INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
Le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 s'inscrit dans une
démarche de planification à long terme de notre outil de
défense, issue des conclusions du Livre blanc de 1994, puis des
réflexions conduites en 1996 par le Comité stratégique,
qui aboutirent à la définition du modèle d'armée
2015. Le précédent projet de loi de programmation militaire
1997-2002 fut donc la première étape d'une série de trois
exercices de programmation quinquennale. Le présent rendez-vous
législatif engage une nouvelle phase dans le cadre d'un calendrier
inchangé même si, à l'évidence, le contenu, les
orientations et le rythme qu'il donne à l'organisation de notre
défense prend en compte les éléments de continuité
mais aussi de ruptures intervenus dans le paysage stratégique au cours
des dernières années et en particulier après les attentats
du 11 septembre.
La rupture majeure intervenue le 11 septembre 2001 a démontré la
vulnérabilité des Etats face aux menaces dites
asymétriques et non étatiques. Le terrorisme n'est pas en soi une
menace nouvelle, le Livre blanc de 1994 comme le rapport annexé à
la précédente loi de programmation en relevaient
déjà la réalité et notre pays en avait
déjà fait la douloureuse expérience :
«
notre politique de défense doit également prendre
en compte un certain nombre de menaces ne s'exerçant pas dans le cadre
des rapports interétatiques traditionnels, qu'il s'agisse de
l'activité de mouvements nationalistes et terroristes, des
progrès du crime organisé, des trafic d'armes et de
drogues ».
Les attentats du 11 septembre ont mis en lumière une évolution
radicale du phénomène : dans leur organisation, les
mouvements terroristes aujourd'hui à l'oeuvre se distinguent par la
sophistication de leur réseau, l'abondance de leurs ressources
financières, leur capacité à s'installer sur notre propre
sol, à s'entraîner sur les territoires d'Etats
délibérément complices -comme l'Afghanistan, mais aussi
sur ceux de tel ou tel Etat « défaillant » : la
liste n'est donc pas limitative des refuges potentiels.
Evolution radicale également quant aux cibles : il s'agit moins de
frapper les symboles d'un Etat central réputé étouffer une
revendication religieuse, ethnique ou nationale que de frapper, sans
discrimination et le plus durement possible, au coeur d'une population civile,
d'instaurer un climat général de peur ou
d'insécurité, d'oeuvrer à l'avènement d'un chaos
généralisé au coeur du monde occidental. Evolution
radicale enfin quant aux moyens mis en oeuvre : ce terrorisme de destruction
massive a utilisé, après une minutieuse préparation, des
armes par destination -des appareils civils- le 11 septembre aux
Etats-Unis ; il est à même de recourir à certaines des
armes de destruction massive, en particulier à l'arsenal biologique,
chimique ou radiologique, d'un accès et d'une utilisation beaucoup plus
aisés encore que le nucléaire.
C'est cette conjonction entre, d'une part, un terrorisme organisé,
structuré, insaisissable parce que réparti en réseaux dans
le monde entier et, d'autre part, l'accessibilité croissante aux armes
de destruction massive, nucléaires, radiologiques,
bactériologiques et chimiques (NRBC) qui est au coeur de cette nouvelle
menace asymétrique à laquelle nos démocraties se doivent
de trouver la parade la plus efficace possible. Elle replace la protection du
territoire et des populations au centre des grandes missions de défense
assignées non plus seulement aux seules forces militaires mais
-phénomène nouveau- à l'ensemble des acteurs
diplomatiques, judiciaires, policiers et financiers, dans une démarche
incontournable de coopération transnationale -en particulier, comme on
l'a vu depuis 2001, dans le cadre de l'ONU, de l'Union européenne voire
de l'OTAN.
Mais l'amplitude de cette rupture n'a pas éclipsé les
éléments de continuité de notre environnement
stratégique.
Sur ce registre figure ainsi la persistance des crises
périphériques, régionales, générées
par des conflits nationaux ethniques ou religieux. Au cours des
dernières années, la crise du Kosovo, en 1999, tout en confirmant
les choix stratégiques décidés alors, a justifié de
premières adaptations capacitaires, au vu des enseignements
retirés de la campagne aérienne. Les soubresauts
consécutifs de la Macédoine ont démontré que, dans
ce pays comme dans la Bosnie voisine, la présence de forces
étrangères -dont de nombreux Français- serait encore
longtemps nécessaire pour pacifier durablement la région.
Dans le cadre de la riposte internationale aux attentats du 11 septembre
2001, au sein de la coalition rassemblée sous commandement
américain, des forces aériennes, navales, aéronavales
françaises ont pris une part active à la traque des combattants
talibans et des membres d'Al Qaïda ; des éléments
terrestres ont ensuite été déployés au sein de la
Force internationale d'assistance à la sécurité, sous
mandat de l'ONU.
Plus récemment encore, l'opération Licorne, mise en oeuvre en
Côte d'Ivoire avec quelque 2 500 militaires français,
démontre que des opérations purement nationales
-indépendamment de toute coalition- décidées en
application d'accords bilatéraux de défense et non à la
suite d'un mandat international pouvaient toujours se révéler
d'actualité, avec pour enjeux majeurs la prévention de massacres,
la sécurisation de milliers de nos ressortissants, la sauvegarde d'un
cessez-le-feu, et au-delà, la stabilisation d'une sous-région
entière.
