III. DES RÉFORMES CONTESTÉES OU QUI SE FONT ATTENDRE
A. RÉFORME DE LA COUVERTURE DU RISQUE ACCIDENTS DU TRAVAIL : UNE OCCASION MANQUÉE
1. Un bilan négatif
L'AAEXA,
l'assurance accidents obligatoire pour les
exploitants agricoles, a été instituée par une
loi du
22 décembre 1966
, applicable à partir de 1969. Elle couvre
les conséquences des accidents de la vie privée et ceux des
accidents du travail et des maladies professionnelles. Il s'agit d'une
assurance privée de personne, obligatoire, et non pas d'une assurance
sociale fondée sur la solidarité. L'assurance accident peut
être souscrite par l'exploitant auprès de l'assureur de son choix.
Afin de compléter les prestations de l'assurance obligatoire de base,
qui sont très faibles, la
loi du 25 octobre 1972,
qui a
instauré l'assurance accidents du travail pour les salariés
agricoles, a permis la mise en place d'une assurance complémentaire pour
les seuls accidents du travail et les maladies professionnelles, assurance
volontaire et donc facultative. Par ailleurs, les compagnies d'assurance
proposent d'autres contrats alternatifs qui ne rentrent pas dans le dispositif
prévu par la loi de 1972. Le système de couverture des accidents
pour les exploitants comprend donc deux niveaux, l'un obligatoire (80 % des
assujettis, adhérents) l'autre facultatif (moins de 5 % des assujettis
potentiels adhérents).
En 1999, le nombre d'assurés à l'AAEXA était de 841 073
tandis que le nombre d'assurés à l'assurance
complémentaire n'était que de 62 405.
Les garanties offertes par le régime obligatoire sont faibles
. Si
elles couvrent le remboursement des soins et de l'hospitalisation, elles ne
prévoient pas le versement d'indemnités journalières ou
d'allocations de remplacement. Les rentes, en cas d'incapacité de
travail, ne sont versées qu'en cas d'inaptitude égale ou
supérieure aux deux tiers (66,66 %).
Le système en vigueur d'assurance à deux étages ne
permet pas d'instaurer une solidarité entre les agriculteurs face
à l'accident et est générateur d'inégalités.
En outre, le mode de financement de l'assurance complémentaire est
également source d'incohérence.
La plupart des assurés
volontaires préfèrent opter pour des contrats alternatifs que
leur proposent les assureurs et qui échappent aux taxes du Fonds commun
des accidents du travail agricole. De ce fait, les contrats d'assurance
complémentaire (loi de 1972) sont en chute libre et, pour assurer le
versement des rentes liées à ces contrats, l'Etat a imposé
une taxe de 10 % sur les contrats obligatoires de base. En outre, il a
été contraint d'intervenir par une subvention annuelle qui
représente environ 20 % du financement du fonds et devrait atteindre 60
% de son financement en 2010, ce qui est en contradiction avec une logique
d'assurance personnelle privée.
Par ailleurs, on assiste à un transfert massif des prises en charge non
financées par l'assurance accidents vers l'assurance maladie.
2. La réforme de l'AAEXA a été définitivement adoptée par l'Assemblée nationale le 5 novembre 2001
Il faut tout d'abord rappeler que le BAPSA exclut le nouveau régime des accidents du travail des exploitants agricoles. L'absence d'inscription au BAPSA des recettes et des dépenses correspondantes aura sans doute pour conséquence un défaut de contrôle parlementaire sur ce nouveau régime obligatoire de base.
a) Le contenu de la réforme
Les
grands traits de cette réforme sont les suivants :
- maintien d'un régime pluraliste incluant la MSA et les assureurs
privés mais dans un cadre beaucoup plus réglementé que le
précédent puisque les taux de cotisations et les montants des
prestations seront fixés de manière uniforme pendant trois ans,
puis par catégories de risques ;
- rôle central confié à la MSA dans la gestion de ce risque
(organisation d'un contrôle effectif de l'obligation d'assurance,
développement d'actions de prévention) ;
- dissociation du risque de la vie professionnelle et du risque de la vie
privée, le premier ressortissant du nouveau régime, le second de
l'assurance maladie ;
- définition de l'assiette des cotisations sous une forme forfaitaire et
non liée au revenu professionnel ;
- création d'indemnités journalières ;
- relèvement à 70.000 francs (10.671 euros) par an du montant de
la rente versée en cas d'invalidité totale résultant d'un
accident du travail, mais attribution des rentes sur la base du calcul du taux
d'invalidité selon le barème applicable aux salariés, et
non de la capacité ou non à exercer la profession agricole ;
- création d'un fonds de réserve national spécifique,
géré par la MSA, destiné à provisionner les
risques ;
- gestion de la prévention par la caisse centrale de MSA.
