaucoup plus individualisé. Un tel changement s'impose prioritairement en ce qui concerne les préretraites progressives. Nous croyons préférable que des personnes travaillent à mi-temps durant les dernières années de leur vie plutôt qu'elles quittent totalement le monde du travail. Aujourd'hui un certain nombre de systèmes de préretraites sont financés par l'Etat. Si le système de préretraite progressive permet d'augmenter le taux d'activité des salariés de plus de 55 ans, il n'est pas scandaleux de penser que le soutien que l'Etat apporte actuellement au système de préretraites s'applique à celui des préretraites progressives. La différence entre la cessation progressive d'activité du privé et la préretraite progressive du public est que cette dernière permet de travailler à mi-temps tout en touchant une indemnité supplémentaire qui porte le revenu à 80 % du traitement d'activité à temps plein. Il faut en conséquence considérer toutes les possibilités, y compris les retraites à la carte. Il est nécessaire d'introduire des incitations à travailler plus, comme la sur-cote prévue par l'Etat. Les préretraites, quant à elles, ne doivent être maintenues que pour gérer les plans sociaux. Il est toujours préférable, en effet, dans les contextes dramatiques que constituent souvent les plans sociaux, de mettre des personnes en préretraite plutôt qu'au chômage.
En ce qui concerne la pénibilité, nous pensons que ce sujet doit être pris en charge au niveau de ceux qui sont le mieux à même de l'apprécier, à savoir les branches et les entreprises. Celles-ci doivent se demander comment elles peuvent améliorer les conditions de travail, de manière à éviter que les personnes n'atteignent l'âge de la retraite en étant trop usées. Les systèmes qui existent actuellement ne sont pas incitatifs en la matière : les régimes s'équilibrant les uns les autres par des transferts, les entreprises n'ont pas besoin de savoir s'il est plus avantageux de supprimer la pénibilité ou de la compenser. Il est pourtant indispensable de travailler à réduire ces nuisances et, lorsque cela n'est pas possible, de majorer la durée d'assurance proportionnellement au temps d'exposition à la nuisance. Cela permettrait à ces salariés de partir de façon anticipée à la retraite et de contrebalancer un peu l'inégalité d'espérance de vie que j'ai mentionnée précédemment. Pour qu'un tel système fonctionne, il faut que les entreprises productrices de ces mauvaises conditions de travail en financent les conséquences. Il est clair cependant qu'il existe un certain nombre de nuisances qui ne relèvent pas directement de la responsabilité de l'entreprise, mais qui correspondent à des besoins de service public : c'est le cas, par exemple, du travail de nuit dans les hôpitaux, qu'il ne serait pas très logique de faire financer par l'hôpital. Dans ce type de contexte, un financement plus mutualisé et solidaire devrait être envisagé.
La CSG peut servir à alimenter aussi bien le non contributif que le fonds de réserve. Le fait qu'elle touche les retraités ne nous choque pas. En effet, compte tenu du grand chantier que représente aujourd'hui la question des retraites, il n'est pas scandaleux d'imaginer que les retraités participent eux aussi à l'effort de solidarité, non pas directement mais en contribuant au financement du fonds de réserve ou de certains aspects non contributifs.
En matière d'indexation des pensions, il nous semble indispensable de garantir aux salariés le maintien de leur pouvoir d'achat. C'est un minimum, au-delà duquel une négociation peut-être déclenchée, soit automatiquement comme cela se passe pour le SMIC, en fonction de l'évolution des prix, soit par le biais d'une réunion fixée tous les deux ans et destinée à définir les coups de pouce nécessaires pour que les retraités bénéficient eux aussi de l'évolution de la richesse nationale.
Le débat sur les retraites complémentaires est déterminant lorsque l'on évoque le taux de remplacement. La baisse prévue des retraites de 20 % d'ici à 2040 correspond à l'addition des effets des réformes de 1993 et de celles des régimes complémentaires. En 1996, nous avions dû prendre des mesures drastiques pour sauver les régimes. Les seuls leviers disponibles dans le cadre des régimes complémentaires étaient la cotisation et les prestations, puisque la durée reste nécessairement liée à ce qui est décidé au niveau du régime général. Nous avons corrigé en partie ces mesures en 2001, en réduisant (mais non en l'annulant) la baisse du taux de remplacement : alors que la baisse équivalait à la différence entre les salaires et les prix, elle est aujourd'hui à moitié moindre. La négociation qui suivra la mise en place de la réforme du régime général portera dès lors sur la question de l'équilibre à long terme des régimes complémentaires et sur l'avenir du taux de remplacement.
M. le PRÉSIDENT - Monsieur Fischer, vous avez la parole. Interviendront ensuite MM. Lardeux et Chérioux.
M. Guy FISCHER - Monsieur le secrétaire général, vous avez précédemment souligné l'insuffisance des mesures susceptibles de rendre acceptable, selon vous, l'alignement du public sur le privé. Quels éléments pourraient conduire votre centrale à modifier sa position sur ce sujet important ?
M. André LARDEUX - Vous avez évoqué le problème de l'espérance de vie à 60 ans. Comment envisagez-vous l'évolution des régimes dits « spéciaux », dont les personnels partent à la retraite bien avant 60 ans ?
M. Jean CHÉRIOUX. - Vous avez répondu à l'une de mes questions en acceptant le principe de réévaluer la situation tous les deux ou trois ans, pour tenir compte des évolutions dans les décisions à prendre. Vous avez également conféré un rôle important au COR, mais en sous-entendant qu'il ne pouvait pas faire de propositions. Comment concevez-vous donc l'organisme qui aurait un tel pouvoir propositionnel ? Il est très important, en effet, que les propositions soient réalisées par un organisme capable de garantir une réelle objectivité.
M. le PRÉSIDENT - Je laisse M. le secrétaire confédéral conclure.
M. Alain PETITJEAN - Votre première question est liée à celle du taux de remplacement. Les fonctionnaires disposent certes d'un taux théorique de 75 % s'ils ont effectué une carrière complète, mais le système des primes rend cette réalité tout autre ! Il faudrait donc instaurer un système qui permette d'intégrer les primes dans le calcul de la retraite. Nous sommes satisfaits de la discussion que nous avons eue avec le ministère de la Fonction Publique à propos de la création d'une caisse de retraite complémentaire. Celle-ci fonctionnerait par répartition, serait obligatoire et serait gérée de façon paritaire, ce qui signifie que l'Etat y figurerait en tant qu'employeur et non en tant que tutelle. Une caisse de ce type servirait à intégrer aux retraites la plus grande partie possible des primes des fonctionnaires et permettrait à terme de rétablir un taux de remplacement plus proche de celui qui est théoriquement prévu. Une telle initiative constitue un élément déterminant de notre appréciation de la réforme. Mais d'autres mesures peuvent être envisagées, notamment un nouveau type de décompte du temps partiel. Aujourd'hui, beaucoup de personnes travaillent à temps partiel dans la fonction publique. Or la prise en compte de ce temps partiel dans la retraite est plus pénalisante encore que dans le secteur privé. Dans ce dernier, le temps partiel nuit au salaire de référence, mais uniquement si ces années de temps partiel ont été effectuées dans les 25 meilleures années salariées, tandis qu'il influe sur le niveau de la retraite dès la première année de temps partiel dans le secteur public. Deux pistes s'offrent à nous.
• organiser une assurance volontaire
Les agents du public pourraient alors, s'ils le souhaitent, cotiser sur un salaire complet pour obtenir une annuité entière.
• réformer les avantages familiaux
Le temps partiel correspond souvent au choix d'éduquer ses enfants. Pourquoi ne pas imaginer, dans le cadre d'une réforme des avantages familiaux, que la compensation de cette perte en termes d'annuité s'opère par le biais d'une réorientation des majorations de durée d'assurance ?
La question des longues durées de cotisation s'avère également pertinente dans le secteur public, même si elle varie selon les différentes administrations. Enfin, le minimum de pension de la fonction publique ne devrait pas, comme je l'ai dit pour le privé, se trouver en dessous du SMIC 39 heures.
Vous m'avez interrogé à propos des régimes spéciaux. Il est clair que ce qui sera décidé pour l'ensemble des régimes devra s'appliquer aux régimes spéciaux, même si l'organisation de ces mesures doit être l'objet de discussions au sein des entreprises concernées. La piste qui a été suivie par EDF me paraît intéressante. Les régimes spéciaux, notamment ceux qui relèvent d'entreprises, sont inquiétants à long terme pour les salariés qui en bénéficient, puisqu'ils dépendent entièrement de la santé de ces entreprises. Il n'y a pas, en ce sens, une très grande différence entre EDF et Enron : leurs systèmes de retraites respectifs diffèrent, mais ils ont en commun de reposer sur l'état de la société employeuse. Or qui peut prévoir la situation économique et l'organisation de ces entreprises dans vingt ans ? La façon dont EDF a choisi de s'adosser au régime général et de créer un régime spécifique, financé par l'entreprise, et permettant de subventionner ce qui ne ressort pas du régime général, apparaît comme une piste à approfondir.
J'en viens enfin à votre question sur l'organisme de proposition. Le COR va se pencher tous les cinq ans sur l'état du régime et sur les hypothèses d'évolution des paramètres d'action. Il nous a été annoncé qu'un organisme - formé entre autres par le président du COR, le président du Conseil économique et social ou encore le premier vice-président de la Cour des Comptes, et possédant en tant que tel une certaine légitimité - aurait vocation à élaborer des propositions de réforme à destination du Gouvernement. Une telle instance aurait pour effet de soustraire la nécessité des réformes aux aléas des échéances électorales auxquelles tout Gouvernement est soumis. Le principe d'un tel système nous apparaît donc comme une bonne piste.
M. le PRÉSIDENT - Merci beaucoup, monsieur le secrétaire confédéral.
Audition de M. Gérard
ASCHIÉRI,
secrétaire général
et de MM.
Gilles MOINDROT, Jean-François QUANTIN
et Daniel RALLET, membres du
secteur revendicatif
de la Fédération syndicale unitaire
(FSU),
(mercredi 30 avril 2003)
M. le PRÉSIDENT - Il est important de rappeler que c'est la première fois que notre commission entend la FSU, qui est membre du Conseil d'orientation des retraites. Votre organisation a signé la plate-forme commune du 7 janvier 2003 avec les autres confédérations syndicales. Vous avez ensuite participé aux phases d'écoute et de dialogue social conduites par le Gouvernement, des premiers entretiens de la mi-février aux consultations finales sur les propositions rendues publiques le 18 avril dernier. Il est dès lors fort intéressant de vous auditionner aujourd'hui.
M. ASCHIÉRI - Je vous remercie, monsieur le président. Je tiens à vous préciser le statut des collègues qui m'accompagnent. Notre organisation repose sur des formes de travail collectif, avec un secrétaire général et des groupes de travail pour les divers dossiers. Mes trois collègues appartiennent ainsi au groupe qui s'est plus spécifiquement penché sur la question des retraites. Ils sont les co-auteurs d'un livre qui résume nos propositions. L'édition étant épuisée, elle se trouve actuellement en réimpression et nous comptons l'adresser dès que possible à tous les parlementaires. Vous pourrez ainsi disposer de plus de détails sur notre position. Nous n'avons rien inventé sur le sujet des retraites : nous utilisons des études et documents existants, notamment ceux du COR, que nous mettons en perspective d'une manière qui nous est propre, comme je le ferai à présent dans mon introduction.
La FSU est essentiellement une fédération de fonctionnaires, puisqu'elle est la première fédération de fonctionnaires de l'Etat. Cela n'en fait pas moins une organisation considérée comme étant représentative des salariés, du fait de sa présence au sein du COR et du Conseil économique et social. Nous ne souhaitons d'ailleurs pas traiter de la question des retraites uniquement à travers le prisme des fonctionnaires, parce qu'il nous semble que les retraites constituent un défi davantage social que financier et qu'il importe dès lors d'y réfléchir en tenant compte de l'ensemble des salariés, de façon à aboutir à des situations comparables en termes de droits. Nous pensons néanmoins qu'il est nécessaire de respecter les mécanismes spécifiques qui ont été mis en place jusqu'à présent. Ce débat de société porte sur les solidarités entre les générations, entre actifs et retraités et entre public et privé.
Vous avez évoqué la signature par la FSU d'une plate-forme commune à sept organisations syndicales. Si nous avons signé cette dernière, c'est parce que nous sommes convaincus de la nécessité d'une réforme du régime des retraites. S'il peut y avoir débat sur la nature et les finalités de la réforme, le caractère indispensable d'une réforme ne peut être contesté. Les raisons sont les suivantes :
• la révolution démographique
Celle-ci ne relève pas uniquement de l'arrivée à l'âge de la retraite de générations plus nombreuses (les « papy-boomers »), mais aussi de l'allongement de l'espérance de vie. Nous vivons plus vieux et en meilleure santé. On a souvent dit que cela n'était pas une catastrophe, mais plutôt une évolution positive. La tâche qui nous incombe est de prendre la mesure de la nouvelle répartition des âges de la vie et d'en tirer les conséquences adéquates.
• l'évolution du travail et du rapport à l'emploi
En tant que première fédération de l'éducation, nous sommes très sensibles à l'élévation de la durée des études. Dans les quinze dernières années, en effet, le pourcentage d'une classe d'âge accédant au baccalauréat a doublé. Cela aboutit à retarder la venue des jeunes sur le marché du travail. Ce changement est positif dans la mesure où il signifie que des jeunes plus qualifiés pénètrent le marché du travail. Malheureusement, il équivaut également au développement de la précarité du travail des jeunes : tous les métiers connaissent un sas de précarité avant de laisser les nouveaux entrants obtenir un poste stable. Je cite souvent l'exemple des chercheurs : aujourd'hui, un jeune qui dispose d'un doctorat passe presque toujours par des stages - les post-doctorats - qui sont plus ou moins bien rémunérés, sous forme de bourse, en France et à l'étranger. Or tout ce temps n'entre pas aujourd'hui en ligne de compte dans le calcul de la retraite. Une réflexion sur le sujet de la retraite ne peut ignorer la situation de ces jeunes.
• la situation des femmes
Des inégalités extrêmement importantes persistent entre les hommes et les femmes en matière de retraites. Y compris dans la fonction publique où l'égalité théorique est réalisée, les retraites des femmes sont inférieures de 18 % à celles des hommes. Cette situation reflète ce qui s'est passé durant la période d'activité.
• l'inégalité entre catégories sociales
L'espérance de retraite d'un cadre avoisine 21 ans, et celle d'un ouvrier 14 ans. Il est indispensable de prendre ces données en considération.
Toutes ces raisons rendent nécessaire une réforme. Mais comment la réaliser ? Il est légitime de soulever la question de l'équité entre le public et le privé. Si nous approuvons cette question, nous nous opposons en revanche aux termes dans lesquels elle est posée. Très souvent, les médias réduisent la question de l'équité à celle de la durée de cotisation. On entend dès lors qu'il est insupportable qu'il faille 40 années dans un cas et 37,5 ans dans l'autre pour obtenir une retraite à taux plein. Pourtant, ces deux chiffres ne sont pas comparables. En effet, ils recouvrent des droits qui s'acquièrent selon des mécanismes extrêmement différents. Je crois que le précédent intervenant l'a évoqué. Dans le service public, 37,5 ans à temps complet doivent être accumulés ; dans le secteur privé, le temps partiel est souvent compté comme du temps plein. Autre exemple : les bonifications pour enfants sont d'un an dans la fonction publique alors qu'elles s'élèvent à deux ans dans le privé. Je ne vous dis pas que le système du privé est plus favorable que celui du public, mais que tous deux sont différents. Parler d'équité en se contentant d'évoquer la durée de cotisation n'a dès lors pas beaucoup de sens. L'équité doit, selon nous, se mesurer sur le résultat de ces mécanismes différents. Les critères de ce résultat sont l'âge de départ et le taux de remplacement. Or nos travaux, et ceux du Conseil d'orientation des retraites, prouvent qu'il existe aujourd'hui une équivalence entre le public et le privé en termes d'âge de départ, sauf qu'il s'agit dans le public, d'un âge de départ à la retraite et plutôt d'un âge de départ sous des formes de préretraites dans le privé, l'ouverture du droit à la retraite intervenant plus tard. En outre, les taux de remplacement moyens sont comparables. S'il existe des différences, celles-ci ne relèvent pas tant d'une opposition entre le public et le privé que d'écarts entre les niveaux de revenus. En revanche, le taux de remplacement des salariés du privé étant actuellement en train de se dégrader, il est à craindre que cela génère des inégalités. Ce n'est pas supportable. Aussi devons-nous revenir sur les mécanismes qui provoquent cette situation. Ces derniers sont induits par la réforme de 1993, mais également par les mesures prises en 1996 pour les régimes complémentaires.
Notre proposition d'ensemble vise à permettre aux salariés du public et du privé d'accéder à un certain nombre de garanties communes qui conforteront la retraite par répartition. Nous considérons tout d'abord que le taux de remplacement devra être au minimum de 75 % pour une carrière complète à 37,5 ans. Vous savez comme moi que ce n'est pas le retour à 37,5 ans qui coûterait cher au privé, mais bien davantage un taux de remplacement de 75 %. Ensuite, nous souhaitons un droit effectif - puisqu'il faut le rendre réel - de partir à 60 ans. Enfin, nous croyons indispensable de prendre en compte, à travers des mécanismes qui peuvent être différents, les situations que j'ai précédemment décrites et qui sont liées à l'évolution du travail.
S'il existe aujourd'hui un débat sur l'âge de départ, cela tient au fait que les deux tiers des Français arrivent actuellement à 60 ans en n'étant plus en activité. Nous pouvons certainement améliorer le taux d'activité des seniors, la situation actuelle n'étant pas forcément positive. Nous pensons néanmoins, contrairement au Gouvernement, que ce gain de temps de travail peut être obtenu non pas en allongeant la durée de cotisation - ce qui aurait pour seul effet, dans le cadre actuel, de réduire le taux de remplacement - mais en impulsant une politique à même de donner véritablement aux salariés le choix et l'envie de rester. Cela implique une politique de l'emploi et une politique de gestion des ressources humaines qui s'occupe spécifiquement de l'emploi des seniors. Nous avons à ce sujet quelques idées concernant le service public - vous nous excuserez de ne pas en avoir de précises pour le privé - compte tenu de notre représentativité. Une réflexion sur les conditions de travail des seniors et sur la transition entre l'activité et la retraite nous paraît également essentielle à aborder.
Cette démarche a, naturellement, un coût, qui ne nous semble pas hors de portée. Ce coût implique d'accroître la part des richesses produites consacrées aux retraites et plus généralement aux personnes âgées. Le COR l'a chiffré aux alentours de six ou sept points de PIB sur 40 ans. Il nous semble que cet effort équivaut à celui que notre société a réalisé dans les 40 dernières années, et que ce n'est qu'une part (d'un quart à un cinquième) du nouveau gain de productivité qui aurait besoin d'être consacré aux retraites. Nous pensons dès lors que la société devrait pouvoir mener un débat sur la part des richesses produites susceptible d'être allouée aux retraites. Un tel financement est d'autant plus envisageable qu'au cours des vingt dernières années, la part des richesses produites qui est revenue aux salaires a décru. En rétablissant l'équilibre, il devient possible de trouver une partie des financements nécessaires.
Vous comprenez bien, dans ce contexte, que nous soyons extrêmement critiques vis-à-vis des mesures avancées par M. François Fillon. L'axe qu'il privilégie consiste à allonger la durée de cotisation. Or toutes les raisons que j'ai produites devant vous et notamment celles qui concernent la situation de l'emploi (particulièrement celle de l'emploi de seniors), me conduisent à penser que la démarche proposée par le ministre débouchera nécessairement sur une baisse du taux de remplacement, c'est-à-dire sur une rupture de l'équilibre qui s'était créé entre actifs et retraités. Une telle rupture risque d'avoir des conséquences sociales extrêmement lourdes et c'est la raison fondamentale pour laquelle nous sommes opposés à ce dispositif. Nous le rejetons d'autant plus dans notre secteur que la réforme qui nous est proposée - et M. Fillon le reconnaît à travers les termes qu'il emploie - est d'une brutalité extrême. Les baisses de taux de remplacement que nous prévoyons sont de l'ordre de 20 % à une échéance très courte, dans le secteur de la fonction publique. Cela représente en outre un insupportable désengagement de l'Etat vis-à-vis de ses agents, qui sera une source de conflits importants s'il devient effectif.
La question des contreparties est souvent posée. Nous ne croyons pas que la prise en compte des primes constitue une contrepartie : ce serait une mesure légitime pour ceux qui ont des primes, à condition que nous parvenions à régler la question de l'égalité de traitement, les primes étant extrêmement inégalitaires. Si l'objectif est, comme le dit le ministre de la fonction publique, de réduire les besoins de financement de moitié, il ne pourra y avoir de contreparties susceptibles de rétablir l'équilibre que nous connaissons aujourd'hui.
