CHAPITRE IER -
L'EVOLUTION DE LA POLITIQUE
D'AMENAGEMENT
RURAL
La
politique nationale d'aménagement rural paraît être
aujourd'hui à un tournant.
En effet, après la mise en place de nombreux dispositifs issus de
mesures législatives significatives, intervenues en 1995 et 1996, la fin
de l'année 1996 et le premier semestre de l'année 1997
ont été marqués par la tenue du CIADT d'Auch et la
préparation du schéma national d'aménagement et de
développement rural.
Or, le nouveau Gouvernement issu des urnes en juin 1997, après une
période d'incertitudes, a souhaité ouvrir un nouveau chantier en
matière d'aménagement du territoire, remettant ainsi en cause un
certain nombre de décisions. Votre rapporteur pour avis ne conteste en
rien le droit pour le Gouvernement, de déterminer de nouvelles
orientations en la matière. Il se réserve néanmoins la
possibilité d'examiner ces décisions à la lumière
des impératifs du monde rural.
Sur le plan communautaire, la réforme des fonds structurels et de la PAC
revêt une grande importance en raison du montant des crédits
européens en faveur de la politique d'aménagement
rural.
I. LE CIADT DE DÉCEMBRE 1997 : DE NOUVELLES ORIENTATIONS
Un
Comité interministériel d'aménagement et de
développement du territoire s'est tenu le
15 décembre 1997 à l'Hôtel Matignon.
Ce CIADT a entendu lancer une nouvelle politique d'aménagement du
territoire. Il a insisté, d'une part, sur le caractère de plus en
plus urbain de la France, 80 % de la population vivant sur 20 % du
territoire et, d'autre part, sur son intégration forte au sein de
l'Europe.
C'est sur cette toile de fond que le Premier Ministre a convoqué ce
Comité interministériel dont il a précisé attendre
une implication forte en matière d'aménagement du territoire, car
si
" la ministre de l'Aménagement du territoire et de
l'environnement est, bien sûr, chef de file sur ces questions ",
" une politique d'aménagement du territoire n'est pas une somme
d'interventions ou de programmes d'actions, c'est une démarche
concertée au service d'objectifs partagés "
, a-t-il
rappelé. Ajoutant que le développement du territoire étant
au service de l'emploi, M. Lionel Jospin a considéré que
cette action était, de fait, au coeur de l'action gouvernementale.
Présentant les décisions de ce CIADT, le Premier ministre a
donné sa définition de l'aménagement du territoire qui est
de
" réduire les disparités régionales au nom de
la cohésion nationale tout en permettant à chaque territoire de
valoriser ses atouts spécifiques "
. La ministre de
l'Aménagement du Territoire, Mme Dominique Voynet, a
souhaité que le rôle de l'Etat soit moins réparateur
qu'
" incitateur et catalyseur des énergies des
territoires "
.
Enfin, le CIADT s'est clairement situé sous le signe du
développement durable, utilisant mieux les ressources et
préservant l'avenir.
Le Comité Interministériel d'Aménagement et de
Développement du Territoire (CIADT) du 15 décembre 1997
a été, en fait, l'occasion, pour le Gouvernement, de
préciser sa politique.
Le Gouvernement a fait valoir l'aspect novateur des décisions
adoptées lors de ce CIADT ; si sur certains points votre rapporteur
pour avis souscrit à cette analyse, il souhaite néanmoins nuancer
cette approche : en premier lieu, les nouvelles orientations
dégagées par le Gouvernement lors de ce CIADT -comme c'est le cas
pour la prééminence du fait urbain- ne doivent pas jouer au
détriment du monde rural. En effet, nul ne conteste le caractère
fortement urbanisé de notre population. Mais si le monde rural avait
fait l'objet de plus d'attention -comme cela était prévu dans la
loi du 25 février 1995-, certains phénomènes urbains
pourraient être, non pas résolus, mais atténués.
En second lieu, les différents points présentés par le
Gouvernement comme de nouvelles orientations (contractualisation des projets
territoriaux, planification de la politique nationale dans un cadre
communautaire) ont été déjà depuis bien longtemps
identifiés et traités. Il était donc nécessaire,
avant d'examiner ces " nouvelles orientations " d'en relativiser le
caractère prétendument novateur.
A. L'INSCRIPTION DANS UN CADRE COMMUNAUTAIRE
En
France, la politique d'aménagement du territoire a souvent
été considérée comme de la responsabilité de
l'Etat. Le seul débat éventuel a consisté à savoir
qui, de l'Etat ou des collectivités locales, du fait des lois de
décentralisation, était le plus à même de
répondre aux nécessités de cohésion sociale et
territoriale
1(
*
)
.
