C. DU PRINCIPE DE GRATUITÉ À LA PROFESSIONNALISATION DU MANDAT ?
1. Un aménagement progressif du principe de gratuité
L'origine historique du principe de gratuité des mandats électoraux est assez ancienne, puisque Montaigne, maire de Bordeaux, affirmait au XVIème siècle que " la charge de maire semble d'autant plus belle qu'elle n'a ni loyer, ni gain autre que l'honneur de son exécution ". Comme en écho à cette affirmation, l'article L. 2123-17 du code général des collectivités territoriales prévoit encore actuellement que " les fonctions de maire, d'adjoint et de conseiller municipal sont gratuites ".
La tradition française de gratuité des mandats électoraux a cependant été progressivement aménagée.
Une loi du 21 mars 1831 avait prévu que " les fonctions de maire, d'adjoint et de membre du corps municipal (étaient) essentiellement gratuites et ne (donnaient) lieu à aucune indemnité ni frais de représentation ".
Le principe de gratuité ainsi affirmé coïncidait avec l'exercice des responsabilités publiques par des notables , dotés d'une sécurité financière, gage de l'impartialité de leurs décisions. Il trouvait aussi son origine dans le souci de mettre l'accent sur le dévouement de l'élu et a été invoqué comme la preuve de son désintéressement.
Il est vrai que, sous la Monarchie de juillet, le suffrage était censitaire.
La loi du 10 août 1871 relative aux conseils généraux confirme le principe de gratuité en précisant que " les membres de la commission départementale ne reçoivent aucun traitement ".
Une première atténuation est apportée à ce principe par la loi municipale du 5 avril 1884 , autorisant le remboursement de frais résultant de l'exécution de mandats spéciaux.
Plus tard, la loi du 27 février 1912 institue des indemnités de déplacement et de séjour pour permettre aux conseillers généraux de participer aux réunions de leur assemblée, dans des lieux souvent éloignés de leur domicile.
Ces aménagements du principe de gratuité étaient donc limités à des remboursements de frais, en aucune façon assimilables à des revenus.
Un tournant est pris avec la publication des ordonnances du 26 juillet 1944 et du 21 février 1945 prévoyant pour les communes la possibilité d'attribuer des indemnités de fonction aux maires et aux adjoints, à la charge des budgets communaux.
Parallèlement aux mesures prévues pour les fonctionnaires par le statut général de 1946, la loi du 2 août 1949 crée une obligation pour les employeurs d' accorder aux salariés élus le temps nécessaire à leur participation aux séances plénières des assemblées délibérantes .
Le régime de retraite des maires a été institué par la loi n° 72-1201 du 23 décembre 1972 .
Le Sénat a largement participé à la réflexion en vue de l'établissement de garanties pour faciliter l'exercice des mandats électoraux.
Ainsi, dans le cadre de la préparation du " projet de loi de développement des responsabilités des collectivités locales ", le Sénat avait réuni en avril 1978 un groupe de travail dont M. Roger Boileau était le rapporteur.
Ce groupe de travail allait souligner que le maire, au-delà des tâches de représentation, était devenu un gestionnaire : " Émanation de la société dans laquelle ils vivent, représentants dévoués de la population, les élus locaux ont aussi changé dans leur origine sociale. La gestion communale n'est plus la distraction aimable offerte à leur oisiveté, mais bien souvent l'expression d'une vocation qui rend souvent difficile la vie professionnelle et la vie familiale ".
Ce groupe de travail allait se prononcer en faveur d'une approche " réaliste " du principe de gratuité , ainsi que pour le développement du principe d'égalité d'accès au mandat dans le respect de l'autonomie des collectivités locales 7 ( * ) .
La question du statut de l'élu devait faire l'objet du titre III du projet de loi susvisé, dont l'examen a été interrompu par l'alternance de 1981. Le dispositif retenu par la Haute Assemblée déclinait quatre orientations : le relèvement des indemnisations forfaitaires en contrepartie du maintien du principe de gratuité, la création d'un statut protecteur en faveur des maires des villes de plus de 100.000 habitants, le renforcement du régime des autorisations d'absence et l'amélioration des pensions de retraite.
Le processus de décentralisation, relancé à partir de 1982 a posé avec une plus grande acuité la question des moyens nécessaires à l'accomplissement par l'élu local de ses nouvelles responsabilités .
C'est ainsi que l'article 1 er de la loi n° 92-213 du 2 mars 1982 relative aux droits et libertés des communes, des départements et des régions prévoit que " des lois détermineront (...) le statut de l'élu ".
Dans cette perspective, à la demande du Gouvernement, notre collègue M. Marcel Debarge a établi un premier rapport, en 1982 , qui devait déboucher sur l'adoption par le Conseil des ministres, en septembre 1983, d'un projet de loi qui n'a cependant jamais été inscrit à l'ordre du jour des assemblées parlementaires .
Le rapport Debarge mettait l'accent sur la formation de tous les élus, la revalorisation substantielle des indemnités, le droit à une retraite décente, l'assouplissement du régime des autorisations d'absence, les crédits d'heures et la réinsertion sociale de l'élu en fin de mandat.
Une nouvelle mission a été confiée à M. Marcel Debarge en 1988, dont les conclusions, publiées deux ans plus tard, ont été largement reprises dans la loi n° 92-108 du 3 février 1992 relative aux conditions d'exercice des mandats locaux .
Ce texte, qui constitue aujourd'hui l'essentiel du " statut de l'élu " , met en oeuvre quatre orientations : la revalorisation des indemnités de fonction, leur généralisation à toutes les catégories d'élus, le rapprochement vers le droit commun du régime fiscal des indemnités et leur écrêtement en cas d'exercice simultané de plusieurs mandats.
* 7 Rapport n° 391 (1977-1978) du 1 er juin 1978 présenté par M. Roger Boileau, rapporteur au nom de la commission des Lois.