TRAVAUX DE COMMISSION
I. AUDITION DU MINISTRE
Réunie le jeudi 11 juillet 2002, sous la présidence de M. Nicolas About, président, la commission a procédé à l'audition de M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité sur le projet de loi n° 351 (2001-2002) portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise .
Après avoir rappelé que le projet de loi correspondait à un engagement du Président de la République et de la nouvelle majorité parlementaire, M. François Fillon a souligné les fortes difficultés rencontrées, par les jeunes, pour accéder à l'emploi : leur taux de chômage est anormalement élevé, notamment pour les moins qualifiés, et a fortement augmenté depuis un an.
Il a considéré que cette situation devait s'apprécier au regard d'un triple constat : les entreprises n'embauchent pas naturellement les jeunes sans qualification qui sont systématiquement en bout de file d'attente, les dispositifs existants ne touchent pas les moins qualifiés, leur entrée dans la vie active se caractérise par des trajectoires précaires et discontinues.
Précisant que le nouveau dispositif présenté par le Gouvernement se fondait sur ces constats, il a indiqué qu'il répondait, avant tout, à un souci pragmatique d'efficacité : favoriser l'embauche des jeunes les plus vulnérables sur des emplois de droit commun dans le secteur privé par une exonération de charges sociales patronales.
Revenant sur le public visé, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a estimé qu'en s'adressant aux jeunes de 16 à 22 ans sans qualification ou avec une qualification de niveau V, le projet de loi cherchait à prendre en compte les jeunes sortant précocement du système éducatif en situation d'échec scolaire, mais aussi la classe d'âge de 21-22 ans, qui constitue la cohorte la plus importante parmi les chômeurs de moins de 25 ans. Ainsi délimité, le dispositif pourrait concerner environ 200.000 jeunes dans sa phase de maturité en 2004-2005, tout en limitant les risques éventuels de détournement de l'aide.
Il a également estimé que, pour être réellement incitatif, le dispositif devait compenser le surcoût lié à l'embauche d'un jeune non qualifié par une compensation des charges patronales. Il a précisé que le soutien de l'Etat serait de 2.700 euros par an en plus des allégements généraux de charges existants, ce qui constituerait une incitation forte pour les entreprises, contribuerait parallèlement à rajeunir l'âge moyen de leurs effectifs et à prévenir, le cas échéant, des difficultés de recrutement.
M. François Fillon a ensuite souligné que le recrutement en contrat à durée indéterminée (CDI) représentait un engagement de long terme pour l'entreprise et que, dès lors, une telle embauche devait constituer pour elle un choix stratégique et ne pouvait donc pas seulement être motivée par le seul bénéfice de l'exonération de charges.
Signalant que le dispositif était dépourvu de toute formation obligatoire, il a justifié ce choix en indiquant que le projet de loi visait les jeunes, souvent en situation d'échec scolaire, qui ne voulaient pas ou ne souhaitaient pas s'engager dans un nouveau parcours de formation. Il a indiqué que l'objectif du dispositif était d'abord de leur permettre de rentrer dans la vie active, même si, par la suite, ils pouvaient revenir, sans préavis, dans une démarche de formation soit au sein de l'entreprise, soit en alternance. Il a en outre précisé que le dispositif pouvait déboucher sur une validation des acquis de l'expérience dans des conditions définies par les branches professionnelles.
Soulignant les dissemblances entre le dispositif et les formations en alternance (publics différents, coût horaire pour l'entreprise également différent), il a considéré que ces deux instruments n'entraient pas en concurrence et que le projet de loi ne portait pas préjudice aux initiatives que pourraient prendre les partenaires sociaux afin de rénover les formations en alternance.
Il a enfin estimé que le dispositif pouvait sans doute encore être complété, dans les entreprises, par des initiatives des partenaires sociaux, notamment en matière de tutorat ou d'accompagnement.
Après avoir rappelé que la commission appelait de ses voeux depuis plusieurs années la création d'une mesure d'insertion durable des jeunes les moins qualifiés en entreprise par une réduction du coût du travail, M. Louis Souvet, rapporteur, a estimé que le dispositif correspondait à un vrai besoin.
Il a alors interrogé le ministre sur le champ des cotisations et charges sociales visées et le montant du soutien de l'Etat. Il s'est également interrogé sur le seuil de 250 salariés, sur l'opportunité de prévoir un tutorat ou un accompagnement social et sur le positionnement du dispositif par rapport aux formations en alternance et à la validation des acquis.