M. le PRÉSIDENT - Merci beaucoup. M. le rapporteur vous pose les premières questions.
M. le RAPPORTEUR - Vous avez évoqué en premier lieu la nécessité de la réforme et d'une équité entre les différents systèmes. Le projet de M. Fillon parle d'une durée de cotisation égale pour tous et d'un droit de liquidation à 60 ans. Il instaure pour l'ensemble des catégories concernées des mécanismes de décote et de surcote autour de cette durée de cotisation légale, destinés à aboutir à une harmonisation du public et du privé d'ici à 2008. Quelle réflexion la création de ce système de décote dans le régime public vous inspire-t-elle ?
Vous avez exposé que le financement de la réforme devait passer, selon vous, par une attribution plus importante de la richesse nationale au système des retraites, en justifiant cette approche par l'évolution du PIB dans les vingt dernières années. Quel type de mesures envisageriez-vous ? Sous la forme de quels impôts et de quelles taxes partagerez-vous cette richesse nationale en direction des retraites et des personnes âgées ?
M. Gérard ASCHIÉRI - Gilles Moindrot pourrait répondre à la question qui porte sur la décote, et Daniel Rallet sur le thème du financement.
M. Gilles MOINDROT - L'annonce de la décote constitue une surprise pour la plupart des professions que nous représentons, parce que ce mécanisme n'existe absolument pas actuellement dans le calcul des droits à la pension dans nos métiers. Cette mesure brutale est source d'une baisse considérable des pensions. L'une des spécificités de nos métiers est qu'on y entre de plus en plus tardivement, compte tenu de l'élévation du niveau des concours. On ne devient par exemple professeur des écoles ou professeur certifié qu'à 25 ou 26 ans en moyenne. Appliquer le système de décote qui est proposé aura donc d'énormes conséquences (8 à 10 % de baisse en moyenne). Prenons l'exemple des instituteurs. L'âge de retraite reconnu pour les professeurs des écoles était de 55 ans et est passé à 60 ans du fait de la création du corps des professeurs des écoles. Or la perspective de partir à 65 ans, pour un enseignant de maternelle, par exemple, n'est pas crédible. Je doute par ailleurs qu'elle ne profite au fonctionnement de l'école.
M. Daniel RALLET - Le débat porte sur le choix entre un financement supplémentaire et l'appauvrissement relatif des retraités. Si l'on est d'accord à propos de la nécessité de trouver un financement supplémentaire, il reste à savoir comment l'obtenir. Nous déplorons, pour notre part, qu'il n'y ait pas de débat à ce sujet. La position du Gouvernement revient à interdire le débat sur la modalité de répartition des richesses dans les vingt années à venir. Ce débat est pourtant parfaitement légitime. Différentes pistes sont envisageables et doivent sans doute être associées. Il n'existe en effet pas de moyen unique susceptible de fournir miraculeusement les finances dont nous avons besoin.
Gérard Aschiéri a évoqué la piste du partage de la valeur ajoutée. Celui-ci étant défavorable aux salariés depuis une vingtaine d'années, il ne paraît pas inutile de mener une réflexion sur l'assiette des cotisations. Nous préconisons un accroissement de la contribution des employeurs. Concernant les fonctionnaires, le débat sur le financement rejoint celui de la réforme de la fiscalité. Des solutions ont été trouvées pour régler la question de l'assurance maladie, qui a fait appel à un nouvel impôt de CSG. Dans tous les cas, il faudra réfléchir à l'équité de l'impôt qui sera mis en place. Enfin, étant donné le principe de solidarité entre les générations, il serait incohérent, si le revenu des actifs augmente, d'interdire une augmentation de la cotisation sur ces derniers. Nos syndicats ont parfaitement compris qu'ils devront effectuer un effort de financement supplémentaire.
Telles sont les différentes pistes que nous proposons. Le plus important pour nous est qu'un débat s'ouvre sur ce sujet.
M. Alain VASSELLE - Ma première question a trait au financement. J'ai cru comprendre que M. Aschiéri concevait comme une mesure de financement importante le fait de s'appuyer sur le maintien en activité de seniors pendant une période beaucoup plus longue que celle qui prévaut aujourd'hui. Cela permettrait selon vous d'éviter l'allongement de la durée de cotisation. Vous reconnaissez cependant que cela ne va pas sans poser des questions en termes de financement, puisque nous rencontrons un problème démographique incontournable. Avez-vous évalué les recettes que génèrerait le maintien en activité de ceux qui partent à la retraite plus tôt que l'âge légal ?
Hier, un intervenant nous a expliqué qu'en laissant la situation en l'état, un terrible décalage se creuserait en l'espace de vingt ans entre le privé et le public : le taux de remplacement du premier baisserait de l'ordre de 20 % tandis que celui du second resterait stable. Il a donc été proposé que les trois dernières années - et non plus les six derniers mois - servent désormais de base de calcul aux taux de remplacement. Cette solution vous paraît-elle valable ? Permettrait-elle à terme de conserver une véritable équité entre le privé et le public ?
M. Gérard ASCHIÉRI - Nous n'avons pas chiffré ce que rapporterait le maintien des seniors en activité. Ceci étant, nous ne pensons bien sûr pas qu'une telle mesure permettrait de couvrir l'ensemble des besoins de financement : elle n'est qu'une mesure parmi d'autres, et ne peut nous soustraire aux prélèvements.
Je souhaite répondre par ailleurs à une question que vous ne m'avez pas posée ! Les travaux du COR montrent bien que si nous excluons les prélèvements jusqu'à l'horizon de 2040, nous ne pourrons nous contenter d'allonger la durée de cotisation d'un ou deux ans. Le COR prévoit qu'il faudrait six ans d'allongement. Dans tous les cas de figures, il n'existe donc pas de solution unique. Nous refusons que l'augmentation des prélèvements soit exclue d'office du champ des solutions, alors qu'elle reste à débattre.
Je profite de votre question pour revenir sur ce que disait Gilles Moindrot à propos des instituteurs. A 60 ans, en effet, il n'est pas évident d'être encore en école maternelle. Néanmoins, c'est un âge auquel on est encore en bonne santé. Le défi qui nous est posé est de permettre aux personnes qui le souhaitent de rester volontairement en activité. Si cette question n'est pas résolue, la décote aura pour seuls effets une réduction de la pension et le maintien en activité de personnes qui ne seront motivées par rien d'autre que par la crainte de la pénalisation, ce qui risque de nuire au service public.
J'en viens à votre question sur le taux de remplacement. Je partage l'analyse selon laquelle l'écart entre les taux de remplacement du public et du privé risque de s'accroître si rien n'est fait. Ceci découle des mécanismes introduits par la réforme Balladur dans le privé. Comme je pense qu'il en va de l'intérêt de notre société de maintenir un taux de remplacement à peu près égal à ce qu'il est aujourd'hui - sans doute en augmentant celui des bas salaires -, il me paraît évident que nous devons agir sur les mécanismes qui dégradent actuellement le taux de remplacement du privé.
M. Jean CHÉRIOUX - Monsieur le secrétaire général, je crois que nous sommes tous d'accord pour vouloir conserver le niveau actuel du taux de remplacement. Je n'ai toutefois pas compris comment vous envisagiez d'y parvenir en encourageant le prolongement de l'activité les seniors. Le problème n'est pas de maintenir le taux de remplacement en fonction de la durée de vie actuelle, mais bien d'une espérance de vie qui va aller en augmentant pendant des années. Cela signifie que les retraites devront être payées de plus en plus longtemps. Stabiliser le taux de remplacement actuel pose donc un problème de financement. En évoquant l'activité des seniors, voulez-vous dire que ces derniers ne prendront pas immédiatement leur retraite ? Il faudra bien que nous maintenions plus longtemps les salariés en activité et donc que nous allongions le temps de travail.
Vous proposez, par ailleurs, de financer ces mesures en prélevant de l'argent sur les richesses à venir. Mais encore faut-il que nous soyons à même de produire ces richesses ! Or si le système que nous sommes en train de mettre en place nous empêche de créer ces dernières, dans un contexte européen et mondial difficile, comment ferons-nous ?
M. Gérard ASCHIÉRI - Nous sommes confrontés au défi de construire de nouveaux âges de la vie en relation avec l'allongement de l'espérance de vie. Nous devons donc conduire une réflexion prospective et ouverte sur cette dimension. Nous ne refusons pas l'idée qu'il y ait à l'avenir un nouveau partage entre temps d'activité et temps de retraite, qui nous conduira à prolonger notre temps d'activité. En revanche, nous ne pensons pas que des mesures de pénalisation financière soient à même de dessiner ce nouvel équilibre : seule une évolution du travail permettra aux salariés d'effectuer cet arbitrage. M. Fillon présente comme uniques solutions l'allongement de la durée de cotisation et l'augmentation du taux d'activité. Nous sommes persuadés, au contraire, que cette dernière ne peut s'opérer qu'à travers des mesures qui concernent directement l'emploi et les conditions de travail des seniors.
M. Jean CHÉRIOUX - Y parviendrons-nous, dans un monde concurrentiel ?
M. Gérard ASCHIÉRI - Oui. Je laisse M. Rallet vous répondre sur ce point.
M. Daniel RALLET - Vous avez raison de signaler que la croissance implique qu'il y ait des actifs. Mais s'il n'y a pas assez d'actifs en France, ce n'est certainement pas à cause des taux d'activité au-delà de 60 ans ! Les raisons en sont le nombre élevé de chômeurs, qui a encore augmenté et les taux d'activité relativement faibles entre 50 et 60 ans en France par rapport à d'autres pays comparables. Il s'agit là d'un problème de politique macro-économique. Je ne pense pas que la France souffre actuellement d'un déficit de compétitivité. Nos gains de productivité sont relativement élevés et le COR a estimé qu'ils augmenteraient de 1,5 % par an en moyenne pendant les 40 prochaines années, ce qui nous conduira à voir le revenu doubler au cours de cette période. Le poids des retraites dans le PIB restera toujours aux alentours de 20 %. Mais, si le PIB augmente, il deviendra naturellement plus facile de financer ces 20 % que s'il est plus faible. D'où, comme vous le signalez, la nécessité d'augmenter notre taux de croissance. La politique économique doit donc s'évertuer à nous le permettre.
M. Jean CHÉRIOUX - Le fond de ma question est de savoir si les mesures que vous préconisez ne vont pas nous placer dans une situation concurrentielle dramatiquement insuffisante, par rapport aux pays qui nous entourent.
M. le PRÉSIDENT - Merci. La dernière question appartient à M. Domeizel.
M. Claude DOMEIZEL - Monsieur le secrétaire général, ma question portera davantage sur la forme que sur le fond. M. Fillon a insisté sur l'urgence à régler le problème des retraites, en menaçant de voir s'écrouler le régime par répartition si nous ne le faisions pas. Il a tenu un discours catastrophiste sur l'avenir des retraites, sur lequel il faut selon lui avoir tranché le 13 juillet. Pensez-vous que l'urgence soit si extrême, ou préféreriez-vous que l'on se donne le temps de la réflexion nécessaire pour régler ce problème qui nous concerne tous sur le long terme ?
M. Jean-François QUANTIN - Je pense que la question des rythmes aura des conséquences tant d'ordre financier que social. Le climat alarmiste que nous sommes en train de créer risque d'avoir des effets néfastes sur le comportement des salariés. Cette panique est perceptible dans les échanges que nous avons avec nos collègues. Elle peut avoir des conséquences perverses que nous ne soupçonnons pas. Certains de nos collègues songent, par exemple, à prendre leur retraite prématurément, avant 2008. Il se peut ainsi que les mesures accélèrent paradoxalement les départs à la retraite. Nous pensons que la réforme n'est pas aussi urgente qu'on nous l'affirme : les travaux du COR montrent d'ailleurs qu'il n'y aura pas de problèmes de financement avant 2008-2010. Il y a urgence, en revanche, à instaurer des mesures, qui ne sont pas forcément celles qui nous sont proposées et qui permettront de créer très progressivement, sur vingt ou trente ans, les nouveaux prélèvements nécessaires. Le COR avait ainsi estimé que l'augmentation nécessaire des prélèvements en équivalent cotisation serait de 0,3 % par an, si nous la commencions dès à présent. C'est donc dans la durée et sans précipitation inutile qu'il faut régler ces questions.
Je souhaite revenir sur l'augmentation des prélèvements et le travail des seniors. Nous ne comprenons pas en quoi, toutes autres choses restant égales par ailleurs, le prolongement des seniors en activité créerait des richesses. C'est, en effet, la masse de travail effectuée dans le pays qui importe, et non l'âge de ceux qui travaillent. Le prolongement de certains salariés dans l'activité ne créera donc pas de nouvelles richesses, ni par conséquent de nouvelles ressources sous forme de cotisation. Compte tenu du chômage actuel, l'allongement de la durée du travail s'apparente à une mesure de déplacement des salariés selon leur catégorie d'âge (en admettant qu'elle ait vraiment pour effet, ce qui n'est pas prouvé, de maintenir certains salariés au travail), mais non à un moyen de dégager de nouvelles richesses.
M. le PRÉSIDENT - Merci beaucoup. J'ai donc noté, comme M. Domeizel, que nous devons contribuer à ne pas créer de panique. Que surtout personne ne tienne de propos alarmistes ! Ceci est tellement vrai que M. Jospin nous avait dit que nous n'étions pas pressés du tout ! Notre flegme par rapport à ce sujet est telle que nous ne prenons aucune mesure progressive depuis un grand nombre d'années ! C'est cela qui crée la panique, puisque nous avons aujourd'hui le sentiment que des charges extrêmement lourdes se sont accumulées. Il me paraît donc positif que des mesures progressives soient à présent engagées, comme le préconise le COR. Personne n'avait cependant évoqué le terme de panique avant que M. Domeizel ne le prononce. Ce dossier ne suscite en nous aucune panique : il réveille uniquement un sens de la responsabilité qui nous intime de le traiter et de ne pas le renvoyer au Gouvernement suivant. Je crois que les Français estiment aujourd'hui qu'il est temps qu'un Gouvernement ait le courage d'affronter ce dossier.
M. Claude DOMEIZEL - Vous déformez mes propos. Je vous demande de visionner à nouveau l'interview télévisée de M. Fillon : vous y retrouverez les phrases que j'évoque, à savoir, qu'il faut que nous traitions le problème dans les semaines à venir pour sauver la répartition et éviter que tout ne s'écroule. C'est la raison pour laquelle le projet de loi sera déposé le 28 mai et discuté cet été.
M. le PRÉSIDENT. - Certes, mais le fait d'aller très vite n'implique pas que l'on agisse dans la panique. Cela signifie simplement que l'on travaille rapidement, à l'inverse des Gouvernements précédents qui ont tout fait pour ne pas agir. Je préfère cette vitesse-ci à cette inaction-là.
M. Claude DOMEIZEL - Nous aurons l'occasion de revenir sur ce sujet.
M. le PRÉSIDENT - Messieurs, je vous remercie
Audition de M. Guillaume
SARKOZY,
Président du groupe de propositions et d'actions
« protection sociale »
et M. Jacques CREYSSEL, Directeur
général
du Mouvement des entreprises de France
(MEDEF)
(mercredi 30 avril 2003)
M. le PRÉSIDENT - Nous sommes ravis de vous accueillir. Nous vous proposons de présenter vos positions durant un quart d'heure environ, pour permettre ensuite à notre rapporteur et aux commissaires de vous poser des questions.
M. Guillaume SARKOZY - Merci monsieur le président, mesdames et messieurs les sénateurs, de bien vouloir auditionner le MEDEF. Je suis très heureux de venir devant votre haute assemblée, vous rappeler nos positions, dont vous avez certainement entendu parler dans la presse. Nous nous sommes considérablement engagés dans cette réforme et dans l'exposition de sa nécessité. Nous l'avons fait en tant que gestionnaires des régimes complémentaires, lesquels connaîtront à terme, tout comme le régime général, des problèmes d'équilibre financier. Les besoins de financement de tous les régimes complémentaires confondus s'élèvent environ à 15 milliards d'euros d'ici à 2020. Il faut donc agir.
Nous souhaitons unanimement préserver la retraite par répartition, en laquelle nous croyons. Dans l'accord que nous avons signé en 2001, nous nous étions par ailleurs engagés à ce qu'il n'y ait pas de baisse des retraites sur une période relativement longue. Notre première préoccupation vise donc à garantir le niveau actuel des retraites. Nous ne considérons donc pas que ce dernier soit utilisé comme levier d'équilibre de nos régimes.
Passons au second paramètre envisageable : le montant des cotisations. Lorsqu'un salarié reçoit par virement son salaire, le tiers de cette somme est destiné au financement des organismes de retraite. On a coutume de parler de 26 % du salaire brut, mais cela représente aussi un tiers du salaire net. Nous considérons dès lors qu'il n'est pas possible d'aller plus loin, sauf à enlever du pouvoir d'achat aux générations actuelles, ce qui ne serait pas juste, d'autant que nous avons déjà augmenté les cotisations des régimes AGIRC et ARCCO, en 1993 et en 1996, pour les rééquilibrer.
Il reste donc la question de la durée de cotisation. En France, depuis une vingtaine d'années, la durée de travail d'un salarié a environ baissé de neuf ans. Ceci est lié au passage de la retraite de 65 à 60 ans, à la cinquième semaine de congés payés, la réduction de 40 à 39 heures, puis à 35 heures de travail. Un calcul rapide permet de montrer que la durée de travail d'un salarié a diminué de près de neuf années au cours des 20 ou 25 dernières années. Certains estiment que c'est là le sens de l'histoire, et je partage relativement cette observation, bien que je pense que cette évolution s'est sans doute trop accélérée. Le projet actuel d'augmenter la durée du travail de deux ans ou de deux ans et demi me paraît devoir être mis en perspective avec la réduction du temps de travail au cours de la vie que j'évoquais précédemment et qui est probablement allé trop loin. Je vous rappelle que, dans le même temps, la plupart des pays européens ont augmenté la durée totale du travail et l'âge de départ à la retraite, pour sauvegarder leurs régimes. Il nous semble essentiel qu'il y ait une cohérence entre les politiques de l'Europe et de l'élargissement, qui sont bonnes, et les politiques d'harmonisation entre les différents pays européens. Je ne parle pas d'harmonisation avec des pays à bas salaires : ce n'est pas notre stratégie. En revanche, je crois indispensable que les systèmes européens soient harmonisés, dans un cadre de forte concurrence entre les entreprises. Je pense, en outre, qu'il n'est pas dramatique de penser que nous travaillerons deux ou trois ans supplémentaires dans vingt ans. Il ne faut donc pas tomber dans les hystéries collectives - excusez ce mot maladroit - qui traversent notre pays. Nous devons rester calmes face à ces enjeux et ce d'autant plus qu'une fois que cette réforme sera installée et aura permis de sauver nos régimes, un vaste champ de négociations s'offrira à nous. Nous avons pris l'engagement - et je le reprends devant vous - que si la réforme fait réellement avancer la question du besoin de financement des retraites, nous serons prêts à ouvrir des discussions avec les partenaires sociaux, notamment en matière de retraites complémentaires, sur les points suivants.
• le problème de ceux qui ont commencé à travailler très jeunes
Ce problème doit être réglé en fonction des économies qui sont réalisées. Sans ces dernières, il n'est pas envisageable d'effectuer des dépenses supplémentaires. Je pars néanmoins du principe que la réforme permettra de faire des économies.
• le problème de ceux qui ont travaillé très longtemps
Il y a une injustice au niveau du régime de base, puisque la retraite est la même pour ces salariés, qu'ils aient travaillé 40 ou 45 ans.
• La pénibilité
Nous sommes d'avis qu'il y ait des négociations par branches au sujet de la pénibilité, dans la mesure, bien sûr, où nous atteindrions un équilibre financier. Ce dernier est en effet la condition indispensable de toute avancée sociale. Nous pensons que les entreprises qui nécessitent des métiers pénibles financent à leurs salariés des retraites un peu supérieures aux retraites générales.
• l'adaptation des postes de travail à des personnes plus âgées
Comment allons-nous adapter les postes de travail dans les entreprises à des personnes dont l'âge moyen augmentera ? Nous ne pouvons pas nous permettre d'attendre dix ou quinze ans pour négocier avec les partenaires sociaux de nouveaux postes de travail, plus adaptés aux salariés plus âgés. Un immense champ de négociation doit donc s'ouvrir.
I. les incitations à travailler plus longtemps
Nous ne pouvons pas nous contenter d'obliger les personnes à rester : il faut les y inciter. Lorsque je parle autour de moi de ma passion pour mon travail et de mon absence de désir de partir à 60 ans, on me rétorque que beaucoup de personnes n'ont pas la chance d'être intéressées par leur travail, et que cela justifie qu'elles aient envie d'en partir. Je pense qu'il revient aux entreprises de chercher à enrichir le contenu des postes de travail pour inciter les salariés à rester.
Ainsi, si la réforme s'engage véritablement et permet de sauvegarder nos régimes, dans le cadre du respect de la compétitivité de nos entreprises, qui est essentiel pour l'emploi, un immense champ de négociations pourra s'ouvrir. Je vous rappelle que nous devons négocier à nouveau avec les syndicats l'avenir des régimes complémentaires et de l'AGFF (l'association qui finance la retraite avant 65 ans), avant le 1 er octobre, les régimes s'arrêtant effectivement à cette date. Comment allons-nous nous en sortir, si la réforme ne permet pas d'économies ? Cela témoigne de l'incidence qu'a la loi sur les régimes complémentaires.
