III. L'IMMOBILISME DU MINISTÈRE EN MATIÈRE DE RÉGLEMENTATION DE LA PUBLICITÉ
A. UNE COMPÉTENCE RÉCENTE DU MINISTÈRE DE L'ENVIRONNEMENT
Après le transfert de la direction de l'architecture du
ministère de l'équipement au ministère de la culture, une
forte pression émanant du ministre de l'environnement de l'époque
conduisit le Premier ministre Alain Juppé à trancher au mois
d'avril 1997 en faveur du transfert des compétences en matière de
publicité au profit de l'administration de l'environnement, en
dépouillant ainsi une fois encore le ministère de
l'équipement.
Cette innovation semblait alors logique, et de nature à produire des
effets positifs ; on pouvait en effet espérer que la prise en
compte de l'impact des panneaux publicitaires qui se multipliaient sur notre
territoire, en nombre et en volume, par les services de l'environnement,
aboutirait à une réflexion cohérente et modératrice.
Or, plus de deux ans après ce transfert de compétences,
l'administration de l'équipement continue à être
sollicitée par les DIREN pour instruire les déclarations
préalables des panneaux publicitaires, et les services
déconcentrés de l'environnement n'ont ni défini ni
appliqué une politique claire et concrète dans ce domaine. Cette
carence est d'autant plus regrettable que les professionnels consultés
par votre rapporteur
1(
*
)
, qu'ils
interviennent comme publicitaires ou annonceurs, sont aujourd'hui très
désireux de sortir de l'impasse que représente pour eux la
multiplication anarchique des panneaux, qui finissent pas s'annuler
mutuellement.
Mais peut-être faudrait-il également, pour remédier
à cette anarchie, s'interroger sur le champ d'application de la loi de
1979 sur l'affichage dont il n'est pas certain qu'elle puisse, dans son
état actuel s'appliquer utilement aux enseignes et
pré-enseignes.
B. UNE NÉCESSAIRE RÉFLEXION SUR L'URBANISATION INCOHÉRENTE DES ENTRÉES DE VILLES
1. Le rapport sur les entrées de villes publié au mois d'octobre 1994
La
conception des entrées de villes dans notre pays n'a pas encore fait,
jusqu'à présent l'objet d'une politique volontariste.
La mission, qui avait été confiée à votre
rapporteur par MM. Barnier et Bosson en 1994, avait mis en lumière le
fait que les entrées de villes s'étaient constituées sans
projet d'ensemble et sans politique véritablement définie. Pour
remédier à cette situation, et notamment en l'absence de
réflexion spécifique sur les entrées de villes, un
amendement avait été intégré, à l'initiative
de votre rapporteur, à la loi " Barnier " du 2 février
1995, applicable à partir du 1
er
janvier 1997.
Cet amendement tendait davantage à susciter une réflexion
qu'à alourdir la réglementation. Il avait pour objet de provoquer
une " stratégie de rupture " : rupture dans les
comportements et les modes de pensée, d'abord, puisqu'il s'agissait de
prendre conscience de la nécessité d'un effort de planification
et d'aménagement, mais qui devait se traduire aussi sur le terrain, par
une différenciation mieux marquée entre les zones urbaines et les
zones rurales, dans lesquelles les axes de circulation n'ont pas vocation
à se transformer en rues commerciales.
Le rapport de 1994 avait également conduit les deux ministres
précités à créer, le 26 avril 1995, le
Comité national des entrées de villes (CNEV). Ce comité
avait pour objectif d'assurer une sensibilisation au problème des
entrées de villes et une concertation de tous les acteurs
intéressés ; il était également chargé
d'organiser un Palmarès national des entrées de villes.
2. Le Comité national des entrées de villes
•
Bilan du CNEV
Le CNEV est une instance de réflexion, de concertation, d'impulsion et
de sensibilisation, ainsi qu'une force de proposition ; c'est aussi un
lieu de rencontres et d'échanges d'expériences. Il est en effet
composé de représentants des différentes administrations
et établissements publics compétents, des élus, des
associations, des acteurs économiques, des maîtres d'ouvrages et
maîtres d'oeuvres ; y ont été associés les
maires des communes ou présidents d'établissements publics de
coopération intercommunale primés au Palmarès.
