Article 3
Spécialité et assimilation législatives
Cet article, juridiquement très important, a pour objet de définir le champ d'application du principe de spécialité législative, applicable à Mayotte comme dans les territoires d'outre-mer et en Nouvelle-Calédonie.
Rappelons qu'en vertu de l'article 10 de la loi du 24 décembre 1976 portant statut de Mayotte, les lois et règlements adoptés en métropole ne lui sont applicables qu'en vertu d'une disposition expresse.
Des lois d'habilitation permettent cependant régulièrement au Gouvernement de prendre des ordonnances relatives à l'extension et à l'adaptation de la législation à Mayotte. Elles rapprochent de plus en plus cette collectivité de la situation d'un département d'outre-mer. Ainsi, une loi portant habilitation du Gouvernement à procéder à l'adaptation et à la modernisation du droit applicable outre-mer par ordonnances a été adoptée définitivement le 31 mai dernier par le Parlement. Son champ d'habilitation s'agissant de Mayotte porte principalement sur la définition d'une réelle protection sanitaire et sociale (organisation des soins, droit du travail et de l'emploi, prestations familiales, statut des travailleurs indépendants, des agriculteurs et des pêcheurs, statut des instituteurs).
Par ailleurs, s'appliquent à tout le territoire de la République les lois dites de souveraineté. La circulaire du 21 avril 1988 relative à l'applicabilité des textes législatifs et réglementaires outre-mer a tenté de les définir, en reprenant des analyses doctrinales et des décisions jurisprudentielles et en arrêtant une liste non exhaustive des matières pour lesquelles une mention d'application à l'outre-mer ne serait pas indispensable. Figurent parmi elles les lois constitutionnelles, les lois organiques, les règles relatives aux grandes juridictions nationales, les lois autorisant la ratification des traités, conventions ou accords internationaux, les textes constituant un statut au profit de personnes pouvant résider en métropole ou outre-mer (comme les fonctionnaires de l'Etat ou les militaires), les lois relatives à l'état des personnes, les textes régissant le cumul des mandats, et, de manière plus générale, l'application par des textes législatifs des principes généraux du droit.
Cette définition purement indicative des lois de souveraineté, qui a permis d'introduire pour la première fois quelques éléments rationnels dans le critère d'applicabilité des textes outre-mer, a été contestée par certains territoires d'outre-mer.
Ainsi, la référence, dans la liste proposée par la circulaire de 1988, à l'état des personnes comme relevant des lois de souveraineté, semble s'opposer à la mention explicite dans le présent projet de loi de l'assimilation législative en la matière. Le Gouvernement a semble-t-il jugé la notion de loi de souveraineté trop imprécise et préféré lui donner un contenu spécifique pour Mayotte. Cette volonté de clarification est tout à fait positive.
Le paragraphe I dispose qu'en dehors des lois, ordonnances et décrets qui, en raison de leur objet, sont nécessairement destinés à régir l'ensemble du territoire national -il s'agit de la reprise exacte de la définition donnée par la circulaire de 1988 des lois de souveraineté - d'autres matières seront également soumises à ce régime d'applicabilité directe, faisant donc exception au principe de spécialité.
Sont ainsi concernés les lois, ordonnances et décrets portant sur la nationalité, l'état et la capacité des personnes, les régimes matrimoniaux, les successions et les libéralités, le droit pénal, la procédure pénale, la procédure administrative contentieuse et non contentieuse, les postes et télécommunications ainsi que le droit électoral (cette dernière matière ayant été ajoutée en première lecture à l'Assemblée nationale à l'initiative de M. Jacques Floch, rapporteur de la commission des Lois, avec l'avis favorable du Gouvernement, le rapporteur ayant à cette occasion souligné l'importance symbolique d'une telle extension).
On peut cependant s'interroger sur la portée de cette disposition s'agissant de l'état et de la capacité de personnes, ainsi que des régimes matrimoniaux et des successions, si le statut de droit personnel demeure. Rappelons en effet qu'il concerne plus de 95% de la population.
En première lecture à l'Assemblée nationale a également été adopté avec l'avis favorable du Gouvernement un amendement présenté par M. Jacques Floch, rapporteur, visant à étendre le champ du principe d'assimilation législative aux dispositions législatives postérieures à la présente loi modifiant le code de commerce, tout en tenant compte des spécificités mahoraises.
Sont ainsi exclus de cette extension le chapitre II du titre V du livre II relatif aux groupements européens d'intérêt économique, le chapitre Ier du titre II du livre II relatif aux ventes volontaires de meubles aux enchères publiques et le chapitre II du titre II du livre V concernant les dépôts en magasins généraux ainsi que le livre VII relatif à l'organisation du commerce, qui traite notamment des chambres de commerce et d'industrie (dont le statut est prévu à l'article 40 du projet de loi), de l'équipement commercial et des marchés d'intérêt national. Cet amendement a été adopté avec l'avis favorable du Gouvernement.
La liste du paragraphe I correspond à l'ensemble des matières pour lesquelles des ordonnances ont déjà été prises ou sont en projet afin de rapprocher au maximum le droit applicable à Mayotte et celui en vigueur en métropole. Ainsi, au terme de cet alignement juridique, Mayotte sera globalement considérée comme une collectivité métropolitaine, sauf si la situation locale impose une adaptation particulière, rien n'empêchant le législateur ou l'autorité réglementaire de prévoir des dispositions spécifiques si nécessaire.
A compter de 2007, le paragraphe II de l'article 3 ajoute à la liste des matières rentrant dans le champ de l'assimilation législative l'organisation et l'administration des conseils généraux ainsi que les règles relatives aux juridictions financières. En effet, il sera mis un terme à la tutelle administrative et Mayotte entrera dans le droit commun des départements, sous réserve de quelques adaptations en 2007. La « normalisation » institutionnelle étant alors opérée dans ces matières, l'application directe des textes ultérieurs relatifs aux conseils généraux et aux juridictions financières ne devrait plus poser de problèmes et paraît parfaitement logique.
Le paragraphe III de l'article 3 dispose enfin que les lois, ordonnances et décrets ne sont applicables à Mayotte que sur mention expresse. En effet, le principe demeure celui de la spécialité législative .
Si une telle règle doit permettre au Parlement et aux administrations de tenir compte, au cas par cas, des particularismes mahorais, on regrettera cependant dans la pratique qu'en raison de la carence de la plupart des ministères, bon nombre de projets de loi ne comportent pas d'adaptation à l'outre-mer, ce qui impose ensuite au secrétariat d'Etat à l'outre-mer de procéder par ordonnances au balayage des lois et règlements, afin de les rendre applicables en dehors de la métropole et expose par conséquent les administrations locales et les citoyens, dans l'attente de l'entrée en vigueur de ces ordonnances, à des situations juridiques mal établies, avec des textes incomplets et souvent peu lisibles. Ce désintérêt juridique choquant au plan des principes est particulièrement préjudiciable dans la mesure où il peut paralyser des pans entiers des sociétés d'outre-mer.
Votre commission vous propose d' adopter l'article 3 sans modification .