II. LE COÛT DE LA PROFESSIONNALISATION
Les objectifs de la professionnalisation ont notamment été atteints grâce à la mise en oeuvre d'importantes mesures d'accompagnement.
A. LES MESURES D'ACCOMPAGNEMENT
1. Hausse des rémunérations des militaires du rang
La
revalorisation de la rémunération des militaires du rang
entreprise le 1
er
juin 1997 a entraîné une augmentation
des crédits de rémunérations de 117,7 millions
d'euros (772 millions de francs). cette mesure a été
complétée à partir de 1998 par la mise en oeuvre de
l'accord salarial pour la fonction publique conclu le 10 février 1998.
Une nouvelle revalorisation du point d'indice ainsi que des mesures en faveur
des bas salaires sont intervenues à compter du 1
er
mai et du
1
er
juillet 2001 (Plan Sapin). La rémunération
minimale est ainsi passée de l'indice 253 à
l'indice 258 fin 2001.
Hors primes liées à l'activité, la
rémunération d'un militaire du rang professionnel au premier
indice de solde est passée de 625,04 euros (4.100 francs) par
mois au début de la période de programmation à
1.052,52 euros (6.727 francs) aujourd'hui.
2(
*
)
Il s'y ajoute différents
avantages en nature (hébergement, alimentation, réduction SNCF).
Eléments de comparaison :
Le soldat américain
Les
militaires du rang, sous-officiers et officiers ont
bénéficié d'une nouvelle augmentation
générale des soldes de 3,7 % à compter du 1
er
janvier 2001 après les augmentations du 1
er
janvier 2000 (4,8
% pour tous les militaires) et du 1
er
juillet 2000 (pour certaines
catégories en proie à des difficultés de
fidélisation et de recrutement).
La rémunération du militaire américain est
constituée essentiellement de :
- la
Basic Pay
ou solde de base ;
- la
Basic Allowance
for Housing (BAH) ou allocation logement ;
- la
Basic Allowance for Subsistence
(BAS) ou allocation de subsistance.
S'y rajoutent un certain nombre de soldes et de primes telles que
- la
Flight Pay
ou solde à l'air ;
- la
Sea Pay
ou solde à la mer ;
- la
Hazardous Duty Pay
ou solde de risque ;
- la
Proficiency Pay
ou solde de compétence ;
et de majorations diverses.
D'autres facteurs difficilement quantifiables accompagnent ces
rémunération
: l'exemption d'impôt sur la BAH et
la BAS, accès gratuit aux soins pour le conjoint et les enfants,
accès aux «
Commissary and Exchange
Facilities
», gratuité des frais de décès et
des plan d'assurance vie.
Le militaire américain bénéficie également de
l'accès à une formation et à une éducation
professionnelle en parallèle de la fonction occupée au sein de
l'armée, de l'aide à l'éducation des
vétérans, du remboursement d'une partie des frais alloués
à l'habillement et d'allocations de voyage et de transport.
2. Aides aux départs et à la reconversion
a) Les pécules
La
loi n° 96-1111 du 19 décembre 1996, relative aux mesures en
faveur du personnel militaire
dans le cadre de la professionnalisation, a
institué un pécule au profit des officiers et sous-officiers
désirant quitter le service, dès lors qu'ils disposent de
l'ancienneté requise pour bénéficier d'une retraite
à jouissance immédiate et qu'ils se trouvent à plus de
trois ans de la limite d'âge de leur grade. Le montant du pécule,
non imposable, est égal à quarante-cinq mois de solde
budgétaire pour le militaire se trouvant à plus de 10 ans de
la limite d'âge. Il est réduit de 10 % en 1999 et 2000 et de
20 % en 2001 et 2002.
En 2002, près de 53,7 millions d'euros (248 millions de
francs) seront consacrés aux pécules de toute nature, traduisant
ainsi la poursuite de l'effort engagé en 1997 en faveur de ce type
d'aide au départ
- 39,33 millions d'euros pour les
pécules dits 1996
- 9,4 millions d'euros au titre des
pécules
article 5
- 1,47 millions d'euros pour les
pécules
Direction des
constructions navales
- 2,44 millions d'euros au titre des
pécules antérieurs
à 1996
.
Au total, sur la période 1997-2002, la Défense aura
consacré près de 552,3 millions d'euros (3,6 milliards
de francs) aux pécules du régime de la
loi du 19
décembre1996
.
S'y ajoutent 64,18 millions d'euros (421 millions de francs) au titre
des pécules versés aux militaires bénéficiant des
dispositions des articles 5 et 6 de
la loi n° 75-1000
ainsi que
10,37 millions d'euros (68 millions de francs) relatifs aux
pécules mis en place par la Délégation
générale pour l'armement, soit un total général de
627 millions d'euros (4,1 milliards de francs).
b) Les congés de reconversion
La
loi du 19 décembre 1996
a institué un congé de
reconversion d'une durée maximale de six mois pouvant être
prolongé, en position de non-activité, par un congé
complémentaire, de six mois également. Pendant ces congés,
le militaire, totalement libéré des obligations du service, peut
se consacrer intégralement à sa reconversion tout en gardant une
rémunération complète pendant le premier semestre,
amputée ensuite de l'indemnité pour charges militaires et des
primes liées au service.
