II. AUDITIONS
A. AUDITION DE M. FRANÇOIS LOGEROT, PREMIER PRÉSIDENT DE LA COUR DES COMPTES ACCOMPAGNÉ DE M. GABRIEL MIGNOT, PRÉSIDENT DE LA 6ÈME CHAMBRE ET DE M. CLAUDE THÉLOT, RAPPORTEUR GÉNÉRAL
Réunie le mercredi 17 octobre 2001, sous la présidence de M. Nicolas About, président , la commission a procédé à l'audition de M. François Logerot, Premier président de la Cour des comptes accompagné de M. Gabriel Mignot , président de la 6 ème chambre et de M. Claude Thélot, rapporteur général , sur le rapport annuel de la Cour des comptes consacré à l'application des lois de financement de la sécurité sociale.
M. Nicolas About, président, a déclaré que l'audition de la Cour des comptes, de son Premier président, du président de la 6 è Chambre et de son rapporteur général, était un moment important des travaux de la commission sur les lois de financement de la sécurité sociale.
Il a noté, à ce titre, que ces lois étaient devenues d'une telle complexité financière, souffraient d'un tel manque de stabilité quant au flux tant des dépenses que des recettes, que le Parlement avait bien besoin de l'assistance de la Cour telle que la Constitution l'avait prévue.
Il a indiqué que l'exercice du rapport annuel pouvait être quelquefois perçu comme un peu décalé par rapport aux préoccupations du moment, la Cour s'attachant à l'exercice N-2 au moment où le Parlement consacre son énergie à l'examen de ce que sera l'exercice N.
Mais il a constaté que, cette année, le rapport de la Cour portant sur l'exercice 2000 était d'une totale actualité, dès lors que le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002 revenait à deux titres sur cet exercice, en annulant la créance sur le FOREC (35 heures) et en opérant des prélèvements sur les excédents 2000 de la branche famille au profit des crèches et du fonds de réserve pour les retraites.
M. Nicolas About, président , a fait part, en conséquence, de la perplexité de la commission devant des comptes de la sécurité sociale « glissants ».
Il a remercié la Cour d'avoir bien voulu répondre par écrit aux douze questions qui lui avaient été adressées le 21 septembre par son prédécesseur, le président Jean Delaneau.
Il a souligné la richesse et la pertinence de ces réponses, distribuées aux commissaires et qui seront annexées au rapport de la Commission.
M. François Logerot , Premier président de la Cour des comptes , a indiqué que la présentation du rapport annuel de la Cour sur la sécurité sociale constituait, à l'instar de la présentation du rapport sur l'exécution des lois de finances, un moment important de l'activité de la Cour.
Il a souligné que ce rapport constituait une application de l'exigence constitutionnelle, pour la Cour, d'assister le Parlement dans ses missions de contrôle.
Il a noté que les questions adressées par la commission des affaires sociales permettaient à la Cour de cerner plus précisément les préoccupations des parlementaires.
Il a ensuite rappelé que la compétence de la Cour des comptes, quant à la sécurité sociale, avait 40 ans d'ancienneté, mais que cette compétence s'était étoffée avec les lois constitutionnelles et organiques de 1996.
Il a précisé que le premier objet du rapport était de rendre compte de l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, le second objet étant de vérifier l'état des comptes de la sécurité sociale, rendu plus difficile cette année-là du fait de la présence du FOREC. Il a toutefois souhaité signaler un progrès dans l'élaboration des comptes.
Il a ajouté que le troisième objet de ce rapport était de présenter une synthèse des activités de contrôle menées par les comités régionaux d'examen des comptes (COREC) et les comités départementaux d'examen des comptes (CODEC) des organes de sécurité sociale dont il a tenu à souligner la qualité des travaux.
Il a ensuite précisé que, chaque année, le rapport contenait des développements sur des points précis ; ainsi la Cour avait-t-elle choisi de privilégier, dans son dernier rapport, une étude sur le financement de la sécurité sociale, tant du point de vue de ses recettes et dépenses, que de celui des relations financières entre la sécurité sociale et l'Etat.
Il a mentionné, en outre, le développement relatif à la politique du médicament, aux prestations sous condition de ressources, et aux régimes agricoles.
Il a constaté que l'ampleur des travaux justifiait la taille du rapport, dont une part était néanmoins consacrée aux réponses des administrations.
