AUDITIONS DE LA COMMISSION
I.
AUDITION DE MM. FRANCIS MER, MINISTRE DE L'ÉCONOMIE, DES FINANCES ET DE
L'INDUSTRIE, ET DOMINIQUE PERBEN, MINISTRE DE LA JUSTICE
Réunie le mardi
11 février 2003
sous la présidence
de M. Jean Arthuis, président, la commission a
procédé à
l'audition
de
MM. Francis Mer,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie,
et
Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice
, sur le
projet
de
loi n° 166
(2002-2003) de
sécurité financière
.
M. Jean Arthuis, président,
après avoir accueilli les
ministres, s'est félicité de ce que le projet de loi de
sécurité financière soit en premier lieu
déposé au Sénat, ce qui constituait une forme d'hommage
à la qualité des travaux antérieurs de la commission en ce
domaine. Il a souligné le caractère essentiel de ce texte, qui
visait à restaurer la confiance tant au sein du secteur financier que
des entreprises, et rejoignait en cela les préoccupations constantes de
la commission. Ce projet de loi préconisait ainsi de fusionner la
Commission des opérations de bourse (COB) et le Conseil des
marchés financiers (CMF), mesure que la commission des finances avait
adoptée dès l'automne 2000 à l'initiative de M. Philippe
Marini, rapporteur général, rapporteur du projet de loi sur les
nouvelles régulations économiques (NRE). Le projet de loi de
sécurité financière renforçait également la
sécurité des épargnants et la transparence des
entreprises, visant en cela à assurer une croissance économique
durable
. M. Jean Arthuis
a enfin salué la présence de M.
Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis au nom de la commission des lois, avec
lequel la commission avait déjà étroitement
travaillé, notamment lors de l'examen du projet NRE.
M. Francis Mer
a introduit son propos en insistant sur l'esprit du
projet de loi. Il ne s'agissait pas, selon lui, de créer une
sécurité artificielle, et il a, à cet égard,
rappelé que la sphère économique demeurait
fondamentalement « le monde du risque », avec l'ambition de
créer de la valeur. Ce système avait cependant besoin de
règles aussi claires que possible, et les événements
survenus depuis trois ans illustraient le fait que ces règles
n'étaient manifestement pas assez efficaces, paraissaient
inadaptées par rapport aux évolutions technologiques, et posaient
certains problèmes d'interprétation. La question était
donc de savoir s'il convenait, comme aux Etats-Unis, de renforcer
sévèrement ces règles, tout en gardant à l'esprit
la nécessité de ne pas freiner les capacités d'initiative,
de prise de risque et d'autonomie.
M. Francis Mer
a identifié trois types d'acteurs dans le
système économique : l'épargnant, le consommateur et
le producteur, le projet de loi de sécurité financière
étant surtout tourné vers le premier. Il a rappelé que des
initiatives similaires venaient d'être décidées ou allaient
l'être chez certains de nos partenaires, en particulier les Etats-Unis,
la Grande-Bretagne et l'Espagne, et que la Commission européenne avait
également engagé des travaux sur la question de la gouvernance
d'entreprise. Il a ensuite souligné trois thèmes selon lui
majeurs :
- la position et l'indépendance des commissaires aux comptes qui
devaient être renforcées ;
- concernant la gouvernance d'entreprise, il a estimé qu'il
était difficile de contraindre les organisations et qu'il était
dès lors préférable, au nom de la confiance,
d'espérer que les entreprises s'adaptent d'elles-mêmes
plutôt que de vouloir légiférer dans le détail, et
de veiller, avant tout, à assurer une réelle transparence pour
les actionnaires, ce que permettra le projet de loi ;
- plusieurs sujets étaient d'emblée traités au niveau
mondial, tels que l'harmonisation des règles comptables, l'analyse
financière ou les agences de rating, sur lesquels il a
considéré qu'il était utopique de vouloir
légiférer au plan national. Il a cependant fait valoir que si les
Etats-Unis tendaient actuellement à générer
spontanément une régulation mondiale, sans réellement
associer les autres pays, la France avait néanmoins l'ambition de faire
passer certains messages à portée internationale lors de sa
présidence du G7.
