III. LA DÉCENTRALISATION : UNE GRANDE REFORME À LA CROISÉE DES CHEMINS
La
décentralisation est une grande réforme qui apparaît
malheureusement aujourd'hui à bien des égards à la
croisée des chemins
.
La gestion décentralisée a pourtant très largement fait la
preuve de son
efficacité
. Contrairement à certaines
prédictions pessimistes qui avaient pu être faites à
l'origine, la gestion financière locale a été globalement
très saine
. Les collectivités locales ont ainsi
apporté une contribution majeure au respect des critères du
Traité de Maastricht pour le passage à la monnaie unique. Elles
ont, par ailleurs, mis en oeuvre un effort considérable en faveur des
équipements
, réalisant près des trois quarts de
l'investissement public national. Enfin, la décentralisation -ce n'est
pas le moindre de ses mérites- a
rapproché le processus de
décision des citoyens
.
Elle apparaît désormais -les solutions mises en oeuvre dans les
Etats européens voisins en portent témoignage- comme une
réponse adaptée
aux nouveaux défis de notre
société face auxquels une
gestion de proximité
est
la mieux à même de promouvoir la nécessaire
cohésion sociale et territoriale
.
Pourtant, force est de constater la persistance de
certains obstacles
à la décentralisation, dus en particulier à la trop lente
adaptation de l'Etat aux conséquences de cette grande réforme,
notamment quant à la
redéfinition de ses missions
et
à la
déconcentration
indispensable de ses moyens. Bien
plus, les signes d'une volonté de
recentralisation
apparaissent,
en particulier quant aux ressources des collectivités locales.
Ainsi, réaffirmer une
grande ambition
pour la
décentralisation apparaît plus que jamais nécessaire, alors
que la complexité croissante des mandats locaux pèse sur beaucoup
de maires et que les réformes proposées par le Gouvernement
suscitent de fortes interrogations tant sur l'évolution du
système de financement local que sur l'organisation
territoriale.
A. UN ENJEU MAJEUR POUR LA DÉMOCRATIE LOCALE : SIMPLIFIER LES CONDITIONS D'EXERCICE DES MANDATS LOCAUX
Alors
que l'Association des maires de France a opportunément choisi pour
thème de son congrès de 1998
" les maires et le lien
social ",
les
difficultés croissantes
du mandat de maire
constituent une préoccupation majeure.
Les élections municipales de 1995 avaient déjà
été marquées par la forte proportion de maires qui avaient
décidé de ne pas se représenter.
Une enquête récente
2(
*
)
met en lumière que cette
situation pourrait se reproduire en 2001, près d'un maire sur deux
(45 %) ne souhaitant pas voir leur mandat renouvelé à cette
date.
Ce risque d'un
tarissement
des vocations municipales constitue un
enjeu majeur
pour la démocratie locale.
Comme l'a admis devant votre commission des Lois, M. Jean-Jack Queyranne,
ministre de l'Intérieur par intérim, il justifie une
réflexion approfondie sur le
statut de l'élu
, dont les
insuffisances doivent être soulignées. Ce statut doit être
adapté aux
responsabilités accrues
qu'assument les
élus locaux dans le cadre de la décentralisation. Une telle
exigence apparaît d'autant plus forte au moment où le Gouvernement
propose au Parlement de renforcer les incompatibilités entre les mandats.
Les
symptômes des charges croissantes
pesant sur les maires ont
été identifiés, depuis plusieurs années, par votre
commission des Lois, notamment dans son avis annuel sur le projet de loi de
finances et dans le cadre des groupes de travail qu'elle a constitués
sous la présidence de M. Jean-Paul Delevoye, président
de l'Association des maires de France, sur la responsabilité
pénale des élus locaux
3(
*
)
et sur la décentralisation
4(
*
)
. Plus récemment, le
groupe de travail -commun à la commission des Finances et à la
commission des Lois, présidé par M. Jean-Paul Amoudry-
sur les chambres régionales des comptes
5(
*
)
a mis en évidence le bilan
contrasté du contrôle financier.
La
complexité croissante
des
réglementations
et des
normes
constitue la principale difficulté rencontrée par
les maires dans l'exercice de leurs fonctions. Comme l'écrivait notre
collègue Pierre Fauchon (rapport précité)
"
pour tout citoyen, l'adage " Nul n'est censé ignorer la
loi " perd de son sens face à la prolifération et à
la complexité croissante des normes. Les élus locaux -auxquels
sont confiées des missions spécifiques dans l'application des
réglementations- sont également en droit d'attendre que celles-ci
soient claires dans leur formulation et facilement accessibles ".
En dépit de l'avancée indéniable qu'a constitué la
promulgation en 1996 de la
partie législative du code
général des collectivités territoriales
, force est de
constater que de grands progrès restent à accomplir.
Près de trois ans après la publication de la partie
législative, la codification de la
partie réglementaire
est toujours
en chantier
. Si la difficulté de la tâche est
incontestable (
600
textes réglementaires d'application et
leurs modifications, dont le code des communes, ont été
recensés ;
2 600
articles sont actuellement
concernés), votre commission des Lois souhaite qu'elle puisse
désormais être achevée rapidement.
