N° 177
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2001-2002
Annexe au procès-verbal de la séance du 23 janvier 2002 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des Affaires culturelles (1), sur la proposition de loi de M. Nicolas ABOUT autorisant la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman , dite « Vénus hottentote » à l' Afrique du Sud ,
Par M. Philippe RICHERT,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Jacques Valade, président ; MM. Xavier Darcos, Ambroise Dupont, Pierre Laffitte, Mme Danièle Pourtaud, MM. Ivan Renar, Philippe Richert, vice-présidents ; MM. Alain Dufaut, Philippe Nachbar, Philippe Nogrix, Jean-François Picheral, secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Jean Arthuis, François Autain, Mme Marie-Christine Blandin, MM. Louis de Broissia, Jean-Claude Carle, Jean-Louis Carrère, Gérard Collomb, Yves Dauge, Mme Annie David, MM. Fernard Demilly, Christian Demuynck, Jacques Dominati, Jean--Léonce Dupont, Louis Duvernois, Daniel Eckenspieller, Mme Françoise Férat, MM. Bernard Fournier, Jean François-Poncet, Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Marcel Henry, Jean-François Humbert, André Labarrère, Serge Lagauche, Robert Laufoaulu, Jacques Legendre, Serge Lepeltier, Pierre Martin, Jean--Luc Miraux, Bernard Murat, Mme Monique Papon, MM. Jack Ralite, Victor Reux, René-Pierre Signé, Michel Thiollière, Jean-Marc Todeschini, Jean-Marie Vanlerenberghe, Marcel Vidal, Henri Weber.
Voir le numéro :
Sénat : 114 (2001-2002)
Culture. |
INTRODUCTION
Mesdames, Messieurs,
La proposition de loi déposée par notre collègue Nicolas About vise à procéder à la restitution par la France de la dépouille mortelle de Saartjie Baartman, dite « Vénus hottentote », à la République sud-africaine.
Cette femme issue de l'ethnie sud-africaine des « hottentots », désormais désignée par les anthropologues par le terme de « Khoisan », a connu au début du XIXe siècle un sort funeste.
Capturée dans son enfance après le massacre de sa famille, puis réduite en esclavage par un fermier hollandais installé près du Cap, elle fut emmenée en 1810, alors âgée d'une vingtaine d'années, par un marin britannique à Londres pour y être exhibée sous le nom de « Vénus hottentote », surnom inspiré par ses particularités physiques, dont il fut fait une description au demeurant fort exagérée pour attiser la curiosité du public. Cette exhibition sordide se poursuivit à Paris où, au delà du succès populaire que, comme en Grande-Bretagne, elle rencontra, elle éveilla également l'intérêt de la communauté scientifique, à l'image d'autres « hottentotes » présentées dans des conditions similaires au XIXe siècle dans différents pays européens.
Après l'avoir observée de son vivant, le Muséum national d'histoire naturelle se fit remettre, à sa mort, son corps qui, avant d'être disséqué, fit l'objet d'un moulage. Aujourd'hui figurent encore dans les collections du Musée de l'Homme son squelette monté et le moulage en plâtre de sa dépouille mortelle, les pièces anatomiques prélevées lors de la dissection ayant en revanche, semble-t-il, été accidentellement détruites.
Le défaut d'intérêt scientifique de ces pièces est aujourd'hui avéré. Quant à l'exposition au public du moulage et du squelette de la Vénus, qui ne cessa qu'en 1976, elle fit l'objet de nombreux commentaires, accusant les responsables du Musée de l'Homme d'alimenter ainsi la fascination malsaine qu'exerça cette femme de son vivant et de continuer à donner du crédit à des thèses scientifiques aujourd'hui récusées.
Ces commentaires ont été relayés par l'apparition en Afrique du Sud de revendications visant à réclamer à la France les restes de cette femme.
Votre rapporteur se félicite que l'inscription de la proposition de loi à l'ordre du jour de notre assemblée constitue pour votre commission l'occasion de lever le voile sur des dysfonctionnements administratifs préoccupants. Elle déplorera qu'aux questions soulevées par le Sénat, des réponses contradictoires aient été apportées par le gouvernement alors que cette affaire aurait pu être réglée très simplement et, en tout état de cause, ne méritait pas cette mauvaise publicité.
L'accumulation de ce qu'il faut bien qualifier de bévues, a appelé de la part de votre commission des observations sévères, qui l'ont conduit à apporter une réponse à une affaire que, jusqu'à présent, les autorités administratives n'ont pas voulu ou pas su traiter.
