N° 356

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2001-2002

Rattaché pour ordre au procès-verbal de la séance du 10 juillet 2002

Enregistré à la Présidence du Sénat le 16 juillet 2002

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des Affaires sociales (1) sur le projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l' emploi des jeunes en entreprise ,

(Urgence déclarée)

Par M. Louis SOUVET,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : M. Nicolas About, président ; MM. Alain Gournac, Louis Souvet, Gilbert Chabroux, Jean-Louis Lorrain, Roland Muzeau, Georges Mouly, vice-présidents ; M. Paul Blanc, Mmes Annick Bocandé, Claire-Lise Campion, M. Jean-Marc Juilhard, secrétaires ; MM. Henri d'Attilio, Gilbert Barbier, Joël Billard, Mme Brigitte Bout, MM. Jean-Pierre Cantegrit, Bernard Cazeau, Jean Chérioux, Mme Michelle Demessine, M. Gérard Dériot, Mme Sylvie Desmarescaux, MM. Claude Domeizel, Michel Esneu, Jean-Claude Étienne, Guy Fischer, Jean-Pierre Fourcade, Serge Franchis, Francis Giraud, Jean-Pierre Godefroy, Mme Françoise Henneron, MM. Alain Joyandet, Philippe Labeyrie, Roger Lagorsse, André Lardeux, Dominique Larifla, Dominique Leclerc, Marcel Lesbros, Mme Valérie Létard, M. Serge Mathieu, Mmes Nelly Olin, Anne-Marie Payet, M. André Pourny, Mme Gisèle Printz, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roujas, Mmes Janine Rozier, Michèle San Vicente, MM. Bernard Seillier, André Vantomme, Alain Vasselle, Paul Vergès, André Vézinhet.

Voir le numéro :

Sénat : 351 (2001-2002)

Emploi. Jeunes

AVANT-PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Le Sénat est aujourd'hui appelé à examiner, en première lecture, le projet de loi portant création d'un dispositif de soutien à l'emploi des jeunes en entreprise, présenté le 10 juillet dernier en Conseil des ministres.

Ce projet de loi répond à un engagement fort du Président de la République, pris lors de la campagne pour les élections présidentielles, réitéré lors de la campagne pour les élections législatives, et bien évidemment repris et précisé par le Premier ministre lors de sa récente déclaration de politique générale.

Ce projet de loi répond aussi à une évidente carence de nos politiques d'insertion : malgré la diversité des dispositifs proposés, il n'existe aujourd'hui aucune mesure de soutien favorisant l'accès direct des jeunes les moins qualifiés en entreprise, dès leur sortie du système éducatif, dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée, gage d'une insertion dans la durée.

Ce projet de loi répond enfin à une urgence : le chômage des jeunes, notamment peu qualifiés, a beaucoup progressé depuis un an, leur taux de chômage étant désormais deux fois plus élevé que la moyenne nationale.

Cette évolution apparaît d'autant plus préoccupante que les répercussions en sont graves : un chômage précoce et durable apparaît en effet excessivement déstructurant pour les jeunes les plus fragiles et affaiblit considérablement leurs perspectives d'insertion professionnelle ultérieure, en risquant de les enfermer dans une spirale de l'échec, faite d'une succession de périodes de chômage et de sous-emploi.

Le Gouvernement a fait le choix d'agir à la fois rapidement et fortement, en présentant un ambitieux dispositif de soutien à l'emploi en entreprise des jeunes les moins qualifiés, tendant à exonérer totalement, de manière transitoire, leurs employeurs des cotisations et contributions sociales patronales de toute nature.

Votre commission souscrit pleinement à cette démarche, conciliant insertion professionnelle durable et allégement massif du coût du travail, qu'elle appelait de ses voeux depuis de nombreuses années.

I. LE CONTEXTE : LA VIVE PROGRESSION DU CHÔMAGE DES JEUNES APPELLE AUJOURD'HUI DES RÉPONSES D'URGENCE.

A. UNE FORTE DÉGRADATION DE L'EMPLOI DES JEUNES

1. Les jeunes et l'emploi : une insertion encore difficile

a) Les spécificités de l'emploi des jeunes

Au-delà des à-coups de la conjoncture, la situation des jeunes au regard de l'emploi reste traditionnellement difficile dans notre pays.

Elle se caractérise principalement par cinq spécificités qui apparaissent comme autant d'obstacles à une insertion professionnelle durable.

• Un accès très tardif à l'emploi

De 1975 à 2001, on observe une diminution importante du taux d'activité et du taux d'emploi des jeunes, alors même qu'ils étaient déjà plutôt faibles dans notre pays.

Activité et emploi des jeunes de 16 à 25 ans

1975

2001

Population totale (1)

8.257

7.432

Taux d'activité

66,3 %

45,6 %

Population employée (1)

4.856

2.813

Taux d'emploi

58,8 %

37,8 %

(1) En milliers Source : INSEE, enquêtes emploi

Le nombre de jeunes occupant effectivement un emploi est ainsi passé de 4,8 millions à 2,8 millions entre 1975 et 2001.

Cette évolution, qui tient à la fois à l'apparition d'un chômage important et à l'augmentation de la durée de la scolarité, se traduit alors par un accès de plus en plus tardif à l'emploi.

• Une proportion toujours forte de jeunes peu qualifiés

En dépit de la tendance à la prolongation des études et du développement des formations initiales en alternance (apprentissage), de très nombreux jeunes sortent encore du système de formation initiale sans diplôme ou sans qualification.

Il importe ici de distinguer le diplôme obtenu du niveau de formation atteint.