Revenant sur le contenu du projet de loi de sécurité
financière, il a indiqué que l'Autorité des marchés
financiers (AMF) présentait un caractère nouveau par rapport aux
autres autorités administratives indépendantes en ce qu'elle
serait responsable de ses actes et détiendrait une personnalité
morale. Il a ensuite indiqué que les épargnants et consommateurs
se trouvaient désormais mieux protégés grâce
à un encadrement du démarchage, qui incluait les moyens
électroniques dès lors qu'ils étaient
personnalisés. L'épargnant était laissé responsable
de ses choix, mais il aurait désormais la certitude d'avoir à
traiter avec des démarcheurs dûment identifiés et
mandatés. De même, l'existence des conseillers en investissements
financiers était dorénavant reconnue et encadrée par une
procédure d'agrément et une assurance obligatoire. Il a conclu en
considérant que la confiance était l'élément
central de ce projet de loi et qu'il apparaissait dès lors
préférable de préserver, pour le moment, la liberté
d'organisation des entreprises, ce qui se traduirait dans le projet de loi par
l'absence de dispositions contraignantes concernant les comités d'audit
ou de rémunération ou de définition de l'administrateur
indépendant.
M. Dominique Perben
a souligné que le projet de loi de
sécurité financière avait été
élaboré en commun par le ministère de l'économie,
des finances et de l'industrie, et le ministère de la justice afin de
rétablir la confiance et d'assurer la sécurité de notre
système financier. Puis il a rappelé que le titre III du
projet de loi de sécurité financière sur lequel son
ministère s'était plus particulièrement investi,
comprenait deux parties : l'une relative à l'amélioration
des règles applicables au contrôle légal des comptes,
l'autre relative à la bonne gouvernance d'entreprise. Sur la
première partie, le ministre a souligné que la France
était déjà l'un des pays les plus
réglementés en matière de commissariat aux comptes, que la
profession n'avait pas connu de défaillance importante qui puisse
être comparée à ce qui s'était déroulé
aux Etats-Unis et que certaines règles françaises, notamment
l'exercice du co-commissariat aux comptes étaient copiées par de
nombreux pays.
M. Dominique Perben
a donc indiqué que le projet de loi visait
tout d'abord à renforcer l'unité de la profession de commissaire
aux comptes, en imposant des règles déontologiques communes, tout
en prenant des mesures spécifiques pour le contrôle des comptes
des sociétés faisant appel public à l'épargne ou
à la générosité publique. Il a expliqué que
ce principe se traduisait par la création d'un haut conseil investi
d'une triple mission : le contrôle de la profession, la
réflexion sur les normes professionnelles et la discipline. Il a
ajouté que le projet de loi instaurait une séparation stricte
entre la mission de certification des comptes et les autres prestations de
services, notamment de conseil, cette interdiction s'étendant aux
réseaux de commissariat aux comptes afin de garantir la stricte
indépendance de la profession.
Le ministre a ensuite détaillé les règles relatives au
gouvernement d'entreprise. Il a expliqué que le Gouvernement n'avait pas
souhaité introduire dans la loi des concepts sans lien avec la tradition
juridique française, notamment s'agissant des administrateurs
indépendants, mais qu'il avait privilégié une
démarche pragmatique visant à renforcer la transparence des
entreprises.
M. Dominique Perben
a cité les obligations nouvelles
d'information de l'assemblée générale des actionnaires sur
les procédures de contrôle interne et les mesures concernant les
associations d'investisseurs agréés.