En réponse, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a indiqué que le dispositif visait l'ensemble des charges patronales pesant sur le salaire et se traduirait par une aide de l'Etat de 225 euros par mois au niveau du salaire minimum interprofessionnel de croissance (SMIC), puis proportionnelle dans des conditions fixées par décret jusqu'à 1,3 SMIC. Il a estimé qu'un tel soutien était plus favorable qu'un dispositif d'exonération qui aurait été nécessairement plus restreint.
Indiquant que la question du seuil de 250 salariés avait fait l'objet d'un très large débat, il a avancé l'hypothèse que les effets d'aubaine puissent aller croissant avec la taille de l'entreprise.
S'agissant d'un éventuel accompagnement et de la validation des acquis, il a fait part de son souhait que les partenaires sociaux se mettent d'accord pour proposer des formules adéquates.
Rappelant que le dispositif ne visait pas les mêmes publics que ceux s'orientant vers l'alternance, il a estimé que la mesure permettrait une première insertion, pouvant déboucher par la suite sur une formation en alternance.
M. Guy Fischer s'est interrogé sur le financement du dispositif.
M. Alain Gournac a fait part de sa satisfaction que les associations soient concernées par la mesure et de son attachement à l'accompagnement et à la validation des acquis. Il s'est interrogé sur la possibilité, pour les jeunes, de bénéficier de la mutuelle de l'entreprise. Il a, en outre, souhaité que soient étudiées des passerelles entre le nouveau dispositif et le programme « nouveaux services-emplois-jeunes ».
M. Bernard Seillier s'est félicité du calibrage de la mesure, qu'il s'agisse des publics visés ou de la priorité accordée à la validation. Il a jugé nécessaire de renforcer la portée de la mesure en sensibilisant au mieux les chefs d'entreprises et, le cas échéant, en mobilisant les moyens d'accompagnement des missions locales et de certaines agences locales pour l'emploi.
M. Gilbert Chabroux a insisté sur la nécessité d'examiner le projet de loi avec la plus grande attention, compte tenu des difficultés persistantes d'insertion des jeunes, malgré les bons résultats du précédent Gouvernement en la matière. Il a souligné l'importance du programme « nouveaux services-emplois-jeunes » et s'est interrogé sur son avenir. Relevant les aspects positifs du projet de loi, et notamment la durée indéterminée du contrat et son ciblage sur les petites et moyennes entreprises (PME), il a, en revanche, fait part de ses réserves sur deux points : l'articulation avec les dispositifs existants (programme trajet d'accès à l'emploi (TRACE), apprentissage et formation en lycée professionnel) et l'absence de formation.
Mme Janine Rozier s'est interrogée sur les possibilités, pour les jeunes les plus en difficulté, très éloignés du monde du travail, d'entrer dans le dispositif.
M. Roland Muzeau , après avoir regretté l'absence de concertation avec les partenaires sociaux, a déclaré ne pas partager l'analyse du Gouvernement, qui fait du coût du travail non qualifié la cause principale du chômage des jeunes. Il a regretté que le projet de loi ne prévoie pas de tutorat et a considéré que la possibilité de temps partiel était une erreur.
M. Jean Chérioux s'est demandé s'il ne serait pas souhaitable d'ouvrir la mesure de soutien aux entreprises de plus de 250 salariés à condition de prévoir des contreparties spécifiques, notamment en matière de formation et de tutorat, dans le cadre d'un accord de branche.
M. Paul Blanc a souligné l'intérêt qu'il y aurait à ouvrir la mesure aux entreprises à caractère saisonnier et aux travailleurs handicapés reconnus comme tel par les commissions techniques d'orientation et de reclassement professionnel (COTOREP). Il s'est également interrogé sur les raisons des refus rencontrés actuellement par les collectivités locales pour passer de nouvelles conventions de recrutement d'emplois-jeunes avec l'Etat.
Mme Nelly Olin , après avoir souligné les mérites du dispositif, s'est inquiétée de l'avenir des emplois-jeunes dans les associations et des difficultés rencontrées par les missions locales, difficultés notamment liées à la complexité des dispositifs d'insertion et à l'enchevêtrement des financements croisés.
M. Jean-Pierre Godefroy a critiqué la possibilité ouverte de conclure des contrats à temps partiel. Il s'est interrogé sur les conditions de cumul de la mesure avec les aides des régions et sur les types d'entreprise de pêche maritime susceptible d'en bénéficier.
Mme Françoise Henneron s'est interrogée sur l'opportunité d'ouvrir la mesure aux jeunes de 22 à 24 ans.
M. Jean-Louis Lorrain a souhaité la mise en place d'un accompagnement spécifique des chefs d'entreprises recrutant par ce dispositif les jeunes les plus en difficulté.
