III. LES PROPOSITIONS DE VOTRE COMMISSION

Par sagesse, mais également par pragmatisme, le nouveau Gouvernement a préféré saisir le Sénat du projet voté par l'Assemblée nationale l'an passé plutôt que de proposer un projet dont il revendiquerait la paternité.

Ainsi qu'il a été exprimé à de nombreuses reprises, les dispositions contenues par le présent projet transcendent les clivages partisans ou idéologiques.

En examinant les dispositions proposées, votre commission a cherché avant tout à réaffirmer la prééminence d'un regard éthique, mais également à permettre, lorsqu'elles lui semblaient justifiées, les évolutions que les nombreuses institutions saisies de cette question avaient préconisées.

Schématiquement, votre commission propose trois grands axes pour les grands thèmes proposés par ce projet.

Concernant le don d'organes, elle a en premier lieu souhaité ne solliciter qu'avec prudence les donneurs vivants ce qui, en conséquence, la conduit à la fois à favoriser les dons post mortem et à entourer le don entre vifs de garanties renforcées.

Concernant l'assistance médicale à la procréation et le statut de l'embryon, elle a cherché à décliner le principe de précaution : précaution sanitaire afin que ces techniques soient mises en oeuvre dans un contexte optimal de sécurité mais également précaution éthique en ne permettant pas, au-delà du strict nécessaire, tel qu'il peut être évalué aujourd'hui, les manipulations sur l'embryon.

Concernant les activités s'exerçant dans le champ de la bioéthique, elle a souhaité que la tutelle des pouvoirs publics puisse s'exercer dans les meilleures conditions possibles.

A. DON ET PRÉLÈVEMENT D'ORGANES : FAVORISER LE PRÉLÈVEMENT POST MORTEM POUR PRÉSERVER LES VIVANTS

1. Favoriser le don post mortem en améliorant l'information du jeune public sur le don d'organes

Au grave problème posé par le déficit en greffons, le projet de loi choisit de répondre par l'élargissement du champ des donneurs vivants aux personnes ayant « un lien étroit et stable » avec le receveur. Cette situation s'inspire d'une certaine générosité mais également d'une certaine facilité : parce que le prélèvement post mortem est encore accueilli avec méfiance par nos concitoyens, et notamment les familles dans la douleur d'un deuil, les pouvoirs publics choisissent d'encourager les prélèvements sur des personnes vivantes volontaires.

Or, ces prélèvements ne sont pas anodins. Ils comportent des risques sérieux : risque de mort, risque de complications post-opératoires. Si les statistiques ne sont pas nombreuses sur le sujet, on évalue néanmoins, pour le don d'une partie de foie, la mortalité à 0,2 % et la morbidité à 12 %, et pour le don d'un rein, la mortalité à 1 cas sur 600.

En conséquence, votre commission estime qu'il convient de favoriser le développement du don post mortem , notamment par une politique d'information plus active sur la finalité du don d'organes après le décès et sur le régime du consentement auquel il est soumis. L'objectif est de rendre pleinement effectif le régime actuel de consentement présumé.

Votre commission propose en conséquence de prévoir que tout médecin devra s'assurer auprès de ses patients âgés de 16 à 25 ans qu'ils ont bien reçu une telle information et, dans le cas contraire, de la délivrer le plus rapidement possible. La définition des modalités de cette information et du support durable la retraçant est renvoyée à un décret en Conseil d'Etat.

2. Encadrer très strictement le recours au don entre vifs

a) Limiter le cercle des donneurs potentiels

Le projet de loi élargit le cercle potentiel des donneurs vivants à toute personne ayant avec le receveur un lien « étroit et stable ».

Cet élargissement est contestable à plusieurs chefs.

En effet, le concept de lien « étroit et stable » demeure particulièrement vague, cette notion pourrait viser les personnes vivant avec le bénéficiaire, mais également d'autres catégories de proches, voisins et amis connus de longue date.

Il s'agit in fine d'un recours au seul lien affectif sur lequel le Conseil d'Etat a exprimé des réserves dans son étude de 1999 29 ( * ) , considérant qu'il était « possible d'étendre le cercle des donneurs au-delà de la parenté du premier degré (un cousin peut être le seul donneur compatible), de poursuivre cette extension en dépassant la notion de parenté mais en limitant cet élargissement aux seuls conjoints après avoir levé la condition d'urgence qui s'impose aujourd'hui à eux, de procéder à un élargissement mesuré en englobant dans la notion de conjoint les concubins ou, d'ouvrir au maximum le cercle potentiel des donneurs majeurs non apparentés en retenant la catégorie de « personnes affectivement liées » qui permet d'inclure les concubins et les amis et d'élargir le cercle des donneurs apparentés au-delà de la parenté de premier degré.