M. Philippe Marini, rapporteur général
, a souligné
l'importance du projet de loi présenté par les ministres, tant
dans la forme puisqu'il comprend 88 articles, que sur le fond puisqu'il
s'agissait d'adapter la loi à l'évolution rapide des entreprises
et à l'attente des épargnants et des investisseurs. Il a retenu
deux objectifs figurant dans le projet de loi : la transparence et la
compétitivité. Il a toutefois souligné que le
législateur devait faire preuve de « modestie » du
fait du caractère globalisé des marchés financiers et des
évolutions du droit communautaire, qui non seulement encadrent de plus
en plus les marges de manoeuvre du législateur national, mais obligent
les Etats membres à adapter fréquemment leur droit aux
évolutions de celui-ci.
Puis
M. Philippe Marini, rapporteur général,
a
interrogé les ministres sur la création de la nouvelle
autorité des marchés financiers (AMF). Il a rappelé que le
Sénat avait déjà voté, à trois reprises, la
fusion de la commission des opérations de bourse (COB) et du conseil des
marchés financiers (CMF) et il s'est interrogé sur la
manière dont le Gouvernement entendait anticiper les évolutions
structurelles du marché, et notamment s'il avait l'idée de
rapprocher les autorités de régulation des marchés
financiers et les autorités de contrôle des banques et des
assurances, comme cela existe dans d'autres pays européens. Puis il
s'est interrogé sur deux points de droit : la possibilité
d'être soumis successivement à une procédure administrative
et à une procédure pénale pour les mêmes faits, et
plus généralement la séparation, qui lui semble
arbitraire, du contentieux boursier entre le juge administratif lorsque des
professionnels sont mis en cause et le juge judiciaire lorsqu'il s'agit de
particuliers.
M. Francis Mer
a répondu, concernant l'opportunité de
rapprocher les autorités de contrôle du marché et les
autorités de régulation, que ce rapprochement ne fonctionnait pas
de manière entièrement satisfaisante dans les pays où il
existait comme la Grande-Bretagne et l'Allemagne. Il a souligné la
difficulté à ce qu'un même organisme assume une mission de
surveillance prudentielle, c'est-à-dire détecte les
problèmes avant qu'ils ne deviennent publics, et, dans le même
temps, joue un rôle de régulateur, c'est-à-dire rende
publics des avis et recommandations. Il n'a toutefois pas exclu un
rapprochement à terme.
M. Dominique Perben
a expliqué que le projet de loi créait
une articulation entre les pouvoirs de l'autorité des marchés
financiers et ceux du Parquet puisqu'il existait une obligation, pour le
Parquet, d'informer l'autorité des marchés financiers. Il a
ajouté que lorsque cette dernière se constituera partie civile
dans une procédure pénale, il ne lui sera plus possible de
poursuivre l'action administrative. Enfin, s'agissant de la double juridiction,
administrative et judiciaire, concernant les délits boursiers, il a
indiqué qu'il donnerait davantage de précisions lors du
débat en séance publique.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur pour avis de la commission des lois,
a
rappelé que la profession de commissaire aux comptes était
déjà très réglementée et présentait
des garanties, si bien qu'il ne s'agissait pas, par le présent projet de
loi, de mettre en doute leur indépendance, mais d'apporter des
améliorations. Il a évoqué plusieurs articles du projet de
loi : la rotation des commissaires aux comptes tous les six ans, la
non-juxtaposition des mandats en matière de co-commissariat aux comptes
et les interdictions relatives aux commissaires aux apports et aux fusions. Il
a rappelé que la loi relative aux nouvelles régulations
économiques avait conduit à un encadrement total des entreprises
et il s'est interrogé, au-delà de l'approche pragmatique du
présent projet de loi, sur la nécessité de revenir sur
certaines des dispositions de la loi NRE trop pénalisantes. Enfin,
s'agissant des entreprises publiques, il s'est demandé si le projet de
loi n'aurait pas pu aller plus loin avec, par exemple, une révision de
la loi du 26 juillet 1983 relative à la démocratisation du
secteur public.
M. Dominique Perben
a rappelé qu'il existait
13.000 commissaires aux comptes dans 3.000 sociétés en
France et que l'obligation, pour une entreprise, de changer de commissaire aux
comptes tous les six ans lui paraissait un choix raisonnable pour favoriser
l'indépendance de la profession. Il a ajouté que l'interdiction
faite aux commissaires aux apports de devenir commissaires aux comptes dans les
deux ans suivant leur mission était une nécessité afin
d'éviter tout conflit d'intérêt.