Je dois avouer que nous nous inquiétons de l'équilibre financier de la réforme. La question que M. Seillière a posée à M. Fillon peu avant son intervention télévisée portait d'ailleurs sur ce point. Nous aimerions obtenir plus de précisions sur ce plan. Nous ne comprenons pas bien comment l'équilibre financier de la réforme peut se réaliser. Nous sommes en revanche satisfaits que la réforme avance, que nous nous engagions dans une harmonisation des régimes public et privé et nous souhaitons que le Gouvernement inscrive dans la loi des dispositions indiquant très clairement à nos compatriotes ce qui va se passer. Nous avons tous besoin de visibilité ; nous ne pouvons pas rester dans l'incertitude.
M. le PRÉSIDENT - Nous nous interrogeons également sur le dernier point que vous soulevez. Je cède la parole au rapporteur.
M. le RAPPORTEUR - Monsieur le président, le corollaire du problème des retraites est l'emploi. En tant qu'employeur, vous êtes très souvent mis en cause. Vous avez évoqué le travail des seniors, qui nécessitera une nouvelle gestion des ressources humaines dans les entreprises. A la date d'aujourd'hui, vous avez cependant une certaine responsabilité dans les départs anticipés d'entreprise. Etes-vous d'accord avec l'idée, proposée par le texte, que soit mise en place une véritable politique d'entreprise pour maintenir en activité les seniors ? Comment contribuer à la réalisation d'une politique très concrète en la matière ?
Il est par ailleurs souvent fait référence au COR lors des débats. Ce dernier a produit un constat partagé. Néanmoins, en écoutant les uns et les autres des intervenants, je me rends compte que chacun ne prend de ce constat que ce qui l'arrange ! Le COR s'imposant néanmoins aujourd'hui, êtes-vous d'accord pour créer une instance de pilotage qui formulerait périodiquement des propositions ? Pourriez-vous, dans cette optique, participer au COR en attendant la création de cette autre instance ?
M. Guillaume SARKOZY - Les entreprises sont prêtes à tirer les conclusions démographiques qui s'imposent pour équilibrer les régimes. Mais sachez que c'est l'ensemble de la société qui a considéré, à tort, que le fait de laisser partir les anciens plus jeunes permettrait de régler le problème de l'emploi. L'Etat a ainsi mis en place de nombreux dispositifs pour faciliter cette procédure. Les salariés s'emploient eux aussi à demander à leur chef d'entreprise de pouvoir partir lorsqu'ils en ont assez. Nous avons donc pour tâche de modifier un comportement collectif. Mais nous ne pouvons pas nous contenter de dire qu'il faut le faire : comment allons-nous, en effet, y parvenir ? Je réponds par deux mots : négociation et formation.
Le problème de l'emploi et de son amélioration ne se réduit pas à la question démographique, même si celle-ci joue un rôle non négligeable. Prenons l'exemple du textile. La plupart des personnes qui se trouvent au chômage sont sans qualification : 20 % des personnes sans qualification sont au chômage, contre moins de 6 % des détenteurs d'un bac + 2. Voilà où réside le problème de l'emploi. Si la démographie permettait de le régler - en mettant les anciens à la retraite - nous ne serions pas le pays qui possède le taux d'inactivité des salariés âgés et le taux de chômage des jeunes les plus importants ! La corrélation que nous avons longtemps établie entre ces deux dimensions m'apparaît donc simpliste.
Nous n'avons pas encore pris de position officielle au sujet du COR. Notre président s'y attachera dans les semaines à venir, lorsque la mise en place de la réforme aura progressé. Sans vouloir faire d'annonces, je pense que nous nous pencherons avec beaucoup d'attention sur cette question si la réforme avance bien.
M. Jacques CREYSSEL - Je tiens à rappeler, concernant le travail des seniors, que nous sommes à l'origine de la suppression de l'ARPE. Au cours de la négociation sur l'assurance chômage qui s'est tenue avec les partenaires sociaux, à la fin décembre 2002, nous avons modifié la filière 8, qui permettait aux salariés de 55 ans de bénéficier pendant cinq ans de l'assurance chômage. Une négociation sur la formation professionnelle se déroule actuellement. Nous avons à cette occasion proposé aux partenaires sociaux que le sujet de la formation des seniors soit au coeur du dispositif, non pas pour les former à 50 ou 55 ans, mais dès 45 ans. C'est à ce moment-là en effet que doit se poser la question de la gestion de la seconde partie de carrière et qu'il est nécessaire de mettre en place des « requalifications ». Nous avons donc proposé que le nouveau contrat de professionnalisation comprenne un volet essentiel portant sur la requalification des personnes en deuxième partie de carrière, de façon à ce que celles-ci ne soient pas touchées par les problèmes de perte de qualification évoqués précédemment.
M. le PRÉSIDENT - M. Fillon a évoqué une baisse des cotisations au chômage et mentionné la possibilité de transférer aux retraites ce qui pourrait être ainsi économisé, et ce pour un montant de 10 milliards d'euros. Cela vous paraît-il crédible ?
M. Guillaume SARKOZY - Contrairement à ce qui a été dit précédemment, je peux vous assurer que les échanges ne se sont pas passés dans la précipitation. Le directeur de cabinet du ministre nous a fourni des chiffres qui donnent à réfléchir. Il semblerait que le besoin de financement du régime général à l'horizon de 2020 soit de 15 milliards d'euros, dans l'hypothèse où le taux de chômage redescendrait à 4,5 % à partir de 2010. Par ailleurs, l'ensemble des dispositions prévues par le Gouvernement représente 5 milliards d'euros d'économies. Les 10 milliards restants sont donc censés être financés par un transfert d'argent de l'UNEDIC, dans l'hypothèse de cette réduction du chômage. Si ce dernier s'élevait à 8,8 % à partir de 2010, le besoin de financement ne serait plus de 15 mais de 22 milliards d'euros. Nous avons en outre établi qu'il faudrait environ 15 milliards d'euros pour les régimes complémentaires à l'horizon de 2020 et que les mesures d'allongement de la durée du temps de travail nous apporteraient près de 3 milliards d'euros d'économies : demeurent donc encore 12 milliards d'euros de financement en 2020. J'ai du mal à croire que ce transfert de cotisation puisse suffire à combler l'ensemble de ces besoins de financement. La baisse du taux de chômage qui est prévue d'ici à 2010 (c'est-à-dire à court terme) me paraît extrêmement importante, et qu'elle réduit le chômage à une simple question démographique, ce qui n'est pas exact. Nous n'avons pas d'autres informations à ce sujet.
M. Jacques CREYSSEL - Ce qui nous a été présenté par le Gouvernement mérite d'être complété, y compris sur des questions économiques fondamentales. Beaucoup d'économistes estiment, en effet, que dès que la démographie devient moins positive, le taux de croissance lui-même s'en trouve immédiatement affecté à la baisse. Certains considèrent même que ce dernier pourrait se réduire de 0,5 % par an. Cela prouve bien que nous ne pouvons pas raisonner comme si tous les paramètres du problème demeuraient inchangés.
M. Guillaume SARKOZY - J'en reviens à la question de la durée. Vouloir l'allonger ne relève pas du sadisme d'un chef d'entreprise abominable qui voudrait faire travailler longtemps ses pauvres salariés : c'est une nécessité en termes d'harmonisation européenne. Nous sommes en compétition avec les pays européens, qui ont le même niveau de vie que nous : pourquoi les Français travailleraient-ils moins que les autres ? En revanche, s'ils travaillaient autant que les autres, cela justifierait que la collectivité fasse éventuellement d'autres efforts pour financer les retraites. Mais qu'est-ce qui justifierait que nous perdions en compétitivité et que nous ponctionnions le pouvoir d'achat des Français ? Si le chômage baisse, nous avons intérêt à redonner du pouvoir d'achat aux salariés, plutôt que de chercher à financer une fois de plus une exception française.
M. Claude DOMEIZEL - Vous avez à peu près répondu aux questions que je posais. Au terme de panique que j'ai utilisé, vous avez substitué celui d'hystérie ! Je souhaitais vous interroger sur votre absence de participation au COR, et j'ai compris que vous seriez prêts à vous y engager. Néanmoins, je ne comprends toujours pas pourquoi vous avez boudé le COR, dont tous reconnaissent pourtant aujourd'hui le travail remarquable. Y ayant participé, je vous affirme que vous nous avez manqué !
M. Jacques CREYSSEL - Le COR a mené des travaux remarquables qui ont dans l'ensemble confirmé ce que tout le monde connaissait avant. Nous avons refusé de participer au COR, parce que ce dernier correspondait, pour le Gouvernement précédent, à une façon à peine déguisée de reporter la réforme des retraites. La réforme se mettant en place aujourd'hui, il serait logique que notre comportement évolue en conséquence. En outre, nous avions le sentiment que nous serions isolés parmi beaucoup d'autres organisations, sans pouvoir modifier profondément le diagnostic et ainsi, que ce n'était pas le lieu où nous pourrions contribuer à ce qu'une décision soit enfin prise.
M. Alain VASSELLE - Je souhaite prolonger une question que M. Leclerc vous a posée à propos des seniors. Vous nous avez expliqué que la situation que vous viviez aujourd'hui n'incombait pas tant aux employeurs qu'à l'Etat et aux employés. Vous reconnaîtrez sans doute, cependant, que certaines entreprises avaient également cette politique de départ en préretraite. Aussi souhaiterais-je savoir quelle est selon vous la proportion des seniors qui se sont retrouvés en préretraite du fait des employeurs d'une part, de l'Etat et des employés de l'autre. Comment ces départs se répartissent-ils ?
Ma deuxième question porte sur le financement. En vous écoutant, j'ai eu le sentiment que la solution miraculeuse consistait uniquement à jouer sur la durée de cotisation. Quelle est dès lors la durée de vie professionnelle qui serait nécessaire pour assurer le financement des retraites à l'horizon 2020 et qui vous donnerait les marges de manoeuvre pour engager des négociations dans le cadre du régime complémentaire pour répondre aux questions de la pénibilité, des longues carrières, etc. ?
Vous n'avez pas abordé le sujet de l'élargissement de l'assiette de cotisation. Je suppose que vous en avez discuté avec les syndicats, qui évoquent fréquemment cette possibilité. Qu'en pensez-vous donc ? Cela vous paraît-il être une bonne idée ?
M. Guillaume SARKOZY - Une expression française affirme à peu près l'idée suivante : peu importe le flacon, pourvu que l'ivresse soit là. Je ne suis pas capable de répondre à votre question sur les causes du départ en préretraite : ces personnes sont parties et cela a arrangé beaucoup de monde. Aujourd'hui, nous devons changer l'ensemble de ces comportements. Nous pensons qu'il n'y a pas là seulement une question de réglementation. M. Fillon a prévu de mettre dans sa loi que, jusqu'à 65 ans, le départ d'un salarié serait assimilé à un licenciement. Une telle mesure pourrait s'avérer très grave, notamment pour nos PME et pour l'équilibre financier des régimes de retraite. En effet, si les personnes peuvent rester plus longtemps et tirer de réels avantages à cela, ils pourront décider de rester plus longtemps au chômage : pourquoi demanderaient-ils, dans ce contexte, la liquidation de leurs droits ? Les effets pervers peuvent donc être importants. Cela ne signifie pas que la loi doive négliger ces questions, mais qu'elle doit prendre en compte la réalité économique et, pour le moins, se mettre en place progressivement. Les négociations entre le patronat et les syndicats joueront un rôle essentiel en la matière. La voie de l'enrichissement du contenu des postes de travail me paraît comme un vecteur crucial.
Vous m'avez questionné sur la durée idéale de la cotisation. Le MEDEF ne considère pas qu'il y ait une durée idéale. Il ne s'agit pas non plus de savoir, comme on me le demande souvent, si le MEDEF se réjouit de la réforme de M. Fillon. La question n'est pas là : en tant que partenaire important des régimes de retraites complémentaires, nous voulons que ceux-ci soient sauvegardés. Nous nous plaçons clairement du côté des salariés et de la société en la matière. Néanmoins, il me semble très logique que le Gouvernement ne cherche pas à imposer dès aujourd'hui un nombre défini d'années de cotisation supplémentaires jusqu'à l'horizon de 2040 : cela serait stérile, or nous devons rester concrets. C'est pourquoi nous pensons qu'il est important de prolonger la réforme Balladur par celle de M. Fillon et d'expliquer à la société que l'augmentation de la durée de cotisation s'inscrit dans l'évolution normale de la société. Tel était le bon message à transmettre, et nous regrettons très clairement qu'il faille attendre 2009 pour continuer à augmenter la durée. Un tel retard aura des conséquences indéniables sur l'équilibre des régimes complémentaires.
Les stock options, qu'il est très à la mode de mentionner, ne rapporteront aucun financement, démobiliseront de nombreuses personnes et risquent de faire partir un grand nombre de cadres. Le débat sur les stock options n'a rien à voir avec la question du financement. Ce n'est qu'un débat politicien pour complaire je ne sais qui. Soyons clairs à ce sujet : l'intégration dans l'assiette des stock options ou de la participation n'est pas un débat de financement. C'est une autre discussion à laquelle, en ce qui nous concerne, nous ne pouvons pas prendre part. Votre responsabilité politique est de développer votre propre opinion à ce sujet.
Qu'en est-il alors de la CSG ou d'autres formes de financement complémentaires ? Nous croyons nécessaire qu'il existe un lien très fort entre la retraite, le contrat de travail et le salaire. La retraite, en effet, est justifiée par le contrat de travail. C'est pourquoi nous avons demandé que la CNAV devienne un régime par points : il ne s'agit pas d'entraver la dimension solidaire de la CNAV, mais de comptabiliser précisément l'effort de solidarité qui est réalisé. Nous voulons que la Nation le sache. La solidarité est noble ; nous n'avons aucune raison de la cacher derrière des systèmes illisibles, comme cela se passe aujourd'hui. Les dizaines d'heures de conversation auxquelles nous avons participé récemment ont suffi à nous faire mesurer l'illisibilité complète de ces processus. Je ne me permettrais pas de donner des leçons : je vous parle comme un citoyen, qui exige un minimum de clarté pour comprendre les systèmes auxquels il participe. Or, aujourd'hui, tout favorise au contraire l'absence de compréhension.
Enfin, je vous avance l'argument d'un citoyen inquiet : dans les années ou les décennies qui vont venir, la santé coûtera beaucoup plus cher. Je pense que c'est bien sur ce point que l'on peut trouver la justification la plus impérative à la réforme conduite par l'Etat. Nous allons avoir besoin de prélèvements pour financer ce qui est important, à savoir, pour être compétitifs et pour l'emploi. Ne les gaspillons pas !
M. André LARDEUX - Vous excluez l'augmentation des prélèvements. En ce cas, quelle part faut-il réserver selon vous à la capitalisation dans le revenu d'inactivité ?
Quelle politique démographique vous paraît nécessaire à long terme : devons-nous relancer la natalité - ce qui a un coût - ou définir une politique sélective d'immigration ?
Enfin, quel est le rapport idéal, selon vous, entre le nombre d'actifs et le nombre de bénéficiaires des retraites ?
M. Guillaume SARKOZY - Nous nous soucions en priorité de sauver la répartition, avant tout projet de capitalisation. En raisonnant par l'absurde, on se rend compte que si nous voulions qu'une capitalisation véritable sauve le régime, cela nécessiterait des sommes infiniment supérieures à celles qui sont requises par la répartition pour passer d'un régime à l'autre. Le MEDEF exclut dès lors complètement cette possibilité. En revanche, je crois beaucoup à l'idée de liberté et de justice, notamment pour la catégorie de l'encadrement, qui soutient la vie de notre pays et de nos entreprises. Le débat sur le taux de remplacement est légitime. Je trouve qu'il est bon que celui qui a travaillé au SMIC toute sa vie parte à la retraite avec 75 % du SMIC. Il est normal qu'il existe un minimum et que les personnes qui ont travaillé au SMIC durant toute leur vie touchent plus que celles qui n'ont pas travaillé. Néanmoins, vous savez que les cadres vont obtenir un taux de remplacement - calculé sur la base de leur carrière moyenne pendant 25 ans - beaucoup plus faible. Cela dépend certes des carrières, mais nos calculs aboutissent souvent à des chiffres inférieurs à 50 %, ce qui est faible et crée une importante rupture au moment où l'on part à la retraite, et ce d'autant plus que le calcul est réalisé sur la base du salaire moyen, et non du dernier salaire payé. Il faut donc offrir à cette population la possibilité de choisir d'épargner sur une longue période pour préparer sa retraite, en bénéficiant d'incitations fiscales. Je trouve que cela est profondément juste et que c'est l'expression d'une liberté élémentaire. Nous avons mis au point deux propositions très concrètes en la matière.
En ce qui concerne les politiques démographiques, je vous signale que les enfants nés aujourd'hui ne sont pas prêts de payer nos retraites. En outre, je pense que la couleur de peau de celui qui financera ma retraite m'importe peu. Son origine est indifférente : seule compte sa formation, qui lui permettra de créer des produits et services compétitifs au niveau mondial. Ceci est fondamental pour nos entreprises. Je vous rappelle que nous militons pour une zone de libre-échange qui inclut le Maghreb. Je ne m'y appesantirai pas, mais tout cela est lié : retraites et économie sont indissociables.
Je ne sais pas répondre à votre question sur le rapport idéal entre le nombre d'actifs et le nombre de bénéficiaires des retraites. Jacques Creyssel répondra peut-être mieux que moi sur la question de la capitalisation.
M. Jacques CREYSSEL - En matière d'épargne retraite, nous proposons aux salariés qui souhaitent y recourir d'avoir le choix entre un instrument individuel inspiré de la Préfon, et un instrument plus collectif qui prolongerait le PPESV de la loi Fabius en un PPESV destiné aux retraites. Ces deux outils, sur lesquels l'ensemble des professions se sont accordées, me semblent offrir aux salariés l'ensemble des possibilités envisageables. Les propositions de François Fillon m'ont d'ailleurs paru aller dans ce sens, même s'il reste à aborder les détails « qui fâchent » : les avantages fiscaux soutenant ces mesures, etc.
M. le PRÉSIDENT - Merci à MM. Sarkozy et Creyssel pour ces réponses. Nous serons ravis de vous saisir du texte qui aura été adopté par l'Assemblée nationale. Il nous sera très utile de recevoir les réactions que vous transmettrez au rapporteur.
Audition de M. Jean-Louis
DEROUSSEN,
Secrétaire général adjoint chargé de
la protection sociale
de la Confédération française des
travailleurs chrétiens (CFTC)
(mercredi 30 avril 2003)
M. le PRÉSIDENT - Monsieur le secrétaire général, nous vous proposons de nous présenter les options de la CFTC, avant de vous soumettre à nos nombreuses questions.
M. Jean-Louis DEROUSSEN - Merci de nous recevoir. Je tiens à dire que nous avons apprécié la façon dont le Gouvernement conduit la présente concertation. Le travail que nous avons mené avec les autres confédérations jugées représentatives nous a laissé le temps nécessaire pour aborder l'ensemble des sujets liés à la réforme. Cela mérite d'être souligné. Les propositions actuelles étant elles aussi soumises à concertation, cela nous permet de vous dire quelles sont nos attentes et ce qui nous semble faire défaut dans ce document.
La question de l'emploi constitue la première lacune des propositions du ministre. Nous avions pourtant largement discuté de cette problématique. Les propositions abordent longuement le thème du maintien en activité des salariés âgés, mais elles délaissent celui de l'emploi des jeunes, qui est fondamental. Aujourd'hui, les jeunes rencontrent trop de difficultés pour trouver un emploi. On peut expliciter la nécessité comptable de maintenir les salariés en activité au-delà des 40 ans de cotisation, mais une telle exigence suppose qu'on leur procure du travail. Cela implique que l'on aide les salariés âgés à conserver leur emploi, mais avant tout que soit initiée une forte dynamique en faveur de l'emploi des jeunes. Certains jeunes étudient encore après vingt ans, afin de se donner la meilleure qualification possible. Pourtant, même avec un bac + 3 ou bac + 4, ils se trouvent souvent obligés de recourir, pendant un ou deux ans, à des CES ou à d'autres formes d'emplois, qui ne sont pas à la hauteur de leurs espérances. Il est inutile de préciser que, dans ce contexte, les jeunes avec des qualifications moindres se heurtent à des difficultés encore supérieures pour trouver un emploi. Il manque donc au texte de M. Fillon cette question de l'emploi des jeunes.
