II. LA SITUATION DES JURIDICTIONS : DES BESOINS QUI DEMEURENT IMPORTANTS
Devant
l'asphyxie des juridictions, qui avait été soulignée, en
1996, par la mission d'information constituée par votre commission des
Lois pour évaluer les moyens de la justice
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)
, le renforcement des moyens qui leur
sont affectés constitue depuis plusieurs années une
priorité nationale.
Cependant, les dernières statistiques connues sur l'activité des
juridictions confirment que les besoins nécessaires au traitement des
flux de contentieux demeurent importants.
A. L'ACTIVITÉ CIVILE : DES DÉLAIS TOUJOURS EXCESSIFS ET DES STOCKS EN AUGMENTATION
En
matière civile, on constate en 1998
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)
une stabilisation des flux d'affaires
nouvelles par rapport à 1997 (-2,1 % devant les cours
d'appel,- 1,9 % devant les tribunaux de grande instance et
-1,2 % devant les tribunaux d'instance). Cette évolution est
particulièrement sensible en ce qui concerne les tribunaux de grande
instance pour lesquels la baisse enregistrée en 1997 et 1998
succède à une hausse ininterrompue au cours des dix années
précédentes. Toutefois, le nombre d'affaires nouvelles s'est
accru de 11,2 % en 1998 devant les conseils de prud'hommes, tandis qu'il
progressait de 9,7 % devant la Cour de cassation.
Nonobstant la stabilisation globale des flux d'affaires nouvelles, la
durée moyenne de traitement des affaires
reste fort
éloignée des objectifs qui avaient été
définis par la loi de programme de 1995.
Elle continue de s'accroître de manière particulièrement
préoccupante devant les cours d'appel, même si elle tend à
se stabiliser devant les autres juridictions, comme le montre le graphique
ci-après.
En 1998, la durée moyenne de traitement des affaires s'est
établie à :
-
17,4 mois
pour les
cours d'appel
au lieu de 16,6 mois en 1996,
alors que l'objectif fixé par la loi de programme était de douze
mois ;
-
9,3 mois
pour les
tribunaux de grande instance
, en
légère progression par rapport à 1997 (9,1 mois), à
comparer à l'objectif de six mois fixé par la loi de
programme ;
-
5,1 mois
pour les
tribunaux d'instance
, soit, là encore,
une légère progression par rapport à 1997 (5 mois) et
une durée largement supérieure aux trois mois envisagés
par la loi de programme ;
-
9,7 mois
pour les
conseils de prud'hommes
(contre 9,6 mois en
1997) ;
- et
5,6 mois
pour les
tribunaux de commerce
(contre 5,8 mois en
1997)
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)
.
Les tribunaux de commerce constituent donc la seule catégorie de
juridictions devant laquelle les délais moyens de jugement ont pu
être réduits en 1998.
Après avoir précisé qu'en ce qui concernait le premier
degré de juridiction on assistait à une stabilisation des
délais moyens, Mme Elisabeth Guigou, garde des Sceaux, a
d'ailleurs reconnu au cours de son audition devant votre commission des Lois
que la situation des
cours d'appel
s'était en revanche
dégradée très rapidement avec des délais moyens
passés de 13,5 mois en 1993 à 17,4 mois en 1998,
soulignant qu'elle avait mis en place un véritable plan d'urgence pour
faire face à cette situation en augmentant de 10 % les effectifs,
soit une création de 90 postes et en concentrant les renforts sur
la dizaine de cours les plus surchargées. La situation devrait donc
commencer à s'améliorer dès que les recrutements
correspondants auront eu lieu et que les postes ainsi créés
seront effectivement occupés sur le terrain. De plus, dans certaines de
ces cours d'appel, des " contrats de juridiction " sont en cours
d'élaboration avec la Chancellerie afin de parvenir à une
réduction des délais et une résorption des stocks, ainsi
qu'on le verra dans la quatrième partie du présent avis.
Les stocks d'affaires en cours continuent actuellement à
s'accroître
dans toutes les catégories de juridictions.
L'évolution des délais qui seraient nécessaires à
la résorption de ces stocks est illustrée par le graphique
ci-après.
Compte tenu de la capacité actuelle de traitement des juridictions
évaluée à partir du nombre d'affaires terminées
dans l'année, ces stocks, exprimés en nombre de mois
nécessaires à leur traitement, atteignent en 1998 :
- 18,62 mois pour les cours d'appel ;
- 11,01 mois pour les tribunaux de grande instance ;
- 9,38 mois pour les tribunaux d'instance ;
- et 12,49 mois pour les conseils de prud'hommes
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)
.
Votre rapporteur pour avis tient à évoquer la situation
particulière des
conseils de prud'hommes
car ces juridictions qui
jouent un rôle important dans la justice au quotidien ne doivent pas
être oubliées dans le cadre des réflexions en cours en vue
d'une amélioration de son fonctionnement.
Or, la situation de ces juridictions apparaît préoccupante
à un double titre, d'une part, parce qu'elles connaissent, en
première instance, des délais moyens de jugement atteignant
près de 10 mois, et d'autre part, parce qu'une proportion
très élevée de leurs décisions sont
traditionnellement frappées d'appel. Ainsi, en 1998, plus de 60 %
des décisions susceptibles d'appel ont été effectivement
portées en appel ; en matière de contentieux du
licenciement, plus de deux affaires sur trois sont frappées d'appel.
Cette situation est à l'origine d'un encombrement des cours d'appel,
entraînant donc le plus souvent de longs délais
supplémentaires, sur lesquels les parties semblent d'ailleurs parfois
jouer. Elle devrait conduire à une réflexion sur une
amélioration de l'organisation de la première instance et sur des
mesures susceptibles de dissuader les appels abusifs. Le rapport sur la
procédure civile établi par M. Jean-Marie Coulon en 1996
prévoyait d'instaurer le principe de l'exécution provisoire des
jugements de première instance.
En outre, en matière prud'homale, les recours en cassation sont
également très nombreux et entraînent un encombrement
préoccupant de la chambre sociale de la Cour de cassation devant
laquelle le délai moyen de jugement atteignait deux ans et
cinq mois en 1997, ce qui amène les magistrats à
s'interroger sur l'opportunité de l'institution d'une
représentation obligatoire par avocat pour les recours en cassation
dans ce domaine.