M. Francis Mer
a souligné l'importance donnée par le
projet de loi à l'information des actionnaires et a souhaité que
les entreprises puissent ainsi se distinguer les unes des autres par la
clarté des informations qu'elles délivrent. Il a
considéré qu'il s'agissait d'un levier très puissant pour
l'information des investisseurs. S'agissant des entreprises publiques, il a
confirmé que le Gouvernement entendait aller plus loin, à l'issue
des travaux de réflexion qu'il mène actuellement. Il a
confirmé qu'il existait quatre grands cabinets de commissariat aux
comptes, mais qu'il en existait également beaucoup d'autres dont la
qualité devait être reconnue. Enfin, il a approuvé
l'observation de M. Jean-Jacques Hyest selon laquelle la qualité de
l'audit comptable dépendait en partie de la durée relativement
longue du commissariat aux comptes en France, qui n'était pas
incompatible avec la rotation du signataire tous les six ans.
Un large débat s'est ensuite engagé.
M. Yann Gaillard
s'est interrogé sur le contexte du projet de
loi, en particulier sur le récent échec du vote de la directive
relative aux offres publiques d'acquisition (OPA), ainsi que sur le rôle
éventuellement joué par la chambre de compensation
luxembourgeoise Clearstream dans le blanchiment d'argent.
M. Paul Loridant
a insisté sur la portée de ce projet de
loi qui, selon lui, s'attaquait à la « délinquance en
col blanc » et était susceptible de restaurer la confiance
dans les entreprises, après une période riche en scandales
financiers aux Etats-Unis et en difficultés économiques pour les
entreprises françaises. Il a, en outre, émis quatre
observations :
- l'importance du titre I était notamment liée aux
défaillances qui ont été soulignées au cours de la
période récente, à la COB et au CMF ;
- les agences de notation d'envergure mondiale faisaient souvent l'objet
d'une confiance aveugle qui pouvait se révéler dangereuse ;
aussi conviendrait-il, selon lui, de « noter les
notateurs » ;
- les nouvelles normes comptables de l'IASB (International Accounting
Standards Board), d'inspiration anglo-saxonne, étaient trop axées
sur la valeur et créaient des difficultés pour les banques en les
obligeant à évaluer leur portefeuille de créances à
tout instant ;
- enfin la dualité des juridictions créait des situations
où les décisions des autorités de régulation se
trouvaient parfois contredites par l'autorité juridictionnelle, alors
qu'il serait nécessaire d'assurer la
« non-contestabilité » de ces décisions.
M. Joël Bourdin
a ensuite requis des explications sur la suspension
pour 18 mois des dispositions de la loi MURCEF relatives aux conventions
de comptes. Il a également insisté sur la nécessité
de l'encadrement du démarchage, eu égard aux pressions dont les
consommateurs font parfois l'objet de la part de certaines officines de
crédits à la consommation, et qui peuvent aboutir à des
situations de surendettement.
M. François Marc
a indiqué que ce texte répondait
à une attente réelle et a reconnu que le système actuel de
contrôle était relativement efficace, ce qui autorisait le choix
d'une voie moyenne de réforme. Il a cependant considéré
que la gouvernance d'entreprise aurait mérité d'être
durcie, considérant l'emprise croissante des technostructures, la
dictature du court terme notamment liée à l'établissement
de comptes désormais trimestriels, et le poids des systèmes
spéculatifs dont témoignait la hausse trop rapide des
capitalisations boursières. Il a estimé que les
responsabilités étaient suffisamment mises en évidence
dans le projet de loi, mais qu'il était sans doute nécessaire
d'accroître la transparence au profit du petit épargnant, qui
n'était pas toujours en mesure de comprendre les risques des produits
qui lui sont proposés.