Il a enfin rappelé que le document comportait des recommandations et que, comme les années précédentes, une synthèse avait été réalisée et mise à la disposition des parlementaires et du public.
M. Gabriel Mignot a rappelé que les dépenses de sécurité sociale, de l'ordre de 1.800 à 1.900 milliards de francs, dépassaient désormais celles du budget de l'Etat. Il a indiqué que le rapport de la Cour sur la sécurité sociale était centré en 2001 sur le financement, alors que les rapports des trois années précédentes avaient privilégié la question de la politique d'assurance maladie. Il a ajouté que le rapport de 2002 serait plus particulièrement consacré aux dépenses hospitalières, en liaison avec les chambres régionales des comptes. Il a précisé que les enquêtes réalisées par la Cour étaient « lourdes », et a souhaité que les commissions des affaires sociales du Parlement puissent faire part, en amont, des sujets sur lesquels elles souhaitent que la Cour insiste plus particulièrement de sorte que cette dernière puisse intégrer ces demandes dans l'établissement de son programme de travail.
Il a observé qu'en 2000, comme les années précédentes, l'objectif national de dépenses d'assurance maladie (ONDAM), malgré son « rebasage », avait été dépassé. Il a indiqué que sur moyenne période les dépenses d'assurance maladie n'augmentaient pas beaucoup plus vite que la richesse nationale. Citant l'exemple particulièrement frappant des dépenses pharmaceutiques, il a estimé que les procédures de maîtrise des dépenses d'assurance maladie n'avaient pas fait preuve de leur efficacité. Il a observé que la « nouvelle technique » prévue par la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000, opérant une « délégation de gestion » de la CNAMTS sur les dépenses de ville, avait échoué. S'agissant des dépenses hospitalières, les protocoles signés par le ministère de l'emploi et de la solidarité au cours de l'année 2000 avaient nécessairement eu pour conséquence des dépassements de l'objectif.
M. Gabriel Mignot a considéré que le problème de la maîtrise des dépenses d'assurance maladie restait entier et que les « bonnes solutions » n'avaient pas encore été trouvées.
Abordant la complexité croissante des « tuyauteries » et des transferts financiers engendrée par le fonds de financement de la réforme des cotisations patronales (FOREC), il a rappelé que « la Cour ne portait pas de jugement » sur le point de savoir s'il était pertinent d'affecter à la sécurité sociale, par le biais d'un fonds, des ressources fiscales, par définition sujettes à variation, ou de lui compenser ex post ses pertes de recettes, « le débat restant ouvert ». Il a estimé à cet égard que l'appellation de « fonds » faisait l'objet d'un « abus de langage » et devait être réservée aux entités disposant de ressources affectées.
Il a indiqué que la Cour s'était penchée sur la question des frais de gestion que l'Etat perçoit sur les impôts et taxes perçus au profit de la sécurité sociale ou que la sécurité sociale perçoit ou ne perçoit pas sur les prestations, tel le revenu minimum d'insertion (RMI), servies pour le compte de l'Etat. Il a fait part de « réalités disparates », ne reposant sur aucune règle claire.
M. Claude Thélot s'est félicité que l'audition de la Cour des comptes devant la commission soit « décalée » par rapport à la présentation du rapport, intervenue à la mi-septembre, ce délai permettant à la Cour de préparer des réponses écrites aux questionnaires des rapporteurs. A la demande de M. Nicolas About, président , il a commenté certaines des réponses écrites de la Cour à ce questionnaire.
Il a tout d'abord noté que les comptes des caisses de sécurité sociale, approuvés par les conseils d'administration, avaient été arrêtés en 2000 selon « les règles de l'art ».
Il a expliqué ainsi que les régimes sociaux avaient inscrit dans leurs recettes une créance sur le FOREC, au titre de la non-compensation intégrale des exonérations de cotisations décidées dans le cadre de la réduction du temps de travail. Il a indiqué que la commission des comptes de la sécurité sociale du 7 juin 2001 n'avait pas eu connaissance préalablement des intentions de l'Etat sur cette créance. Il a précisé qu'en conséquence lesdits régimes ne pouvaient pas inscrire une « provision », parce qu'une telle décision aurait anticipé celle des pouvoirs publics.