Il s'adresse aux agglomérations, communes ou communautés de
communes et s'appuie sur les relais territoriaux existants, tant auprès
des services de l'Etat (DDE, DIREN) que des collectivités territoriales
ou des établissements publics (Caisse des dépôts, agences
d'urbanisme, CAUE, CCI) ; il est également sollicité par les
établissements d'enseignement supérieur en urbanisme et
architecture et par les organismes de formation professionnelle ou permanente.
En trois ans, le CNEV s'est affirmé comme un organisme dont
l'intérêt et l'activité ont été reconnus par
les différents partenaires.
Le CNEV a établi, en liaison avec les services de la direction de
l'architecture et de l'urbanisme et la direction de la nature et des paysages,
le Palmarès national des entrées de villes, (280 candidatures, 7
villes lauréates, 8 villes mentionnées), proclamé le
20 novembre 1996 au congrès de l'Association des maires de France, et
qui a donné lieu à l'organisation d'une exposition.
Il a apporté sa participation à une centaine de manifestations de
sensibilisation ou de formation.
Il a tenu les premières Assises nationales des entrées de villes
à Amiens, les 16 et 17 septembre 1997. A cette occasion, les
représentants des quatre ministères intéressés
(équipement, environnement, culture et commerce) ont reconnu
l'importance du sujet, salué l'action menée par le Comité
national et
se sont engagés à favoriser la demande des acteurs
économiques de lancer quelques opérations exemplaires de
restructuration
.
Une brochure présentant les objectifs et les actions menées par
le CNEV a été éditée conjointement par les
ministères chargés de l'équipement et de l'environnement.
Un Observatoire des entrées de villes, installé sur Internet,
était en cours de réalisation au centre de documentation de
l'urbanisme (CDU) du ministère de l'équipement.
La région Ile-de-France, qui a participé à la
dernière réunion du comité national, le 23 avril 1998, a
demandé que soit constitué un groupe de travail spécifique
Ile-de-France, ayant pour premier objectif de dynamiser et de suivre des
opérations de restructuration.
Enfin, un groupe de pilotage a été constitué au sein du
CNEV pour assurer le lancement et le suivi d'actions de restructuration. Un
premier site a été sélectionné :
l'entrée nord de Poitiers, située sur trois communes, entre le
Futuroscope et Poitiers. Le groupe de pilotage a participé à une
première réunion locale, avec les représentants des
élus et des administrations, organisée en liaison avec le CNEV
et, à sa demande, par la DDE. Un second site est à
l'étude, celui de l'entrée sud d'Orléans.
•
Perspective
Le CNEV a pour objet de contribuer à la qualité de l'urbanisme,
à la réhabilitation des paysages aux abords des villes et dans
les quartiers périphériques et à la maîtrise de la
publicité : c'est une tâche assez importante pour que lui
soient redonnés tous les moyens de l'assurer.
L'urbanisme anarchique n'a, malheureusement, pas cessé de sévir,
mais les demandes d'informations des maires sont de plus en plus
nombreuses : de surcroît, l'Association des maires de France est
désormais attentive à ce problème.
Au niveau national, les acteurs économiques -publicitaires,
représentants des grandes enseignes- mais aussi les architectes et les
paysagistes, les associations et les élus ont pris en compte l'existence
du CNEV, ainsi que la Caisse des dépôts et consignations.
L'action du CNEV devrait ainsi s'orienter dans deux directions
complémentaires : le suivi de la mise en place des
règlements de publicité, mais aussi la restructuration des
entrées de villes existantes.
Une politique d'entrées de ville nécessite une coordination
approfondie de l'ensemble des acteurs privés et publics
impliqués. Les acteurs privés sont les différents types de
commerces, les concessionnaires automobiles, les ateliers et
établissements industriels et les zones de logements, quand elles
existent. Les emprises publiques supportent la voirie, les infrastructures
ferroviaires, les équipements d'électricité, les
installations collectives du type chauffage urbain ou déchets.