M. Maurice Blin
s'est demandé si les graves dérives
constatées aux Etats-Unis étaient davantage liées à
des déficiences structurelles de contrôle qu'au seul
« emballement boursier » dont les valeurs technologiques
avaient fait l'objet, et s'il était aujourd'hui utile que la
législation française s'inspire des exemples espagnol et anglais.
Il a également manifesté son souhait que soit, à terme,
constituée une législation véritablement européenne
et susceptible de résister aux visées expansionnistes des
Etats-Unis.
M. Eric Doligé
a déploré le fait que certains chefs
d'entreprises n'aient, selon lui, guère eu de scrupules à plaider
l'ignorance alors que la chute du cours de leur entreprise avait affecté
de très nombreux petits épargnants. Il s'est dès lors
demandé si ce texte allait permettre de sécuriser la situation de
ces épargnants.
M. Jean Arthuis, président,
a conclu cette série de
questions par la nécessité de renforcer la
sincérité et la transparence de l'information financière,
qui avait récemment fait l'objet de discours souvent factices. Il s'est
ensuite demandé si la nouvelle réglementation contribuerait
à accroître la compétitivité de la France, tant au
plan des épargnants que de celui des opérateurs, et s'il serait
opportun d'introduire une procédure de faillite civile, qui avait
été votée par le Sénat en 1989, et permettrait de
sanctionner les prêteurs abusifs. Il s'agirait, en outre, d'introduire
des dispositions donnant la possibilité à une commission de
surendettement d'annuler certaines créances dès lors que le
crédit avait été accordé sans les diligences
nécessaires. Constatant enfin la réduction du nombre de cabinets
d'audit, qui de huit pourrait passer à deux ou un d'ici quelques
années, il a émis le souhait que soit suscité
l'avènement de nouveaux réseaux en vue d'assurer la
pluralité du contrôle des comptes.
En réponse,
M. Francis Mer
a tout d'abord indiqué qu'une
enquête sur la société Clearstream était
actuellement menée par les autorités luxembourgeoises. Il a
également reconnu que la directive OPA faisait aujourd'hui l'objet de
négociations très difficiles, mais qu'un accord européen
était néanmoins nécessaire pour une plus grande
égalité de concurrence, tout en permettant aux entreprises de se
défendre contre les OPA hostiles avec l'accord de leurs actionnaires.
Il a ensuite considéré qu'il était indispensable de ne pas
placer sur le même plan une affaire telle que celle d'Enron, qui
témoignait de comportements résolument criminels, et la situation
de sociétés telles que France Télécom, Daewoo ou
Michelin. L'appréciation de ces situations était selon lui
tributaire d'une approche philosophique de la sphère économique,
dont les maîtres mots devaient être liberté et
responsabilité. Cette conception imposait que les règles du jeu
soient claires, et ne devait pas occulter le fait que de nombreux petits
épargnants avaient, dans un passé récent,
enregistré d'importantes plus-values boursières lorsque les cours
étaient en phase ascendante.
Concernant les trois principales agences de notation, il a rappelé que
leurs prestations étaient tarifées et laissaient donc aux
émetteurs la liberté de se faire noter. Les agences
étaient, selon lui, conscientes de l'intérêt qu'elles
avaient à être transparentes, et leur activité contribuait
également à entretenir une nécessaire discipline dans les
finances des Etats et des entreprises. Sur le sujet des normes comptables, il a
admis que la réflexion sur la norme IAS 39 devait être poursuivie
afin d'éviter une trop grande volatilité dans les comptes, et a
indiqué que ce thème figurait à l'ordre du jour de la
réunion des ministres des finances du G7 qui devait se tenir dans deux
semaines.
Reprenant la question de
M. Joël Bourdin
sur les conventions de
comptes bancaires, il a rappelé que le Gouvernement proposera au
Parlement de suspendre pour 18 mois les dispositions de la loi MURCEF qui
étaient inapplicables, sauf à imposer l'envoi de 60 millions
de conventions, les banques ayant pris en contrepartie des engagements dans une
charte.