En outre, la codification n'est pas synonyme de
stabilité
juridique
: depuis la publication de la loi du
21 février 1996, la partie législative du code
général des collectivités territoriales a
déjà fait l'objet de
18 lois
modifiant, créant
ou abrogeant
131 articles
du code. Celui-ci, qui comptait 1 710
articles à sa publication, en comptait
1 790
à la fin
de 1996 et
1 798
en juillet 1998.
En outre, quel que soit l'intérêt réel de cette
codification, force est de constater que les
normes
applicables aux
collectivités locales restent éparpillées dans des textes
épars et que leur contenu -comme l'avait relevé le groupe de
travail sur la responsabilité pénale des élus locaux- est
trop souvent marqué soit par une
très grande
imprécision
soit, au contraire, par une
trop grande
technicité
.
Enfin, les
normes techniques
qui s'imposent de plus en plus aux
collectivités locales -en particulier dans le domaine de
l'environnement- suscitent des charges financières et une
instabilité juridique qui préoccupent légitimement les
élus locaux.
Le Gouvernement a décidé de confier à l'inspection
générale de l'administration une mission visant à recenser
les procédures actuelles et de faire des propositions pour
améliorer les modalités d'établissement des normes
techniques. Il a, par ailleurs, souhaité que les associations
d'élus locaux soient davantage consultées sur les dispositions
réglementaires rendant obligatoires des normes concernant les
collectivités locales.
Les études d'impact accompagnant les projets de lois et les projets de
décrets au Conseil d'Etat devraient prendre en compte les incidences des
dispositions envisagées sur les collectivités locales. Enfin, un
groupe de travail sur les normes a été mis en place au sein du
comité des finances locales.
Votre commission des Lois souhaite que cette démarche soit
approfondie
. La loi du 2 mars 1982 avait prévu que les
prescriptions et procédures techniques opposables aux
collectivités locales devaient être réunies dans un code
spécifique qui n'a jamais vu le jour. A la demande du Sénat, ces
dispositions de la loi du 2 mars 1982 ont été
codifiées aux
articles L.111-5
et
L.1111-6
du code
général des collectivités territoriales.
La
responsabilité croissante
à laquelle les maires sont
exposés
au plan juridique
constitue un second facteur majeur qui
justifie l'inquiétude légitime de beaucoup d'entre eux.
A la suite des réflexions approfondies menées par le groupe de
travail sur la responsabilité pénale des élus locaux, la
loi du 13 mai 1996, issue d'une proposition de loi dont les premiers
signataires étaient le président Jacques Larché,
M. Jean-Paul Delevoye et M. Pierre Fauchon, a
apporté une réponse législative à cette
préoccupation en ce qui concerne la mise en cause pénale
d'élus locaux pour des faits d'imprudence ou de négligence.
Cette responsabilité ne peut être désormais engagée
que s'il est établi que l'élu "
n'a pas accompli les
diligences normales compte tenu de ses compétences, du pouvoir et des
moyens dont il disposait ainsi que des difficultés propres aux missions
que la loi lui confie. "
Il reste que l'insécurité juridique ressentie par beaucoup
d'élus appelle des
mesures complémentaires
,
déjà soulignées par le groupe de travail sur la
responsabilité pénale des élus locaux, notamment pour
mieux définir le rôle des différents acteurs dans la vie
publique locale, mieux assurer l'information des élus locaux ou encore
prévenir le procès pénal. Le groupe de travail sur les
chambres régionales des comptes -qui a lui-même souligné
l'insécurité juridique des actes des collectivités
locales- a formulé des
propositions équilibrées
tendant à clarifier certains aspects de la législation, à
améliorer le contrôle de légalité notamment pour
veiller à sa complémentarité avec le contrôle
financier, à renforcer les procédures de contrôle interne
aux collectivités locales.
Le manque de
moyens financiers et humains
est également souvent
difficilement ressenti, en particulier par les maires des communes rurales.
Dans le respect des principes d'unité et de parité,
la
fonction publique territoriale doit être adaptée aux besoins
spécifiques
des collectivités locales. Votre commission des
Lois sera très attentive aux suites que le Gouvernement réservera
aux conclusions de la mission qu'il a confiée à
M. Rémy Schwartz sur les modifications éventuelles
à apporter dans le domaine du recrutement, de la formation et du
déroulement de carrière des fonctionnaires territoriaux.
Soulignant une double exigence de professionnalisation et de transparence, ce
rapport a formulé une série de propositions en vue d'une gestion
statutaire plus efficace, notamment par une meilleure coordination de la
gestion des personnels, un recrutement facilité, une valorisation et une
simplification des concours, un assouplissement des quotas pour donner plus de
souplesse aux déroulements de carrière et un renforcement de la
formation.
Lors du débat sur la décentralisation du 3 novembre dernier,
M. Emile Zuccarelli, ministre de la fonction publique, de la
réforme de l'Etat et de la décentralisation, a indiqué au
Sénat qu'il avait engagé une concertation sur les suites à
réserver à ce rapport. Il s'est montré favorable à
un certain assouplissement des seuils, notamment en abaissant à
3.500 habitants le seuil aujourd'hui fixé à
5.000 habitants pour le recrutement de secrétaires
généraux et en ouvrant aux villes de 40.000 habitants le
droit de recruter des administrateurs territoriaux. Il a en outre
écarté le principe d'une obligation de recrutement sur liste
d'aptitude en cas de déclaration de vacances d'emploi.