b) Une réforme contestable
Lors de
son examen au Sénat, le projet de loi portant amélioration de
l'AAEXA avait été profondément modifié dans le sens
d'une réaffirmation du principe assurantiel et concurrentiel du
dispositif.
En effet, le texte définitivement adopté revient à
transformer le dispositif auparavant en vigueur en un régime de
sécurité sociale dans lequel la concurrence ne pourra plus jouer
que sur des aspects secondaires. Un régime visant à
améliorer sensiblement les prestations versées aux exploitants
agricoles, à créer des indemnités journalière et
à renforcer la prévention était tout à fait
compatible avec le maintien du système concurrentiel faisant intervenir
différents assureurs.
En outre, il apparaît que, en raison du refus de gouvernement de
participer au financement des actions de prévention, celles-ci seront
limitées au montant financé par les seules cotisations.
B. QUID DU RÉGIME DE RETRAITE COMPLÉMENTAIRE OBLIGATOIRE ?
1. Les nécessaires mesures d'ajustement des dernières revalorisations
Diverses
mesures doivent être envisagées alors que le plan de
revalorisation des faibles retraites agricoles touche à sa fin.
Parmi ces mesures, votre rapporteur spécial souhaite plus
particulièrement attiré l'attention sur :
- la suppression des minorations pour les monopensionnés en cas de
carrière incomplète : la faiblesses des retraites agricoles
est avérée ; il semble aujourd'hui injuste de maintenir la
règle des minorations pour les exploitants n'ayant pas cotisé
pendant une carrière complète ;
- la revalorisation forfaitaire de la majoration pour enfants (actuellement la
majoration est proportionnelle à la retraite) afin de ne pas
pénaliser davantage les petites retraites ;
- la mensualisation du paiement des retraites agricoles : le régime
de retraite des exploitants agricoles est aujourd'hui, avec celui des
professions libérales, le seul à ne pas bénéficier
de la mensualisation du paiement des retraites. Le coût de
trésorerie traditionnellement évoqué pour refuser cette
réforme ne se justifie pas.
2. La nécessaire création d'un régime de retraite complémentaire obligatoire sans cesse reportée
a) Un principe accepté
Le
rapport
du député
Germinal Peiro
datant d'octobre
1999 et relatif aux retraites agricoles avait souligné le
caractère indispensable de ce régime obligatoire de retraites
complémentaires.
En effet, l'institution d'un tel régime apparaît être la
seule manière efficace de permettre d'atteindre un objectif de pensions
de retraites équivalentes à 75 % du SMIC.
L'article 3 de la loi d'orientation agricole de juillet 1999
prévoyait le dépôt sur le bureau des assemblées,
dans un délai de trois mois à compter de
la publication
de la loi
,
d'un
rapport du gouvernement
décrivant,
catégorie par catégorie, l'évolution qu'il comptait
imprimer aux retraites agricoles jusqu'en 2002. Ce rapport devait
également étudier les possibilités juridiques et
financières de la création d'un régime de retraite
complémentaire obligatoire pour les non-salariés agricoles.
Ce rapport a enfin été présenté par le gouvernement
en janvier 2001. Il précise que «
la création d'un
tel régime paraît désormais souhaitable
», ce
qui n'avait échappé à personne. En outre, il est
également précisé que les pouvoirs publics envisagent
«
la création d'un tel régime après
l'achèvement du plan pluriannuel de revalorisation des retraites de
base
», c'est-à-dire après 2002. Le rapport prend
position quant à la nature de ce régime en soulignant que
«
ce régime devra être un régime par
répartition. En effet, un régime par capitalisation est a priori
écarté par tous les partenaires en ce qu'il exclut, par
hypothèse, les actuels retraités qui n'auraient pas cotisé
et ne bénéficieraient pas conséquent d'aucun
avantage
». Cette interprétation et ce refus
paradigmatique d'un régime par capitalisation semblent contestables
à votre rapporteur spécial.
