IV. AUDITION DU PRÉSIDENT DE TNT POST GROUP (POSTE NEERLANDAISE) LE 7 AVRIL 1999
La
commission a tout d'abord procédé, conjointement avec le groupe
d'études sur l'avenir de La Poste et des
télécommunications, à l'audition de M. Ad Scheepbouwer,
Président de TNT Post Group (Etablissement postal néerlandais).
Après avoir remercié la commission pour son invitation,
M. Ad Scheepbouwer a évoqué les bouleversements en
cours du secteur postal européen, dont la France, l'Allemagne et le
Royaume-Uni étaient des marchés importants. Il a indiqué
qu'avant 1989, la poste néerlandaise, sous le contrôle de l'Etat,
était de petite taille et ne réalisait pas de profit. Il a
précisé que c'est après deux études, menées
en 1983 et en 1986, que le Gouvernement néerlandais avait
décidé de transformer l'opérateur postal et de
télécommunications en société, en 1989, sous le nom
de KPN, puis de privatiser cette dernière en 1994. Insistant sur le
caractère unique en Europe de cette privatisation, il a indiqué
que ce n'était que l'an dernier que l'activité postale avait
été séparée des télécommunications,
la nouvelle société s'appelant TNT Post Group (TPG).
M. Ad Scheepbouwer a estimé qu'en 1989, la situation de la poste
néerlandaise n'était pas satisfaisante, avec des marges
insuffisantes, une stagnation des marchés et une forte
vulnérabilité liée à la dépendance
vis-à-vis de gros clients, représentant l'essentiel de
l'activité. A ces mauvaises perspectives internes, il a ajouté
l'absence de possibilité de développement international,
liée au caractère monopolistique des marchés postaux
européens.
Dans une telle situation, M. Ad Scheepbouwer a indiqué que la
stratégie mise en oeuvre lors de la privatisation, par une équipe
de dirigeants issus du secteur privé, reposait sur trois
principes : l'amélioration de la rentabilité ;
l'accroissement de la responsabilisation des salariés ; le
positionnement sur des marchés en croissance.
Il a considéré qu'il était, par nature, facile
d'accroître la rentabilité d'une organisation de type
bureaucratique. Estimant que les fonctionnaires étaient, en
général, relativement davantage payés en bas de
l'échelle et moins bien payés en haut de l'échelle
hiérarchique, par rapport au secteur privé, il a
précisé qu'un accord salarial était intervenu avec les
syndicats de l'entreprise pour permettre, en huit ans, un rattrapage de cette
échelle de salaires sur celle du secteur privé. M. Ad
Scheepbouwer a, en outre, précisé que des investissements
importants avaient été réalisés pour automatiser
massivement le tri du courrier : ces dix dernières années,
le taux d'automatisation est passé de 25 à 90 %. Il a
observé que, trois ou quatre ans après la transformation en
société, le profit s'élevait à 300 millions de
florins, contre un profit nul en 1989. En 1998, le profit de TPG
s'élève à 820 millions de florins.
Abordant les nouvelles méthodes de gestion du personnel introduites en
1989, M. Ad Scheepbouwer a précisé qu'elles reposaient sur une
responsabilisation accrue des agents. Il a indiqué que les nombreux
services de l'opérateur avaient été restructurés en
sept " unités d'affaires ", chacune étant responsable
de son chiffre d'affaires, de ses coûts et de son bénéfice.
Il a estimé qu'il s'agissait d'un changement majeur par rapport à
une gestion de type administratif, chacun étant désormais
personnellement comptable des résultats obtenus. Il a jugé que
cette mutation -réalisée plus rapidement qu'il ne l'avait
initialement escompté- avait été le facteur le plus
déterminant pour la réussite de l'entreprise.
Expliquant que la stratégie de TPG, à partir de 1989, avait
été centrée sur l'accroissement des possibilités de
développement de l'opérateur, M. Ad Scheepbouwer a
rappelé que si au moment de la privatisation le marché du
courrier n'augmentait que de 1 à 2 % par an -ce dernier ayant
même connu une régression (-0,5 %) en 1993-, les
prévisions de croissance pour les années à venir se
situaient autour de 2 à 4 %. Il a énuméré les
facteurs de cette progression :
- les tarifs de TPG n'ont pas augmenté ;
- le développement du courrier électronique se substitue
davantage à la télécopie et au téléphone
qu'au courrier ;
- de nouveaux produits à très forte croissance ont
été développés, comme le publipostage, le courrier
international et le courrier envoyé par voie électronique, puis
imprimé et expédié par TPG, dans le monde entier ;
- TPG s'est positionné sur des marchés en forte croissance,
comme la messagerie expresse et la logistique. Pour ce faire, 17
sociétés ont été rachetées par
l'opérateur, dont le chiffre d'affaires dans l'express est
désormais de 50 milliards de francs.