Nous reconnaissons que les régimes de retraites sont en difficulté et que l'équilibre financier de certains systèmes est menacé à court terme : nous approuvons donc la nécessité d'une réforme. Nous pensons néanmoins que cette dernière ne peut pas être vécue comme un recul social. Or les mesures que le Gouvernement nous propose sont synonymes de baisses des pensions. Nous pensons qu'il faut envisager différemment la réforme. Soyons clairs : les salariés ne sont pas les seuls responsables de leurs années de cotisations manquantes ! Nous devons nous interroger sur la cause des carrières incomplètes. En outre, vous et moi sommes attachés au système de répartition, dont le moteur est l'arrivée des jeunes sur le marché du travail. Nous devons donc accompagner la réforme des retraites d'une politique familiale plus dynamique.
Emploi des jeunes et politique familiale constituent selon nous les deux lacunes fondamentales des propositions actuelles. Peut-être ces exigences sont-elles difficiles à traduire dans un projet de loi, mais elles doivent soutenir la réforme. Il est dès lors essentiel que le Gouvernement et la majorité présidentielle s'engagent sur ces deux chapitres importants.
Le sujet des retraites devient souvent très technique, lorsqu'on l'approfondit. Je reprendrai néanmoins les principaux points proposés dans le texte du 18 avril. L'idée que la durée d'assurance passe à 40 ans pour les fonctionnaires semble aujourd'hui être acceptée et comprise, parce que son annonce a été bien préparée depuis quelque temps. En revanche, le fait de la cumuler avec une décote est brutal : cette mesure doit se mettre en place beaucoup plus progressivement. Il serait erroné d'imposer tout en même temps.
Par ailleurs, dans le contexte de chômage actuel, l'idée de travailler pendant 42 ans reste difficile à entendre. Cela est incompréhensible, par exemple, pour des personnes qui ont cotisé près de 40 ans, auxquelles il est dit qu'elles devront cotiser un à trois ans de plus, alors que les jeunes qui les entourent ne trouvent pas de travail. Je crois que s'il est nécessaire d'organiser différemment nos temps de vie en tenant compte de l'allongement de l'espérance de vie, nous devons opérer ce changement sans créer de nouveaux laissés-pour-compte. L'accroissement de l'espérance de vie résulte d'une lutte sociale et des progrès sociaux et médicaux que notre société a réalisés. Les gens comprennent que cette évolution est positive et qu'elle les obligera peut-être à travailler plus longtemps. Cet allongement du temps d'activité ne leur semble néanmoins légitime qu'à condition que tous les membres de la société aient du travail. Nous n'arriverons à transmettre l'idée de l'allongement de la durée de cotisation que si notre société s'engage dans un processus de réduction du nombre de chômeurs et s'investit pour permettre à chacun de s'épanouir dans le travail. La CTFC considère le travail comme un vecteur d'épanouissement et pense que tout doit être mis en oeuvre pour donner à chacun la possibilité de travailler.
J'en viens à quelques questions techniques. La première concerne les petits salaires, appelés SAM. Il est fréquent que des personnes aient exercé des petits boulots à peine rémunérés en début de carrière. Lorsque cette dernière est incomplète, ces premières années très mal payées sont comptées dans son calcul. Il me semble normal et plein de bon sens que cette année soit neutralisée. De même, les personnes inscrites au chômage valident des trimestres de cotisation durant lesquels rien n'est inscrit à leur actif. Or si elles travaillent un peu durant l'année, celle-ci sera comptabilisée comme une année de cotisation, malgré le montant dérisoire qui y aura été enregistré. C'est pour cette raison que nous souhaitons comptabiliser les cent meilleurs trimestres plutôt que les 25 meilleures années. Cela implique que les cotisations soient inscrites trimestriellement.
M. le PRÉSIDENT - Est-ce facile sur le plan technique de revenir sur le passé ?
M. Jean-Louis DEROUSSEN - Je ne peux pas vous répondre, parce que je ne sais pas ce que la CNAV fait des salaires de 1960. Mais cette mesure est à prendre en compte à l'avenir. Prévoir de comptabiliser progressivement les 25 meilleures années implique forcément une baisse de pension pour les carrières chaotiques. Ceci se situe dans la continuité de la réforme Balladur. Nous aurions souhaité que le calcul se limite aux vingt dernières années, parce qu'il pénalisait déjà fortement les salariés aux carrières incomplètes. Il faudra voir si nous ne pouvons pas accorder des taux pleins dans certaines conditions, même en cas de carrière incomplète. Je pense, par exemple, aux femmes qui élèvent quatre ou cinq enfants et qui sont presque toujours obligées de s'arrêter de travailler. On pourrait envisager de leur garantir le taux plein, plutôt que de pénaliser leur carrière incomplète. Le projet gouvernemental d'instaurer un calcul sur 160 trimestres suscitera lui aussi une perte. Si, jusqu'à présent, les salariés étaient assurés de recevoir une retraite à peu près complète en ayant cotisé 150 trimestres, ils n'en toucheront donc plus que les 150/160 e . La perte s'évalue pour eux à 6,25 %, ce qui n'est pas négligeable sur une pension de base parfois faible. Cette mesure a également des conséquences sur le minimum contributif, puisque celui-ci sera calculé sur 160 trimestres, au lieu de 150. Celui qui a travaillé 120 trimestres ne recevra donc plus, comme avant, 120/150 e du minimum contributif (soit 426 euros), mais 120/160 e (soit 400 euros). Pour les personnes qui ont ce niveau de ressources, cette différence pèse lourd.
Nous avons longuement expliqué au ministre et à ses collaborateurs que la répartition devait sa survie aux familles, et je crois que le message a été compris. Or les enfants coûtent cher aux familles, même si celles-ci reçoivent des aides, et ce d'autant plus qu'ils restent de plus en plus tard à la charge de leurs parents. Nous pensons que les compensations familiales doivent être maintenues (nous préférons ce terme à celui d'avantages familiaux) pour équilibrer un peu l'activité réduite des mères - et parfois des pères - de famille par l'ajout de trimestres d'assurance. Notre argument semble avoir été suivi, puisque M. Fillon a énoncé qu'il ne souhaitait pas remettre en cause ce système. Le ministre a également compris que les résultats en montant de pension d'une majoration d'une année d'assurance dans le public et de huit trimestres dans le privé étaient équivalents. L'un augmente le montant de pension de 2 %, tandis que l'autre ajoute 8/150 e du maximum de 50 % du taux d'un salaire annuel moyen, soit 2,66 % d'un salaire moyen. Celui-ci relevant du régime général, qui équivaut aux trois quarts de la retraite totale, on peut considérer que les deux augmentations sont identiques. Le rapport d'un an à deux ans ne doit pas être mal interprété. Nous avons insisté sur ce point auprès de nos collègues de la presse. L'apport supplémentaire ouvert à la femme qui a eu des enfants est donc comparable dans le public et le privé. L'égalité ne consiste pas à ramener tout le monde à un an.
Venons-en aux surcotes. Il existe actuellement des surcotes dans le régime général pour ceux qui travaillent au-delà de 65 ans. Le nombre de trimestres de ces personnes est majoré. Cela ne concerne néanmoins qu'un nombre restreint de salariés et ne peut servir de prétexte à la généralisation des décotes et des surcotes. Soyons également vigilants à ce que les personnes incitées à rester tard en activité n'entravent pas à d'autres l'accès à l'emploi. N'oublions pas non plus qu'il est déjà difficile de rester en activité au-delà de 55 ans aujourd'hui et que la surcote ne peut s'adresser qu'à une minorité.
Nos collègues fonctionnaires comprennent que la réforme va les toucher fortement, parce que les cinq ans qui leur sont accordés pour l'harmonisation vont passer vite. L'allongement de la durée de cotisation prévue par la réforme Balladur s'étalait sur une période beaucoup plus longue. Ils acceptent néanmoins l'égalité de tous à l'horizon 2008, à condition qu'on ne leur impose pas en même temps de décote. Il est certainement possible d'étaler ces mesures dans le temps, sans pour autant les retarder éternellement.
Aujourd'hui, les mères de trois enfants qui ont exercé dans la fonction publique peuvent partir avec jouissance immédiate. C'est le cas aussi des militaires ; ceux-ci trouvent cependant un autre emploi lorsqu'ils quittent leur fonction. Les mères, souvent, s'arrêtent. Il arrive qu'elles reprennent leur activité : ainsi, certaines infirmières de la fonction publique, qui se sont arrêtées au bout de quinze ans d'exercice, jouissent de leur pension et exercent en même temps une activité libérale à temps partiel. Le texte annonce que la question du cumul emploi/retraite sera explorée. Elle mérite en effet de l'être, sans verser toutefois dans le paradoxe de se plaindre du manque d'infirmières et de refuser l'accès à l'emploi à celles qui veulent travailler. Nos solutions doivent rester concrètes et réalistes. Il est vrai que le départ précoce des mères de famille a été vécu comme un système de préretraite. Les mères de famille obtenaient leurs 75 % de pension un peu plus tôt que la normale, et elles en profitaient. Soyons cependant conscients que les quatre enfants qu'elles auront élevés représentent autant d'actifs qui participent au système social. S'il est bon que ce système soit revu, nous devons nous garder de le supprimer. Il importe de s'interroger systématiquement sur les publics que concernent les mesures que l'on met en place et que l'on transforme.
Un calcul m'a montré qu'une personne qui a travaillé de 1963 à 2003 à hauteur du plafond de la sécurité sociale obtient un salaire annuel moyen égal à 41 % du plafond actuel. Cela représente donc une baisse importante et le salaire annuel moyen ainsi défini sur la base de 39 heures de travail hebdomadaire s'avère être inférieur au minimum contributif. Cela signifie que ce dernier corrige même la pension de celui qui a travaillé au niveau du SMIC. Pourtant, l'esprit du minimum contributif est de définir un montant minimal garanti pour celui qui a toujours travaillé.
J'ai également calculé le montant de la pension ARCCO de quelqu'un qui gagne 1.500 euros (10.000 francs) à ce jour - soit un salaire moyen - et ai constaté qu'il s'élevait à environ 320 euros (2.000 francs). Cette personne touchera un peu moins de 41 % de son salaire moyen sur le régime général, qui sera complété par ces 2.000 francs. Le taux de remplacement est donc très faible. Le ministre s'engage sur un taux de 66 %, ce qui implique un important effort. Mais qui le fera : le régime général ou l'ARRCO ? Une répartition la plus honnête possible me semble s'imposer. J'ai calculé que celui qui gagne à hauteur du plafond de la sécurité sociale reçoit 2.500 francs de retraite ARRCO et 41 % du plafond (soit 6.537 francs). Les 15.000 francs actuels de plafond de la sécurité sociale sont donc compensés par 9.000 francs seulement. Voilà ce qu'est actuellement la retraite d'un salarié moyen.
M. le PRÉSIDENT. - Je vous remercie. M. Leclerc, notre rapporteur, sera le premier à vous interroger.
M. le RAPPORTEUR - Merci monsieur le président. Monsieur le secrétaire général, j'ai trois questions à vous poser. Vous nous avez dit avoir approuvé la façon dont s'est déroulée la concertation avec le Gouvernement. Cela me semble d'autant plus important à souligner que votre exposé prouve votre entière maîtrise des subtilités des régimes de retraite. Vos interventions m'ont toutes paru très réalistes et pertinentes.
En liant à juste titre les retraites et l'emploi, vous avez déploré que le travail des jeunes ne fasse pas l'objet de propositions concrètes dans le projet de loi. Pourquoi dites-vous cela ? Quelles mesures suggéreriez-vous en faveur des jeunes dans l'optique de leur retraite ?
Vous avez énoncé de nombreux cas particuliers - retraites incomplètes, travail des femmes, travail à mi-temps - qui entraînent nécessairement des dépenses supplémentaires. Comment envisagez-vous leur financement, au-delà de l'harmonisation de la durée de cotisation à 40 ans, que vous semblez admettre ? Enfin, que pensez-vous de l'épargne retraite, compte tenu de ce que vous nous avez exposé du taux de remplacement et du minimum contributif ? Comment la comprenez-vous ?
M. Jean-Louis DEROUSSEN - J'ai indiqué qu'il était difficile de traduire la question de l'emploi dans ce projet de loi. Mais il est important que les parlementaires mettent à profit les discussions qu'ils ont dans leurs différentes enceintes à ce sujet. Aujourd'hui, on prône la répartition et on oblige les générations à travailler plus longtemps. Or le jeune ne trouve pas de travail ; on ne lui fait pas confiance, en quelque sorte. Nous ne devons pas accepter des emplois qui ne méritent pas ce nom. La discussion qui est menée actuellement autour du RMI va conduire les entreprises à embaucher au moindre coût. C'est pour elles une véritable aubaine, puisqu'elles seront incitées à employer du personnel à bon prix, en étant dispensées des charges sociales, sous prétexte de favoriser l'insertion professionnelle. Cela signifie que les entreprises vont se tourner vers la main-d'oeuvre la moins chère qui soit, et ce alors même que nous expliquons aux jeunes qu'ils doivent étudier pour réussir. Cette mesure va décourager les jeunes, qui sont d'autant plus prêts à étudier qu'ils sont sûrs de trouver un emploi. De même, beaucoup d'entreprises demandent aux jeunes de s'investir fortement dans les stages qu'elles leur proposent - les stages étant devenus une pratique courante durant les études - mais ne leur accordent pas l'emploi qu'elles leur avaient promis, en prétextant des difficultés économiques. Comment convaincre ce même jeune d'avoir confiance dans l'entreprise ou dans les systèmes par répartition ? On dégoûte malheureusement les jeunes aujourd'hui. Je demande donc aux dirigeants de la Nation qu'ils adressent un discours beaucoup plus fort aux entreprises.
Les entreprises perdent en crédibilité vis-à-vis des salariés. Beaucoup d'entre elles délocalisent leurs activités, invoquant la cherté du travail en France. Il est vrai que le travail coûte cher, mais le transport n'est pas gratuit, lui non plus. En outre, de nombreuses entreprises n'hésitent pas à licencier des salariés par centaines et à afficher le lendemain leur satisfaction de voir leur action monter parce qu'elles ont réalisé 15 ou 20 millions de bénéfices. Cela n'est pas acceptable, que ce soit pour les jeunes ou pour les salariés. Ce que je dis est dur, mais je vous traduis ce que nous entendons dans les entreprises. Les salariés ne comprennent pas que leurs patrons annoncent simultanément un plan social et des bénéfices. Ils savent qu'il n'est pas toujours facile de trouver des débouchés, acceptent de travailler durement et d'être compétitifs, mais ne supportent pas de ne pas obtenir de contreparties. Je suis persuadé, pour ces raisons, qu'il est possible d'encourager les entreprises à développer d'autres pratiques. Quant au financement, je pense qu'il pourrait s'appliquer aux nombreuses transactions boursières qui rapportent beaucoup d'argent et dont les salariés devraient récupérer une partie des bénéfices.
Nous avons beaucoup parlé de l'épargne retraite au sein du groupe confédéral, mais nous pensions que notre tâche essentielle consistait à préparer le sauvetage des systèmes par répartition. C'est la raison pour laquelle je n'ai pas abordé ce sujet. Notre priorité est que le salarié qui dispose d'un salaire moyen puisse bénéficier d'une retraite décente à travers le système par répartition. Nous ne sommes pas défavorables à ce qu'il puisse obtenir un supplément à travers l'épargne retraite, mais ce n'est pas là une solution de premier rang. Il est compréhensible que les cadres supérieurs trouvent insuffisante la retraite à laquelle leur donne droit le système actuel, qui est limité à un plafond : s'ils gagnent quatre ou cinq fois ce dernier, leur revenu de remplacement ne sera jamais à ce niveau. Aider ces personnes à compléter leur revenu n'est qu'une façon de généraliser le système Préfon dont bénéficient actuellement ceux qui ont côtoyé la fonction publique. C'est à l'individu de choisir la manière dont il souhaite placer son argent. La Préfon est un bon exemple de ce qui peut être mis en place. Je ne sais pas si nous pouvons le généraliser, les aides fiscales étant d'un niveau non négligeable. Mais si nous le faisons, chacun en profitera à hauteur de ses attentes.
M. Jean CHÉRIOUX - Je suis très intéressé par ce que vous avez exposé, parce que cela montre que la négociation s'opère dans un cadre qui est globalement admis, bien qu'il reste un certain nombre d'éléments à mettre au point. J'ai pris conscience, à l'occasion de ce projet de réforme, de ce que le problème démographique résidait dans l'allongement du temps pendant lequel la retraite est perçue. Il ne se limite donc pas à l'équilibre du rapport entre le nombre de cotisants et de retraités. Le fait que nous vivions plus longtemps suppose en effet que nous touchions la retraite plus longtemps. Cela pose naturellement la question du maintien du pouvoir d'achat des retraités et là réside le vrai problème. Il faudrait pouvoir tenir compte du cas des personnes qui ont une espérance de vie beaucoup moins longue. Dans des métiers difficiles comme ceux du bâtiment, quelle solution imaginez-vous ? Il n'y a aucune raison pour que les personnes qui nous coûteront moins cher - parce qu'elles vivront moins longtemps - ne bénéficient pas d'une meilleure situation.
Concernant le chômage, le ministre a annoncé que si les entreprises ne faisaient pas le nécessaire pour améliorer la situation de l'emploi, elles seraient sommées de payer. Mais nous devons aussi secouer les acteurs de la formation. J'ai entendu ce matin le directeur général de l'ANPE exposer que 450.000 emplois restaient aujourd'hui sans candidats ! Le patronat n'est donc pas le seul en cause. En outre, il ne suffit pas de décider d'embaucher mais de réfléchir aux métiers qui recrutent et agir en conséquence.
M. Jean-Louis DEROUSSEN - Merci pour vos questions si pertinentes.
L'allongement de l'espérance de vie suppose une nouvelle répartition des temps de travail et de retraite : c'est là ce qui sous-tend l'idée que nous allons devoir augmenter la durée de cotisation. Il me semble que cette évolution peut être acceptée, mais à condition qu'elle soit mise en relation avec l'espérance de vie, et non avec une simple nécessité de travailler plus longtemps alors que d'autres restent au chômage. Cela soulève la question du pouvoir d'achat des retraités. La solution retenue dans les propositions est d'indexer les retraites sur les prix et c'est le minimum que l'on puisse faire. Mais nous avons laissé comprendre à M. Fillon que nous n'excluions pas des « coups de pouce ».
Nous avions souhaité que les mesures concernant la pénibilité soient abordées à un niveau interprofessionnel. La loi pourrait nous aider à définir les principaux critères de pénibilité, qui seront ensuite déclinés par branche. L'encadrement de la loi servirait ainsi de cadre aux négociations. S'il est clair que la pénibilité nuit à l'espérance de vie, faisons toutefois attention à ne pas pousser trop loin le raisonnement selon lequel plus on vit longtemps, plus il faut cotiser : sans quoi, nous devrons demander aux femmes de cotiser davantage ! L'équilibrage entre travail et retraite en fonction de l'espérance de vie pose donc un véritable problème.
Je suis d'accord avec vous pour considérer comme anormal le fait que 450.000 emplois ne soient pas pourvus. Je pense cependant que nous supportons aujourd'hui les effets d'une politique d'éducation nationale qui a interdit aux entreprises de contribuer à la formation. Les syndicats d'enseignants ont gardé la mainmise sur l'ensemble du système ; nous avons entièrement supprimé les formations professionnelles, l'apprentissage, etc. Nous y revenons à présent, mais nous subirons nécessairement un manque d'effectifs. Il suffit de voir dès à présent combien il est difficile de trouver un plombier lorsqu'on en a besoin.
M. Yves KRATTINGER - Monsieur le secrétaire général, vous avez plaidé ardemment pour l'insertion professionnelle des jeunes. Cela semblait vous préoccuper très fortement. Votre crainte est-elle que les jeunes ne trouvent pas d'emplois si les seniors travaillent plus longtemps ?
M. Jean-Louis DEROUSSEN - Je pense que nous pouvons à la fois laisser les seniors plus tardivement en activité et proposer des emplois aux jeunes car le marché a des emplois à offrir. Mais il est essentiel que les jeunes puissent obtenir de vrais postes. Notre préoccupation majeure est effectivement que les jeunes ne soient pas mis à l'écart. Des actions de formation doivent être menées. Je répète néanmoins que le manque de formation actuel résulte d'une politique menée pendant plusieurs années.
M. le PRÉSIDENT - Souhaitez-vous dire un dernier mot ?
M. Jean-Louis DEROUSSEN - Vous avez compris que notre priorité était l'emploi. Enfin, nous devons éviter que cette réforme soit comprise comme un programme général de baisse des pensions.
M. le PRÉSIDENT - Merci encore d'être venu devant nous. Nous vous interrogerons à nouveau dès que le texte sera passé devant l'Assemblée nationale pour connaître votre opinion sur son ultime version.
Audition de M. Bernard
DEVY,
Secrétaire confédéral
de la
Confédération générale du travail - Force
ouvrière (CGT-FO)
et de M. Roland GAILLARD,
Secrétaire
général
de la Fédération des
fonctionnaires
(mercredi 30 avril 2003)
M. le PRÉSIDENT - Monsieur le secrétaire général, étant au stade des propositions gouvernementales, nous avons besoin d'entendre vos réactions et de vous interroger. Nous ne sommes pas, en effet, face à un projet de loi, mais dans une phase de proposition. Je vous invite à définir votre position pendant un quart d'heure, avant que M. le rapporteur et MM. les commissaires ne vous posent des questions.