Le Comité des entrées de villes a, jusqu'à présent,
entretenu la réflexion sur ce sujet. Pour redonner à cette
politique sa véritable dimension, il est proposé de mettre en
place une initiative forte consistant à susciter la
réorganisation d'un certain nombre d'entrées de villes, qu'il
s'agisse de banlieues de grandes agglomérations ou d'entrées de
villes moyennes. Ces projets feraient l'objet d'un concours d'initiatives
permettant une sélection et seraient assorties d'un financement national
qui viendrait en appui des plans de financement prévus.
Ces projets seraient sélectionnés selon une procédure qui
associerait l'ensemble des partenaires (association des maires de France,
fédération des commerçants et autres partenaires
intéressés).
Parmi les points principaux traités par les dossiers pourraient
figurer :
• le réaménagement des entrées de villes ;
• la modernisation des magasins ;
• l'aménagement paysager des zones ;
• l'optimisation des flux de circulation ;
• la réduction des placards publicitaires.
Pour faciliter la mise en place de ces projets, il pourrait être
prévu que le thème du dossier soit traité de
manière globale de façon à favoriser la cohérence
des projets présentés.
Le financement pourrait être imputé sur les investissements
portant sur emprises publiques par les partenaires publics, et les
investissements sur emprises privées par les partenaires privés
intéressés.
Des organisations du commerce de types différents seraient prêtes
à s'associer à une telle démarche permettant ainsi
d'adapter notre territoire aux souhaits et aux besoins de nos concitoyens et de
faire de ces zones, qui ont permis de soutenir le dynamisme de la consommation,
des endroits de mieux en mieux insérés dans un urbanisme
d'ensemble.
3. L'état actuel de la question et les chances d'une reconquête
L'ensemble des auditions effectuées ont
démontré que la situation actuelle en matière
d'urbanisation et de publicité est jugée par les intervenants
économiques eux-mêmes comme très préoccupante, et
finalement contraire à leurs intérêts. Les élus
locaux sont également très sensibles à cette
dégradation des abords de leurs communes, qui n'apparaît plus
inexorable.
C'est pourquoi l'absence d'interlocuteurs compétents en ce domaine au
sein du ministère de l'environnement est particulièrement
préoccupante, car le moment est venu où l'ensemble des acteurs
impliqués dans une possible démarche d'amélioration de ces
secteurs, auparavant abandonnés aux jeux des seuls intérêts
commerciaux, sont disposés à réfléchir à une
stratégie et aux moyens à mobiliser pour une
" reconquête " des entrées de villes.
Sachant que la France constitue, en Europe, une fâcheuse exception
(tous nos partenaires se sont en effet pourvus de dispositions contraignantes
qui obligent à une urbanisation raisonnée et adaptée aux
paysages locaux)
et que les acteurs intéressés à cette
reconquête
-élus, industriels, commerçants,
publicitaires-
sont désormais conscients de sa
nécessité, il faut en définir au plus tôt les
instruments d'action
. Ce sont, en effet, trente ans d'anarchie urbanistique
qui ont abouti à ces résultats consternants, et
l'amélioration souhaitée ne pourra s'opérer que dans la
durée.
La
stratégie de rupture
proposée par le rapport de 1994,
et visant à une interdiction de construire le long des axes routiers,
constituait une incitation à entreprendre une réflexion sur la
nature de l'urbanisme souhaité pour ce type de zone.
Elle a eu des effets très positifs, car elle a conduit à la
réalisation d'études de grande qualité, menées par
des architectes privés ou des CAUE (conseils d'architecture, d'urbanisme
et d'environnement), dont les compétences ont été
stimulées par ces demandes de réflexion. Dans certains cas, les
conséquences ont été plus modestes, avec des
stratégies visant à masquer l'enlaidissement des zones
situées entre deux agglomérations par des implantations florales
ou arborées.
Mais il s'agit, désormais, pour passer véritablement au stade de
la reconquête, que l'on ne se contente plus de mesures palliatives,
prises en l'attente de véritables projets, mais que l'on débouche
sur des réalisations concrètes.