M. Claude Thélot a affirmé que la Cour des comptes, dans son commentaire, s'était bornée à constater que les comptes ne reflétaient plus la réalité économique. Il a observé que la réforme des droits constatés était un « grand progrès », mais qu'elle était compliquée et nécessitait un accord sur les conventions comptables utilisées. Il a précisé qu'une telle mission relevait de la Mission interministérielle de réforme de la comptabilité des organismes de sécurité sociale (MIRCOSS), remplacée depuis peu par une mission permanente placée sous l'autorité du Haut conseil de la comptabilité des organismes de sécurité sociale. Il a indiqué que la Cour n'avait pas demandé la « réouverture » des comptes 2000 ou leur « rectification » mais avait considéré que l'application des règles comptables existantes aurait dû conduire à l'inscription d'une charge exceptionnelle sur l'exercice 2001, à hauteur de la créance irrécouvrable figurant dans les comptes de l'exercice précédent.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie, a demandé si cette réouverture, explicitement prévue par l'article 5 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, était approuvée par la Cour des comptes. Il s'est interrogé sur la mention, par le rapport de la Cour, d'une créance sur l'année 2000 de 10 milliards de francs, alors qu'elle semblait finalement s'établir à 16 milliards de francs.
M. Claude Thélot a confirmé que le chiffrage de la Cour des comptes était effectivement différent de celui présenté à la commission des comptes de la sécurité sociale du 21 septembre 2001, en raison de la publication du rapport de la Cour, antérieure à la date de la réunion de la commission des comptes. Il a indiqué à cet égard que les comptes agrégés de la sécurité sociale n'étaient pas des comptes d'un organisme unique, mais constituaient des comptes « plutôt macro-économiques ».
M. Gabriel Mignot a confirmé que les comptes de la sécurité sociale relevaient d'une logique différente de celle des comptes d'une entreprise. Il a indiqué que la Cour des comptes n'avait pas à se prononcer sur l'article 5 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, mais qu'elle s'exprimerait dans son rapport sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2002, si un tel article était finalement adopté. Il a observé que l'introduction de cet article dans le projet de loi ne résultait pas du contenu du rapport 2001, portant sur l'application de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000.
M. Alain Vasselle, rapporteur pour les équilibres financiers généraux et l'assurance maladie, s'est étonné que la Cour des comptes considère que les comptes de la sécurité sociale soient d'un ordre « macro-économique », à partir du moment où l'article 5 aura pour conséquence la réouverture des comptes d'organismes bien réels : la CNAF, la CNAMTS, la CNAV et la CCMSA. Evoquant les difficultés juridiques que rencontrerait une collectivité territoriale qui s'autoriserait une réouverture de son budget, il s'est déclaré par avance intéressé par la lecture du rapport 2002 de la Cour.
M. Gabriel Mignot a estimé que les comptes de la sécurité sociale avaient fait l'objet d'une amélioration importante, la réforme des droits constatés étant entrée en vigueur dans tous les organismes. Il a considéré que « l'étape de l'agrégation » n'était pas encore réalisée, mais qu'elle serait effective dans une ou deux années. Il s'est félicité que, pour la première fois, les comptes de l'année n-1 présentent un intérêt, parce qu'ils ont enfin une réelle signification. Il a estimé que « l'affaire du FOREC » était une « belle illustration » d'une situation encore complexe. Il a constaté que l'Etat ne présentait pas encore une comptabilité en droits constatés et que cette situation, dès lors que l'Etat était « un partenaire privilégié » de la sécurité sociale, posait problème.
Abordant les questions relatives au fonds de réserve des retraites, M. Claude Thélot a expliqué qu'un examen précis de la situation de ce fonds n'avait pas été conduit par la Cour des comptes. Il a indiqué que la Cour s'était bornée à deux recommandations :
- la stabilisation de la structure de financement du fonds de réserve, cette question faisant partie du thème général de la simplification et la clarification du financement de la sécurité sociale ;
- la définition d'une politique de placements financiers, le fonds de réserve devant disposer, sur le montant de 1.000 milliards prévu pour 2020, de 330 milliards de francs de produits financiers.