M. Bernard DEVY - Merci monsieur le président. Je souhaite préalablement vous présenter Roland Gaillard qui est secrétaire général de la fédération des fonctionnaires. Etant tous deux au Conseil d'orientation des retraites, nous sommes à même de parler ensemble du privé et du public.
Votre démarche nous a étonnés, parce que nous n'en sommes qu'à une phase de projet et que nous aurions préféré travailler sur un texte définitif. Mais j'ai entendu précédemment que nous serions également auditionnés lorsque le projet de loi sera établi.
M. le PRÉSIDENT - Nous vous invitons autant pour vous permettre de vous exprimer que pour assurer notre formation. Nous souhaitons, en effet, disposer d'une connaissance plus soutenue du problème des retraites avant d'aborder le texte. De la sorte, tous les commissaires auront à l'esprit la pensée de chaque représentant des organisations syndicales.
M. Bernard DEVY - Il a beaucoup été dit que nous nous étions opposés à la réforme. Or ce n'est pas le cas. En effet, nous sommes favorables à une réforme, comme toutes les autres organisations syndicales. Nous avons d'ailleurs participé au COR et approuvons l'analyse de la situation qui y a été établie : le nouveau rapport démographique va nous conduire à ce que les régimes de retraite soient plus coûteux qu'aujourd'hui. Nous soutenons dès lors une réforme, à condition que celle-ci s'oriente dans le sens du progrès social et c'est sur ce point qu'il nous arrive de diverger d'avec nos collègues syndicaux. On a beaucoup parlé de négociation du Gouvernement avec les syndicats. Pour notre part, nous aurions apprécié avoir une réelle confrontation avec le Gouvernement. Or il a fallu attendre le 11 avril pour apercevoir enfin légèrement les intentions du Gouvernement. Ce délai nous a gênés et ne nous a pas permis de nous confronter correctement au Gouvernement sur ce dossier extrêmement sensible.
Le texte présente d'importantes lacunes en matière d'emploi et de financement. Le passage de 40 à 42 ans de cotisation est supposé rapporter 3,7 milliards d'euros. Le calcul au prorata de 160 trimestres au lieu de 150 représente lui aussi une économie. J'ouvre une parenthèse pour dire que cette mesure défavorise les carrières accidentées, notamment celles des femmes. Le Gouvernement attend un milliard d'euros des mesures de surcote. Enfin, il prévoit pour les pluripensionnés une proratisation sur les 25 meilleures années et pour tous les régimes. Nous considérons que ceci correspond à une amélioration par rapport à l'ancien système, même si nous aurions préféré un retour à la prise en compte des 10 meilleures années.
Il reste, suite à ces mesures, à trouver 10 milliards sur les 15 milliards d'euros que nécessite la réforme. Le Gouvernement fait reposer le financement de cette somme sur l'hypothèse d'un retour à un taux d'emploi acceptable, évalué par le COR aux alentours de 4,5 %. Or cette hypothèse demeure excessivement incertaine. J'avoue que nous sommes inquiets de la situation économique actuelle et de la remontée du chômage. 2 à 2,5 millions de chômeurs sont aujourd'hui inscrits à l'ANPE. Mais si le départ massif à la retraite en 2008 doit libérer des postes, notre souci porte sur la possibilité d'une adéquation entre l'offre et la demande. Les salariés qui perdent leur emploi dans les secteurs industriels sont le plus souvent non qualifiés. Nous craignons donc fortement que ce type de salariés ne retrouve pas de travail. Le projet gouvernemental n'aborde malheureusement pas ces questions.
Les dix milliards requis correspondent au besoin financier en 2020 pour équilibrer le niveau des retraites selon les paramètres actuels, c'est-à-dire en acceptant la baisse du rendement qui a été programmée depuis 1993 dans les mesures Balladur. Ce raisonnement me paraît faible, avec tout le respect que j'ai pour M. Fillon. Cette somme, en effet, ne peut suffire à financer le niveau des retraites. Nos exigences vont, quant à elles, bien au-delà du seul maintien du niveau des retraites. Nous voulons revenir sur un certain nombre des dispositions dictées par la réforme Balladur. La conséquence de celle-ci est une baisse de 9,72 % pour un salarié du privé qui part à la retraite. J'ai effectué ce calcul avec un ami qui se trouvait précisément dans ce cas (je laisse à Roland Gaillard le soin d'évoquer ce qu'il en est du secteur public). Le pourcentage n'est certes pas le même selon les carrières, mais cet exemple signifie que ne pas prévoir les financements nécessaires pour équilibrer le système des retraites revient à accepter ipso facto la baisse du rendement des retraites à l'horizon 2020 et au-delà. Dans ce contexte, le niveau des pensions annoncé par la réforme ne peut naturellement nous satisfaire. Nous pensons que cette réforme est à caractère purement économique et les préconisations énoncées par M. Fillon nous confortent malheureusement dans ce sens.
La suppression des CATS constitue un second problème. Nous avons été choqués d'apprendre qu'il était envisageable de supprimer les systèmes de préretraites. Nous partageons le souci du Gouvernement de relever les taux d'activité, mais cela suppose avant tout que les employeurs prennent leurs responsabilités. Il ne revient pas en totalité à l'Etat de prendre toutes les mesures possibles nécessaires à cet effet. Le patronat doit s'interroger sur les mesures qui permettront d'améliorer les conditions de travail, d'ouvrir aux salariés âgés l'accès à la formation professionnelle, d'adapter les postes de travail, etc. C'est la meilleure façon d'augmenter le taux d'activité en France, mais rien n'est entrepris pour le moment. Je vous rappelle que 550.000 personnes sont en préretraite, en attendant de pouvoir prendre la retraite à taux plein. Cette situation nous empêche d'accepter une augmentation de la durée de cotisation. Cela ne servirait à rien, puisque la durée moyenne d'activité d'un salarié du privé s'élève aujourd'hui à 37 ans et que les taux d'activité entre 55 et 60 ans ne dépassent pas les 29 %. Les deux tiers des salariés qui liquident leur retraite ne travaillent déjà plus. Ce sont là les éléments majeurs qui motivent notre refus d'une augmentation de la durée de cotisation en l'état actuel de la situation du marché du travail.
L'âge moyen d'entrée dans le marché du travail est de 21,5 ans. Un salarié qui commence à travailler à 25 ans, après avoir fait des études moyennement longues, est aujourd'hui supposé prendre sa retraite à 65 ans. Si la durée de cotisation s'élève à 42 ans, ce salarié devra se retirer à 67 ans. Nous craignons, dans la mesure où l'on instaurerait une retraite à la carte, que les salariés n'aient d'autre choix que de partir à la retraite avec une pension amputée. C'est un risque. Je ne vois pas comment il serait possible de contrôler que la personne est effectivement partie de son plein gré, notamment dans les PME-PMI. L'idée d'une retraite à la carte nous confronte ainsi à un grave problème.
Je vous rappelle que nous nous inscrivons dans un régime solidaire, par répartition. Ses règles sont rigides, mais nous les avons acceptées et ce sont elles qui nous permettent d'assurer le pilotage du système.
Or, nous risquons de transformer ce système en un système à caractère individuel. Je comprends que des organisations syndicales souhaitent que ceux qui ont commencé à travailler très jeunes ou qui ont travaillé dans des métiers pénibles puissent partir plus tôt. Nous partageons ce désir, mais nous pensons que cette question doit être traitée indépendamment de celle des retraites. Il faut mettre en place des systèmes réversibles, qui permettent à ces personnes de liquider leur retraite à 60 ans dans les meilleures conditions. C'est dans cette optique que la CGT-FO a initié l'ARPE, qui a permis non seulement à 250.000 salariés de partir en cessation anticipée d'activité mais aussi à 250.000 autres d'entrer sur le marché du travail. Il s'agissait le plus souvent de jeunes, qui ont le plus souvent obtenu des CDI. Cette solution nous a semblé plus saine, dans la mesure où elle contraignait l'employeur à embaucher des salariés. La solution que préconise M. Fillon va décevoir beaucoup de monde. Près de 1,2 million de personnes possèdent aujourd'hui 40 années de validation (et non de cotisation). M. Fillon prévoit de faire partir ceux qui ont commencé à travailler à quatorze et quinze ans. Certains de leurs trimestres de travail n'ont parfois pas été validés : nous l'avons constaté dans le cadre de l'ARPE, où nous avons dû instaurer, conjointement avec la CNAV, un processus de rachat de ces périodes pour que ces personnes puissent partir avec le nombre d'années de validation négociées avec le patronat. Je reçois sans cesse des e-mails de personnes qui ont validé leurs 40 années et qui veulent partir. Qu'allons-nous pouvoir leur dire si 100.000 d'entre elles seulement sont concernées par la mesure ? Parmi ces 100.000 personnes, la moitié a quitté le marché du travail, étant au chômage, en maladie ou dans d'autres systèmes. Par ailleurs, allons-nous demander aux entreprises d'embaucher 50.000 personnes pour remplacer les 50.000 sortantes ? Il est évident que les entreprises vont profiter de l'occasion pour alléger les effectifs. Cela ne signifie pas que le système soit mis en place dans le cadre de l'assurance chômage. Nous pouvons tout à fait, comme cela avait été le cas depuis 1973 avec les garanties de ressources, trouver des solutions permettant à ces personnes de partir en cessation anticipée d'activité.
Je souhaite aborder la problématique du fonds de réserve. Son alimentation actuelle, à hauteur de 15 milliards d'euros, nous paraît terriblement insuffisante. Il importe de parvenir à l'alimenter de façon pérenne. J'ai entendu dire que les députés avaient quelques idées à ce sujet. Pour notre part, nous avons modestement proposé de taxer soit les bénéfices non réinvestis des entreprises, soit les produits financiers dégagés par les placements. Il vous revient néanmoins, en tant que parlementaires, de réfléchir aux moyens de financement qui vous paraissent les plus adéquats.
Nous sommes très favorables à ce que les salariés soient bien informés de leur retraite. Je souligne néanmoins, en tant que vice-président de l'ARRCO, qu'il nous est souvent difficile de fournir des informations fiables avant les 55 ans d'un salarié. Informer une personne de 35 ans sur sa carrière suppose d'extrapoler le cours de cette dernière, ce qui m'apparaît impossible. A 55 ans, en revanche, il devient raisonnable d'anticiper sur la fin de carrière. Notre souci est de ne pas donner d'informations fausses aux salariés. Cela pourrait avoir pour conséquence de servir les intérêts des compagnies d'assurance, qui convaincraient les salariés qu'il serait mieux pour eux d'épargner, vu le niveau de leur retraite. Nous acceptons de nous lancer dans l'information - des actions en ce sens ont d'ailleurs été entreprises à l'AGIRC et à l'ARRCO - mais nous ne voulons pas que les renseignements diffusés aux intéressés soient erronés. Nous allons donc nous lancer dans une opération d'enrichissement des fichiers. Actuellement, les régimes de retraites complémentaires, ne prennent les périodes de chômage en compte qu'à la liquidation de la retraite. L'opération que nous allons mener permettra aux salariés de voir inscrites chaque année dans leur décompte de points les périodes de chômage, qui comptent dans le calcul de la retraite. Nous pensons y parvenir à partir de 2005 ou 2006. Le nombre des dossiers à traiter annuellement va augmenter de 50 à 60 % à partir de 2006, puisqu'il passera de 550.000 à 850.000. Le travail qui nous attend est donc lourd.
Concernant l'épargne salariale, il est bien évident que nous n'y sommes pas favorables. Néanmoins, nous ne voyons pas d'inconvénient à ce que les parlementaires décident de mettre en place un système d'épargne salariale qui s'offre au choix individuel et qui ne pèse pas sur le financement de nos systèmes de retraite. Notre souci est que cette épargne ne soit pas à caractère collectif et obligatoire. Nous ne connaissons que trop les pratiques des entreprises qui rémunèrent leurs salariés en fonction des résultats des entreprises. Les exonérations fiscales favorisent ce type de rémunération aléatoire. Nous demandons d'ailleurs l'élargissement de l'assiette de cotisation aux produits de l'intéressement, de la participation, des stock options et autres, qui échappent aujourd'hui au système de cotisation et qui risquent de fragiliser de plus en plus à l'avenir le système par répartition.
Enfin, il me semble que d'aucuns sont actuellement fascinés par le régime par point. Dans le régime de base, ce dernier est contributif en même temps qu'il met en oeuvre des mécanismes de solidarité sur des périodes de validation non soumises à cotisation. Je vous rappelle que l'UNEDIC ne verse pas de cotisation à l'assurance vieillesse. Un système par point nous renverrait l'exacte photographie de chaque carrière, alors même que les carrières sont de plus en plus accidentées dans le secteur privé. Aussi le simple fait d'instaurer un système uniquement contributif reviendrait-il à ordonner une baisse significative du niveau des pensions, puisque toutes les périodes de chômage et de maladie seraient enregistrées au titre du faible revenu qu'elles permettent de recevoir. Ceci est dangereux, compte tenu de la multiplication actuelle de ce genre de périodes qui fragilisent les salariés. Nous tenons donc beaucoup à séparer le régime de base, qui fait jouer ces deux mécanismes, et les régimes complémentaires, qui sont à caractère uniquement contributif. Je pense qu'il serait erroné de promouvoir le système par points dont certains rêvent, peut-être en vue d'entrouvrir la voie au système par capitalisation. Pour notre part, nous y sommes opposés.
M. le PRÉSIDENT - Merci beaucoup, monsieur le secrétaire confédéral, pour la clarté et la franchise de vos propos qui étaient très intéressants.
M. le RAPPORTEUR - Monsieur Devy, vous vous êtes appuyé sur les travaux du COR pour attester que votre centrale était très attachée à cette obligation de réforme. Je crois que le consensus existe sur ce point. Vous avez cependant ajouté que toute réforme devrait se traduire par un progrès social, ce dont vous semblez douter dans votre démonstration que vous avez terminée en évoquant votre inquiétude quant au financement, compte tenu des paramètres actuels. Nous en arrivons donc au constat de dix milliards manquants en 2020. Je suis tenté de vous demander quelles recettes ou quelles économies supplémentaires vous suggérez de faire, puisque vous reconnaissez que la démographie et le vieillissement conduisent à des dépenses supplémentaires. J'ai l'impression qu'il se trouve une certaine contradiction dans votre propos.
Ma deuxième question porte sur les CATS et la politique de l'emploi. Le Gouvernement maintient la possibilité des CATS dans le cadre de travaux pénibles, ce qui me semble intéressant. Cette disposition vous convient-elle ? Vous avez également eu raison d'évoquer les inégalités qui séparent actuellement les salariés des PME-PMI et ceux des grandes entreprises : je crois que nous ne parlons pas suffisamment de cette immense disparité, bien que le nombre de salariés des PME-PMI dépasse celui des grandes entreprises. Comment concevez-vous une réduction des inégalités en matière d'épargne retraite si nous restons dans des systèmes individuels.
M. Bernard DEVY - Notre vocation n'est pas de défendre ceux qui touchent huit fois le plafond de la sécurité sociale. Nous cherchons à assurer à nos futurs retraités un niveau de remplacement susceptible de leur fournir un niveau d'indépendance comparable à celui qu'ils ont obtenu depuis la construction de nos systèmes par répartition. Le coût actuel d'un séjour dans une maison médicalisée nous rappelle que le minimum contributif est loin de satisfaire les besoins de la population. Cette réforme doit donc être sociale avant d'être économique. Nous savons bien que tout coûte, mais nous aurions tort de nous en référer exclusivement au baromètre des équilibres budgétaires européens. Je me suis rendu hier à un colloque qui abordait précisément ces problèmes à un niveau européen. L'argument avancé était que tous les grands pays européens se lançaient dans des grandes réformes et que nous n'allions tout de même pas brandir notre spécificité française. Je pense pourtant que les mesures que nous avons prises jusqu'à présent pour nous protéger dans le domaine de la culture ont plutôt bien réussi ; de même, le président de la République a été soutenu par la majorité des Français alors même qu'il s'opposait à un certain nombre d'autres positions, y compris européennes. Cela montre bien qu'il faut parfois savoir sauvegarder les dispositifs que l'on a su construire, notamment en matière de protection sociale. L'épargne du Smicard ne m'intéresse pas, puisque ce dernier n'a pas la possibilité d'épargner. Le système d'épargne que l'on souhaite mettre en place est donc destiné aux cadres et je n'ai absolument rien contre le fait que ceux-ci puissent en bénéficier. Mais plus des systèmes par capitalisation se mettent en place, plus nous prenons le risque de fragiliser le système existant et de ne plus pouvoir remplir nos engagements du passé. Je ne veux ni spolier la génération qui m'a précédée, ni être spolié par ceux qui paieront mes cotisations. Si nous ouvrons la porte à un peu de capitalisation, il importe que nous puissions garantir le pouvoir d'achat de ceux qui ont liquidé leur retraite. Cela suppose de disposer des finances nécessaires pour assumer nos engagements passés.
Revenons aux CATS. Dans le cadre de licenciements comme ceux de Moulinex, Metaleurop ou Daewoo, c'est l'Etat qui est appelé au secours. Il ne servirait à rien de supprimer les CATS, puisque, au final, l'Etat est obligé d'intervenir. Dans le cas de Giat Industrie, par exemple, l'Etat n'a pas d'autre choix que de s'engager pour éviter un drame social. Je suis d'accord pour que nous évitions que les entreprises se servent trop du système de préretraites, mais il n'est pas possible d'exonérer les entreprises de leurs responsabilités en matière de plans sociaux, si elles veulent utiliser les préretraites pour renouveler leur pyramide des âges. Nous sommes par ailleurs attachés aux préretraites parce qu'elles permettent de gérer la question des métiers pénibles. Celle-ci requiert, selon nous, un cadre juridique et législatif, dont les branches pourront ensuite décliner les modalités en permanence, puisque les métiers pénibles d'hier diffèrent de ceux d'aujourd'hui et de demain. Ce cadre national permettra d'éviter les inégalités entre les branches qui ont des capacités financières et celles qui en ont moins.
Vous m'avez interrogé sur le financement. Dans un courrier que nous avons envoyé à M. Fillon, nous avons évoqué plusieurs moyens possibles de financement. Nous insistons sur l'élargissement de l'assiette de cotisation à l'intéressement, à la participation, etc. Nous souhaitons également une meilleure répartition de la valeur ajoutée. Vous savez sans doute que, depuis 1982, la part des salaires dans la valeur ajoutée a diminué de dix points au profit des revenus du capital. Nous savons que l'équilibre n'est pas près de se rétablir, mais nous suggérons d'obtenir des financements par le biais de la taxation de certains des profits réalisés par les entreprises, sans que cela les pénalise. Nous sommes très attachés à la capacité des entreprises françaises de se développer, mais nous ne pouvons que constater la grande volatilité des capitaux qui advient de nos jours sur les marchés financiers. Nous nous sommes aperçus que nous avions commis certaines erreurs en favorisant la bourse, car beaucoup d'argent disparaît sur les marchés financiers. Cela nous paraît scandaleux.
M. le PRÉSIDENT - Quels bénéfices attendez-vous de l'élargissement de l'assiette de cotisation.
M. Bernard DEVY - Cela a été calculé. Je crois qu'ils se chiffraient aux environs de 15 milliards de francs.
Par ailleurs, nous ne sommes pas opposés à une augmentation des cotisations. Depuis les années 50, en effet, les cotisations ont régulièrement augmenté sans mettre l'économie française en péril. Il ne s'agit pas d'imposer une hausse brutale, mais de demander aux salariés des efforts progressifs. Je crois que nous avons tort d'aborder la question des retraites sous le prisme du catastrophisme. Nous n'ignorons pas que le PIB va doubler en l'espace de 40 ans, permettant ainsi à la productivité du travail d'aboutir à un meilleur rééquilibrage au profit des retraites. Celles-ci ne sont naturellement pas l'unique problème - il y a aussi celui de l'assurance maladie - mais elles constituent un élément majeur de cohésion sociale. En outre, les retraités représentent des agents économiques essentiels, qui ont soutenu la croissance dans les périodes difficiles que nous avons connues.
Le redéploiement des cotisations au chômage vers le système des retraites est une idée que nous avions évoquée dans le groupe confédéral et que M. Fillon a reprise. Je précise néanmoins que le COR était loin d'évaluer ce financement à hauteur de 10 milliards d'euros. Cela pose donc un problème. En outre, je vous rappelle que l'UNEDIC a emprunté de l'argent qu'il lui faudra rembourser tôt ou tard, ce qui repousse d'autant le transfert.
M. le PRÉSIDENT - MM. Krattinger et Lardeux souhaitent vous poser des questions.
M. Yves KRATTINGER - Vous avez évoqué précédemment l'incidence de l'allongement de cotisation sur le niveau des retraites : vous craignez qu'elle ne se traduise pas par une augmentation réelle des financements, mais bien par une baisse des niveaux de pension. Or, le secteur privé vivant une augmentation de la durée de cotisation depuis quelques années, peut-on mesurer aujourd'hui d'éventuelles conséquences de cette mesure sur la durée d'activité ?
