2. La cour d'assises
Ce volet de la réforme est sans conteste le plus chargé de symbole.
Indépendamment du taux de recours pour lequel aucune des projections faites aujourd'hui n'est véritablement convaincante, l'estimation du temps nécessaire à la gestion d'une affaire d'assises, au moins pour les magistrats, paraît relativement aisée. La plupart des interlocuteurs de la mission, se sont en effet accordés pour admettre que :
- une affaire se déroule en moyenne sur deux jours ouvrables (une session de deux semaines traite en moyenne cinq affaires) ;
- le temps de préparation pour le président est égal au temps d'audience ;
- le temps de préparation pour le ministère public est de deux jours par affaire (un peu moins s'il en est le régleur) ;
- le temps par assesseur est égal au temps d'audience.
En revanche, le temps consacré à une affaire par le personnel de greffe, hors audience et récupérations, a été tardivement apprécié dans les juridictions visitées. Il est quelquefois estimé forfaitairement à une journée, plus souvent à une durée plus longue pouvant être équivalente à celle retenue pour le président.
En conséquence, une affaire d'assises représente 12 jours de travail/ magistrat et 3 jours (hypothèse basse) ou 4 jours (hypothèse haute) de travail/ greffe.
Il est également majoritairement admis (sous les réserves sus-énoncées) que doit être envisagé, au moins dans un premier temps, un taux d'appel de 50 %. C'est une hypothèse haute qui méritera d'être affinée après quelques mois de fonctionnement. Il apparaît en effet qu'un certain nombre de paramètres, liés notamment à la composition des cours d'assises " d'appel " (12 jurés au lieu de 9), au régime de détention (détenu provisoire ou condamné définitif) à l'épreuve que représente pour certains la comparution en cour d'assises (notamment dans les affaires de moeurs qui constituent plus de la moitié des affaires criminelles), peuvent laisser augurer d'un taux plus bas.
En l'état, si l'on s'en tient aux références statistiques de 1999, 2.279 affaires ont été jugées, soit, en chiffre rond, une projection de 1.400 recours au maximum à prévoir, ce qui représente pour l'ensemble du territoire national :
- 16.800 jours ouvrés de magistrats (dont 5.600 du ministère public), soit l'équivalent de 76 emplois ;
- 4.200 à 5.600 jours ouvrés de fonctionnaires, soit l'équivalent de 19 à 26 emplois hors repos compensateurs.
Cette estimation ne tient pas compte du stock existant (une année d'activité dans plus d'un tiers des cours), qui obligera à accroître le nombre ou la durée des sessions pour respecter les nouveaux délais de comparution. Elle n'intègre pas plus compte des efforts qui ont été fournis par anticipation dans certaines juridictions qui se retrouvent sans stock et pourront absorber la réforme sans difficulté particulière, à effectif constant, au moins dans un premier temps.
En conclusion sur ce point :
Ce volet de la réforme qui interviendra à moyens constants va sensiblement accroître les charges de travail des magistrats et des fonctionnaires.
On retrouve ici le problème récurrent de l'insuffisance de personnel de greffe, avec cette particularité que, même dans les ressorts qui semblent pouvoir assumer la charge des recours, le personnel actuellement affecté à la cour d'assises ne sera pas suffisant, à quelques exceptions près.
En ce qui concerne les magistrats, l'application de la réforme ne pourra s'effectuer, jusqu'à ce qu'interviennent des créations de poste ou de redéploiements, qu'au détriment d'autres contentieux tant dans les tribunaux de grande instance que dans les cours.
En effet, sauf exception, la situation des juridictions ne permet pas de dégager, à activité et moyens constants, les juges et/ou les conseillers requis pour faire face à cet accroissement de charges. De même, un certain nombre de parquets déjà en sous-effectifs, ne pourront absorber la réforme que si les parquets généraux s'impliquent plus largement. Selon la situation locale, les uns et/ou les autres devront probablement moduler leur activité en fonction de leurs disponibilités. Par ailleurs, il est à craindre que, au moins dans un premier temps, le raccourcissement des délais imposés pour juger les détenus ne permette pas de jugés les accusés libres dans un temps raisonnable.
Enfin, les cours qui ont pu ou su anticiper sur la réforme, et plus ou moins apuré leur situation craignent de se voir attribuer des dossiers venant des cours en plus mauvaise posture.
En résumé, il apparaît que l'entrée en vigueur du recours en matière criminelle contraindra, au moins dans un premier temps, la majorité des cours et des tribunaux à opérer des choix dans le traitement des contentieux, ce qui est de nature à conduire, à terme, à un engorgement plus important que celui actuellement constaté, spécialement au niveau des cours d'appel.