ANNEXE 2
AUDITIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
LE MERCREDI 13
DÉCEMBRE 2000
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AUDITION DE M. ALAIN VIVIEN
PRÉSIDENT DE LA MISSION
INTERMINISTÉRIELLE
DE LUTTE CONTRE LES SECTES
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M. Alain
Vivien a tout d'abord rappelé que la mission interministérielle
de lutte contre les sectes était directement issue des travaux d'une
commission d'enquête de l'Assemblée nationale, le Gouvernement de
M. Alain Juppé ayant d'abord créé un observatoire
transformé en mission interministérielle par le Gouvernement de
M. Lionel Jospin. Il a noté que la mission était appelée
à suivre l'ensemble des questions relatives aux mouvements sectaires, y
compris dans les enceintes internationales.
M. Alain Vivien a ensuite indiqué que le Parlement s'était
prononcé avec constance contre l'élaboration d'une
législation spécifique à l'encontre des sectes. Il a
rappelé qu'il avait, pour sa part, rendu en 1983 un rapport s'opposant
à l'élaboration d'une telle législation spécifique.
Il a en revanche estimé qu'il pouvait être nécessaire
d'améliorer les lois existantes pour faire face aux défis
posés par les mouvements sectaires. Il a ainsi souligné que le
législateur avait étendu le contrôle de l'éducation
nationale à l'ensemble des établissements scolaires, qu'ils
soient ou non sous contrat d'association avec l'Etat, et qu'il avait en outre
habilité des associations de défense contre les mouvements
sectaires à se constituer partie civile.
Il a observé qu'il serait sans doute nécessaire prochainement
d'encadrer certaines professions en particulier celles de formateur et de
psychothérapeute, afin d'éviter tout risque de dérive
sectaire.
M. Alain Vivien a fait valoir que la proposition de loi
déposée au Sénat par M. Nicolas About, puis
complétée par l'Assemblée nationale, était un texte
de prévention créant en particulier une nouvelle
possibilité de dissolution de groupements condamnés et instituant
un délit de manipulation mentale.
Il a observé que certains mouvements incitaient ouvertement leurs
membres à violer les lois de la République et a indiqué
que des condamnations répétées n'empêchaient pas la
poursuite par ces mouvements de leurs activités. Il a fait valoir qu'il
était déjà possible de dissoudre les associations soit sur
le fondement de l'article 7 de la loi de 1901, soit sur le fondement de la
loi de 1936 relative aux groupes de combat. Il a toutefois estimé
qu'aucune de ces deux voies n'était véritablement adaptée
aux groupements à caractère sectaire.
M. Alain Vivien a cependant convenu que certaines organisations sectaires
disposaient de structures susceptibles d'être assimilées à
des groupes de combat. Il a ainsi noté que l'Eglise de scientologie
disposait d'un " bureau des affaires spéciales ", sorte de
police privée active pouvant agir à l'encontre des
" suppressifs ", à savoir les opposants de la secte, ou des
personnes ayant quitté celle-ci.
M. Alain Vivien a ensuite évoqué le délit de
manipulation mentale introduit dans la proposition de loi par
l'Assemblée nationale. Il a observé que l'article 31 de la
loi de 1905 sur la séparation des Eglises et de l'Etat sanctionnait
déjà les pressions exercées par une personne sur une autre
pour l'obliger à renoncer à des convictions ou au contraire la
contraindre à adhérer à des convictions. Il a
indiqué que cette loi ne s'appliquait qu'au domaine des convictions
religieuses et que toutes les sectes n'avaient pas le caractère de
mouvement religieux. Il a ainsi souligné que le mouvement raëlien
s'était présenté comme un mouvement de
développement mental athée, puis, avec le développement de
ses activités, avait souhaité se qualifier désormais de
" religion athée ".
M. Alain Vivien a rappelé que l'article 313-4 du code
pénal sanctionnait l'abus de faiblesse, mais qu'il ne permettait pas de
sanctionner tous les comportements des sectes, nombre de personnes
n'étant pas en situation de faiblesse et entrant librement dans une
secte avant d'être placées en état de dépendance. Il
a estimé que la rédaction de l'article définissant le
délit de manipulation mentale adoptée par l'Assemblée
nationale était intéressante, mais qu'il serait plus exact de
faire référence à la notion de " mise en état
de dépendance ". Il a observé que certaines grandes
confessions religieuses avaient fait part de leurs inquiétudes à
l'égard du délit de manipulation mentale et a noté que
toutes ces religions devaient faire face, à leur marge, à des
groupes " incertains " en ce qui concerne le respect des lois de la
République. Il a fait valoir que certaines religions se
préoccupaient elles-mêmes de mettre fin à ces
dérives, mais que d'autres étaient moins avancées dans
cette lutte.