M. Ad Scheepbouwer a considéré que, pour un secteur aussi
consommateur de main-d'oeuvre que les services postaux, la croissance
était le corollaire indispensable de la mutation des opérateurs,
comme le prouve la réussite de TPG.
Il a fait valoir que les consommateurs avaient bénéficié
de la privatisation de la poste néerlandaise : le tarif du timbre
est moins élevé aux Pays-Bas que dans tous les autres pays
européens, excepté l'Espagne, où l'opérateur
réalise des pertes importantes. Il a rappelé que la
qualité des prestations du courrier aux Pays-Bas, mesurée par un
bureau indépendant, était exceptionnelle, 95 % des envois
étant distribués le lendemain. En ce qui concerne
l'évolution du réseau postal néerlandais, il a
évoqué la mise en commun des moyens réalisée entre
l'opérateur et la Postbank.
M. Ad Scheepbouwer a précisé qu'à la suite de la
privatisation, l'activité de tous les bureaux de poste avait
été analysée. Il a indiqué que de nouveaux
services, comme la distribution de services financiers ou la vente de
papeterie, avaient été introduits et que certains bureaux avaient
été réservés à la clientèle
professionnelle. Une chaîne de librairies a également
été rachetée, a-t-il poursuivi, pour assurer la
distribution postale et les plus petits bureaux de poste ont été
franchisés. Il a fait observer qu'au terme de ces évolutions la
poste néerlandaise restait le premier réseau de
détaillants aux Pays-Bas, le nombre de bureaux étant passé
de 2.200 à 2.600. Rappelant que, si les services courants étaient
disponibles dans les petits bureaux de poste, pour certaines prestations plus
particulières, l'usager devait se rendre dans un bureau de plus grande
dimension. Il a souligné que ces mutations avaient supprimé
certains emplois, mais n'avaient donné lieu à aucun licenciement,
grâce aux départs naturels.
M. Ad Scheepbouwer a ainsi jugé que l'ensemble des parties prenantes
avait profité de la privatisation de TNT : les salariés, les
clients et le Gouvernement, qui, outre les recettes tirées de la
privatisation, reçoit chaque année un dividende de
500 millions de francs.
Voyant dans le monopole et la fragmentation du marché européen le
principal obstacle à la croissance de ce dernier, M. Ad Scheepbouwer a
estimé que la notion de service universel était bien souvent
utilisée, par les opérateurs nationaux, pour servir leurs propres
intérêts. Il a déploré que cette notion soit bien
souvent abordée sous l'angle politique et non économique. Jugeant
que nombre d'opérateurs ne connaissent pas exactement leurs coûts,
il a indiqué qu'une poste saine et gérant une quantité
suffisante de trafic pourrait fournir, sans surcoût, le service universel
postal. Rappelant que 94 % du trafic du courrier concerne les
professionnels, il a considéré que ce marché pouvait
permettre de financer des prestations de qualité à bas
coûts pour les particuliers.
M. Ad Scheepbouwer a abordé la question de la très rapide
croissance externe de quatre opérateurs européens : TPG,
Deutsche Post, Royal Mail et, dans une moindre mesure, La Poste. Il a
estimé que ces quatre opérateurs avaient une ambition
européenne, voire mondiale. Il a évoqué également
deux grands intégrateurs de messagerie expresse (Federal Express et
United Parcel Service), disposant d'une meilleure couverture que TPG sur le
continent américain, mais d'un moins bon positionnement en Europe.
Il a considéré, à titre personnel, qu'il était
probable que se constituent rapidement des alliances entre certains de ces
quatre opérateurs européens et l'un ou l'autre des deux
intégrateurs américains.
M. Ad Scheepbouwer a indiqué que le marché postal français
était le plus dynamique d'Europe. Rappelant que 4.500 personnes
étaient déjà employées par TNT Post Group en
France, il a jugé bonnes les relations entretenues avec La Poste.