M. Bernard DEVY - Elle est de 37 ans en moyenne dans le secteur privé.
M. Yves KRATTINGER - Mais de combien était-elle il y a huit ans ?
M. Bernard DEVY - Depuis 1910, elle a paradoxalement tendance à se réduire. Dans les années 50, l'activité était supérieure à aujourd'hui. Progressivement, la durée d'activité des salariés du privé et du public a eu tendance à régresser. Je ne connais pas les chiffres par coeur, mais ils sont très significatifs. En 1910, la scolarité était très courte, l'activité très longue et l'espérance de vie à la retraite extrêmement limitée. Au fil du siècle, la durée de la scolarité et de la retraite s'est accrue tandis que la durée d'activité diminuait. Notre préoccupation n'est pas la surcote des personnes qui resteront en activité au-delà de 60 ans, mais de permettre aux salariés de prendre leur retraite à 60 ans, à taux plein et en ayant conservé jusqu'au bout leur travail. Augmenter la durée d'activité n'a pas de sens si cela ne correspond pas à la réalité du marché du travail.
M. Roland GAILLARD - Les travaux du COR ont montré que si nous passons à 42,5 ans de cotisation, l'âge moyen de départ à la retraite ne sera augmenté que de vingt mois d'ici à 2040. L'enjeu est donc très clair : il s'agit de savoir si la réforme cherche à augmenter le taux d'activité ou à diminuer le taux des retraites. Nous avons le sentiment que c'est la seconde version qui prime et que les mesures proposées par le Gouvernement ne visent pas à encourager les salariés à travailler plus longtemps. Il semble que l'objectif du Gouvernement soit de réduire le niveau des retraites, puisqu'il n'est pas possible d'empêcher les salariés de s'arrêter de travailler.
M. André LARDEUX - Monsieur le secrétaire général, j'ai trouvé votre intervention intéressante, mais extrêmement pessimiste. Vous considérez qu'il existe un certain nombre de problèmes et que nous allons droit dans le mur malgré la réforme. Vous êtes attaché à la retraite à 60 ans, mais vous nous expliquez que celle-ci n'est pas accessible à tous, parce que beaucoup ont des carrières amputées. Pensez-vous qu'il soit dès lors raisonnable d'inscrire dans la loi l'âge de la retraite à 60 ans, plutôt qu'à 62 ou 63 ans, selon la date à laquelle nous nous trouverons ?
Ma seconde question concerne les augmentations de cotisation, que ce soit par élargissement de l'assiette ou par la hausse des taux. Vous l'évaluez à neuf points supplémentaires. S'agit-il de neuf points ou de 9 % ? Cela n'est pas du tout la même chose dans les deux cas : si ce sont des points, cela implique un pourcentage considérable d'augmentation. En ce cas, pensez-vous que les cotisants futurs pourront supporter une telle hausse, tout en prenant en charge l'obligation alimentaire de leurs parents en maison de retraite et en payant des impôts pour financer l'APA ? N'allons-nous pas leur imposer des charges si lourdes qu'elles en seront décourageantes ?
M. Bernard DEVY - Je vous ai dit que le PIB doublerait d'ici à 2040. Je parlais effectivement de neuf points. Mais n'oublions pas que le montant des cotisations a été multiplié par trois de 1950 à nos jours ; la part du PIB consacrée aux retraites est passée de 4 à 12,1 points. Or ces efforts n'ont pas été insurmontables. J'aime bien prendre l'exemple des exploitants agricoles. Ces derniers étaient au nombre de trois millions pour 500.000 retraités avant la seconde guerre mondiale. Aujourd'hui, ce rapport s'est inversé : environ 2,7 millions d'exploitants sont à la retraite, tandis que 500.000 exercent leur activité. En revanche, la productivité agricole a été multipliée par dix : nous sommes non seulement autosuffisants, mais également capables d'exporter notre production. Il en va de même en matière d'augmentation de la productivité du travail. Nous ne sommes pas à même de nous projeter en 2040 : nous ne connaissons ni le nombre de naissances en 2040, ni le taux de croissance en 2020. Il ne faut pas s'attacher uniquement à des problèmes à caractère démographique. Les dimensions économiques (taux de croissance, taux de productivité) et sociales (taux de chômage et d'activité) constituent autant de facteurs à prendre en compte.
Je ne crois pas être pessimiste : il me paraît possible de prendre en charge le problème des retraites sans faire preuve de catastrophisme comme c'est le cas aujourd'hui.
M. Jean CHÉRIOUX - Il est vrai que des engagements ont été pris lors de la mise en place du système de répartition. Mais ces engagements tiennent-ils compte des évolutions ? Pensait-on à l'époque que la durée de vie s'élèverait à tel point qu'elle supposerait une prise en charge des personnes âgées pendant une période infiniment plus longue ? Pour ma part, je ne le pense pas. Il est évident que nous devons maintenir le système par répartition, puisque c'est le meilleur. Mais nous ne pouvons éviter des ajustements dans tous les systèmes, tant par répartition que par capitalisation, puisque dans les deux cas, l'espérance de vie à la retraite impose des financements supérieurs. Je pense donc que vous ne pouvez pas vous contenter de rappeler les dispositions prises en 1945, parce qu'il faut intégrer les changements qui sont survenus depuis. Il me semble en effet que nos débats ne font pas suffisamment ressortir cette conséquence de l'allongement de la durée de la vie, soit du temps pendant lequel il est nécessaire de payer les retraites. Ce problème existe et nous devons le surmonter.
M. Bernard DEVY - La durée de vie est une donnée très fragile. En Russie, elle a récemment baissé pour atteindre un âge moyen de 58 ans pour les hommes. Cela signifie qu'elle est relative aux conditions de travail et de vie, à l'amélioration du service de santé, etc. Si à l'avenir les retraités n'ont pas accès à la santé de la même manière qu'aujourd'hui, nous verrons la durée de vie régresser.
Je tiens à préciser que nous avons réalisé des efforts dans le passé. Le privé, par exemple, a appliqué les mesures Balladur. La nouveauté de cette réforme est d'imposer brutalement la durée de cotisation, sous prétexte que l'espérance de vie augmente.
M. Jean CHÉRIOUX - Des réunions d'ajustement auront lieu tous les cinq ans.
M. Bernard DEVY - Nous verrons. J'en reviens à votre question sur la capacité des jeunes générations à supporter un ensemble de charges financières. Si je suis le raisonnement de votre collègue, ces jeunes disposeront normalement d'une espérance de vie plus élevée que la nôtre. Ils sont en conséquence capables de comprendre qu'ils devront payer plus compte tenu de l'allongement de leur durée de vie potentielle.
M. le PRÉSIDENT - Nous arrivons au terme de cette audition. J'ai néanmoins cru comprendre, tout à l'heure, que vous vouliez nous livrer un bon point que vous accordiez au Gouvernement et que vous ne l'avez pas mentionné. Vous en souvenez-vous ?
M. Bernard DEVY - Le bon point, c'est le fait d'avoir maintenu le Conseil d'orientation des retraites, qui a un réel pouvoir de régulation. Je crois important que nous ne le transformions pas en une instance de négociation.
Je suis par ailleurs très satisfait de l'idée des rendez-vous périodiques que le Gouvernement a proposés. Cela nous permettra d'ajuster nos positions en fonction des données qui nous seront fournies, certes dans le domaine démographique, mais aussi et surtout dans les domaines sociaux et économiques.
M. le PRÉSIDENT - Nous vous invitons à nous laisser des documents que le rapporteur intègrera au procès-verbal. Nous vous ressaisirons lorsque le texte de loi nous parviendra de l'Assemblée nationale, afin de recevoir vos idées.
Audition de M. Jacques
MAIRÉ,
Secrétaire général adjoint chargé
du dossier des retraites,
de M. Hervé BARO, Secrétaire
général,
et de M. Jean-Louis BESNARD, Conseiller
national
de l'Union nationale des syndicats autonomes
(UNSA-Fonctionnaires)
(mercredi 30 avril 2003)
M. le PRÉSIDENT. - Monsieur le secrétaire général, nous sommes très heureux de vous accueillir. C'est la première fois que notre commission a le plaisir d'entendre l'UNSA. Vous avez travaillé avec le Gouvernement lors de la phase d'approche du projet sur les retraites. Nous sommes curieux de savoir comment vous recevez les propositions énoncées par le Gouvernement. Nous vous ressaisirons naturellement au moment du dépôt du texte et de son adoption par l'Assemblée nationale pour connaître vos propositions d'amendements et vos adaptations.
Je vous invite à nous présenter votre position pendant un quart d'heure, avant que le rapporteur et les commissaires ne vous saisissent de leurs questions.
M. Jacques MAIRÉ - Merci, monsieur le président, de nous accueillir. C'est effectivement la première fois que vous nous recevez. L'UNSA est une organisation syndicale émergente qui est fortement implantée dans les fonctions publiques, mais qui a démontré, depuis les dernières élections prud'homales, sa capacité à recueillir la confiance d'un très grand nombre de salariés du secteur privé. Je souligne que cela pose désormais un problème dans le paysage syndical et dans notre système de relations sociales qui est figé depuis près de 40 ans et qui, soit dit en passant, gagnerait beaucoup à être rénové.
Avant d'aborder la question sur un angle technique, je tiens à faire quelques remarques d'ordre plus général. L'UNSA est persuadée depuis longtemps, et plus encore depuis que nous participons aux travaux du COR, qu'une première réforme des retraites est nécessaire. Il était important de permettre aux différents acteurs concernés par le sujet d'aboutir à un diagnostic partagé. Nous avons cependant regretté que le MEDEF n'y participe pas. Pouvoir partir de constats communs et d'une même base sémantique pour tous me paraît fondamental pour une question aussi délicate que celle des retraites. Je pense que le dossier de l'assurance maladie, qui est tout aussi, voire plus important, pourrait s'inspirer de cette démarche. Nous avons fait part de cette remarque au ministre de la santé.
Nous disposons d'un certain nombre de projections qui nous permettent d'éclairer la situation des retraites à moyen terme. Les éléments démographiques ne suffisent certes pas, mais ils dessinent les contours de l'avenir qui nous attend. Par ailleurs, si les données concernant la politique économique et l'emploi s'avèrent moins précises, elles nous aident à effectuer des pronostics assez corrects.
Nous nous associons au constat consensuel de la nécessité de maintenir le régime par répartition. Il existe une pétition de principe à ce sujet, mais je crois nécessaire d'ajouter que la répartition doit éviter les deux écueils suivants : rompre la chaîne de solidarité entre les générations et l'écorner trop du fait des systèmes de capitalisation ou d'épargne retraite, qui risquent d'avoir des effets négatifs sur l'assiette de financement des régimes par répartition et de la remettre progressivement en cause. Cela serait d'autant plus dommageable que le système par répartition permet d'établir, contrairement à la capitalisation, un certain degré de solidarité, bien que le système des retraites actuel comporte encore des inégalités que nous devons nous évertuer à réduire.
Nos systèmes de retraites sont divers, du fait de leur histoire. Nous pourrions souhaiter les unifier, dans un souci de rationalisation, mais j'estime que nous devons accepter cette diversité qui n'est pas incompatible avec une convergence des systèmes. Nous avons certes à résoudre certains problèmes d'équité, mais cela n'implique pas de mettre en cause cette variété qui constitue un héritage de l'exception française, notamment en ce qui concerne le statut de la fonction publique.
L'objectif d'une réforme, même s'il existe un certain nombre de difficultés à en assurer l'équilibre dynamique sur plusieurs décennies, doit être selon nous de garantir le niveau de retraite le plus élevé qui soit souhaitable. Ceci est écrit dans la déclaration de principe du Gouvernement. Ce niveau de retraite doit être défini par rapport à l'existant. Or, le niveau de retraite que nous avons acquis, quels que soient les statuts des salariés, est assez correct, puisqu'il atteint globalement 75 % du taux de remplacement. Seule la gestion des deux extrémités de l'échelle des salaires pose des problèmes. Nous estimons en l'occurrence qu'il importe de veiller à conserver ce niveau, afin que les retraités vivent dans un confort comparable à celui qu'ils ont eu durant leur activité. Il est évident que le départ à la retraite a des conséquences qui ne nécessitent pas un taux de remplacement de 100 % : les retraités possèdent un patrimoine et tendent à voir certaines de leurs charges s'estomper ou disparaître. C'est donc sur ces bases que nous avons souhaité débattre de la réforme des retraites. Nous ajoutons cependant la remarque suivante : le fait que les personnes vivent plus longtemps est plutôt une bonne nouvelle, dont notre société doit être en mesure d'assumer les conséquences. Il n'y aurait en effet pas de sens à avoir bâti ce progrès si nous ne sommes pas en mesure de l'assumer correctement, c'est-à-dire de permettre aux retraités de profiter de la dernière période de leur vie, après 40 ans d'activité. Ceci soulève un problème de société et plus encore, de civilisation. Il s'agit de savoir comment nous concevons la place de ces nombreux citoyens retraités. Si les questions de financement sont importantes, elles ne doivent pas moins être abordées à l'aune de cette perspective. Sans cela, nous aurons failli à notre projet de société.
Dans ce contexte, le projet actuel nous semble comporter de graves défauts. Le premier d'entre eux est le refus d'examiner l'éventualité de l'évolution des systèmes de financement. Ce postulat de départ condamne le Gouvernement à n'utiliser que d'autres variables : celle de l'augmentation de la durée du travail et celle de l'abaissement programmé et inéluctable du niveau des pensions. Nous ne suggérons pas d'inverser l'ordre des facteurs et de n'utiliser que l'augmentation des financements. Nous suggérons en revanche d'examiner l'ensemble des possibilités qui s'offrent à nous. Nous regrettons qu'il n'en soit pas ainsi, parce que cela incite nos concitoyens à s'inquiéter fortement du montant des retraites qui leur seront versées dans quelques années. Nous percevons clairement cette crainte dans notre travail d'information (puisque nous ne nous contentons pas d'avoir une attitude revendicatrice). Nous ne possédons pas de solutions clé en main sur les questions de financement ; personne n'en a d'ailleurs. Nous ne pouvons pas cependant accepter d'entendre le Gouvernement refuser toute discussion, sauf marginale. La proposition de François Fillon de s'appuyer sur la résorption du chômage - en expliquant cette dernière par l'évolution de la démographie - nous paraît insuffisante. Il ne suffit pas, en effet, de limiter la question des capacités au seul transfert de charges d'un poste à l'autre. Il n'existe pas de solution simple, mais nous devons réfléchir aux diverses marges de manoeuvre qui s'offrent à nous. Nous pourrons y revenir si vous le souhaitez. Malheureusement, il est évident que ce débat a été refusé.
L'horizon de 2020 nous paraît raisonnable, puisque nous pouvons globalement anticiper l'essentiel des aspects démographiques d'ici à 2040. Il n'a pas été choisi au hasard, puisque nous savons que le choc du baby-boom produira ses effets les plus importants entre 2020 et 2040. Ceci explique la nécessité de créer le fonds de réserve. Nous sommes préoccupés par la question de la mise en place de ressources pérennes à hauteur des besoins qui ont été fixés. Si nous ne parvenons pas à financer cette somme, nous ferons porter à une seule génération la charge d'assumer la répartition en général et le choc du baby-boom. Un tel excès serait de nature à mettre en cause la répartition. Il est évident qu'il faut aider le fonds de réserve à remplir sa fonction de lissage d'ici à 2020. Ce fonds peut par ailleurs jouer un rôle économique non négligeable. Cela signifie que nous avons l'obligation de faire en sorte que le système soit en bon état à l'horizon de 2020.
La question des financements nous paraît être actuellement occultée par le poids de la conjoncture. Celle-ci, parce qu'elle est actuellement difficile, nuit à nos systèmes sociaux. Cela ne doit cependant pas nous conduire à occulter le fait que les problèmes liés aux retraites ne sont pas programmés pour un avenir immédiat. Nous pouvons espérer que la situation présente s'améliore et adopter une réflexion plus large sur la question du financement. Il existe une relation évidente entre la meilleure façon dont nous pouvons maintenir les systèmes par répartition et la situation de l'emploi. Nous adhérons ainsi à l'objectif d'améliorer le taux d'activité aux deux extrémités du système, c'est-à-dire pour les plus jeunes et pour les seniors. Il n'est toutefois pas possible de s'en tenir à des déclarations, comme celles que l'Union Européenne multiplie sans se donner les moyens de mener des politiques en ce sens. Des politiques volontaristes s'avèrent nécessaires dans ce cadre : cela suppose une réelle volonté des entreprises, mais aussi des politiques publiques d'incitation, d'accompagnement ou de contrainte, conduisant le plus grand nombre de personnes en âge de travailler à exercer une activité dans les meilleures conditions possibles, c'est-à-dire en éliminant les formes de travail précaire. Cela contribuera au financement des retraites.
Les dispositions de 1993 concernant l'allongement de la durée du travail dans le secteur privé sont arrivées à leur terme. Les fonctionnaires ne considèrent pas l'allongement de la durée du travail à 40 ans comme un motif essentiel de revendication. En revanche, nous considérons que les conditions de mise en oeuvre de cette réforme ne sont pas acceptables. Extrêmement brutales, elles télescopent les projets individuels de milliers de personnes, qui n'ont pas le temps de réviser leur fin de parcours professionnel. Nous rencontrons quotidiennement des cas de ce type. Or cela nuit fortement à la perception de l'ensemble de la réforme par ces personnes.
M. le PRÉSIDENT - La réforme n'est pas suffisamment étalée dans le temps.
M. Jacques MAIRÉ - Oui, absolument. La réforme qui a eu lieu dans le secteur privé n'a réussi que parce qu'elle a été plus progressive. De nombreux salariés de plus de 50 ans s'aperçoivent qu'ils vont devoir travailler beaucoup plus qu'ils ne le prévoyaient et cela a des conséquences très néfastes. Ce rejet est amplifié par l'instauration inacceptable d'un système de décote. Nous acceptons l'idée que les retraites subissent une proratisation en fonction de la durée de cotisation, mais nous contestons l'ajout de cette punition qu'est la décote. Celle-ci étant exorbitante dans le secteur privé, il nous paraît essentiel de la faire converger vers celle qui est prévue pour le secteur public. Nous ne comprenons d'ailleurs pas qu'on attende 2008 pour y parvenir. Cette décote est en effet une arnaque pour le salarié qui la subit, puisqu'il paie le double de ce que la neutralité actuarielle devrait exiger. Il faut donc la baisser. Dans le public, cette décote est très mal perçue et nous nous opposons à sa mise en place qui a pour seul but de contraindre les salariés à travailler plus longtemps. La preuve en est que la surcote n'équivaut pas à la décote, comme le voudrait la logique de la neutralité actuarielle. Il faut éviter cette mesure qui est désastreuse pour la perception du projet de réforme. Nous vous prévenons de ce que les fonctionnaires apparentent ce système à une double peine.
M. le PRÉSIDENT - Avez-vous le sentiment que cette réforme advient trop tard et qu'elle aurait pu être lissée dans le temps si nous l'avions entamée plus tôt ? Si nous l'avions mise en oeuvre il y a cinq ou dix ans, la volonté de voir converger le privé et le public n'aurait-elle pas été mieux vécue ?
M. Jacques MAIRÉ - Cela est sans doute vrai. D'autres pays européens qui ont commencé à réformer plus tôt adoptent des formules semblables à celles qui sont actuellement préconisées, mais en allant moins vite. Cela doit nous conduire à dénoncer non pas tant l'impéritie des gouvernements précédents que le manque d'outillage dont dispose notre système de relations sociales depuis deux décennies pour aborder des questions de cette importance. Cela me ramène à la digression à laquelle je me suis livré au début de mon intervention. Sur des sujets aussi complexes, il faut évidemment être à même de faire émerger des diagnostics et des éléments de réponse, comme cela a été réalisé avec le COR. Il est également nécessaire d'avoir des partenaires sociaux capables d'aborder ces sujets en étant armés d'une légitimité à parler pour ceux qu'ils représentent et en tenant un discours plus équilibré. Cela est vrai des retraites mais aussi de beaucoup d'autres sujets.
M. le PRÉSIDENT - Je vous propose de laisser M. le rapporteur vous questionner.
M. le RAPPORTEUR - Monsieur le secrétaire général, j'ai beaucoup apprécié la teneur de vos propos. Vous partez des conclusions du COR pour exprimer que l'un des principaux objectifs de la réforme est de maintenir le taux de remplacement actuel. Nous rejoignons votre souci. Or vous critiquez le refus du Gouvernement d'examiner des solutions de financement, suite à quoi vous évoquez paradoxalement le poids de la conjoncture. Quelles manoeuvres de financement vous semblent dès lors susceptibles d'apporter le progrès social, que nous souhaitons tous, de cette réforme ?