En 2000, 7.210 congés de reconversion et 978 congés
complémentaires ont été accordés pour les trois
armées et la Gendarmerie.
c) Les départs d'officiers et de sous-officiers dans la fonction publique
La
loi du 19 décembre 1996
a prorogé jusqu'au
31 décembre 2002 l'article 3 de la
loi
n° 70-2
du 2 janvier 1970
. A ce titre, les officiers et les sous-officiers de
carrière des grades de major et d'adjudant-chef peuvent être
recrutés directement, après une période de
détachement, dans les emplois vacants de l'État et des
collectivités territoriales.
Pour donner aux militaires désireux de poursuivre leur carrière
dans la fonction publique les meilleures chances d'intégration, des
journées d'information et de préparation des candidatures sont
organisées depuis 1998. L'augmentation du nombre de départs
constatés à ce titre en 1999 se poursuit : il a
concerné 325 militaires en 2000.
d) Les départs en retraite avec pension du grade supérieur
Selon
les articles 5 et 6 de la
loi
n° 75-1000 du
30 octobre 1975
, l'officier qui a acquis des droits à pension
de retraite à jouissance immédiate, après 25 ans de
service, peut demander à être admis au bénéfice
d'une pension calculée sur les émoluments de base
afférents au grade supérieur.
La
loi du 19 décembre 1996
a prorogé l'application de
ces dispositions jusqu'au 31 décembre 2002 et institué en
outre l'attribution d'un pécule réduit des
quatre-cinquièmes aux militaires de carrière concernés. En
2001, 571 officiers bénéficieront de ces dispositions.
B. BILAN FINANCIER DE LA PROFESSIONNALISATION
1. L'augmentation des coûts de rémunérations et charges sociales : près de 12 milliards de francs sur la période
De 1996
à 2002, les crédits budgétaires de
rémunérations et charges sociales du ministère de la
Défense ont augmenté de 1,8 milliards d'euros (11,8
milliards de francs), soit + 15,2 %.
Cette forte augmentation est liée pourprès de moitié
à la politique salariale dans la fonction publique (45 %), pour
plus du quart à des mesures modifiant le périmètre initial
de la programmation
3(
*
)
(26 %) et pour un quart seulement aux mesures strictement liées
à la professionnalisation.
La seule professionnalisation a entraîné une hausse pérenne
des crédits de rémunération de 451 millions d'euros
qui résulte de deux facteurs :
- le coût des créations d'emplois de militaires du rang, de
civils et de volontaires, supérieur à celui des emplois
d'appelés et de cadres militaires supprimés. Le surcoût en
rémunérations et charges sociales des
mesures d'effectifs
représente 297 millions d'euros (1,95 milliards de francs) sur la
période ;
- le coût des
aides au départ
(50 millions
d'euros - 328 millions de francs) et à la
reconversion
(3 millions d'euros - 20 millions de francs), celle de la
mensualisation
des militaires du rang (125 millions d'euro), et
enfin l'augmentation des crédits consacrés à la nouvelle
politique de
réserves
(22 millions d'euros
-144 millions de francs) représente globalement une hausse de
200 millions d'euros (1,31 milliard de francs).
A contrario, la transformation de crédits de rémunérations
et de charges sociales en crédits de fonctionnement consacrés
à l'externalisation en loi de finances 2000 s'est traduite par une
diminution des charges de 45 millions d'euros (295 millions de
francs).
2. L'économie sur les crédits de fonctionnement : moins de 5 milliards de francs
De 1996
à 2002, les crédits budgétaires du titre III hors
rémunérations et charges sociales ont diminué globalement
de 686 millions d'euros (4,5 milliards de francs).
Les économies liées à la professionnalisation des
effectifs s'élèvent à 800 millions d'euros (5,25 milliards
de francs).
Une économie optique supplémentaire de 208 millions d'euros
(1,4 milliard de francs) est liée à différentes
« mesures de périmètres ».
Parallèlement, les mesures d'accompagnement de la professionnalisation
ont représenté un coût supplémentaire de 52 millions
d'euros (341 millions de francs).
Divers ajustements et actualisation ont amené enfin à un
surcoût de 270 millions d'euros (1,8 milliard de francs)
C. LES FACTEURS INÉLUCTABLES DE PROGRESSION DES DÉPENSES DU TITRE III
La
croissance plus forte que prévue des dépenses du
titre III
, qui a dû être financée par des
prélèvements croissants sur le
titre V
, résulte
exclusivement de celle du poste rémunérations et charges sociales.
Ainsi, sur la période de programmation, les crédits de
rémunérations et charges sociales ont augmenté en valeur
de 1,8 milliard de francs (près de 12 milliards de francs),
soit une progression de 15,2 %, deux fois supérieure à celle
de l'ensemble du titre III.