Evoquant le contrat actuel liant son entreprise à Chronopost, filiale de
La Poste, il a indiqué que des discussions étaient en cours sur
une confirmation de la coopération entre l'opérateur
français et néerlandais. De plus, il a estimé qu'une
éventuelle alliance entre La Poste et TPG aurait toute sa pertinence
dans le contexte européen actuel et fait valoir qu'outre
l'attractivité du marché français, la position de La Poste
dans le transport du colis et en Europe du Sud étaient des atouts
complémentaires de ceux de TPG, qui dispose d'un réseau de
messagerie expresse internationale et d'une activité logistique à
l'échelle mondiale.
M. Gérard Larcher, président du groupe d'étude sur
l'avenir de La Poste et des télécommunications, rappelant que TNT
Post Group était constitué sous la forme d'une
société anonyme à majorité privée et
cotée en Bourse, a demandé si un changement de statut en vue d'un
échange de participations était une condition à
l'éventuelle conclusion d'une alliance entre les deux opérateurs.
Il a souhaité connaître la stratégie de
développement de TPG en France, qu'une alliance soit, ou non, conclue
avec La Poste. Il s'est interrogé sur le devenir des liens entre
Chronopost et TPG après 2001, date de l'échéance du
contrat actuel. Il a interrogé le président de TPG sur les
modalités du développement outre-Atlantique des opérateurs
européens. Rappelant que les charges liées à la
présence territoriale de La Poste s'élevaient à
4 milliards de francs par an, il s'est interrogé sur la
compatibilité entre cette charge et la profitabilité pour
l'entreprise, quel que soit son mode de gestion.
M. Pierre Hérisson, jugeant déloyale la pratique du
" repostage " qui détourne les flux de trafics entre pays, a
demandé au président de TPG si un règlement
européen de cette question était, à son sens,
envisageable. Il a souhaité savoir si la présence d'un
actionnaire majoritaire public -dans l'hypothèse où La Poste
serait dotée d'un capital- serait un handicap pour la conclusion
d'une alliance.
M. Ad Scheepbouwer a répondu que, si un échange de participations
croisées était envisageable avec La Poste, il n'était
toutefois pas absolument indispensable, non plus qu'un changement de statut de
cet opérateur, pour conclure une alliance. Il a jugé que la
présence de l'Etat au capital n'était pas un obstacle, TPG
étant lui-même propriété à 44 % de
l'Etat hollandais, qui s'est engagé à conserver un tiers du
capital jusqu'en 2004. Il a toutefois précisé que le Gouvernement
néerlandais ne participe ni aux prises de décisions concernant la
conclusion d'alliances par l'opérateur, ni à la gestion de la
société.
M. Ad Scheepbouwer a indiqué que TPG entendait se développer en
France, en particulier sur le marché de la messagerie expresse
d'entreprise à entreprise et sur celui de la logistique, la
société étant notamment spécialisée dans les
industries automobile et électronique.
Il a estimé que le marché français du courrier, encore
sous monopole, mais devant être libéralisé d'ici 2003
à 2005, était " incontournable ", tout comme le
marché allemand, du fait de sa place en Europe, pour les
opérateurs souhaitant avoir une taille européenne. Dans cette
optique, a-t-il précisé, TPG réfléchit aussi
à l'établissement d'un réseau de distribution en France,
dans le respect du monopole qui sera fixé par la loi.
M. Ad Scheepbouwer a estimé qu'à l'issue du contrat liant son
entreprise à Chronopost, en 2001, une négociation aurait sans
doute lieu. Jugeant que Chronopost aurait certainement besoin de l'accès
à un réseau international, il a considéré que seuls
les quatre grands intégrateurs (TPG, UPS, Fed Ex et DHL) seraient
à même de le lui offrir.
S'agissant du développement de son entreprise aux Etats-Unis, il a
évoqué plusieurs options.
En ce qui concerne le financement des charges liées aux missions
d'intérêt général, il a évoqué une
étude du cabinet Mac Kinsey, dont les conclusions mettent en
évidence un surcoût de 15 %, lié à la desserte
des zones rurales dans les pays à plus faible densité de
population, comme la France. D'un autre côté, il a fait valoir que
la productivité de l'opérateur néerlandais était
deux fois supérieure à celle de ses homologues français et
allemands. Il a jugé que cette question devait être abordée
sous l'angle économique, et non pas politique.
S'agissant du " repostage ", M. Ad Scheepbouwer a jugé abusive
l'utilisation de ce mot par de nombreux acteurs. Il a rappelé que TNT
était liée avec La Poste par un contrat de repostage. Il a
considéré que les entreprises étaient maîtresses de
leur lieu d'implantation, comme du site d'expédition de leur courrier.