« Dans ce dernier cas, il faudrait sans conteste soumettre cet élargissement à des contrôles et prévoir des garde-fous afin d'éviter qu'un commerce d'organes ne se crée. Pour s'assurer de la sincérité du don et protéger les donneurs contre toutes formes de pressions, certaines instances envisagent la mise en place d'un comité ad hoc qui devrait examiner tous les cas de dons émanant de personnes majeures apparentées ou non.

« Si une définition élargie de la famille ne pose pas de problèmes juridiques majeurs, tel n'est pas le cas d'une extension maximale de la catégorie des donneurs sur le fondement du seul lien affectif. Le risque induit par un tel choix est de consacrer un critère dont l'interprétation est totalement ouverte, et donc nécessairement subjective et arbitraire, et dont le contrôle est, par voie de conséquence, fort peu aisé. Accepter le don au titre des seuls liens affectifs augmente le risque de tractations commerciales. »

Généreux dans son inspiration, un tel élargissement porte donc potentiellement deux graves dangers :

- le risque d'une dérive mercantile que comporte la possibilité ainsi largement ouverte de prélever des organes ;

- le risque de pressions morales fortes sur des tiers qui, sans être des proches du receveur, constitueraient néanmoins son entourage habituel et deviendraient par conséquent des donneurs potentiels.

C'est la raison pour laquelle votre commission, avec prudence et pragmatisme, vous proposera de limiter l'élargissement du cercle des donneurs potentiels au cercle familial élargi : petits-enfants, neveux, nièces, cousins germains, enfants du conjoint du receveur et à la personne apportant la preuve de deux ans de vie commune.

b) Simplifier et encadrer le don de moelle osseuse par les mineurs et les majeurs protégés

Votre commission vous propose d'harmoniser ce régime dérogatoire qui intervient à titre exceptionnel et en l'absence d'autres solutions thérapeutiques tout en élargissant le cercle des bénéficiaires de prélèvements de moelle osseuse aux oncles et tantes, neveux et nièces des mineurs (en sus donc des frères et soeurs et cousins germains) et aux cousins germains, oncles et tantes, neveux et nièces (en sus donc des frères et soeurs) des majeurs sous curatelle ou sauvegarde de justice dès lors qu'ils se seront vu reconnaître la faculté de consentir par le juge des tutelles.

En l'état actuel du droit, la loi prévoit une dérogation à l'interdiction de prélever des cellules de la moelle osseuse sur un mineur pour les seuls prélèvements effectués au bénéfice de ses frères et soeurs. Le projet de loi élargit quant à lui la dérogation à la possibilité de prélèvement sur un mineur qui est le cousin ou la cousine germaine du receveur.

Les règles de la comptabilité tissulaire, impératives pour la réussite des greffes de moelle osseuse, font que parfois cette comptabilité ne peut être trouvée ni chez un donneur majeur, ni même auprès d'un mineur, frère ou soeur, cousin ou cousine du receveur. En revanche, dans certains cas rares, les hasards de la consanguinité font que d'autres parents proches comme les neveux ou nièces, oncles ou tantes se révèlent HLA 30 ( * ) identiques au receveur.

Plusieurs raisons conduisent ainsi votre commission à proposer d'élargir le champ des donneurs mineurs de moelle osseuse à cette dernière catégorie :

- la rareté des cas concernés fait que cette extension ne peut en aucun cas conduire à une banalisation des prélèvements sur personne mineure ;

- les personnes en attente d'une greffe de moelle osseuse souffrent de pathologies graves et la greffe représente la seule solution thérapeutique ; l'enjeu vital pour ces personnes doit être mis en regard avec le caractère relativement bénin et sans complexité technique particulière du prélèvement opéré sur le donneur ;

- en ce qui concerne les donneurs, le projet de loi offre d'ores et déjà un niveau de protection important se traduisant par l'information des parents du mineur avant le consentement et par une autorisation délivrée par un comité d'experts dont la composition a été renforcée.

En contrepartie, elle vous propose d'exiger pour tout prélèvement de moelle sur personne mineure ou majeure protégée, que le comité d'experts n'autorise le prélèvement ou formule son avis au juge des tutelles qu'après s'être assuré que tous les moyens ont été mis en oeuvre pour trouver un donneur majeur histocompatible.

* 29 Conseil d'Etat, étude précitée, p 67-68.

* 30 HLA : Histocompatibilité humaine.

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