Celle-ci est liée à plusieurs facteurs, qui recouvrent à
la fois une relative sous-estimation du coût de la professionnalisation
des armées, la non-prise en compte de l'impact des mesures
générales fonction publique et le poids récurrent de la
participation de la France à des opérations militaires sur les
théâtres extérieurs (OPEX).
1. Le coût de la professionnalisation des armées
Au
total, sur la période 1997-2002, le coût des mesures
d'accompagnement de la professionnalisation aura représenté, pour
les seuls crédits de rémunérations et de charges sociales
et hors « mesures d'effectifs » -aides au départ,
reconversion, réserves, sous-traitance, mensualisation des militaires du
rang et des élèves officiers-, un total de 155 millions
d'euros (plus de 1 milliard de francs). Ceci correspond à moins de
10 % de l'augmentation totale du poste rémunérations et
charges sociales sur la période (en loi de finances initiale).
L'effet des « mesures d'effectifs » de la programmation,
c'est-à-dire le solde net des mesures de créations de postes de
civils, militaires du rang et volontaires, et des suppressions de postes de
sous-officiers, d'officiers et d'appelés, s'élève pour sa
part à 297,2 milliards d'euros (soit 1,95 milliard de francs),
ce qui explique 16,5 % de l'augmentation du poste
rémunérations et charges sociales sur la période.
Au total, l'effet « professionnalisation » a
représenté 451 millions d'euros (2,96 milliards de
francs) sur la période de programmation, soit le quart de l'augmentation
du poste rémunérations et charges sociales.
2. L'impact des mesures générales fonction publique
Sur la
période 1997-2002, l'ensemble de ces mesures peut être
évalué à 815 millions d'euros (5,4 milliards de
francs), hors mesures catégorielles, prise en compte du GVT et accords
salariaux spécifiques.
Ceci correspond à 45 % de l'augmentation totale du poste
rémunérations et charges sociales sur la période
de
programmation (en loi de finances initiale).
3. Les modifications de périmètre
Les
changements de périmètre non prévus, voire exclus par la
programmation, ont représenté, sur la durée de la
programmation, 471 millions d'euros (3,09 milliards de francs), soit
un peu plus du quart (26,2 %) du total de la progression du poste
RCS
.
Il s'agit notamment des
mesures de budgétisation de DCN
, des
gendarmes d'autoroutes
, de la
cotisation patronale au Fonds
spécial des ouvriers industriels de l'Etat
, de la
CSG
, et de
l'intégration du
secrétariat d'Etat aux Anciens
combattants
.
4. La participation à des opérations militaires sur des théâtres extérieurs (OPEX)
Le
surcoût des dépenses de fonctionnement liées à la
participation à des opérations militaires sur des
créations extérieures, financé en totalité en cours
d'exécution par prélèvement sur le titre V, a atteint
en moyenne 450 millions d'euros par an (près de 3 milliards de
francs), soit, sur l'ensemble de la période 1997-2002,
l'équivalent du coût d'un second porte-avions nucléaire.
De fait, sur la durée de la programmation, ces dépenses ont
été croissant : 286 millions d'euros en 1998,
447 millions d'euros en 1999, 438 millions d'euros en 2000 et
422 millions d'euros en 2001 (estimation au 30 juin).
La professionnalisation est « accomplie ». Mais elle
n'est pas consolidée pour autant.
Pour seulement préserver l'acquis, il faudra vraisemblablement consentir
un effort budgétaire supplémentaire considérable car
au-delà des soucis ponctuels, mais réels, de recrutement,
apparaissent surtout des difficultés de fidélisation. Celle-ci se
heurte à la concurrence forte d'un marché de l'emploi civil
conjoncturellement à la hausse, mais aussi, de façon plus
structurelle, à une moindre attractivité du métier,
s'agissant des conditions de vie et de rémunération. La
comparaison est renforcée par la mixité désormais
fonctionnelle des effectifs civils et militaires, parfois au sein d'un
même bureau. A cet égard, la loi des 35 heures constitue un
écueil redoutable.
La comparaison avec les « collègues » des
armées de l'OTAN n'est pas davantage enviable. La dépense de
fonctionnement (rémunération et charges sociales comprises)
consentie sur la tête du soldat français est du même ordre
que celle du soldat allemand, près de deux fois moins
élevée que celle du soldat britannique, et près de trois
fois moins élevée que celle du soldat américain.
De fait, au cours des derniers exercices, les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont
augmenté de 2 % en termes réels leurs dépenses
annuelles de rémunérations et de fonctionnement sans pour autant
arriver à atteindre leurs objectifs de recrutement pour les militaires
du rang.
En réalité, il est illusoire de penser que le pouvoir d'achat du
titre III pourra rester constant dans la durée. Les personnels ayant
fait le choix de servir dans une armée professionnelle ont le droit
d'être plus exigeants à l'égard du fonctionnement et de
l'équipement des forces, et ce niveau d'exigence ne cessera d'augmenter
à l'avenir.