L'un des objectifs de la réforme est de rapprocher les retraites de tous les travailleurs de notre pays, qu'ils exercent dans le public ou le privé. Vous critiquiez à l'instant la brutalité des mesures concernant le public, qui vous paraissent drastiques. Même si vous regrettez la mise en place de la décote, vous ne refusez pas l'idée de porter la durée de cotisation à 40 ans, c'est-à-dire le fond de la proposition du Gouvernement. Est-ce à dire que vous auriez souhaité que la réforme s'étale davantage dans le temps, sans pour autant rejeter l'harmonisation du public et du privé ?
Vous n'avez pas abordé la question de l'indexation. Quelle en est votre vision, compte tenu de la disparité qui existe actuellement entre les secteurs public et privé ?
M. Jacques MAIRÉ - Concernant le financement, nous n'excluons pas l'augmentation des cotisations. Nous ne nous y opposons pas a priori . Nous ne pensons pas qu'il suffise d'une augmentation du PIB pour régler le problème de besoins de financements supplémentaires, ni des seuls gains de productivité, qui doivent également se répartir sur d'autres besoins, notamment les salaires et les investissements, puisque nous vivons dans une économie de marché (il serait toutefois bon que l'on rééquilibre la part des gains qui va au travail et celle qui revient au capital).
Les retraites posent un problème de solidarité, notamment concernant les bas salaires. Les 75 % du SMIC destinés à ceux qui touchent les retraites les plus basses nous paraissent insuffisants. Je vous signale que cette mesure est problématique pour les personnes qui se situent dans la tranche immédiatement supérieure à celle du SMIC et que nous devons y réfléchir. Il serait important de valider des durées de cotisation. Il ne s'agirait pas d'octroyer des périodes cotisées alors que les personnes n'ont pas travaillé, mais de comptabiliser une durée. Les modes actuels de financement de la solidarité dont nous disposons - la CSG, par exemple - nous paraissent adéquats pour payer de telles mesures, même si les points de CSG ne peuvent se répartir n'importe comment. Ces points nous semblent en effet plus justes en termes de répartition de l'effort que les seules cotisations.
Sur le dossier de la pénibilité, nous pensons qu'il faut appliquer des formules proches de celles du financement des accidents du travail ou du principe pollueur payeur. Des négociations par branche et par entreprise doivent permettre de résoudre ce problème. Il nous paraît en effet normal que les systèmes productifs qui induisent de la pénibilité prennent en charge cette dernière.
Le fonds de réserve dispose actuellement de financements pérennes mais variables, qui sont insuffisants. Un financement pérenne supplémentaire s'impose dès lors. Nous avons proposé au Gouvernement d'instaurer une « CSG retraite ». Nous avons évalué le montant de CSG nécessaire à 0,3 ou 0,5 point de CSG supplémentaire. Il ne nous semble pas que l'utilisation du revenu des privatisations soit très pertinente, d'une part parce qu'il y en aura de moins en moins et, d'autre part, parce qu'il vaut mieux laisser l'Etat gérer son patrimoine correctement.
La comparaison des taux de remplacement et du niveau des pensions dans les systèmes publics et privés montre que ces derniers s'équivalent dans l'ensemble. Il n'est donc pas indispensable de les modifier. C'est la raison pour laquelle nous trouvons excessive la mesure de 1993 qui prévoit le passage à 25 ans de la période de référence pour calculer le salaire de référence. Nous souhaitons nous en tenir aux 20 dernières années comme c'est actuellement en vigueur. Les cinq années supplémentaires vont en effet contribuer à détériorer les retraites du secteur privé. En outre, beaucoup de salariés vont peiner à trouver 25 bonnes années, ce qui écornera également le niveau des retraites.
Nous ne sommes pas d'accord pour une indexation sur l'indice des prix et nous ne souhaitons pas qu'elle soit appliquée au service. Il est démontré que ce système, lorsqu'il est appliqué sur une longue période, conduit à un décrochage du niveau de vie des retraités par rapport à celui des actifs. Il faudrait pour le moins que la loi prévoie la possibilité de coups de pouce identiques à ceux qui sont accordés au SMIC. Nous ne pouvons pas rester dans un système figé, qui instaure la quasi-automaticité de l'augmentation de la durée de cotisation en fonction de paramètres sanctionnés par l'intervention d'une commission indépendante. Celle-ci sera certes composée de personnes éminemment respectables, mais nous ne soutenons pas l'idée d'un CSA des retraites. Nous pensons en effet qu'au moment où l'ensemble des paramètres sera revu, et non seulement celui la durée de cotisation, il reviendra aux différents partenaires sociaux d'en discuter et aux pouvoirs publics de prendre leurs responsabilités.
M. le PRÉSIDENT - Ne craignez-vous pas que la théorie des « coups de pouce » tende à mettre à mal les efforts qui ont été réalisés antérieurement ?
M. Jacques MAIRÉ - Pas nécessairement.
M. le PRÉSIDENT - Il faudra donc se limiter à de petits coups de pouce.
M. Jacques MAIRÉ - Nous allons inscrire dans la loi un dispositif qui répercutera l'allongement de la longévité sur une nouvelle répartition entre travail et retraite : deux tiers pour le premier et un tiers pour le second. Pourquoi n'instaurerions-nous pas un processus du même type en ce qui concerne l'examen des mécanismes de croissance, des résultats de l'économie et de l'augmentation des richesses ? Posons donc au moins le principe de ces « coups de pouce ».
M. le PRÉSIDENT - D'accord. C'est très bien.
M. Michel ESNEU - Monsieur le secrétaire général, j'ai apprécié votre analyse et votre franchise. Je trouve cependant que vous avez fait preuve de violence dans vos propos sur l'allongement de la durée du travail. Vous avez utilisé la notion de double peine et brandi la menace des dégâts qu'une telle mesure causerait. Cela m'a saisi et impressionné. Néanmoins, le contexte a bien changé depuis la réforme Balladur, et je pense que nous aurions dû mener la réforme des 35 heures en même temps que celle des retraites. Aujourd'hui, grâce aux 35 heures, la répartition du travail s'effectue autrement, et il me semble logique d'accepter l'idée d'un allongement dans ce contexte. Je ne pense donc pas que le traumatisme puisse être aussi profond que celui que vous décrivez. Je souhaite que vous adoucissiez vos propos.
M. Jacques MAIRÉ - L'image de la double peine étant d'actualité, je m'en suis servi. Je vous assure cependant que cette mesure est très mal perçue. L'idée qu'il faille travailler plus longtemps va être progressivement intégrée par les salariés. Par ailleurs, il ne faut pas oublier que certains souhaitent actuellement travailler davantage et ne peuvent pas réaliser leur souhait. La première bataille à mener doit viser à permettre à ces personnes de travailler plus longtemps, de même que nous devons aider les jeunes à entrer dans la vie active dans de bonnes conditions. La France est en effet le pays d'Europe qui a le taux d'inactivité le plus élevé chez les jeunes de 16 à 25 ans et chez les seniors ! Notre premier effort doit donc être de remédier à cette situation.
Je vais vous confier mon sentiment sur la relation entre la réduction du temps de travail et l'augmentation de la durée de cotisation. Nous ne pouvons pas refaire l'histoire. Notre centrale a soutenu la réduction du temps de travail à 35 heures, qui aurait sans doute pu être conduite autrement. Mais ne faisons pas de procès trop faciles : il faut rappeler qu'un accord national interprofessionnel, signé le 31 octobre 1995, prévoyait l'ouverture de négociations sur la réduction et l'aménagement du temps de travail dans toutes les professions et qu'un an plus tard il n'y avait pas eu la moindre avancée en la matière. Le système de relations sociales n'était pas capable de s'en charger et il s'est bloqué. C'est suite à ce constat que Gilles de Robien, qui était député à l'époque, a proposé un projet de loi destiné à suppléer la carence des partenaires sociaux qui n'avaient pas été capables de mettre en oeuvre l'accord qu'ils avaient signé. Vous connaissez la suite de l'histoire. Ainsi, il est certain que nous aurions pu procéder autrement, en instaurant les aménagements nécessaires, afin de ne pas créer les déséquilibres que l'on connaît. Mais cela appartient aujourd'hui à notre patrimoine et nous devons nous en accommoder dans les meilleures conditions possibles. L'allongement global de la durée du travail constitue une réponse possible. Ce n'est pas forcément la meilleure.
M. Jean-Louis BESNARD - Je souhaite revenir sur le lien entre la réduction du temps de travail et l'allongement de la durée de cotisation. Les carrières des jeunes qui entrent actuellement sur le marché du travail vont se dérouler dans des conditions différentes de celles de leurs aînés et il est évident que la perception que ces nouvelles générations auront de l'allongement de la durée de cotisation divergera elle aussi. Il me paraît logique de penser que l'amélioration des conditions de travail rendra concevable la perspective de travailler plus longtemps. Mais le problème principal est celui des personnes de plus de 50 ans qui commencent à envisager leur retraite et pour lesquels l'idée de prolonger leur activité - du moins s'ils le peuvent - est véritablement négative. Le lien que vous établissez est donc juste, mais il se pose dans des termes différents selon les générations.
En outre, s'il existe plusieurs variables pour ajuster les recettes et les dépenses de nos régimes de retraite, encore faut-il que nous mobilisions ces instruments de façon cohérente dans la durée. Ainsi, annoncer un allongement de la durée de cotisation alors qu'il existe un chômage très élevé n'équivaut pas à programmer avec certitude une augmentation des taux d'emploi : cela risque plutôt d'annoncer une baisse du niveau des retraites. Nous serons obligés d'allonger à terme la durée d'activité, compte tenu de l'accroissement de l'espérance de vie, mais nous devons nous confronter dans l'immédiat au problème de l'emploi et du sous-emploi des salariés âgés. Cela signifie qu'il importe davantage aujourd'hui de dégager de nouvelles ressources (cotisations ou prélèvements sur l'ensemble des revenus) que d'augmenter la durée de cotisation. Nous devons donc adapter les variables d'action à l'évolution du système économique et social.
M. le PRÉSIDENT. - Je vous remercie.
M. Jean CHÉRIOUX. - Monsieur le secrétaire général, vous nous avez expliqué que certaines mesures seraient extrêmement mal perçues par l'opinion publique. Cela tient avant tout à la faible connaissance du problème qu'a l'opinion publique. Il me semble en conséquence qu'un devoir de pédagogie incombe au Gouvernement ainsi qu'aux organisations syndicales et professionnelles, pour contrebalancer le discours trompeur des médias. On entend, par exemple, à la télévision, qu'il faut défendre le système par répartition, alors que personne ne cherche à le mettre en cause. Nous ne sommes nourris que de slogans qui reposent sur des analyses erronées. Nous avons donc un devoir d'éducation, qui pourra s'établir sur la base des travaux du COR, auxquels se réfèrent toutes les organisations que nous avons reçues. Sans cela, les dés sont pipés dès le départ. Chacun doit assumer ses responsabilités.
M. le PRÉSIDENT - Chacun le fera, j'en suis sûr.
M. Jacques MAIRÉ - Monsieur le sénateur, nous n'accusons pas le Gouvernement de vouloir mettre à mal la répartition.
M. Jean CHÉRIOUX - Nous entendons pourtant sans cesse les dirigeants syndicaux tenir de tels propos.
M. Jacques MAIRÉ - Nous ne sommes pas de ceux-là, et si certains parlent de cette manière, ils ont tort. Nous ne faisons pas ce procès au Gouvernement, parce que ce serait faux. Nous alertons en revanche le Gouvernement sur l'existence d'un risque que soit mise en cause la capacité du système par répartition à répondre à sa mission. Par ailleurs, nous ne pensons pas qu'il soit utile d'aborder le sujet de la capitalisation dans le débat actuel. Il revient aux politiques de négociation sur les rémunérations différées de se saisir du dossier de l'épargne salariale. Un dispositif existe ; nous ne le contestons pas et croyons qu'il doit pouvoir se développer à condition qu'il ne provoque pas un accroissement des inégalités. En effet, si ce système devait s'orienter progressivement vers un dispositif d'épargne retraite, nous observerions d'importantes inégalités de traitement selon le statut des salariés et la situation des entreprises (les PME, les TPE, l'artisanat ne disposant pas des mêmes capacités que les grandes entreprises). Nous ne pouvons ignorer cet argument.
Nous tâchons d'informer nos collègues et concitoyens et nous leur expliquons qu'en l'état actuel, le projet gouvernemental conduit inéluctablement à la baisse des pensions et des retraites. C'est la vérité et nous nous devons de la délivrer. Il faut que le Gouvernement s'explique sur ce point, qu'il modifie son projet de réforme en abordant la question des financements à venir. Sinon, nous ne pouvons tirer d'autres conclusions que celle d'une baisse inévitable.
M. Jean CHÉRIOUX - Comment définissez-vous cette baisse ?
M. Jacques MAIRÉ - C'est une baisse par rapport au taux de remplacement actuel.
M. Jean CHÉRIOUX - La calculez-vous en valeur relative, et non uniquement sur la base des prix ?
M. Jacques MAIRÉ - Evidemment. Je ne vais pas détailler les mesures qui sont énoncées par le Gouvernement, mais toutes convergent à faire baisser le niveau des pensions et des retraites.
M. le PRÉSIDENT - Merci beaucoup. Vous serez à nouveau saisis par le rapporteur ou par la commission lorsque l'Assemblée nationale nous fournira le texte qu'elle aura adopté.
Audition de Mme Solange
MORGENSTERN
Secrétaire nationale du pôle protection
sociale
et de Mme Danielle KARNIEWICZ,
Déléguée
nationale auprès du pôle protection sociale
de la
Confédération française de
l'encadrement-Confédération générale des cadres
(CFE-CGC)
(mercredi 30 avril 2003)
M. le PRÉSIDENT - Cette audition est importante en raison des responsabilités qui sont les vôtres. Vous disposez d'un quart d'heure pour nous présenter vos positions, sur lesquelles nous vous interrogerons par la suite.
Mme Solange MORGENSTERN - Je vais pouvoir aller d'autant plus vite que nous avons édité un petit livre sur les choix de la CFE-CGC en matière de retraites. Nous avons souhaité faire oeuvre de pédagogie sur un sujet dont tout le monde parle et dont personne ne connaît encore l'avenir.
Nous faisons partie des organisations qui ont milité pour qu'une réforme des retraites ait lieu, afin de nous éviter de graves déconvenues dans les années à venir. Nous avons cependant été déçues par les propositions qui nous ont été présentées, à cause de leur absence de clarté et des lacunes qu'elles recèlent. Nous estimons en effet que tous les paramètres nécessaires à une réforme n'ont pas été pris en considération. Nous affirmons que la retraite coûtera de plus en plus cher, et que vouloir le cacher aux Français est un leurre. Si nous partons actuellement à la retraite pour des durées de vingt ans environ - en lieu et place des six ou sept ans qui prévalaient auparavant - nous pouvons nous attendre à ce que nos enfants, qui cotisent aujourd'hui et s'en plaignent, jouissent de retraites plus longues encore. Dans ce cadre, nous ne pouvons ignorer que davantage de ressources devront être affectées aux retraites. Contrairement à certains de nos collègues et au Gouvernement, nous pensons qu'il est impensable qu'un projet de réforme sur vingt ans n'aborde pas très précisément la question des ressources, même si nous ne savons pas sur quels postes nous prendrons ces dernières. Si nous considérons que le chômage va diminuer et que nous pourrons ponctionner ce poste, au moins devons-nous évaluer le montant de cette source de financement.
Nous savons qu'il manque environ 15 milliards pour que le système se maintienne jusqu'en 2020. Or le Gouvernement nous présente une facture d'économies - dont toutes ne sont pas facilement acceptables - à laquelle manquent 10 milliards et envisage en outre de fournir des boni. Nous estimons dans ce cadre qu'il faut trouver deux à trois points de cotisation à l'horizon de 2020. Nous devons acter cette démarche dans le programme de réforme, tout comme il y est écrit que nous allongerions la durée d'activité à partir de 2008, au prorata de l'accroissement de l'espérance de vie humaine si les conditions du marché du travail le permettent. Nous devons affirmer que nous aurons progressivement besoin de ressources, à partir d'une date fixée dès à présent, pour arriver à récupérer ces 3 %. Que l'on obtienne cet argent des cotisations chômage ou d'une autre source n'importe pas : seul compte le résultat. Nous voulons donc que soit inscrite cette nécessité de financement. Il faut le dire aux Français : cela ne sert à rien de s'en cacher et de leur faire croire que l'enveloppe des cotisations actuelles permettra de supporter le financement d'augmentations substantielles de retraites. L'allongement de la durée d'activité du public de 2,5 ans n'allège en rien la charge du public, puisque ce qui importe est le mode de calcul de la retraite. Nous ne disons pas qu'il faut faire baisser drastiquement les retraites de nos collègues du public : nous affirmons que la convergence entre public et privé ne relève pas d'une question de durée d'activité, mais davantage d'un mode de calcul et des conditions d'obtention des droits. De même, un certain nombre d'éléments doivent être révisés dans le cadre du secteur privé. Chacun sait que dans le privé, les 40 années se limitent souvent à 36 ou 37 ans qui sont comptabilisés comme s'il s'agissait de 40. Ne parlons pas des femmes qui reçoivent deux années de cotisation par enfants. Celles qui ont eu trois enfants peuvent ainsi partir après 34 années de cotisation, avec une retraite toutefois moindre, puisque sont prises en compte les années de cotisation les plus anciennes et que la sécurité sociale ne donne pas, en effet, les 50 % auxquels on s'attend mais seulement 44 % et 42 % en 2008, lorsque nous serons arrivés au bout de la réforme Balladur.
Si nous souhaitons atteindre une convergence et une égalité supérieures - curieusement, il n'existe pas d'égalité ailleurs, mais on en veut pour les retraites - le fait que mettre la durée du travail à 40 ans pour tous n'est pas la bonne solution ! Cette mesure fait plaisir à tout le monde, parce que nous avons l'air de renverser une statue - c'est la statue de Saddam Hussein qui tombe - mais elle n'arrangera rien. Nous sommes d'accord pour que la retraite soit complète à 40 ans, mais à condition qu'il s'agisse de 40 années effectives, comme les 37,5 ans le sont dans le public. Dans le privé, en effet, il est possible de valider une année pour quelques mois de travail effectués. Nous militons pour un système plus juste, qui tienne réellement compte des années cotisées. Comme cela risque de pénaliser les petites retraites, nous devons compléter ces dernières par la solidarité, en distinguant d'une part ce qui relève du contributif (c'est-à-dire des cotisations de chacun, et qui donne à chacun à peu près le même montant, selon sa contribution) et d'autre part ce qui relève du non contributif (les majorations pour enfants, les compléments pour le chômage et pour les trop petites retraites). C'est ce que nous avons prôné.
Nos enfants entrent actuellement de plus en plus tard sur le marché du travail, parce qu'ils doivent étudier longtemps pour trouver un travail. L'âge moyen d'entrée sur le marché du travail s'élève aujourd'hui à 21 ans et il ne pourra qu'augmenter. Nous militons depuis plus de dix ans pour le rachat des années d'études supérieures : nous ne demandons pas leur gratuité mais la possibilité de les racheter, dans certaines limites et sous certaines conditions. Cela permettra aux entreprises d'avoir du personnel mieux formé et plus compétent. Il sera envisageable de négocier ensuite avec les entreprises les modalités de paiement partagé de ces rachats.
Nous ne sommes pas « anti-sociaux », mais nous nous sommes penchés sur les carrières longues du passé. Or s'il semble bien de payer immédiatement leur retraite à ceux qui possèdent déjà leurs 40 années d'activité, encore faut-il que nous disposions d'un budget à cet effet. Sans cela, une telle mesure revient à baisser les retraites de tout le monde. Cela n'a pas été dit aux Français et nous souhaitons le faire. Cette mesure qui apparaît comme très sociale aggrave encore les 15 milliards de déficit. Nous ne disposons pas des ressources nécessaires. Je vous rappelle que les retraites sont composées, pour le privé, de la partie de sécurité sociale et de la partie complémentaire. Or je doute fort que le MEDEF accepte d'abonder sur cette dernière dès 56, 57 ou 58 ans. Nous allons en conséquence faire croire à des salariés qu'ils partiront avec leur retraite complète, tandis qu'ils ne recevront pas la retraite complémentaire correspondante : les salariés ne s'en iront donc pas. Nous pensons à l'inverse qu'il est nécessaire de réserver un budget spécifique pour les personnes qui ont effectivement vécu des carrières difficiles, afin de leur permettre de partir plus tôt. Si nous ne le faisons pas, nous devons les autoriser à valider plus que 40 années à la sécurité sociale. Dans les régimes complémentaires, c'est déjà le cas, puisque ces régimes sont entièrement contributifs. A la sécurité sociale, les années de cotisation au-delà des 40 ans ne sont pas comptabilisées. Cela n'est pas tout à fait logique. Nous proposons donc que les personnes qui estiment, à juste titre, être lésées, puissent travailler plus longtemps en sachant que leurs années supplémentaires seront validées. Il ne s'agit pas d'une surcote mais d'une validation des années supplémentaires. Le Gouvernement, de son côté, parle d'instaurer une surcote pour les personnes qui accepteraient de partir au-delà de 60 ans. Nous ne savons d'ailleurs pas si elle s'applique aux salariés qui n'ont pas encore cotisé 40 ans à 60 ans ou si elle concerne tout le monde. Cette mesure vise-t-elle à les encourager plus de 40 ans ou au-delà de 60 ans ?
