2. Une banalisation périlleuse du recours aux ordonnances
Pour la cinquième fois depuis son entrée en fonctions et pour la quatrième fois en moins d'un an, le Gouvernement demande au Parlement de l'habiliter à prendre par ordonnances des mesures législatives.
• La loi n° 98-145 du 6 mars 1998 a habilité le Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a pris sept ordonnances. La loi de ratification de ces ordonnances a été promulguée le 28 décembre 1999.
• La loi n° 99-899 du 25 octobre 1999 a habilité le Gouvernement à prendre, par ordonnances, les mesures législatives nécessaires à l'actualisation et à l'adaptation du droit applicable outre-mer . Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a pris dix-huit ordonnances. Il a déposé trois projets de loi portant ratification d'ordonnances sur le Bureau du Sénat en juillet 2000.
• La loi n° 99-1071 du 16 décembre 1999 a habilité le Gouvernement à procéder, par ordonnances, à l'adoption de la partie législative de certains codes. Sur le fondement de cette habilitation, le Gouvernement a pris sept ordonnances relatives notamment au code rural, au code de la route, au code de la santé publique, au code de commerce. Deux ordonnances doivent encore être prises avant le 22 décembre 2000.
Le Gouvernement a d'ores et déjà déposé quatre projets de loi de ratification d'ordonnances sur le Bureau du Sénat. Cinq doivent encore être déposés avant le 28 février 2001.
• La loi n°2000-517 du 15 juin 2000 a habilité le Gouvernement à adapter par ordonnance la valeur en euros de certains montants exprimés en francs dans les textes législatifs. Sur le fondement de cette loi, le Gouvernement a pris une ordonnance le 19 septembre 2000. Un projet de loi de ratification doit être déposé avant le 31 mars 2001.
Il convient de signaler que l'ensemble des projets de loi de ratification des ordonnances prises dans le cadre des deux lois d'habilitation adoptées en 1999 (soit huit projets de loi) ont été déposés sur le Bureau du Sénat. Or, l'inscription à l'ordre du jour de ces projets n'est pas prévue dans le programme de travail du Sénat envisagé par le Gouvernement d'ici février 2001.
Il existe un risque réel, si le recours aux ordonnances se banalise, que ces dernières ne soient jamais ratifiées. Il appartient en effet au Gouvernement de veiller à ce que chacun de ces projets de loi de ratification soit inscrit le plus rapidement possible à l'ordre du jour des assemblées. Le simple dépôt d'un projet de loi de ratification ne vaut pas ratification implicite, laquelle ne peut résulter que d'une modification ultérieure du contenu de l'ordonnance par une loi (Conseil d'Etat, 10 juillet1972, Cie Air Inter ; 11 juin 1990 Congrès du Territoire de la Nouvelle-Calédonie ; Conseil constitutionnel, 72-73 L du 29 février 1972, 224-DC du 23 janvier 1987).
En outre, une ratification implicite des ordonnances par des lois ultérieures pouvant être partielle , elle ne pourrait que susciter des difficultés d'interprétation de nature à créer la confusion.
En effet, tant qu'elles n'ont pas été ratifiées par une loi, les ordonnances relèvent du contentieux des actes réglementaires.
Enfin, une habilitation ne saurait aboutir au dessaisissement du Parlement , lequel doit au contraire, lors de l'examen du projet de loi de ratification, pouvoir se prononcer expressément sur le contenu des ordonnances.
Dans ces conditions, le dépôt du présent projet de loi d'habilitation ne peut qu'augmenter le risque que certaines ordonnances ne soient jamais ratifiées par le Parlement. Votre commission souhaite réaffirmer solennellement sa volonté de voir les ordonnances expressément ratifiées par le Parlement.