En faisant référence au Schéma de Développement de
l'Espace Communautaire (SDEC), alors que l'Union européenne n'a pas
compétence en matière d'aménagement, le Gouvernement a
indiqué qu'il ne peut y avoir d'avenir pour les territoires sans une
réflexion au niveau européen et sans la prise en compte d'enjeux
transnationaux. Autrement dit, le devenir du port de Saint-Nazaire ne se
décline pas seulement en termes de concurrence ou de
complémentarité avec celui du Havre, mais bien en termes de
valorisation de la façade maritime française vis-à-vis des
ports du nord de l'Europe. De même, le développement de la
couronne de régions allant du Nord-Pas-de-Calais à l'Alsace doit
être abordé en tenant compte des équilibres
infra-nationaux, mais aussi en fonction de la capacité de ces
territoires à se rattacher à l'axe central du
développement européen Londres-Francfort-Milan (la fameuse
" banane bleue "), que l'entrée des PECO dans l'Union risque
d'éloigner encore un peu du centre de gravité du territoire
national.
Ce schéma, dont la version définitive devrait être
adoptée d'ici la fin 1998, ne s'imposera pour le moment pas aux Etats.
Mais pour le Gouvernement, la réflexion engagée par les ministres
au niveau communautaire n'est qu'une première étape dans la
construction de la politique européenne d'aménagement du
territoire. Rappelons que les politiques de coopération
transfrontalière ou de coopération interrégionale
devraient faire l'objet d'encouragements notables dans le cadre des politiques
socio-structurelles mises en oeuvre à partir de
l'an 2000.
B. LA PRÉÉMINENCE DU FAIT URBAIN
Si tout
le monde s'accorde pour considérer que la dichotomie ville-campagne qui
a prévalu durant quelques décennies est aujourd'hui
révolue, le débat, en revanche, reste vif autour de
l'efficacité des politiques publiques : l'Etat doit-il faire le
pari que les territoires à dominante rurale peuvent
générer du développement à partir d'une
valorisation de leurs ressources spécifiques, ou doit-il
considérer que seul le développement urbain est de nature
à entraîner le développement territorial ?
En faisant le constat que les systèmes urbains en voie de
métropolisation sont une réponse appropriée pour la
création de richesses dans un contexte de mondialisation des
échanges, le Gouvernement semble avoir pris clairement le parti du fait
urbain : organisation spatiale des agglomérations vers un
schéma polycentrique, émergence de grands ensembles productifs
repérables au niveau international, développement des liaisons
directes entre les principales métropoles régionales et
l'Europe... sont quelques-unes des principales orientations annoncées le
15 décembre 1997.
Votre rapporteur pour avis regrette que pour les espaces ruraux, à peine
évoqués dans la nouvelle politique d'aménagement, le salut
passe trop exclusivement par un ancrage à ces politiques urbaines, par
la réorientation des politiques agricoles vers des formes de production
et de consommation de l'espace moins intensives et plus soucieuses de
l'environnement et des équilibres territoriaux, par une gestion
contractuelle de certains espaces naturels et paysagers dignes
d'intérêt, ainsi que par la protection des plus remarquables
d'entre eux.
Le projet de loi sur les espaces ruraux est donc désormais oublié.
Si l'on ne peut nier le rôle moteur des villes concentrant 80 % de
la population française aujourd'hui, probablement 90 % demain, on
ne peut que s'inquiéter des effets d'un tel coup de balancier de la
politique d'aménagement au détriment de 80 % du territoire,
car la valorisation des espaces ruraux passe, aussi, par le
développement de toutes les activités économiques,
qu'elles soient agricole, forestière, industrielle, artisanale ou de
services et, pour les plus fragiles d'entre eux, par des mesures
spécifiques.
C. LA CONTRACTUALISATION DE PROJETS TERRITORIAUX
Innovations de la fin des années 80, les contrats de
plan
Etat-régions ont permis d'engager des politiques plus coordonnées
entre l'Etat et les collectivités locales dont le champ d'intervention
avait été élargi avec la décentralisation. Ces
contrats en cours s'achevant fin 1999, les nouveaux contrats devront s'inscrire
dans une double perspective :
- celle des fonds structurels européens, pour lesquels les contrats
de plan Etat-régions constituent la contrepartie financière
nationale de l'intervention communautaire. La réforme de ces fonds
(2000-2006), prévue dans le cadre de l'Agenda 2000, doit conduire
à réduire sensiblement de l'ordre de 30% la population
éligible.