Evoquant un recours judiciaire en cours, à l'initiative de la Deutsche
Post, au sujet de l'activité de PTT Poste d'impression et de
distribution de tous les relevés de la banque Citicorp, il a jugé
cette attitude en complet décalage avec l'évolution des
technologies et des marchés. Il a toutefois précisé que
TPG ne pratiquait pas de repostage de type " ABA " (expédition
du courrier depuis un pays étranger vers le pays d'origine de ce
même courrier). Il a indiqué que la principale intervention de TPG
dans ce domaine concernait du courrier acheminé, par exemple, depuis les
Etats-Unis, en cargo, pour être adressé, affranchi et
distribué en Europe.
M. Gérard Delfau a tout d'abord remercié le Président de
TNT Post Group de sa franchise. Il lui a ensuite demandé quel
était le nombre de fonctionnaires restant dans l'entreprise. Evoquant la
dérégulation postale européenne, il a estimé que
l'opposition de certains Etats-membres ne la rendait pas certaine. Estimant que
La Poste remplit, en France, une mission de service public en permettant
l'accès de 4 à 5 millions de Français aux services
financiers, il a souhaité savoir si TPG remplissait un rôle
similaire aux Pays-Bas.
M. Ad Scheepbouwer a précisé qu'il n'y avait plus un seul
fonctionnaire au sein de TPG depuis 1989. Il a indiqué qu'un accord,
signé avec les syndicats de salariés, pour une période de
transition de huit ans, avait permis le changement de statut, du public au
privé, de l'ensemble des personnels, ces derniers
bénéficiant, notamment, d'une garantie d'augmentation de salaire
par rapport aux évolutions de la fonction publique. Soulignant les
évolutions salariales plus favorables intervenues chez TPG par rapport
aux fonctionnaires d'Etat ces dernières années, il a rendu
hommage à la clairvoyance des syndicats qui avaient su, dès 1988,
prévoir cette tendance.
Au sujet de la libéralisation postale européenne, M. Ad
Scheepbouwer a jugé qu'une ouverture totale à la concurrence,
dès 2003 ou 2005, même si elle pouvait être provisoirement
retardée par certaines réticences, était, à terme,
inéluctable et souhaitable. Il a considéré que repousser
cette ouverture serait une erreur, les nouvelles technologies permettant de
contourner les marchés sous monopole.
Il a évoqué le partenariat de TPG avec Postbank pour les bureaux
de poste, qui a créé une possibilité de diffusion des
services financiers. Cet établissement, en collaboration avec la banque
ING étant présent également dans le domaine de
l'assurance, ayant six millions de clients pour une population de huit millions
de foyers.
M. André Ferrand a demandé au président de TNT Post Group
quelles étaient les modalités de la franchise des plus petits
bureaux de poste aux Pays-Bas. Evoquant la stratégie allemande d'une
tarification élevée du timbre, il s'est interrogé sur
l'opportunité, pour l'opérateur français, de relever
provisoirement ses tarifs afin d'accroître sa profitabilité et
d'investir dans sa croissance externe avant l'ouverture à la
concurrence. Il lui a enfin demandé si les différences
d'identité culturelle étaient un obstacle à la
constitution d'alliances entre les opérateurs historiques
français et néerlandais.
M. Ad Scheepbouwer a précisé les modalités de franchise
des petits bureaux postaux :
- les bureaux à plus faible trafic ont été
délégués en franchise à certains employés
qui le souhaitaient, moyennant une aide financière de TPG ;
- des chaînes de détaillants, telles que les
supermarchés, ont également été
franchisées ;
- dans les plus petits villages, la franchise a été
attribuée, le cas échéant, à l'unique commerce
existant.
Revenant à la stratégie allemande d'un prix du timbre
élevé, M. Ad Scheepbouwer a jugé qu'il ne
s'agissait pas d'une solution soutenable dans le cadre de l'ouverture à
la concurrence. Il a considéré qu'il serait en outre difficile,
pour cet opérateur, de baisser ultérieurement ses tarifs, compte
tenu de sa prochaine introduction en bourse, qui implique qu'il prenne des
engagements de rentabilité auprès de ses futurs actionnaires. Il
a estimé qu'une augmentation de la rentabilité interne et de la
productivité, ainsi qu'un investissement dans les secteurs à
forte croissance représentaient des solutions plus durables.
Il a considéré que les problèmes culturels étaient
toujours les plus difficiles à gérer dans les différentes
alliances et fusions, même s'ils pouvaient être surmontés
à condition que chacun des partenaires trouve à l'association un
bénéfice suffisant.