2. L'architecture retenue en 1988

Il est important de rappeler la genèse de l'architecture institutionnelle qui s'est mise en place autour du dispositif, car elle montre que les interrogations qui conduisent à envisager aujourd'hui la décentralisation du RMI étaient déjà contenues dans les débats de 1988.

L'architecture adoptée à l'époque pour la mise en oeuvre du RMI tient en effet au moins autant au caractère original de l'allocation qu'à des préoccupations liées aux particularités du public visé et aux capacités des différents acteurs à maîtriser la gestion des dossiers engendrés par ce nouveau droit.

a) Le financement du RMI par l'Etat : un choix lourd de conséquences

L'attribution de la responsabilité du RMI à l'Etat posait question, au regard des lois de décentralisation qui, moins de cinq ans auparavant, avaient attribué aux départements l'ensemble des compétences en matière d'aide sociale. Ce choix était tout autant motivé par l'idée selon laquelle le RMI, prestation de solidarité nationale, devait être assumé par l'Etat que par une volonté de prudence face aux incertitudes liées à la montée en charge du dispositif.

Pour autant, votre commission s'était à l'époque émue d'une telle entorse à l'esprit des lois de décentralisation et avait plaidé, dès 1988, pour son attribution aux départements, au terme d'une période d'expérimentation alors évaluée à cinq ans.


Financement de l'allocation par l'Etat : des interrogations anciennes

« Cet article met à la charge de l'Etat le financement de l'allocation du RMI.

« Cette position de principe, qui se justifie sans doute par le caractère national et général du dispositif mis en place, conditionne pourtant toute l'économie du système et le type d'organisation prévue dans la suite du projet de loi (...).

« Aucun transfert n'est prévu de l'Etat aux départements après une période d'expérimentation, en violation absolue des efforts de décentralisation engagés depuis maintenant 5 ans. Il n'est en effet pas concevable qu'un système de lutte contre la pauvreté-précarité puisse être parfaitement efficace et perdurer dans le temps s'il se fonde sur des principes et des mécanismes qui sont aussi directement opposés à tout ce qui constitue l'action sociale dans ce pays depuis 1983.

« Il est vrai que le coût en pleine charge est d'ores et déjà évalué à 9,12 milliards de francs, départements d'outre-mer exclus, ce qui est d'ailleurs sensiblement plus élevé que les estimations rendues publiques à la fin de l'été et qui avoisinaient 8 milliards de francs.

« Néanmoins, il faut dès à présent envisager le moment où, l'expérience faite et les imperfections constatées en voie d'être corrigées, un mouvement de décentralisation interviendra comme cela s'est déjà passé pour la quasi-totalité des autres formes d'actions sociales. »

Extrait du rapport de M. Pierre Louvot, sénateur, sur la loi n° 88-1088
du 1 er décembre 1988 relative au RMI

Le rapport sur l'évaluation du RMI 4 ( * ) , en mars 1992, fait lui-aussi état des inquiétudes liées aux conséquences du choix effectué lors de la création du RMI : « Le RMI a aussi contredit l'esprit des lois de décentralisation en pratiquant d'abord une certaine inversion des compétences : l'Etat verse une allocation qui n'est pas étrangère à l'aide sociale, et le département est invité à intervenir dans le soutien à l'insertion - qui passe surtout par l'emploi, compétence revenant à l'Etat. Surtout, il est en contradiction avec la théorie des « blocs de compétences » en mettant en oeuvre une compétence cogérée, l'insertion, dans laquelle l'Etat est un partenaire « obligé » du conseil général, alors que l'objectif d'autonomie des différentes collectivités - avec son corollaire : « qui décide paie » - était essentiel dans les lois de décentralisation ».

La problématique de la décentralisation du RMI n'est donc pas nouvelle. Mais l'échec du dispositif d'insertion qui, du fait de ce choix initial, est cogéré par l'Etat et le département donne aujourd'hui à cette question une acuité particulière.

b) La gestion de l'allocation : un dispositif largement dicté par les circonstances

S'agissant de la gestion de l'allocation elle-même, l'architecture adoptée visait à répondre à plusieurs objectifs qui ne tiennent d'ailleurs pas seulement à la spécificité du RMI.