- celle des " pays " et des agglomérations, dont le CIADT
a reconnu l'importance et l'intérêt, du fait du dynamisme des
élus devant cette forme nouvelle de coopération. Près de
250 " pays " sont aujourd'hui en préparation. Sur la base
du slogan " 400 pays/100 agglomérations ", le
Gouvernement a décidé de contractualiser, dans les contrats de
plan, la mise en oeuvre de ces politiques en tant que territoires de projets,
appuyés sur des cahiers des charges, exprimant le projet de
développement et les orientations stratégiques de l'organisation
spatiale du territoire.
Même si les pays n'ont pas vocation à devenir un nouvel
échelon administratif, dotés désormais de moyens
financiers, ils devraient faire l'objet d'enjeux importants pouvant les rendre,
à terme, incontournables dans le paysage institutionnel national.
Ainsi, cette politique contractuelle pourrait, dans l'avenir, dessiner une
nouvelle organisation des territoires basée sur le triptyque
pays-agglomérations/régions/Europe, fondée sur la notion
de projet territorial.
On a coutume de dire que l'aménagement du territoire ne se
conçoit que sur le moyen et le long termes. Néanmoins, les
prochains mois seront plus que jamais décisifs pour la mise en oeuvre
des principes affichés au CIADT de décembre.
D. LA RÉORIENTATION DES INSTRUMENTS FINANCIERS
La
relance de la politique d'aménagement du territoire doit passer, selon
le Gouvernement, par la réorientation des instruments financiers. Les
différents fonds créés par la loi de 1995 sont ainsi remis
à plat à partir de trois principes de base : leur vocation
au service de l'aménagement et du développement du territoire,
une gestion plus interministérielle et la prise en compte du
développement durable :
- le Fonds national d'aménagement et de développement du
territoire (FNADT) devra ainsi financer des projets favorisant
l'émergence d'emplois durables, en privilégiant la
démarche intercommunale ;
- le Fonds d'investissement des transports terrestres et des voies
navigables (FITTVN) devra prendre en compte l'objectif de
rééquilibrage entre les modes de transport souhaité par le
Gouvernement dans une optique de développement durable ;
- le Fonds de péréquation des transports aériens voit
renforcer son caractère interministériel. Une mission d'analyse
de la mise en oeuvre du FPTA et de son adéquation aux objectifs de
l'aménagement du territoire a été confiée à
M. Henri Martre, ancien Président directeur
général de l'Aérospatiale ;
- le Fonds de gestion de l'espace rural (FGER) est intégré
au sein du dispositif relatif aux contrats territoriaux d'exploitation ;
- le Fonds national de développement des entreprises (FNDE), enfin
doté (200 millions de francs en 1998), est mis au service du
renforcement en fonds propres et d'un meilleur accès au crédit
des très petites entreprises, afin de renforcer les initiatives
locales ;
- les conditions d'emploi de la PAT, prime d'aménagement du
territoire, seront revues pour accroître l'efficacité de cet
instrument au service de la création d'emplois et d'activités
durables.
E. LES ZONES DE CONVERSION
Le CIADT
a pris une première série de mesures territoriales. Il s'agit
d'abord de décisions en faveur de cinq zones de conversion, qui
souffrent des conséquences de la restructuration de l'appareil de
défense : les bassins de Brest et Lorient, de Cherbourg et du
Cotentin, le département de la Loire et le bassin de Longwy. Le CIADT a
proposé notamment aux collectivités locales de relancer le
pôle européen de développement sous la forme d'un pacte
d'initiative et de solidarité, en accompagnement d'une
intercommunalité forte autour du projet du district urbain de Longwy.
Enfin, dans le Nord-Pas-de-Calais, la démarche commune de
développement du littoral, dans le cadre du syndicat mixte de la
Côte d'Opale sera encouragé, et devrait faire l'objet d'une
convention pour 1998-1999. De même, une convention de
développement sera passée avec les collectivités du bassin
minier.
Trois programmes d'action ont également été lancés
en faveur du développement territorial durable : un plan Massif
central, une convention de développement du Pays Basque et
l'aménagement de la vallée du Doubs.
a) Le Massif Central, un " modèle de développement durable "
Le
Gouvernement veut faire du Massif Central " un modèle de
développement durable " axé sur les filières
d'excellence, la qualité des produits et la valorisation des espaces et
des ressources locales. Ce programme, qui couvrira la période 1998-1999,
porte, au total, sur 350 millions de francs d'engagements de l'Etat qui
seront complétés, notamment, par des financements
européens.