S'agissant du versement des excédents de la CNAV au fonds de réserve, il a estimé que la politique de versement sur acomptes n'était pas « très raisonnable » et qu'il était préférable d'affecter ces excédents une fois réalisés. Il a estimé qu'il était logique d'inscrire les recettes des licences UMTS dans les recettes de la sécurité sociale. Il a considéré que la réponse de la Cour des comptes, faisant l'analogie avec le cas de l'EDF, qui inscrit dans ses comptes les charges futures du démantèlement des centrales nucléaires, avait pour objectif d'être « frappante », même si elle n'était pas tout à fait juste du point de vue comptable.
S'agissant des questions relatives à la branche famille, M. Claude Thélot a rappelé que la Cour des comptes s'était penchée l'année précédente sur les avantages familiaux de retraite. Il a souligné que ces avantages -assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF), majorations de pensions et bonifications- faisaient l'objet d'un financement extrêmement disparate, alors même qu'ils répondaient à un même objet : améliorer les retraites des familles ayant élevé des enfants. Il a considéré que la prise en charge progressive par la CNAF des majorations, qui représenterait à terme 20 milliards de francs, allait modifier de façon sensible cette situation. Il s'est interrogé sur la nécessité de poursuivre dans cette logique, ce qui aurait pour contrepartie de diminuer les ressources disponibles pour les familles d'aujourd'hui. Il a jugé qu'il convenait de procéder, en matière de politique familiale, à un arbitrage entre les mesures destinées aux familles d'hier et celles destinées aux familles d'aujourd'hui.
M. Claude Thélot a fait observer que la valeur des prestations familiales avait évolué dans l'ensemble comme les prix. Il a souligné qu'il n'y avait donc pas pour les familles allocataires de participation aux fruits de la croissance. Ce choix était fondé sur le principe que les familles, dont le revenu primaire croissait plus vite que les prix, étaient progressivement mieux à même d'assumer directement la charge de leurs enfants.
M. Claude Thélot a fait valoir que cette indexation était un des facteurs contribuant à l'apparition régulière d'excédents à la CNAF, excédents qui pouvaient être par exemple consacrés à l'extension de l'âge limite de versements des prestations familiales. Il a considéré que notre politique familiale était contrainte financièrement à la fois par les charges de retraite à venir et l'évolution des dépenses d'assurance maladie.
M. Guy Fischer a mis l'accent sur la montée en puissance de l'impôt dans le financement de la sécurité sociale et le risque d'étatisation qui en résultait. Il s'est dit choqué de l'introduction en bourse de la Compagnie générale de santé, premier groupe de cliniques privées en France, et a jugé qu'il n'était pas moral que des entreprises privées puissent voir ainsi leur activité solvabilisée par de l'argent public.
M. Gabriel Mignot a indiqué que la Cour des comptes analyserait dans son rapport de septembre 2002 l'évolution de l'offre hospitalière publique et privée. Il a souligné que cette étude s'efforcerait de dégager les différentes problématiques soulevées par la coexistence d'offres publique et privée : quelle place fallait-il réserver à l'hospitalisation privée ? Pourquoi l'offre privée se spécialisait-elle ? Quelles missions devaient être confiées à l'une et à l'autre ? Comment s'expliquaient les différences de productivité pour une même activité ?
M. Claude Thélot a mis l'accent sur les extraordinaires progrès de l'information en matière d'activité hospitalière : il a expliqué que la mesure par points ISA (indice synthétique d'activité) révélait de grandes différences de coût selon les structures hospitalières.
M. Jean Chérioux a fait valoir que les majorations de pensions constituaient un élément important et ancien de la politique familiale et que l'on n'avait pas prévu de faire supporter cette charge à la branche famille au moment où l'on avait opéré la répartition des ressources entre les différentes branches. Il a jugé que le transfert de cette charge à la branche famille supposait une modification de la répartition des cotisations, faute de quoi on empêcherait tout développement futur de la politique familiale. Il a regretté que les prestations familiales soient de plus en plus souvent versées sous condition de ressources.
M. Claude Thélot a souligné que ces prélèvements aux dépens de la branche famille avaient effectivement pour effet de neutraliser les excédents de la branche. Il a estimé que l'évolution des prestations familiales vers une exigence de condition de ressources n'était pas si évidente. Il a considéré qu'une réflexion globale s'imposait s'agissant des dépenses de la branche famille et de l'ensemble des dépenses fiscales en faveur des familles. Il a fait observer que ces dernières étaient souvent mal connues et, dès lors, peu sujettes à un véritable débat.