II. TOUTEFOIS LA VALORISATION INDUSTRIELLE DE LA RECHERCHE EST DÉCEVANTE
A. UN CONSTAT DÉSORMAIS BIEN ÉTABLI
Dans
leur lettre de mission adressée le 31 juillet 1997 à M. Henri
Guillaume, les ministres de l'éducation nationale, de la recherche et de
la technologie, de l'économie, des finances et de l'industrie, et le
secrétaire d'Etat à l'industrie notaient :
" Notre
pays dispose d'un potentiel scientifique et technologique de premier plan, mais
à l'instar d'autres pays européens, le couplage de ces
découvertes et de ces connaissances avec les activités
industrielles s'effectue moins facilement qu'aux Etats-Unis et au
Japon. "
Le constat est en effet maintenant bien établi et admis par
tous : les retombées industrielles de la recherche française
sont médiocres. Il est ainsi significatif de noter que la bonne tenue,
rappelée plus haut, des publications scientifiques françaises
n'empêche pas l'affaiblissement des positions technologiques de notre
pays.
L'Institut de l'entreprise, dans un rapport de janvier 1998 intitulé
Innover et entreprendre
, avait dressé un tableau du
positionnement de la France vis-à-vis de l'innovation, duquel il ressort
que notre pays présente de nombreux handicaps.
Trop peu de grandes entreprises françaises sont présentes dans
les secteurs à forte croissance.
En 1996, 24 % des entreprises françaises présentes au sein
des 500 premières entreprises mondiales appartiennent au secteur
à croissance négative (équipement industriel,
ingénierie et construction), et 42 % au secteur à croissance
faible (chimie de base, aéronautique, automobiles et
équipementiers...). En revanche, 47 % des entreprises
américaines et 50 % des entreprises britanniques
équivalentes appartiennent aux secteurs à croissance moyenne
(télécommunications, assurances, grandes surfaces...) ou forte
(pétrole, pharmacie, produits financiers...), contre seulement 34 %
des entreprises françaises.
Le retard de la France dans des domaines d'avenir, notamment les
technologies de l'information et les biotechnologies, est patent.
Notre
pays dispose d'une compétitivité technologique médiocre
dans ces secteurs mais excellente dans le domaine de l'aérospatial,
très représentatif du modèle français des grands
programmes technologiques.
Dans le domaine des nouvelles technologies de la communication et de
l'information, il apparaît que les dépenses informatiques en
France sont environ moitié moindres que celles des Etats-Unis. En 1997,
ce pays comptait 40 serveurs Internet pour 1.000 habitants. Ce chiffre
était de 25 en Suède et de 7 en Allemagne. La France occupait la
dernière position, avec 4 serveurs pour 1.000 habitants, juste devant
l'Italie (3 serveurs). D'une manière générale, la position
de la France dans ce secteur s'est affaiblie au cours des années 1990.
En outre, la France privilégie trop la recherche fondamentale au
détriment de l'innovation et du développement de produits
nouveaux.
Selon la Commission européenne, en 1990, notre pays consacrait
51,4 % de ses dépenses de recherche et développement
à la recherche fondamentale et appliquée, et 48,6 % au
développement de produits nouveaux. A la même époque, les
principaux pays industrialisés attachaient plus d'importance au
marché des produits finis, pour lequel l'Allemagne consacrait 51 %
de ses dépenses de recherche et développement, les Etats-Unis
62,2 % et le Japon 63,2 %.
La France présente également une situation défavorable
en matière de brevets.
Les parts mondiales de dépôts de brevets dans les systèmes
européen et américain mesurent les positions technologiques des
pays concernés. Or, il apparaît que
les positions
technologiques de la France ont chuté de 20 %
depuis 1987
, le
rythme de cette contraction de la part mondiale de la France s'accentuant,
comme le montre le tableau ci-après. En outre, la part de la France
diminue au sein de l'Union européenne. L'industrie française a vu
sa part dans le brevet européen et américain chuter,
respectivement, de 18 et 19 % entre 1990 et 1996, et sa part de
marché international diminuer de 2 %. Elle se situe au
9
ème
rang en matière de dépôt de brevets,
alors qu'elle occupe la deuxième place pour son effort de recherche.
En outre,
les brevets déposés par les entreprises
françaises se situent plutôt dans les secteurs à faible
croissance.
Selon l'Office mondial de la propriété
industrielle, les Français déposent 2,2 brevets pour 1.000
habitants contre 4,7 en Allemagne et aux Etats-Unis. En outre, la France se
montre peu innovante dans les secteurs d'avenir : elle représente
6 % des dépôts mondiaux de brevets européens en 1993,
contre 11 % au Royaume-Uni et 54 % aux Etats-Unis. Les proportions
sont relativement similaires dans le secteur de l'informatique ou dans celui
des produits pharmaceutiques. Enfin,
la balance technologique de la France,
qui reflète l'écart entre les achats et les ventes de brevets,
est déficitaire.
Les entreprises françaises sont nettement moins créatrices de
valeur que les entreprises anglo-saxonnes.
En 1995, l'accroissement de la capitalisation boursière des 200 premiers
groupes français était inférieur à 400 milliards de
francs, tandis qu'il était de 434,5 milliards de francs pour les 4
premiers groupes britanniques et de 986,6 milliards pour les 4 premiers groupes
américains.