Il a ensuite estimé qu'une éthique financière ne saurait
être créée par décret et que l'inventivité
juridique prendrait toujours le dessus sur la précision de la loi. A
propos des comptes trimestriels, il a également vivement contesté
la perception d'une dictature du court terme, qui n'était selon lui que
d'ordre médiatique, et a mis en exergue le fait que les investisseurs
institutionnels s'intéressaient, avant tout, aux perspectives de long
terme des entreprises et que la spéculation était loin
d'être généralisée. Il a dès lors
estimé que le projet de loi de sécurité financière
était suffisamment équilibré pour assurer la
crédibilité, condition nécessaire et préalable
à la compétitivité, de la régulation
économique française.
Revenant, enfin, sur l'hypothèse de la faillite civile,
M. Francis
Mer
a
estimé qu'elle était surtout susceptible de
provoquer un engorgement des tribunaux, et que le consommateur devait rester
responsable de ses choix. Une réflexion sur l'amélioration de la
prévention du surendettement était néanmoins en cours.
M. Dominique Perben
a confirmé la position de M. Francis Mer
sur la prévention du surendettement, en indiquant qu'il était
souhaitable d'améliorer le dispositif actuel, notamment par
l'attribution de nouveaux pouvoirs aux commissions de surendettement, mais
qu'une procédure de faillite civile ne serait pas gérable. Il a
ensuite fait valoir que la séparation des activités de conseil et
d'audit constituait un élément essentiel du projet de loi, qui
allait dans le sens d'une amélioration de la transparence. Cette
dernière serait également développée par les
travaux du Haut conseil du commissariat aux comptes.
II. AUDITION DE M. JEAN-FRANÇOIS LEPETIT, PRÉSIDENT DE LA
COMMISSION DES OPÉRATIONS DE BOURSE
Réunie le mercredi
12 février 2003
sous la
présidence de M. Jean Arthuis, président, la commission
a procédé à
l'audition
de
M.
Jean-François Lepetit
,
président de la COB
, sur le
projet
de
loi n° 166
(2002-2003) de
sécurité financière
.
En introduction,
M. Jean-François Lepetit, président de la
COB,
a rappelé qu'à elle seule, une loi ne pouvait
rétablir la confiance sur les marchés, mais que le renforcement
du cadre institutionnel de régulation des marchés prévu
dans le projet de loi de sécurité financière constituait,
de toute évidence, une étape très positive.
Il a estimé que la création de l'Autorité des
marchés financiers (AMF) constituait un moment important de
l'évolution de la régulation française, qui devrait
permettre à cette autorité d'atteindre une taille critique de
nature à lui donner les moyens d'assurer la protection des
investisseurs. Il a considéré que la création d'une
autorité unique permettait de renforcer la cohérence de la
régulation financière française, d'en simplifier le
schéma pour les acteurs des marchés nationaux et de faciliter sa
représentation internationale.
M. Jean-François Lepetit
a ensuite présenté les
principales dispositions du projet de loi relatives à l'AMF : sa
personnalité morale sui generis qui lui confère l'autonomie
budgétaire, une large autonomie de gestion de ses personnels et une
pleine capacité à agir en justice ; la composition de son
collège, équilibrée entre différentes
compétences nécessaires ; l'existence d'une commission des
sanctions répondant aux exigences de la Convention européenne des
droits de l'homme. Il a ensuite évoqué les relations de l'AMF
avec l'Etat et le gouvernement, avec les autres autorités de
contrôle des entreprises du secteur financier, avec le Parlement et avec
les autorités judiciaires.
Il a toutefois attiré l'attention de la Commission sur la question de la
représentation collective unifiée des salariés, qui
mériterait, selon lui, d'être précisée dans la loi.
Et, afin de permettre à l'AMF de disposer des ressources
nécessaires au bon accomplissement de ses missions, qui sont rendues
plus complexes et plus nombreuses par des évolutions en cours ou
prévisibles des marchés, il a appelé de ses voeux une taxe
fixe, modulable par tranches et pesant sur l'ensemble des émetteurs
faisant appel public à l'épargne.