Ce plan soutiendra la création d'entreprises en développant des
filières innovantes à l'échelle du massif, à partir
des grands pôles économiques : céramique industrielle
à Limoges, technologies du vivant à Clermont-Ferrand,
transformation de la viande et valorisation de l'eau à Limoges, la
Souterraine et Saint-Etienne. Pour aider à la création de petites
entreprises, 25 plates-formes d'initiative locale seront mises en place
grâce au FNDE.
Les produits de qualité locaux seront soutenus : agriculture
biologique, fromageries AOC, élevage à l'herbe, etc. Le tourisme
sera encouragé grâce à l'aménagement de la
vallée du Lot et aux 20 stations thermales du Massif.
Afin d'assurer la cohésion du Massif, les services de l'Etat y seront
modernisés, les nouvelles technologies développées, les
réseaux de transports rénovés, qu'il s'agisse du rail ou
des routes et autoroutes dont le calendrier d'achèvement a
été précisé.
Enfin, le Massif central devient un territoire d'expérimentation et
d'excellence européenne dans le domaine de la gestion environnementale
par la valorisation de nouveaux métiers dans le domaine de l'eau, par le
soutien à la création d'un conservatoire botanique et l'aide
à la création d'une dizaine de zones industrielles conçues
dans une logique de développement durable.
b) Le Pays Basque
La réflexion prospective " Pays Basque 2010 ", initiée en 1992 avec le soutien de la DATAR, s'est traduite par un schéma d'aménagement et de développement du Pays Basque, qui a été reconnu comme pays en tant que tel, a été constaté par l'arrêté préfectoral du 29 janvier 1997. Le CIADT a décidé d'accompagner la mise en oeuvre de ce schéma au moyen d'une convention de développement passées avec les collectivités concernées. Cinq domaines d'intervention ont été retenus : le patrimoine et les actions culturelles, le développement portuaire et les dessertes terrestres, la diversification de l'offre d'enseignement supérieur et l'enseignement de la langue basque, l'organisation touristique et l'appui au développement agricole et à la pêche. L'ensemble des actions représente un total de 32 millions de francs, dont 16 sur le FNADT.
c) La vallée du Doubs
Un
nouveau projet de développement va être élaboré pour
la vallée du Doubs, dans un contexte nouveau qui est celui de l'abandon
de la liaison à grand gabarit Rhin-Rhône. D'ores et
déjà, des moyens à hauteur de 20 millions de francs
seront engagés en 1998 en faveur de la restauration hydraulique et
écologique du Doubs et de la lutte contre les inondations.
Soulignons que la Commission des Affaires Economiques du Sénat a mis en
place au mois de juin dernier un groupe de travail consacré aux
" Nouvelles technologies et terrtoires ".
F. UNE RELANCE DE LA POLITIQUE DE DÉLOCALISATION DES EMPLOIS PUBLICS
Le
programme de délocalisations en cours -30 000 emplois de Paris
en province pour l'an 2 000- est réalisé à
65 %. Le CIADT a arrêté une quinzaine d'opérations
portant sur un total de 1889 emplois en faveur de zones de restructuration
de la défense et permettant d'accentuer la constitution de pôles
de compétence.
Seront ainsi étudiés : le transfert de l'ENSTA à Brest, la
création en Bretagne, dans le cadre de la DCN,d'un centre
d'ingénierie dans le domaine des bâtiments de surface, le
renforcement de l'Ecole de gendarmerie de Tulle, la faisabilité d'un
pôle de soutien logistique des Armées dans la Loire. Par ailleurs,
l'antenne de Brest du CETMF sera renforcée ainsi que l'ENIM à
Lorient. Autres opérations confirmées : l'Ecole nationale
des Douanes à Tourcoing, le Centre national de formation et
d'étude de la protection judiciaire de la jeunesse à Roubaix, la
création d'une cour administrative d'appel à Douai, le CNASEA
à Limoges, l'étude des conditions du transfert sur un site
prioritaire d'Ile-de-France de l'ANAH.
Le CIADT de décembre 1997 a, par ailleurs, pris deux
décisions importantes sur lesquelles votre rapporteur pour avis souhaite
s'arrêter quelques instants :
- en confiant à plusieurs experts des rapports en matière
d'aménagement du territoire ;
- en abandonnant plusieurs dispositions prévues dans la loi
d'aménagement et de développement du territoire (LOADT) du
4 février 1995.