D'une part, il importe de ne pas perdre de temps, car la
" reconquête " des entrées de villes est une oeuvre de
longue haleine : sans doute faudra-t-il autant de temps pour leur
réhabilitation qu'il en aura fallu pour consommer leur
dégradation.
D'autre part, le moment est propice : les grands équipements
commerciaux qui se sont mis en place dans les années 1960 et 1970 ne
correspondent plus à l'évolution du grand commerce ou sont dans
un état nécessitant leur rénovation, voire leur
reconstruction.
Votre rapporteur a pu mesurer, lors des auditions auxquelles il a
procédé, que les différents partenaires ont conscience de
la nécessité d'une action rapide :
*
les élus locaux,
tout d'abord, sont désormais pleinement
conscients de la nécessité de cette reconquête des zones
qui séparent leurs agglomérations. Cette démarche est
appuyée par des élus de toutes tendances politiques, et votre
rapporteur a ainsi reçu l'appui notamment de MM. Jean-Pierre Sueur,
maire d'Orléans et président de l'Association des maires des
grandes villes, Jean-François Picheral, sénateur-maire
d'Aix-en-Provence, et Pierre Jarlier, sénateur-maire de Saint-Flour.
Une démarche commune a été entreprise par ces élus,
en compagnie de votre rapporteur, auprès du ministère de
l'équipement, des transports et du logement.
M. Sueur l'a appuyée par un courrier détaillant l'état de
la situation, et la nécessité d'entreprendre rapidement une
action significative de réhabilitation.
*
les acteurs économiques
sont également prêts
à une initiative en terme de réhabilitation des locaux
commerciaux implantés aux abords des villes.
La grande distribution, qui est la cible de nombreuses attaques sur sa
stratégie économique, souhaite y répondre, au moins
partiellement, par des implantations de meilleure qualité, et mieux
insérées dans leur environnement.
*
les afficheurs
, enfin, ont pris conscience que la multiplication des
panneaux publicitaires implantés aux abords des villes en annulait le
message, et donnait de surcroît une image négative de leur
profession.
Tous ces éléments devraient conduire à l'inscription, dans
les contrats de plan Etat-régions actuellement en discussion, d'une
ligne financière affectée spécifiquement à cette
action.
L'utilisation d'une partie des crédits inscrits au Fonds d'intervention
pour la sauvegarde de l'artisanat et du commerce (FISAC), mis en place en 1992,
pourrait, si le ministère compétent y consentait,
opportunément contribuer à la rénovation de l'urbanisme
commercial, d'autant plus que les contraintes auxquelles se heurtent les
modifications souhaitables de cet urbanisme se sont multipliées ces
dernières années.
Enfin, qu'il soit permis à votre rapporteur de souligner la
nécessité de faire avancer l'idée selon laquelle
l'élaboration d'un document d'urbanisme engage l'avenir : un des
moyens d'y parvenir serait peut-être de faire figurer les dépenses
correspondantes parmi les dépenses d'investissement des budgets
communaux.
La réhabilitation des entrées de villes et
d'agglomérations ne peut procéder d'une " recette " ou
d'une démarche uniques, puisqu'elle a précisément pour
objet de restituer leur identité à des lieux aujourd'hui
banalisés. Elle dépendra donc pour l'essentiel de la
volonté commune de toutes les parties concernées de
réparer les conséquences des errements passés. La
réglementation peut y contribuer, mais ne peut résoudre tous les
problèmes -d'autant moins que toute réglementation suscite
inévitablement la tentation de la contourner.
C'est pourquoi, en conclusion de ce bref rappel d'un sujet qui
mériterait certes une étude plus ample et plus approfondie, votre
rapporteur voudrait souligner que l'intérêt qu'il a
rencontré parmi ses interlocuteurs -élus, administrations
compétentes, entrepreneurs- en paraît constituer le meilleur
encouragement à persévérer dans la volonté
d'améliorer, à travers la " reconquête " des
entrées de villes et d'agglomérations, le cadre et la
qualité de notre vie quotidienne.
*
* *