Agissant ainsi sur différents théâtres, la France honore
les différents engagements qu'elle a librement souscrits, à titre
bilatéral mais aussi au sein du Conseil de Sécurité de
l'ONU dont elle est membre permanent. Dans le cadre de l'Alliance atlantique
également où, en dépit de sa position particulière
à l'égard de l'Organisation, elle entend prendre toute sa part
dans les opérations coalisées conduites par celle-ci.
Le projet de loi de programmation militaire 2003-2008 doit donc relever le
difficile défi de mettre notre défense en situation de
répondre à un éventail toujours plus large de menaces dont
la nature cumule des caractéristiques bien identifiées -gestions
de crises régionales en coalition ou en national, opérations de
maintien ou de rétablissement de la paix, impliquant prioritairement les
forces militaires- à des menaces terroristes immédiates dont la
concrétisation ne manquerait pas d'entraîner des
conséquences intérieures potentiellement dramatiques pour nos
populations.
Face à un environnement aussi dangereusement imprévisible et
instable, la poursuite d'une tendance récurrente à la contraction
constante des capacités militaires relèverait de l'aveuglement ou
de l'irresponsabilité. C'est avec cette pratique ancienne que le
présent texte entend rompre ; il importera que cette ambition ne
soit pas, une nouvelle fois, déçue.
Le projet de loi de programmation entend d'abord remédier à une
double urgence, qui ne relève pas de l'inventaire habituel des
programmes d'équipements neufs : en plaçant au rang des
priorités le maintien en condition opérationnelle des
équipements existants, ou encore la revalorisation de la condition
militaire, le gouvernement entend parer au plus pressé : le taux
d'indisponibilité des matériels des trois armées a atteint
un niveau inacceptable qui, sur la durée, affecte plus sûrement
encore le « moral » des forces et leur capacité
opérationnelle que les retards de certains programmes majeurs.
En second lieu, le texte privilégie deux choix stratégiques dont
il entend confirmer les principes et tirer toutes les
conséquences : la professionnalisation et l'ambition
européenne.
Menée à bien pendant les cinq dernières années, la
professionnalisation sera consolidée, en particulier pour
améliorer l'attractivité du recrutement et la
fidélisation. Quant au choix tendant à faire de l'Europe un
acteur qui compte davantage dans les relations internationales, en lui
conférant une réelle capacité militaire, il est au coeur
des orientations du projet de loi et de la définition des programmes
d'équipement dont la France entend doter ses forces pour pouvoir les
intégrer à l'objectif capacitaire européen.
Cette construction d'une Europe de la défense crédible et
opérationnelle, notre pays ne peut évidemment la faire seule et
votre rapporteur ressent, comme d'autres, déception quant au rythme et
inquiétude quant au contenu final de ce projet confronté, en la
matière, à des stratégies nationales, sinon contraires, du
moins fort différentes, de nos partenaires.
Ambitieux et volontariste, ce projet l'est indéniablement. Le choix
indispensable de mettre en chantier le second porte-avions en témoigne,
de même l'ampleur des efforts financiers consentis pour faire entrer en
phase de fabrication les programmes majeurs décidés
antérieurement, pour préserver notre capacité de
dissuasion, ou pour permettre les adaptations capacitaires du modèle
d'armée 2015, rendues nécessaires par l'expérience des
crises et l'évolution des menaces : renseignement, projection,
commandement et conduite des opérations, entre autres.
Il ne permettra pas, cependant, de rattraper tous les retards et de
répondre à tous les besoins. Ainsi, bien que substantiellement
réévaluées, les normes d'entraînement
assignées aux personnels des trois armées resteront encore
inférieures à celles de nos alliés américains et
britanniques. Nos besoins cruciaux en capacités de projection,
clairement identifiés depuis longtemps, ne seront comblés
qu'après la période couverte par la présente
programmation : 2009 pour l'avion de transport stratégique A 400-M,
2011 pour l'hélicoptère de transport NH90, 2009 également
pour l'arrivée des premiers drones d'observation de longue endurance....
La lenteur dans la maturation de certains programmes, liée soit aux
aléas de la coopération, soit aux conséquences des
restrictions budgétaires, est peu compatible avec la nécessaire
réactivité d'une armée lorsque survient une crise. Ces
difficultés ne rendent que plus pertinentes la recherche d'alternatives
à l'acquisition patrimoniale pour rationaliser la dépense et
accélérer la satisfaction de besoins capacitaires essentiels.
Votre rapporteur salue donc le contenu et l'ambition du projet de loi de
programmation militaire 2003-2008, qui constitue, dans le contexte et les
contraintes de l'heure, la meilleure réponse possible. A la condition
cependant que la réalisation des engagements qui figurent dans le texte
soit scrupuleusement tenue, les échéances respectées, les
objectifs maintenus. Il y va de la crédibilité de notre ambition,
nationale et européenne, à préserver ou restaurer la paix,
assurer la protection de nos populations, défendre nos
intérêts et promouvoir nos valeurs.