M. Alain Vivien a enfin rappelé que la commission consultative des
droits de l'homme, présidée par M. Pierre Truche, avait
rendu un avis sur le délit de manipulation mentale et avait
constaté qu'il ne portait pas atteinte aux libertés tout en
recommandant plutôt de compléter le délit d'abus de
faiblesse et de modifier son emplacement au sein du code pénal.
M. Nicolas About, rapporteur, a souhaité connaître
l'avis de la mission interministérielle sur le choix de la
procédure de dissolution. Il a demandé comment une dissolution
judiciaire pourrait être efficace face à certaines sectes
comportant de nombreuses ramifications.
M. Alain Vivien a tout d'abord précisé que la mission
interministérielle s'était clairement prononcée en faveur
d'une dissolution judiciaire, plutôt que d'une dissolution par
décret du président de la République. Il a estimé
que l'absence d'application aux mouvements sectaires des règles
relatives à la responsabilité pénale des personnes morales
s'expliquait par le fait que les affaires qui auraient justifié une
telle mise en cause étaient antérieures à l'entrée
en vigueur du nouveau code pénal. Il a indiqué qu'un mouvement
sectaire avait récemment été mis en examen en tant que
personne morale. Il a en outre observé que les magistrats étaient
de plus en plus sensibilisés aux questions concernant les mouvements
sectaires et que des formations spécifiques étaient
organisées pour les magistrats en exercice.
M. Robert Badinter a regretté que la proposition de loi ne
prévoie une possibilité de dissolution qu'après plusieurs
condamnations devenues définitives, ce qui impliquerait, compte tenu des
voies de recours, de longs délais de mise en oeuvre. Il a estimé
que certaines sectes pouvaient être condamnées une seule fois pour
des faits gravissimes justifiant pleinement une dissolution.
M. Alain Vivien a alors fait valoir que la rédaction de la
proposition de loi avait pour objet de préserver au maximum les
libertés de pensée et d'expression, mais que certains faits
graves justifiaient effectivement que la possibilité de dissolution soit
ouverte dès la première condamnation devenue définitive.
M. Nicolas About, rapporteur, a indiqué qu'il avait
souhaité que plusieurs condamnations soient exigées parce qu'il
avait au départ proposé une dissolution par décret
présidentiel. Il a en effet noté que la loi de 1936 sur les
groupes de combat pouvait en tout état de cause être
appliquée, même en l'absence de condamnation, en présence
d'un trouble majeur à l'ordre public. Il a souligné que sa
proposition de loi visait à prévoir le cas de mouvements ayant de
manière répétée des comportements illégaux
sanctionnés par des condamnations. Il a toutefois estimé que
l'exigence que plusieurs condamnations soient prononcées était
moins justifiée dès lors que la dissolution était
judiciaire et non administrative.
M. Guy Allouche s'est interrogé sur les réactions des principales
confessions religieuses qui avaient manifesté leurs réticences
à l'égard de la proposition de loi.
M. Pierre Fauchon, vice-président, a souligné que les
réticences des confessions entendues par la commission des lois
portaient pour l'essentiel sur le délit de manipulation mentale.
M. Patrice Gélard a observé qu'au sein des grandes
religions, et notamment de l'Eglise catholique, certaines structures risquaient
de répondre à la définition proposée pour
l'article 313-4, compte tenu de la discipline imposée à
leurs membres. Il s'est demandé si le délit de manipulation
mentale ne risquait pas de pouvoir être appliqué à certains
médecins ou psychiatres, voire à certains responsables
d'enseignement, dans des établissements scolaires marqués par une
discipline rigide, voire à l'armée. Il a exprimé la
crainte que le délit de manipulation mentale ne puisse donner lieu
à des interprétations contestables.
M. Alain Vivien a estimé qu'il n'appartenait en aucun cas à
l'Etat de dire à chacun ce qu'il devait penser ou croire. Il a
indiqué qu'il reviendrait aux magistrats d'analyser les comportements de
certains mouvements pour déterminer si l'infraction était ou non
constituée. Il a fait valoir que des mouvements religieux
persécutés dans certains pays n'avaient aucune difficulté
en France parce qu'ils respectaient les lois de la République.
M. Alain Vivien a indiqué que le terme de groupement retenu dans le
délit de manipulation mentale était bien choisi dès lors
que certaines sectes n'étaient pas déclarées en tant
qu'association et étaient donc des associations de fait. Il a
indiqué que certains mouvements sectaires pouvaient effectivement,
conformément aux termes employés dans la définition du
délit de manipulation mentale, créer une dépendance
physique ou psychologique, par exemple en modifiant les rythmes de sommeil de
leurs adeptes ou en imposant une alimentation de carence.
M. Alain Vivien a estimé qu'il était utile que la
définition du délit mentionne les techniques propres à
altérer le jugement, observant que certaines techniques cognitives de
déconstruction, puis de reconstruction, d'une personnalité
pouvaient être détournées par des groupements à
caractère sectaire. Il en a déduit que les termes de la
définition du délit ne risquaient pas de porter atteinte aux
libertés.