Évolution du nombre de jeunes 1

sortant du système éducatif selon le diplôme possédé

1990

1995

1999

Aucun diplôme ou CEP

137

109

103

Brevet seul

62

52

55

CAP - BEP ou équivalent

144

132

146

Baccalauréat

115

162

177

Diplômes du « supérieur court » (Bac + 2)

97

133

125

Diplômes du « supérieur long » (Bac + 4 ou 5)

87

135

162

Total

642

723

768

1 En milliers Source : Education nationale

Évolution du nombre de jeunes 1

sortant du système éducatif selon le niveau de formation

1990

1995

1999

Sans qualification (niveau VI et V bis)

82

57

60

CAP - BEP (niveau V)

216

194

208

Niveau baccalauréat (niveau IV)

160

204

215

dont classes de terminale (niveau IV secondaire)

87

111

118

dont non diplômés supérieur (niveau IV supérieur)

73

93

97

Bac + 2 (niveau III)

97

133

125

Enseignement supérieur long ( niveau I et II ))

87

135

162

Total

642

723

768

1 En milliers Source : Education nationale

Notre système éducatif n'a donc pas atteint les objectifs fixés par la loi d'orientation sur l'éducation du 10 juillet 1989 : assurer à tous les élèves une formation ou qualification minimale de niveau V et amener 80 % d'entre eux au niveau du baccalauréat (niveau IV).

Malgré l'élévation d'ensemble des niveaux de formation, on observe ces dernières années une stabilisation du nombre de jeunes sortant du système éducatif sans qualification. Ainsi, en 1999, 103.000 jeunes ont quitté le système éducatif sans le moindre diplôme, soit 13 % du total. Parmi eux, 60.000 (soit 8 %) n'avaient aucune qualification.

Dans ces conditions, compte tenu de l'évolution du marché du travail, il n'est guère étonnant que les jeunes, en particulier ceux sans qualification, connaissent un chômage élevé.

• Un taux de chômage sensiblement supérieur à la moyenne

Alors même que les jeunes ne constituent qu'une faible part de la population active, leur taux de chômage est nettement supérieur à la moyenne.

Chômage des jeunes en 2001

16-20 ans

21-25 ans

16-25 ans

Nombre de demandeurs d'emploi 1

217

339

556

Taux de chômage

23,2 %

13,8 %

16,4 %

1 En milliers Source : INSEE, enquêtes emploi

Ainsi, en mars 2001, le taux de chômage 1 ( * ) des jeunes était près du double de la moyenne nationale (16,4 % contre 8,8 %). Et leur taux de chômage est d'autant plus élevé qu'ils sont moins âgés.

Cette exposition des jeunes au risque de chômage apparaît d'autant plus forte que leur niveau de formation et faible.

Taux de chômage 1 des jeunes
selon le diplôme en mars 2001

16 - 24 ans

Diplôme supérieur

7,3

Bac + 2

8,7

Bac, brevet professionnel

13,5

CAP - BEP

16,4

BEPC seul

24,8

Aucun diplôme ou CEP

33,1

Ensemble

18,7

1 Au sens du BIT Source : INSEE

Ainsi, en mars 2001, un tiers des jeunes non diplômés était au chômage.

• Une précarité accrue et excessive

L'accès à l'emploi ne signifie pas toujours une réelle insertion professionnelle durable pour les jeunes compte tenu du développement de ce qu'il est désormais convenu d'appeler la précarité.

Formes d'emploi des jeunes de 16 à 25 ans

1991

2001

Apprentis

7,0 %

11,2 %

CDD

8,9 %

13,7 %

Intérimaires

3,0 %

9,2 %

Contrats aidés

6,6 %

6,2 %

Total des « formes particulières d'emploi »

dans l'emploi des jeunes

25,5 %

40,3 %

Source : INSEE, enquêtes emploi

En 2001, les « formes particulières d'emploi » concernaient 40 % des jeunes de 16 à 25 ans contre 25 % seulement dix ans auparavant.

• Un recours massif aux contrats aidés, principalement dans le secteur non marchand

Le développement de cette précarité s'explique en partie par un recours massif aux contrats aidés.

Nombre de jeunes de 16 à 25 ans

bénéficiant d'une mesure de la politique de l'emploi

1996

2000

Alternance

473

607

Apprentissage

315

388

Contrats de qualification, d'orientation et d'adaptation

158

219

Emploi marchand hors alternance

188

92

Contrats initiative emploi (CIE)

74

38

Contrats de retour à l'emploi (CRE)

9

0

Aides au premier emploi des jeunes (APEJ)

50

0

Exonérations pour l'embauche d'un premier salarié

33

34

Autres mesures

22

20

Emploi non marchand

109

197

Emplois-jeunes

-

150

Contrats emploi-solidarité

96

37

Contrats emploi-consolidé

9

9

Contrats emploi-ville

4

1

Ensemble

770

896

Part de l'emploi marchand (hors alternance) dans l'ensemble des mesures (hors alternance)

63,3 %

31,8 %

En milliers (chiffres au 31 décembre) Source : MES - DARES

Le recours croissant aux contrats aidés s'accompagne, depuis 1997, d'une forte réorientation vers le secteur non marchand, sous l'effet principalement de la montée en charge des emplois-jeunes.

Cette situation est pour le moins paradoxale. Alors que les mesures d'aide à l'emploi des jeunes devraient viser en priorité à améliorer leurs conditions d'insertion professionnelle sur le marché du travail -et donc cibler en priorité le secteur marchand- elles se concentrent pourtant sur des emplois non marchands qui n'offrent que des perspectives trop limitées d'insertion ultérieure.

Ce déséquilibre des aides à l'emploi fragilise alors en profondeur les trajectoires d'insertion des jeunes, en retardant à l'excès leurs premiers contacts avec le monde de l'entreprise dans lequel ils ont pourtant vocation à évoluer à moyen terme.

* 1 Au sens du BIT

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