M. Alain Vasselle a souhaité des précisions sur le financement de la mesure et s'est demandé s'il n'était pas souhaitable d'offrir, dans ce cadre, des portes de sortie aux emplois-jeunes de plus de 22 ans.
En réponse aux différents intervenants, M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité , a précisé que la mesure serait financée en totalité par le budget de l'Etat : en 2002 par des redéploiements de crédits et, par la suite, par l'ouverture d'une ligne budgétaire spécifique. Elle n'aura donc aucun impact sur les comptes de la sécurité sociale ou de l'Union nationale pour l'emploi dans l'industrie et le commerce (UNEDIC).
S'agissant de l'accès des jeunes à la formation, il a rappelé que le texte prévoyait explicitement une possibilité de formation dans le cadre du plan de formation de l'entreprise. Il s'est déclaré favorable à une incitation à la formation, mais s'est refusé à en faire une condition ouvrant droit au bénéfice du soutien de l'Etat. Il s'est également déclaré prêt à favoriser au mieux le tutorat.
Il a insisté, à nouveau, sur l'importance de l'obligation d'un recours au contrat à durée indéterminée (CDI) et a considéré qu'elle inciterait les employeurs à former et à accompagner les jeunes dans les meilleures conditions. Il a souligné, à cet égard, que le dispositif proposé ne saurait être qualifié de « contrat-jeune », car il était un contrat de droit commun.
Revenant sur l'articulation de la mesure avec les dispositifs déjà existants, il a estimé que le projet de loi ne pouvait pas constituer, à lui seul, la « solution miracle » pour en finir avec le chômage des jeunes. Il a jugé que l'addition et la complémentarité des dispositifs devaient permettre de régler, dans la durée, une grande part du problème. Il a alors précisé qu'il ne comptait pas revenir sur les dispositifs existants, mais qu'il préférait les encourager plus encore, comme l'apprentissage et l'alternance, ou les compléter pour accroître leur efficacité. A cet égard, il a considéré que le programme TRACE devait se concentrer sur les jeunes les plus en difficulté et qu'il serait dans l'avenir prolongé par le contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) annoncé par le président de la République et le Premier ministre.
Abordant les emplois-jeunes, il a indiqué que le présent dispositif ne se substituait pas à ce programme. Mais soulignant les limites du programme « nouveaux services-emplois jeunes », notamment en matière de coût budgétaire, de ciblage des publics et d'incertitude quant à l'insertion, il a fait part de son souci d'organiser la sortie progressive de ce dispositif. Il a toutefois jugé nécessaire de maintenir un soutien spécifique pour une partie des emplois-jeunes du secteur éducatif et pour ceux du secteur associatif. Il a indiqué, en outre, que les quotas budgétaires pour 2002 étant, d'ores et déjà, atteints pour ce programme, il avait donné des instructions à ses services à effet de ne plus conclure de nouvelles conventions.
S'agissant des jeunes les plus en difficulté, il a estimé, notamment au regard d'expériences locales et des réactions favorables de certaines fédérations professionnelles, que les entreprises « joueraient le jeu ». Il a plus globalement considéré que le succès du dispositif reposait en définitive sur sa simplicité, sur l'implication des entreprises et sur l'information des employeurs.
Il a rappelé que la concertation avec les partenaires sociaux avait bien eu lieu, même si elle avait dû être accélérée compte tenu des délais d'examen du texte. Il a, en outre, indiqué que plusieurs de leurs observations avaient été intégrées dans le texte soumis au Parlement.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a précisé que des études récentes avaient montré que les allégements de charges créaient des emplois et que les autres pays européens connaissaient un coût du travail moins élevé à l'embauche.
Il a estimé que la question du temps partiel pourrait être utilement évoquée lors des débats parlementaires.
S'agissant des publics particuliers, il a indiqué que les travailleurs saisonniers ne pourraient pas bénéficier de la mesure, car leur contrat n'est pas à durée indéterminée et que les travailleurs handicapés seraient éligibles s'ils répondaient aux conditions d'âge et de qualification.
S'agissant des entreprises de pêche maritime, il a précisé que la mesure concernait à la fois les armateurs, les coopératives et les patrons de pêche.
A propos d'un éventuel cumul avec des aides des collectivités locales, il a fait part de ses réserves à un encadrement, par l'Etat, de celles-ci, estimant qu'il revenait aux collectivités locales de redimensionner, le cas échéant, leur intervention.
M. François Fillon, ministre des affaires sociales, du travail et de la solidarité, a indiqué que le projet de loi ne visait pas les jeunes de 22 à 24 ans, car cette tranche d'âge recourt plutôt aux contrats en alternance.
Il a enfin jugé qu'un accompagnement spécifique des employeurs pouvait se révéler utile dans certains bassins d'emplois.