Evoquant ensuite le volet du projet de loi relatif au contrôle
légal des comptes,
M. Jean-François Lepetit
a
rappelé que les commissaires aux comptes des sociétés
faisant appel public à l'épargne étaient des auxiliaires
indispensables de la COB et de la future AMF. A ce titre, il s'est
félicité que le projet de loi tienne compte de la
nécessaire relation entre le régulateur boursier et les
commissaires aux comptes des sociétés faisant appel public
à l'épargne en en confirmant les bases légales et en
associant l'AMF aux nouvelles modalités de contrôle. Il a
également rappelé les actions entreprises par la COB depuis de
nombreuses années pour assurer la qualité des diligences des
commissaires aux comptes et encourager la rotation des signataires des comptes
tous les six ans au moins. Il a toutefois regretté que le projet de loi
renvoie l'application de cette dernière disposition à 2006, voire
2011.
S'agissant des questions de gouvernement d'entreprise,
M.
Jean-François Lepetit
a rappelé que les mécanismes de
contrôle ne valaient que par le sens des responsabilités et la
compétence de ceux qui les mettaient en oeuvre. Il a estimé que
le code de commerce comportait des dispositions qui constituaient un cadre de
bonne gouvernance pour les sociétés françaises et a
rappelé que la COB faisait obligation aux émetteurs depuis 1996
de présenter dans leur rapport annuel ou leur prospectus leurs pratiques
en matière de gouvernement d'entreprise. Il a considéré
que le projet de loi renforçait cette approche en confiant à
l'AMF le soin de préciser, pour les sociétés faisant appel
public à l'épargne, les modalités d'information du
marché sur l'organisation et le fonctionnement du conseil
d'administration et les procédures de contrôle mises en place par
la société. En outre, le projet de loi rend obligatoire la
recommandation édictée par la COB en 2001 sur la
déclaration des opérations effectuées sur les titres de la
société par les dirigeants et les personnes ayant un lien
personnel avec eux. Il a estimé sage, avant de prendre des mesures plus
coercitives, d'attendre le bilan que ferait l'AMF sur les pratiques des
sociétés.
Abordant enfin les dispositions du projet de loi relatives au démarchage
et aux conseillers en investissements financiers,
M. Jean-François
Lepetit
s'est félicité de l'unification des textes en
matière de démarche et du choix d'une responsabilité en
chaîne dans le cadre d'un système de mandat. Il a cependant
considéré que la mise en oeuvre pratique du contrôle serait
difficile en raison du nombre de personnes concernées et de leur
dispersion géographique. Il a ensuite estimé que le choix d'une
certaine autorégulation des conseillers en investissements financiers,
sous le contrôle de l'AMF, paraissait nécessaire pour favoriser
l'organisation de la profession.
Il a ensuite évoqué la polémique relative aux analystes
financiers. Il a souhaité rappeler que l'exercice de cette
activité était encadré depuis mai 2002 par des
dispositions du règlement général et d'une décision
générale du conseil des marchés financiers (CMF). Il a
estimé que tout changement dans ce statut professionnel devait se faire
par une prise en charge par l'AMF, et non par le développement de
l'autorégulation.
Enfin, s'agissant des agences de notation,
M. Jean-François Lepetit
a souhaité qu'elles se dotent de règles déontologiques
communes et a évoqué l'opportunité de mettre en place un
statut professionnel relevant de l'AMF.
M. Philippe Marini, rapporteur général,
a souhaité
que le président de la COB donne quelques précisions à la
Commission sur les mécanismes de transferts de risques entre la
sphère bancaire et la sphère de marché, notamment par le
biais des dérivés de crédit. Il s'est interrogé sur
la légitimité, dans ces conditions, de maintenir une
régulation à deux piliers, un pilier prudentiel et un pilier de
régulation des marchés, alors que plusieurs autres pays avaient
opté pour une autorité de régulation unique.