B. LA FAIBLESSE DES CRÉATIONS D'ENTREPRISES
Depuis 1991, la création d'entreprises en France diminue, comme le montre le tableau ci-dessous :
Années |
Créations pures |
Indice |
1987 |
195 000 |
100 |
1988 |
199 000 |
103 |
1989 |
204 000 |
104 |
1990 |
195 000 |
100 |
1991 |
179 000 |
94 |
1992 |
173 000 |
92 |
1993 |
171 000 |
92 |
1994 |
185 000 |
98 |
1995 |
179 000 |
95 |
1996 |
172 000 |
92 |
Source : APCE |
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|
En 1996,
275.000 entreprises ont été créées, reprises ou
réactivées. Près de 172.000 entreprises ont
été créées
ex nihilo
, notamment dans le
secteur du commerce et des services aux entreprises, contre 195.000 dix ans
plus tôt. 58.000 entreprises étaient réactivées et
46.000 reprises. La plupart des créations pures concernent des
entreprises de très petite taille : 76 % des entreprises
créées n'emploient aucun salarié en dehors du chef
d'entreprise. 50 % des créateurs ont investi moins de 50.000
francs. En 1997, 272.000 entreprises ont été
créées, soit un niveau inférieur à celui atteint
l'année précédente. Cette légère baisse
résulte du recul de 2,4 % des créations nouvelles, tandis
que le nombre des reprises et des réactivations évolue peu.
Les entreprises créées ou reprises ont engendré, en 1996,
541 000 emplois. 17 % des salariés du secteur
privé appartiennent à des entreprises créées ou
reprises depuis moins de 5 ans.
Le taux de mortalité des entreprises nouvellement
créées apparaît relativement élevé.
Une
entreprise sur deux n'existe plus sous sa forme initiale au bout de 5 ans. Il
convient cependant de préciser que de fortes disparités de survie
existent selon la nature de l'activité de l'entreprise
créée. Ainsi, le taux de survie est très
élevé dans le secteur des services aux particuliers, mais faible
dans celui des hôtels-cafés-restaurants. Enfin, la durée de
vie des entreprises créées est d'autant plus longue qu'elles
comptent davantage de salariés.
D'une manière générale,
la création
d'entreprises en France présente trois grandes
caractéristiques :
- le nombre d'entreprises créées diminue lentement depuis
plusieurs années, et même si ce processus semble s'être
inversé depuis 1998, il n'est pas certain que cette inflexion de
tendance soit durable.
- en moyenne, une entreprise sur deux n'existe plus 5 ans après sa
création ; toutefois, le taux de continuité de ces
entreprises, qui peuvent subsister sous une autre forme, est de 58 %, soit un
taux comparable à celui des autres pays développés ;
- la France compte peu d'entreprises moyennes, mais beaucoup de très
petites entreprises, dont la moitié n'emploie aucun salarié.
La conjonction d'un niveau relativement faible de créations
d'entreprises et d'un positionnement défavorable sur les secteurs
à forte croissance explique que la France ne bénéficie que
faiblement des bienfaits de l'innovation.
Depuis la fin des années 1980 et le début des années 1990,
de nouvelles théories économiques mettent en exergue le
rôle de l'innovation dans le processus de croissance.
Ces
théories de la " croissance endogène "
font de
l'innovation le moteur du développement économique : elles
rejoignent des théories plus anciennes soulignant le rôle du
progrès technique.
Or, de nombreuses études révèlent une
corrélation entre innovation et création d'emplois
. Dans
le rapport du Conseil d'analyse économique précité, MM.
Robert Boyer et Michel Didier indiquent qu'
" une politique dynamique
d'innovation permet d'obtenir un emploi supérieur d'environ
1,2 % "
, alors même que la conjoncture a été
globalement défavorable à l'emploi au cours de la première
moitié de la décennie 1990. Les auteurs
ajoutent :
" Les entreprises innovantes sont plus souvent
exportatrices, elles ont une croissance plus élevée et elles
investissent davantage que les autres entreprises ".
En outre,
l'innovation engendre une plus grande différenciation des produits, et,
grâce au renforcement de la concurrence qu'elle induit, contraint les
entreprises à plus de flexibilité et de réactivité
face aux évolutions du marché.
Le faible bénéfice tiré par notre pays de l'innovation
a des conséquences très tangibles sur les créations
d'emplois.
De 1973 à 1997, le nombre d'emplois a augmenté
d'à peine un million en France, mais de 43 millions aux Etats-Unis.
Oubliant la thèse du déclin qui prévalait à la fin
des années 1980, les Etats-Unis ont pleinement tiré profit d'une
croissance durablement soutenue, d'un marché du travail souple et
dynamique et d'une explosion des nouvelles technologies. Si, depuis 1980,
l'économie américaine a perdu 44 millions d'emplois, elle en a
aussi créé 73 millions, contre 4 millions seulement en Europe.
Dans l'ensemble des pays de l'OCDE, de 1983 à 1995, seul le secteur des
hautes technologies a vu l'emploi croître de 3,3 %, alors que
l'industrie manufacturière a connu une régression de ses
effectifs de 19,4 %. 80 % des 7,7 millions d'emplois
créés aux Etats-Unis entre 1991 et 1995 proviennent des
entreprises de croissance.