En outre ce rapport se contente d'indiquer que, par exemple, ce régime
pourrait avoir pour objectif de porter le minimum de droits à retraite
à 75 % du SMIC net de l'année 2000 ; qu'il
fonctionnerait sur la base de points, dont une partie serait attribuée
gratuitement, à l'origine, aux chefs d'exploitation déjà
retraités ou encore en activité ; qu'il serait
géré par la MSA.
Ce rapport n'évoque nullement la question, pourtant primordiale, du
financement de ce régime et notamment de la participation
financière de l'Etat.
Au total, le rapport présenté par le gouvernement en janvier 2001
n'apporte aucune valeur ajoutée comparé au rapport
préalable de M. Germinal Peiro.
En outre, il faut rappeler ici que les mesures de revalorisation des petites
retraites agricoles intervenues depuis 1994 ne correspondent, exception faite
de la première année de mise en oeuvre, qu'au simple recyclage
des diminutions spontanées des dépenses de retraite
découlant de la diminution rapide des effectifs des retraités.
b) Des modalités contestées
(1) le choix entre un régime de répartition pure et un régime de répartition provisionné
La phase
démographique dans laquelle se trouve la population agricole est
très défavorable à la création d'un régime
complémentaire par répartition puisque le ratio cotisant /
retraité est au plus bas à 0,4.
Le choix qui existe aujourd'hui est donc le suivant :
- soit un régime de répartition pure à la condition
expresse que l'Etat compense le déficit démographique du
régime ;
- soit un régime par répartition provisionné dans lequel
les cotisations apportées les premières années servent en
partie à alimenter un fonds de réserve. Ce système
présente en théorie comme avantage d'être
financièrement orthodoxe et de permettre une mutualisation au profit des
assurés tout en offrant une rémunération des
réserves sur les marchés de même type que celle qu'il est
possible d'attendre d'un régime par capitalisation. Un tel
système de provisionnement de la répartition ne
bénéficie cependant logiquement qu'aux actifs futurs
retraités, laissant entier le cas des actuels retraités. En outre
cette solution reste inadaptée à la situation
démographique actuelle du régime agricole puisqu'elle n'est
envisageable que dans le cadre d'un régime où il existe plus
d'actifs que de retraités.
Le gouvernement semble privilégier la voie de la mise en place d'un
régime de retraite complémentaire, obligatoire, par
répartition et bénéficiant immédiatement aux
retraités, sans aucune période d'accumulation, ainsi qu'aux
futurs retraités pour les périodes n'ayant pas donné lieu
à cotisation. Ce dispositif qui exige une participation des exploitants
présenterait également la particularité d'un financement
partiellement public.
(2) le financement
Le
principe d'une cotisation assise sur une assiette forfaitaire proportionnelle
au SMIC, déplafonnée pour les chefs d'exploitation, semble
retenir l'attention à condition que le volume global de
prélèvements obligatoires ne soit pas augmenté,
c'est-à-dire que cette nouvelle charge soit gagée par un
aménagement de l'assiette par ailleurs.
Quel que soit le champ choisi, le rendement des cotisations est
stabilisé autour de 1 milliard.
Aujourd'hui, l'Etat apporte 1,6 milliard de francs en année pleine
pour revaloriser les retraites. Un effort équivalent serait
nécessaire pour amorcer le système de retraite
complémentaire.
Votre rapporteur spécial regrette que le rapport remis par le
gouvernement ne se prononce pas sur la participation financière de
l'Etat à ce nouveau régime obligatoire, participation qui est
cependant indispensable dans le contexte démographique actuel.
(3) le champ des catégories ouvertes
Les
organisations professionnelles souhaiteraient que toutes les catégories,
chefs d'exploitation, personnes veuves, conjoints et aides familiaux soient
couvertes.
Il résulte néanmoins du cadrage financier imposé que
seules des hypothèses visant les chefs d'exploitation et personnes
veuves sont compatibles, assorties de durée de carrière à
préciser, avec les contraintes de financement.
(4) le gestionnaire du régime
L'éventualité avancée est que la Mutualité sociale agricole (MSA), qui gère la retraite de base, dispose d'une expérience en matière de retraite complémentaire et a vocation à servir de guichet unique, gère ce nouveau régime à partir de 2002.