La multiplicité des « guichets » auprès desquels les allocataires peuvent déposer une demande de RMI a effectivement été une démarche consciente, justifiée par une volonté de faciliter l'accès des bénéficiaires potentiels dont la situation précaire pouvait être un obstacle au repérage du « bon interlocuteur ».

Il reste que la complexité d'un tel système avait été soulignée dès l'origine par votre commission : « La nécessité (...) de rapprocher les institutions qui recueillent les demandes et les instruisent des bénéficiaires potentiels du RMI tant pour qu'aucun de ces derniers ne puisse y prétendre faute d'en avoir eu la possibilité matérielle, que pour garantir une instruction aussi performante que possible, n'induit pas nécessairement une telle multiplication des « guichets ». Au contraire, elle peut même être un facteur de désordre et de confusion très préjudiciable aux intéressés et au bon fonctionnement du dispositif ».

Le choix d'un lien entre instruction administrative et instruction sociale est également né du souci de lier, dès l'origine, allocation et insertion. C'est la raison pour laquelle la conclusion du contrat d'insertion, qui formalise l'engagement réciproque de l'allocataire et de la collectivité était placée au coeur du dispositif.

S'agissant en revanche du dispositif de liquidation et de versement de l'allocation confié aux caisses d'allocations familiales (CAF) et aux caisses de mutualité sociale agricole (CMSA), le choix a davantage été guidé par la nécessité de bénéficier de compétences reconnues en matière de prestations . Il reste que cette compétence des CAF, notamment, était loin d'être une évidence, s'agissant d'une allocation totalement étrangère à la branche famille et dont les règles, en matière de conditions de ressources et de subsidiarité, étaient particulièrement complexes.

c) Le dispositif d'insertion

L'engagement réciproque supposait également la capacité, pour la collectivité, de proposer une offre d'insertion adaptée.

Cet aspect, insuffisamment pris en compte dans la loi de 1988 , a été renforcé en 1992 par un élargissement du rôle des commissions locales d'insertion (CLI) qui se sont vu confier, en sus de leurs responsabilités d'examen des contrats individuels d'insertion, le recensement des besoins et de l'offre locale d'insertion.


Les missions des CLI après la réforme de 1992

« La loi du 29 juillet 1992 a très sensiblement élargi les missions de la commission locale d'insertion en lui confiant notamment la responsabilité d'élaborer un programme local d'insertion et d'animer la politique locale d'insertion. (...)

« La commission locale d'insertion est donc appelée à jouer un rôle plus important dans l'équilibre institutionnel. Elle est la mieux placée pour évaluer les besoins d'insertion des bénéficiaires, recenser l'offre disponible, formuler des propositions pour le développement d'actions nouvelles. (...)

« Prolongement de la définition du programme local d'insertion, le nouveau rôle d'animation confié à la commission locale devrait induire un infléchissement sensible des pratiques antérieures des présidents et des membres de CLI : leur fonction devrait être davantage tournée vers les partenaires de l'insertion de l'insertion en vue d'impulser, de faciliter et de coordonner le développement local de l'offre d'insertion. (...)

« La commission locale conserve la mission d'examiner et de valider les contrats d'insertion (...) Cette fonction peut désormais être déléguée au bureau de la commission »

Circulaire DIRMI n° 93-04 du 27 mars 1993 relative à la mise en oeuvre du RMI et au dispositif d'insertion .

Grâce au travail des CLI, l'effort d'insertion dans le département et les améliorations à apporter au dispositif devaient ainsi être recensés et intégrés dans un programme départemental d'insertion, adopté par l'ensemble des partenaires représentés au sein des conseils départementaux d'insertion, et servant de base aux actions engagées conjointement par l'Etat et par le département.

Le financement de l'insertion était assuré par l' obligation pour les départements d'affecter aux dépenses d'insertion un crédit au moins égal à 20 % 5 ( * ) des sommes versées par l'Etat dans le département au titre de l'allocation .

L'ensemble du dispositif devait enfin faire l'objet d'un copilotage , justifié par le souci de conjuguer la responsabilité de l'Etat non seulement en matière d'allocation mais plus largement en matière de politique de l'emploi et celle du département, en charge de l'action sociale et donc de l'insertion.

* 4 « RMI, le pari de l'insertion », rapport de la commission présidée par M. Pierre Vanlerenberghe, 1992

* 5 Cette obligation a été réduite à 17 %, lors de l'instauration de la couverture maladie universelle, en 2000.

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