Nous avons une idée de ressource supplémentaire, qui coûterait peu. Il s'agit de l'élargissement de l'assiette de cotisation. Il existe des primes dans le public tandis que dans le privé, 15 à 20 % du salaire échappent aux cotisations sociales. C'est pour cette raison que nous sommes en difficulté. Nous sommes en train de faire payer les retraites de personnes dont le revenu était égal au salaire à des personnes dont le salaire ne représente pas la totalité de leurs rémunérations. L'intéressement, la participation, les avantages en nature, les stock options ou les primes de licenciement ne font actuellement pas l'objet de cotisations sociales. Nous affirmons en conséquence que l'assiette des cotisations doit être étendue à l'ensemble de la rémunération. A ceux qui disent que le système par répartition donnera moins à l'avenir, je réponds qu'ayant baissé les salaires et les durées d'activité, il est évident que nous obtiendrons moins. Il faut souligner que les personnes qui sont parties à 60 ans, depuis la réforme, ont perdu cinq années de cotisation aux retraites complémentaires.
Les retraites ont donc baissé mécaniquement. Nous avons demandé au ministre d'arrêter la dégradation des retraites du privé : aujourd'hui, comme l'a démontré la CNAV, celui qui cotise toute sa vie au plafond de la sécurité sociale constate que son plafond de 1977 ne vaut plus que 65 % du plafond de la sécurité sociale, et c'est sur ces chiffres que les moyennes sont calculées ! C'est ainsi que nous en arrivons aujourd'hui à 44 % de taux de remplacement. Nous ne demandons pas de revaloriser la retraite par rapport au salaire, mais de mettre au moins un terme à cette dégradation. Sinon, on voit mal comment le ministre pourrait tenir un discours cohérent sur les droits à la retraite. Il vaudrait donc mieux que la sécurité sociale affiche 45 % du plafond par année et qu'elle les donne réellement. Cela nous permettrait de nous y retrouver au moment de la liquidation. Aujourd'hui, ce n'est absolument pas clair.
Nous avons présenté ces diverses propositions, mais nous n'avons pas obtenu les réponses que nous attendions, notamment en ce qui concerne l'élargissement de l'assiette et les cotisations supplémentaires. Nous sommes donc un peu déçues de cette situation.
M. le PRÉSIDENT - Merci pour vos propos très clairs. Madame Karniewicz, souhaitez-vous ajouter quelque chose à ce qui vient d'être dit ?
Mme Danielle KARNIEWICZ - J'apporterai deux compléments concernant la revalorisation des salaires portés au compte. Tout d'abord, des études précises réalisées par la CNAV prouvent que cette revalorisation est très pénalisante, mais que nous ne pourrions pas nous permettre financièrement de revaloriser sur la base des salaires. L'une des hypothèses proposées par ces études consiste à revaloriser sur la base d'une médiane entre les prix et les salaires. Cela permettrait d'éviter la dégradation du taux de remplacement dans les années à venir tout en adoptant une solution viable sur le plan financier.
Ensuite, le fait de s'appuyer sur 25 années pénalise les salariés, car cela revient à prendre en compte des périodes qui sont certes validées, mais avec des salaires très faibles. Cette mesure conduit tous les aléas d'activité à ressortir fortement, ce qui diminue considérablement la moyenne du salaire de référence. Peut-être devrions-nous, dans certains cas, nous interdire de comptabiliser certaines périodes au cours desquelles le salaire est vraiment trop faible. La position de la CFE-CGC est de valider la carrière réelle et de compléter les retraites trop faibles avec le fonds de solidarité. Ce n'est pas contradictoire. Il faudra que nous abordions ce problème tôt ou tard. Par ailleurs, il est important qu'un taux de rendement des retraites soit clairement affiché. Je crois que les Français sont prêts à faire des efforts, parce qu'ils considèrent que la retraite coûtera plus cher à l'avenir. Mais pour qu'ils les fassent, il est nécessaire qu'ils sachent combien ils recevront lors de leur départ à la retraite. Il n'est pas bon que cet aspect-là ne soit pas lisible actuellement. La réforme devra l'être davantage si nous voulons mobiliser les énergies pour demain.
M. le PRÉSIDENT - Merci. Je cède la parole au rapporteur.
M. le RAPPORTEUR - Le discours de Mme Morgenstern est comme toujours extrêmement clair et sans détours. Cela présente beaucoup d'avantages et nous l'apprécions fortement.
D'un côté, vous contestez certaines économies et de l'autre, vous constatez que la réforme implique des dépenses supplémentaires. Vous avez en conséquence abordé la question des ressources à trouver. Vous proposez un élargissement de l'assiette sur des parts du salaire qui y échappent actuellement et qui sont des façons déguisées d'accorder des avantages sociaux. Je vous rejoins totalement sur ce point. Vous n'excluez pas un accroissement des cotisations à l'avenir. Ne peut-on pas cependant imaginer d'autres sources de financement dans la conjoncture actuelle ?
Je m'interroge par ailleurs sur les réflexions qu'ont suscitées en vous les systèmes de décote et de surcote en relation avec l'harmonisation des secteurs public et privé.
Vous avez également évoqué le contributif et le non contributif. Ce dernier ne relève pas des cotisations et il comporte certaines majorations ainsi que des compléments de chômage. A l'inverse, vous insistez sur la valeur du contributif qui accorde certains droits à la retraite. Si on pousse votre raisonnement un peu plus loin, cela nous conduit à un système par points. Qu'en pensez-vous ?
Mon dernier point porte sur l'épargne salariale qui est évoquée dans le projet gouvernemental. Vous n'ignorez pas les disparités qui existent en la matière, selon que les salariés appartiennent à de grandes entreprises ou à des PME-PMI. Nous risquons de générer de nouvelles inégalités. Que préconisez-vous à ce sujet ?
Mme Solange MORGENSTERN - Concernant le financement, la seconde piste possible est liée au rôle du contributif et du non contributif. Nous avons pu constater, au cours de voyages que nous avons réalisés à l'étranger, que beaucoup de pays avaient choisi d'alimenter la partie non contributive non pas par des salaires mais par l'impôt. Cela accroît la lisibilité du système. En Allemagne, en Suède ou en Finlande, par exemple, près de 30 % des ressources des régimes de retraite sont alimentés par l'impôt. La partie qui n'est pas suffisante au moment de la retraite est ainsi complétée par des minima financés par l'impôt. Cela impliquerait, en France, que nous augmentions la CSG. Nous proposons également depuis longtemps de transformer une partie des cotisations sur les salaires sur les cotisations sociales consommation. La raison à ce choix est la suivante. Il nous est dit, à juste titre, que les charges salariales sont trop importantes ; nous pouvons nous en inquiéter avec l'élargissement de l'Europe. Or les cotisations retraites actuelles s'appliquent seulement au travail. Nous pensons donc utile de baisser une partie de la charge des cotisations patronales - que nous estimons être payées par le consommateur puisqu'elles sont incluses dans le prix de revient - afin de baisser ce prix de revient de cinq à six points, et de transférer cette source de cotisation vers une cotisation sociale sur la consommation. Le consommateur bénéficierait ainsi du même prix de revient, mais celui-ci serait constitué d'une cotisation sociale sur la consommation et non sur la production. Ceci nous permettrait d'imposer une taxe aux produits importés et délocalisés, qui sont aujourd'hui à bas prix et qui causent d'importantes pertes d'emplois en France. Cette situation va d'ailleurs s'aggraver avec l'élargissement de l'Europe. Si nous avons subi quelques délocalisations en direction du Portugal, nous risquons de les voir se multiplier avec l'entrée dans l'Europe de la Pologne, de la Hongrie ou de la Roumanie, qui se situent à une journée de camion de chez nous, parce que leur main-d'oeuvre y est moins chère. Si cela advient, nous n'arriverons pas à résoudre nos problèmes de retraite. Au lieu de faire supporter nos cotisations par le travail, peut-être devrions-nous songer à les transférer sur la consommation. Cela n'aurait pas pour but d'augmenter les prix : nous exporterions à des prix un peu moins élevés et nous éviterions des délocalisations. Nous parlons de cette piste depuis des années. Elle ne pourra pas être mise en place très rapidement.
M. le PRÉSIDENT - Vous avez raison de rappeler qu'il faudrait un accord européen, puisque c'est une forme de TVA.
Mme Solange MORGENSTERN - C'est un transfert. Cela n'augmente donc pas les prix.
M. le PRÉSIDENT - C'est certes un transfert, mais il me semble que nous avons besoin d'un accord. Cette piste me semble cependant très intéressante.
Mme Solange MORGENSTERN - Je crois que nous devrions la mettre en place au niveau européen. Les autres pays européens revaloriseront sans doute leurs salaires, à terme, mais cela prendra un certain temps, pendant lequel notre situation risque de se dégrader. Il ne faut donc plus que les cotisations portent exclusivement sur les salaires.
J'en viens à votre question sur la décote et la surcote. Aujourd'hui, un salarié du privé qui prend sa retraite avant la fin de sa cotisation, subit 10 % de décote par année, tandis que la décote imposée aux salariés du public s'élève à 3 %. Notre proposition consiste à conserver un âge pivot de la retraite à 60 ans : ce repère est important, parce qu'il indique l'âge à partir duquel il devient possible de prendre sa retraite, à condition que ce soit un choix individuel et non celui de l'entreprise. Cela impliquerait de supprimer la loi qui permet aux employeurs de licencier à 60 ans les salariés qui ont 40 ans d'activité : on ne peut pas, en effet, augmenter la durée du travail et autoriser l'employeur à faire partir les salariés. Le MEDEF a l'air d'être d'accord à ce sujet, mais en attendant, les plans sociaux continuent ! Nous estimons par ailleurs que la décote doit rester réaliste : si un taux de 3 % est insuffisant, un taux de 10 % est trop fort ! Une décote adéquate devrait se situer entre 5 % et 6 %. La surcote, par ailleurs, doit également être chiffrée de façon intelligente. Mais si les années sont validées, on n'a pas besoin d'établir une surcote.
M. le PRÉSIDENT - Que pensez-vous de la convergence du public et du privé ?
Mme MORGENSTERN - Nous approuvons cette convergence, mais nous pensons que les mesures doivent être mises en place avec doigté et très progressivement. Il importe par ailleurs que nous tenions compte des primes de nos amis du public. Il y a une injustice grave sur ce plan : les primes n'entrent pas dans le salaire parce qu'elles ne sont pas comptabilisées pour la retraite. Nous devons aligner progressivement les cotisations des uns et des autres. Nous soutenons donc la convergence. Celle-ci s'opère sur de nombreux points de détail, positifs tantôt pour le privé, tantôt pour le public : le privé est favorisé en ce qui concerne le décompte des années d'activité à la sécurité sociale, tandis que le public l'est en ce qui concerne le mode de calcul.
Vous m'avez interrogée sur le système par point. Le contributif n'implique pas un système par points : il peut très bien reposer sur un système en pourcentage du salaire, où l'on considère par exemple que chaque année cotisée représente 1,1 % du salaire, de sorte qu'en 40 ans, on obtient ses 44 %. Un système par points n'est donc pas nécessaire. Je dis depuis longtemps que les systèmes par point et par pourcentage du salaire sont identiques : il suffit de définir un pourcentage par année et de s'y tenir.
Je termine par l'épargne salariale. Nous la considérons vraiment comme un leurre. Croyez-moi, je m'y connais, parce que j'ai vendu des contrats de capitalisation en entreprise quand je travaillais dans l'assurance ! Je ne dis pas que l'épargne salariale est mauvaise, mais qu'elle ne résout absolument pas le problème des retraites. En outre, les gestionnaires de ces systèmes ne savent pas non plus dire aux salariés combien ils toucheront : avec les années, l'argent placé à une époque perd sa valeur, parce qu'on a tenu compte de l'allongement de la vie humaine et de la mortalité qui change tous les ans.
M. le PRÉSIDENT - Les assureurs sont très compétents dans ce domaine. Comme les notaires, ils font leur travail !
Mme Solange MORGENSTERN - Vous savez que ce sont les assureurs qui ont créé la répartition, parce qu'ils savaient que le système allait à la catastrophe. Maintenant, ils le regrettent un peu, à cause de l'état actuel de la bourse.
Nous n'avons donc rien contre l'épargne salariale ou la retraite par capitalisation. Néanmoins, ces systèmes sont un peu pervers, parce que ces avantages sont souvent donnés à la place d'augmentations de salaire : un plan d'épargne salarial est élaboré pour le salarié dont la participation est placée dans des actions de l'entreprise.
M. Jean CHÉRIOUX - Ce n'est pas là l'esprit de la participation.
Mme Solange MORGENSTERN - La participation est une formule intéressante, mais elle n'équivaut pas à de la retraite. Pourquoi vouloir nous la vendre comme un complément de la retraite ? Je suis d'accord pour que les salariés épargnent, que ce soit à l'intérieur ou à l'extérieur de l'entreprise : il s'agit là d'une liberté individuelle. Cependant, cela ne résout en rien le problème des retraites et cela opacifie la compréhension de ce dernier. Il existe déjà de plans d'épargne salariale dans les entreprises, mais il faut distinguer l'épargne de la retraite. L'idée d'allonger l'épargne salariale pour la transformer en rente au moment du départ en retraite est très mauvaise, parce que cette fin de carrière est le pire moment pour calculer sa rente : il faut souscrire à des plans de retraite immédiatement, sans attendre les 60 ans, sans quoi cela coûte extrêmement cher. Dans le premier cas, en effet, le montant de rente est calculé en fonction de l'âge du début de cotisation et de celui de la retraite, tandis que si on épargne toute sa vie et qu'on transforme ensuite son montant en capital, cela coûte très cher. Ce n'est donc pas intéressant. Si nous soutenons l'épargne salariale parce qu'elle permet de répondre à des besoins - s'acheter une maison, changer de voiture, etc. En revanche, il me paraît trompeur d'annoncer aux salariés qu'ils pourront laisser fructifier leur épargne vingt ans au lieu de dix pour se constituer une retraite. Cela ne résoudra pas le problème des retraites, à moins que l'on affecte à de l'épargne salariale un minima de 6 à 7 % du salaire. Mais, en ce cas, pourquoi le placer à cet endroit et refuser de l'affecter à la répartition ?
M. le RAPPORTEUR - La Suède se trouve dans cette situation.
Mme Solange MORGENSTERN - Je n'ai pas tout compris en ce qui concerne la Suède. On y dit aux salariés combien ils obtiendront selon l'état de la bourse. Je ne suis donc pas sûr que cela soit très clair. En France, des systèmes mixtes, mêlant capitalisation et répartition ont existé : je les ai connus parce qu'en 1962, j'ai transformé un tel régime en système par répartition. Or, la partie de capitalisation - qui aurait dû représenter la moitié de la retraite, à en croire les objectifs de la mise en place d'un tel système en 1951 - n'atteignait même pas 5 % de la retraite ! Le placement n'avait pas abouti. C'est le propre d'un placement d'être aléatoire. Il est bon que les salariés puissent prendre leurs responsabilités en matière d'épargne, mais cela est beaucoup plus dangereux en matière de retraite. Les cadres auront peut-être plus de facilité à choisir un bon placement, mais comment les salariés s'y repèreront-ils ? Je ne pense pas que nous parviendrons à résoudre les problèmes des salariés et à les aider à obtenir une retraite satisfaisante.
M. le PRÉSIDENT - Mme Karniewicz, n'ayant pas travaillé dans l'assurance, avez-vous un autre point de vue ?
Mme Danielle KARNIEWICZ - Non. J'ai travaillé dans des grandes entreprises mais j'ai exactement le même point de vue : je pense que l'épargne retraite est dangereuse, qu'elle peut s'avérer intéressante, mais que tout le monde n'a pas la capacité de bien choisir dans ce domaine.
M. le PRÉSIDENT - Monsieur le rapporteur, avez-vous obtenu les réponses à vos questions ?
M. le RAPPORTEUR - J'étais content que Mme Morgenstern nous reparle de cette taxe à la consommation.
Mme Solange MORGENSTERN -Il ne s'agit pas d'une taxe, mais d'une cotisation sociale : si c'est une taxe, le Gouvernement peut l'utiliser comme il le souhaite.
M. le RAPPORTEUR - L'imaginer ou la mettre en place ne s'envisage qu'au sein d'un contexte européen, mais je souhaitais que vous abordiez à nouveau ce sujet que vous aviez développé l'an dernier.
Le débat actuel n'est pas parfait, mais les Français ont bénéficié de beaucoup d'informations. Or ces derniers veulent avant tout plus d'équité, de clarté et de transparence, afin de comprendre ce qui les attend.
Mme Solange MORGENSTERN - J'ai dit hier à des interlocuteurs mon étonnement de voir que les gens exigent que les retraites soient égalitaires, alors qu'il n'existe pas d'égalité ni dans le travail, ni dans la formation. L'égalité est un objectif, mais elle n'existe pas. Nous ne pouvons pas postuler que les retraites seront égalitaires alors qu'il n'y aura pas eu d'égalité tout au long de la vie. Nous devons certes nous orienter vers un système lisible et juste, mais je ne vois pas pourquoi on voudrait que les retraites soient égales, alors que nous ne nous cherchons pas à instaurer une égalité dans le travail.
M. le RAPPORTEUR - Il reste encore un mois avant que ce projet ne se mette en place. Espérez-vous que des accommodations soient apportées à ce projet de réforme ?
Mme Solange MORGENSTERN - Nous n'avons pas adhéré tout de suite à l'idée de manifester le 13 mai parce que nous avons travaillé pendant des mois et formulé des propositions concernant des éléments qui nous paraissaient essentiels. M. Fillon a beaucoup écouté, mais il a peu parlé, et une fois que nous avons en main les instruments de la réforme, nous l'avons trouvée insuffisante. La perspective que nous avions d'une réforme structurée était autre. Nous avons demandé des compléments au ministre, le 18 avril, notamment en ce qui concerne l'élargissement de l'assiette de cotisation. Nous ne demandons pas à ce qu'il soit immédiatement mis en place, mais à ce que cette loi comporte un plan d'action qui ne se limite pas à l'allongement de la durée de cotisation. Si nous prévoyons cette dernière dans le temps, pourquoi ne pas développer également un plan de financement ? La lacune principale du projet est ce manque de structuration et de perspective chiffrée. Nous l'avons dit au ministre. Nous comprenons qu'il soit politiquement nécessaire de faire plaisir aux plus démunis, mais notre problème, en tant que cadres est que nous nous situons toujours entre les plus démunis et les nantis et que c'est nous qui payons. Nous ne pouvons pas accepter les tracts de la CFDT qui postulent qu'il faut 100 % du salaire pour les Smicards, puis 80 % et 70 % pour les autres ! Cela revient à donner le plus à ceux qui cotisent le moins : dans ces conditions, les personnes qui ont deux ou trois SMIC gagneront moins que ceux qui ont gagné une somme inférieure au SMIC, compte tenu du fait qu'ils seront devenus imposables ! Je ne crois pas que la justice soit cela ! Nous devons compléter les petites retraites, mais non organiser une retraite dégressive. Sans cela, nous allons décourager ceux qui abondent le plus la solidarité, qui s'orienteront vers des formules nouvelles. Les jeunes qui ne connaissent pas bien le sujet vont se tourner vers la capitalisation et briser la solidarité dont nous avons tous besoin. Notre objectif est que chacun touche 75 % du salaire moyen de sa carrière. Il faut que tous soient au même régime, et que nous complétions les retraites insuffisantes pour vivre.
M. le PRÉSIDENT - Tout à fait. C'est cela, la solidarité.
Mme Solange MORGENSTERN - En revanche, il n'est pas possible d'afficher des objectifs dégressifs en fonction des revenus. Les aides aux familles sont distribuées en fonction des ressources qu'elles n'ont pas, et ce serait l'inverse pour la retraite ! Cela va décourager ceux qui se situent entre les nantis et les démunis.
N'ayant pas obtenu de réponse de M. Fillon, nous allons manifester le 13 mai.
M. le PRÉSIDENT - Je souhaite que vous puissiez être entendue, parce que je trouve vos propos toujours très mesurés et très clairs. J'espère que nous pourrons contribuer à faire évoluer la situation.
Mme Solange MORGENSTERN - Je vous mets en garde à propos de la question des personnes qui devraient partir à la retraite avant 60 ans, qui va poser un terrible problème de financement. Nous ne devons surtout pas utiliser les fonds de la retraite à cet effet, parce que cela conduira à une baisse inévitable des droits de tous les autres.
M. le PRÉSIDENT - Mesdames, merci. Nous sommes ravis d'avoir pu terminer ces deux jours d'auditions par vous. J'espère que vous nous ferez part de vos propositions concernant le texte qui sera adopté par l'Assemblée nationale. Notre séance d'auditions est close.