I. LES DEMANDES DE RESTITUTION DE L'AFRIQUE DU SUD DES RESTES DE SAARTJIE BAARTMAN ET LA POSITION ATTENTISTE DU GOUVERNEMENT FRANÇAIS
• Un mouvement d'opinion
L'exposé des motifs de la proposition de loi souligne que « longtemps présentée comme un exemple de l'infériorité africaine, Saartjie Baartman est devenue, dans son pays, le symbole de l'exploitation et de l'humiliation vécues par les ethnies sud-africaines, pendant la douloureuse période de la colonisation ». Son auteur indique également que « depuis plusieurs années, le gouvernement sud-africain réclame à la France la restitution des restes de cette femme, afin qu'elle puisse recevoir les honneurs de son peuple et reposer, en paix, dans une sépulture décente ».
En effet, au cours des dernières années, s'est manifesté au sein de la société sud-africaine un mouvement en faveur de la restitution de la dépouille de Saartjie Baartman.
Ces revendications émanent essentiellement de l'organisation représentant les descendants des khoisans, la conférence nationale Griqua, qui par la voie de sa présidente, a exprimé une demande en ce sens, s'adressant par voie de presse au gouvernement français. On soulignera que les anciennes tribus aborigènes hottentote (khoi) et bochiman (san), pourchassées depuis le XVIIIe siècle jusqu'au début du XXe siècle, ne regroupent aujourd'hui que quelques milliers d'individus vivant dans le désert du Kalahari, mais également pour nombre d'entre eux en Namibie et connaissent, pour la plupart, des conditions de vie très précaires.
Ce mouvement d'opinion qui fait régulièrement l'objet de campagnes de presse a été également appuyé, semble-t-il, par des universitaires sud-africains dans la perspective de la relecture de l'histoire de ce pays à la suite de l'abolition du régime d'apartheid.
• Une question déjà évoquée au niveau gouvernemental
La question de la restitution des restes de Saartjie Baartman a été évoquée lors de rencontres au niveau gouvernemental entre la France et l'Afrique du Sud.
Répondant à une question orale sans débat de notre collègue Nicolas About à Mme la ministre de la culture et de la communication sur la « nécessaire restitution des restes de Saartjie Baartman », M. Michel Duffour, secrétaire d'Etat au patrimoine et à la décentralisation culturelle, a d'ailleurs indiqué le 6 novembre 2001 que « des représentants de l'Afrique du Sud ont demandé le retour des restes de miss Saartjie Baartman conservés au Muséum national d'histoire naturelle ».
On sait notamment que cette question a été soulevée lors de la visite officielle en Afrique du Sud de M. Jacques Godfrain, ministre de la coopération, en janvier 1996, dans le cadre d'un entretien avec le Dr Ngubane, ministre des arts, de la culture, de la science et de la technologie. Il avait été alors convenu de confier à deux scientifiques, M. Henri de Lumley, directeur du laboratoire de préhistoire au Muséum national d'histoire naturelle, et M. Philip Tobias, professeur au département des sciences anatomiques à l'université de Witwatersrand à Johannesburg, une étude afin de se prononcer sur la possibilité d'une restitution et d'en définir les modalités. L'échange de correspondances entre ces deux scientifiques ne permit pas de dégager une solution susceptible de faire l'objet d'un accord entre la France et l'Afrique du Sud.
En revanche, la restitution des restes de Saartjie Baartman ne semble pas avoir été évoquée lors des déplacements en Afrique du Sud, respectivement en 1998 et en 2001, du Président de la République et du Premier ministre.
• La position du gouvernement français
D'après les informations communiquées à votre rapporteur, le ministère français des affaires étrangères considère qu'« aucune démarche officielle du gouvernement sud-africain n'a récemment attesté de la mobilisation de ces autorités sur ce dossier », et observe qu'il pourrait « sembler paradoxal que la restitution s'effectue sur la base d'une démarche française non relayée actuellement par l'Afrique du Sud ».
Autrement dit, le gouvernement estime qu'il n'est pour l'instant saisi d'aucune demande... et qu'il est urgent d'attendre.
Or, votre rapporteur a eu communication par l'ambassadeur de la République d'Afrique du Sud en France d'une lettre que lui a adressée M. Ngubane, ministre sud-africain des arts, de la culture, de la science et de la technologie, par laquelle ce dernier indique que l'Afrique du Sud continue à souhaiter la restitution des restes de Saartjie Baartman et lui demande de faire connaître cette position au gouvernement français sur une question qui n'a, selon lui, que trop duré.
Il semble donc bien que la réponse qu'a faite le gouvernement à votre rapporteur ne soit plus de mise, à moins que l'on veuille ajouter aujourd'hui un imbroglio diplomatique à des bévues administratives.