M. Robert Badinter s'est déclaré très
réservé à l'égard des éléments
constitutifs du délit de manipulation mentale. Il a rappelé que
le principe de légalité impliquait que les éléments
constitutifs du délit soient précisément définis.
Il a en outre rappelé qu'en matière pénale, des
constitutions de partie civile étaient possibles et qu'elles ne
manqueraient pas de se multiplier s'agissant d'un délit tel que celui de
manipulation mentale. Il a noté qu'on pourrait estimer que l'action des
grandes confessions religieuses avait pour effet, sinon pour but, de
créer une dépendance psychologique. A cet égard, il a
estimé que l'objectif des Eglises était le respect des principes
de la foi et qu'un tel objectif pouvait être assimilé à une
volonté de créer une dépendance psychologique. A propos
des " pressions graves et réitérées ", il s'est
demandé si des visites quotidiennes d'un officiant chez une
dévote étaient susceptibles de constituer de telles pressions. Il
a enfin noté que toute donation par une personne de ses biens à
une Eglise ou à une confession religieuse risquait de susciter des
plaintes avec constitution de partie civile sur le fondement du délit de
manipulation mentale. Il a exprimé la crainte que ce texte soit
détourné et exploité.
M. Alain Vivien a estimé qu'il était pourtant indispensable
de pouvoir réprimer certaines pressions inadmissibles exercées
par des groupements sur des personnes. Il a rappelé qu'au sein de
l'Eglise catholique, il était possible sans difficulté de quitter
un mouvement ou un ordre et, le cas échéant, de
récupérer les biens donnés. Il a en outre souligné
qu'il convenait de protéger davantage les victimes des mouvements
sectaires.
M. Lucien Lanier a demandé si on utilisait pleinement certains
moyens d'affaiblir les sectes, en particulier la vérification
étroite du respect, par ces mouvements, de la législation fiscale.
M. Patrice Gélard a observé que certaines poursuites
pourraient probablement être exercées pour absence de respect de
la législation sociale, en particulier lorsque certains mouvements ne
rémunèrent pas leur personnel ou ne les déclarent pas
à la sécurité sociale.
M. José Balarello a souhaité connaître les
principaux groupements ou sectes établis en France et le nombre de
personnes adeptes de tels mouvements.
M. Alain Vivien a alors indiqué que la mission
interministérielle menait de très nombreuses actions de
prévention à l'égard de publics différents,
notamment des enseignants au sein des IUFM. Il a souligné que
d'importants redressements fiscaux, accompagnés d'amendes, avaient
été prononcés à l'encontre de mouvements sectaires.
Il a ensuite rappelé qu'en 1995 une commission d'enquête de
l'Assemblée nationale avait publié une liste de mouvements
qualifiés de sectaires. Il a indiqué que la mission
préférait pour sa part distinguer trois groupes de mouvements. Il
a noté que le premier groupe rassemblait les " sectes
absolues " mettant en cause directement les principes républicains
et démocratiques et prétendant instaurer un nouvel ordre public.
Il a estimé que ces mouvements étaient particulièrement
dangereux, pratiquant en particulier une forme d'entrisme au sein des
entreprises et des institutions. Il a précisé que le
deuxième groupe rassemblait certains mouvements d'origine philosophique
ou religieuse ayant des caractères sectaires. Il a fait valoir que les
Témoins de Jéhovah figuraient dans ce groupe du fait de certaines
pratiques comme le refus des transfusions sanguines ou l'opposition au service
national. Il a noté qu'un dialogue avec ces mouvements était
possible et que la mission interministérielle entendait mener un tel
dialogue. Il a ainsi fait valoir que les Témoins de Jéhovah
s'étaient engagés à accepter le recensement des jeunes
prévu dans le cadre de la disparition du service national, alors qu'ils
refusaient jusqu'alors toute forme de service national.
M. Alain Vivien a enfin indiqué qu'un troisième groupe
rassemblait un très grand nombre de mouvements émergents à
propos desquels il était difficile de porter encore un jugement. Il a
alors rappelé qu'en 1983, il avait estimé, dans un rapport, que
500.000 personnes en France étaient concernées par le
phénomène sectaire et qu'il y avait environ 150.000 à
200.000 adeptes. Il a fait valoir qu'il n'était pas certain que le
phénomène sectaire soit actuellement en progression en France,
compte tenu de la vigilance des pouvoirs publics et de l'opinion.
M. Nicolas About, rapporteur, a souhaité savoir si la mission
interministérielle avait connaissance du comportement de certains
groupes attaquant systématiquement les parlementaires.
M. Alain Vivien a alors confirmé que certains mouvements avaient un
comportement contestable à l'égard des parlementaires. Il a
souligné qu'il avait été " mis en accusation ",
au même titre que M. Nicolas About et M. Jean Tiberi, en leurs
qualités d'auteurs de propositions de loi concernant les groupements
à caractère sectaire, devant un " tribunal
privé " mis en place par un certain nombre de mouvements sectaires.