II. UNE AFFAIRE QUI FAIT APPARAÎTRE DE GRAVES DYSFONCTIONNEMENTS ADMINISTRATIFS : OÙ L'INCOMPÉTENCE LE DISPUTE À L'ABSURDE
La réponse apportée par le gouvernement à la question de l'éventuelle restitution des restes de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud fait apparaître une incertitude sur leur régime juridique.
Au delà, elle pose la question de leur présence dans les collections du Muséum national d'histoire naturelle.
Enfin, elle fait apparaître de graves lacunes dans la gestion de ces collections.
A. LES HÉSITATIONS DU GOUVERNEMENT SUR LE STATUT JURIDIQUE DES RESTES DE SAARTJIE BAARTMAN
Dans sa réponse à la question orale de notre collègue Nicolas About, M. Michel Duffour a indiqué que la restitution des restes de Saartjie Baartman se heurtait à des obstacles juridiques.
Le secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle a en effet indiqué que les restes de Saartjie Baartman « font partie des collections nationales lesquelles, selon la loi française, sont inaliénables ». Pour cette raison, il considérait que « seule une loi pourrait permettre son rapatriement exceptionnel ».
Cette interprétation était contestable, puisqu'elle semblait exclure la possibilité que ces restes puissent être déclassés -par exemple en invoquant conjointement leur défaut d'intérêt scientifique, la nécessité de mettre fin à la « mauvaise publicité » que constituent les polémiques récentes liées au dossier de la « Vénus hottentote » et l'intérêt de pouvoir répondre, le cas échéant, à une demande de restitution émanant de son pays d'origine, une telle restitution étant possible après déclassement aux termes de l'article L. 69-1 du code du domaine de l'Etat.
Quoiqu'il en soit, il semble que l'administration n'invoque plus, désormais, l'appartenance au domaine public des restes de Saartjie Baartman.
Interrogé sur ce point par votre rapporteur, le gouvernement lui a communiqué une note aux termes de laquelle s'appliqueraient aux restes de Saartjie Baartman les dispositions du code civil issues de la loi « bioéthique » de 1994. En vertu de cette interprétation, ces restes ne pourraient, en application de l'article 16-1 du code civil, faire l'objet d'un droit patrimonial.
Ils ne pourraient dès lors être regardés comme la propriété du Muséum -qui en serait le « gardien »- ni comme celle de l'Etat, et leur restitution ne pourrait se fonder sur les règles de la domanialité publique qui régissent les collections publiques, même s'il est affirmé, de façon quelque peu contradictoire, que « l'inclusion d'une pièce insusceptible de propriété dans une collection publique n'est aucunement irrégulière, dès lors qu'elle est scientifiquement motivée ».
En conclusion de cette analyse un peu surprenante, les auteurs de la note concluent qu'il appartient aux autorités administratives d'apprécier s'il convient « de séparer ces restes humains de la collection publique considérée », étant par ailleurs indiqué que le ministère de la recherche n'exclut pas leur restitution, « sous réserve notamment d'une preuve de l'intérêt des autorités sud-africaines ».
Il n'est toutefois pas précisé, étant donné que les restes de Saartjie Baartman ne pourraient, en vertu de cette interprétation, appartenir ni à l'Etat français ni à l'Etat sud-africain, comment le premier pourrait les restituer au second.
En tout cas, l'hypothèse de l'application aux restes humains conservés dans des collections scientifiques des dispositions des articles 16 et suivants du code civil soulève un certain nombre de problèmes. Par exemple, la soustraction de ces collections ne pourrait-elle être poursuivie et réprimée comme un vol ?
Certes, il convient d'abord de s'interroger sur le bien fondé d'une telle hypothèse. On doit en effet rappeler que la loi « bioéthique » avait pour objet d'interdire qu'il soit porté atteinte à la dignité humaine, notamment en faisant commerce d'organes ou d'éléments du corps humain prélevés sur des êtres vivants ou sur des cadavres et non de définir le statut des restes humains conservés dans des collections scientifiques -de même que les textes réprimant les destructions de sépulture n'ont pas vocation à interdire la fouille archéologique d'un tombeau gallo-romain ou d'un site préhistorique.
Et si, néanmoins, le gouvernement considérait que les dispositions de la loi de 1994, il est vrai rédigées en termes très généraux, s'appliquent aux restes humains conservés dans des collections scientifiques, il conviendrait sans doute de clarifier toutes les conséquences de cette interprétation.