Il a également souhaité recueillir l'analyse du président
de la COB sur la possibilité, en droit boursier français, de
conduire, pour des mêmes faits impliquant les mêmes personnes, deux
procédures concurrentes, l'une débouchant sur les sanctions
administratives de l'autorité de régulation de marché et
l'autre aboutissant à des sanctions pénales infligées par
le juge judiciaire, en dépit de la règle
non bis in idem
.
En réponse à M. Philippe Marini et aux interventions de
MM. Claude Belot, Paul Loridant et Jean Arthuis,
président
,
M. Jean
-
François Lepetit,
président de la COB,
a rappelé les principales
caractéristiques des dérivés de crédit. Il a admis
que l'architecture des autorités de régulation faisait
débat. Il a insisté sur la distinction des rôles entre le
pilier prudentiel et le pilier de marché, estimant même
qu'était susceptible d'exister un conflit d'intérêt entre
le régulateur bancaire, dont le rôle est de cantonner les risques
bancaires et le protecteur de l'épargne publique, dont le rôle est
d'autant plus important, aujourd'hui, que les banques cèdent une partie
de leurs risques de bilan à des véhicules d'investissement
collectif. Il a souhaité, avant d'aller plus avant dans une architecture
unifiée, que l'harmonisation du droit boursier et les rapprochements
entre régulateurs de marché soient plus avancés.
S'agissant de la possibilité d'un cumul entre une sanction
administrative et une sanction pénale, il a rappelé que le
législateur de 1989 avait admis cette redondance, compte tenu de la
lenteur de la justice pénale. Il a rappelé que la
procédure devant la COB répondait désormais aux exigences
de la Convention européenne des droits de l'homme et qu'elle permettait
de sanctionner rapidement les auteurs d'infractions boursières.
M. François Marc
a souhaité connaître les
dispositions du projet de loi qui permettaient d'assurer la fiabilité
personnelle des futurs membres de l'AMF. Il a également souhaité
savoir qui serait juge des bonnes pratiques des sociétés en
matière de gouvernement d'entreprise.
En réponse à M. François Marc,
M. Jean-François
Lepetit
a estimé que le choix des membres de l'AMF par le ministre,
au sein des professionnels des marchés financiers où les
réputations sont bien connues, mais aussi les règles
déontologiques posées par l'article 5 du projet de loi, devaient
permettre d'assurer l'honorabilité et la moralité des membres de
l'AMF. S'agissant du gouvernement d'entreprise, il a estimé qu'il
fallait tenir compte des différences entre les sociétés et
ne pas fixer trop de règles obligatoires dont le respect pouvait
n'être qu'apparent, comme l'avait montré le cas de la
société Enron.
M. Jacques Chaumont
s'est interrogé sur une éventuelle
insuffisance de moyens de l'AMF, au regard notamment de ceux dont dispose la
Securities Exchange Commission (SEC) américaine. Il a également
souhaité connaître l'appréciation du président de la
COB sur la notion de fair value
(ou juste valeur).
En réponse à M. Jacques Chaumont,
M. Jean-François
Lepetit
a estimé que des moyens supplémentaires seraient sans
doute nécessaires dans les prochaines années. Il s'est dit
très attaché à la définition de règles
comptables internationales mais ne pas être un « très
chaud partisan » de la fair value.
M. Jean Arthuis, président,
a souhaité savoir si les
dispositions de la législation française relatives aux options
d'achat étaient actuellement suffisantes pour éviter les abus.
En réponse à M. Jean Arthuis, président,
M.
Jean-François Lepetit
a reconnu que les options d'achat avaient
certainement été à l'origine de la formation de bulles sur
les marchés financiers et étaient donc susceptibles de susciter
d'importants effets pervers. Il a souhaité que leur attribution soit
liée non seulement à l'évolution des cours de bourse, mais
aussi à d'autres performances de l'entreprise, qu'elle se fasse avec une
certaine régularité, et non pas seulement lorsque les cours sont
bas, et que la question de leur répartition entre dirigeants et autres
attributaires soit revue.