IV. PROMOUVOIR LE RAPPROCHEMENT DE LA SCIENCE ET DE LA SOCIÉTÉ
A. ENCOURAGER LA VALORISATION DE LA RECHERCHE PUBLIQUE GRÂCE À UNE PLUS GRANDE MOBILITÉ DES CHERCHEURS VERS L'INDUSTRIE
L'article 14 de la loi n° 82-610 du 15 juillet 1982
d'orientation et de programmation pour la recherche et le développement
technologique de la France dispose que la valorisation des résultats de
la recherche constitue un des objectifs de la recherche publique. Or, cette
mission est encore souvent considérée par le monde de la
recherche comme une activité secondaire, un cloisonnement étroit
entre les organismes publics de recherche et les entreprises prévalant
le plus souvent.
Si des structures de coopération existent, qu'il s'agisse des
groupements d'intérêt public, des filiales, des prises de
participation ou des contrats de recherche, elles demeurent largement
sous-utilisées. Les indicateurs de cette absence de couplage entre
recherche et économie sont nombreux, et le plus significatif d'entre eux
est sans aucun doute le fait que les établissements scientifiques
eux-mêmes n'ont pas une connaissance exhaustive des ressources
résultant des activités de valorisation dont peuvent
bénéficier leurs laboratoires.
L'insuffisante mobilité des hommes entre les organismes publics de
recherche et les entreprises explique pour une large part cette
situation.
1. Développer la mobilité des chercheurs vers les entreprises
•
Une situation préoccupante
La mobilité des hommes entre le système de formation et de
recherche et les entreprises constitue à l'évidence le vecteur le
plus efficace du transfert des connaissances.
Quelle que soit la forme qu'elle revêt, cette mobilité ne peut que
générer des gains réciproques pour les entreprises et la
recherche publique. En effet, l'entreprise bénéficiera d'un
apport de compétences scientifiques de haut niveau qui lui permettront
de préciser ses besoins de recherche et de faciliter ses relations avec
les laboratoires publics, ces derniers ayant quant à eux
l'opportunité de nouer des relations contractuelles et de définir
des axes de recherche plus proches des besoins du marché.
Or, force est de constater la faiblesse des mouvements de mobilité,
faiblesse qui s'est au demeurant accentuée au cours des dernières
années.
Le tableau ci-dessous indique, pour l'année 1997, les flux de
mobilité pour chacun des établissements publics à
caractère scientifique et technologique vers le secteur
privé.
|
Effectif
|
Mobilité des chercheurs |
|
|
LFI
|
vers le secteur privé |
en % de l'effectif budgétaire |
INRA |
1 771 |
3 |
0,16 % |
CEMAGREF |
73 |
1 |
1,3 % |
INRETS |
150 |
2 |
1,3 % |
INRIA |
327 |
7 |
2,1 % |
CNRS et Instituts |
11 386 |
4 |
0,03 % |
INSERM |
2 115 |
6 |
0,2 % |
ORSTOM |
824 |
- |
- |
INED |
57 |
- |
- |
TOTAL |
16 703 |
23 |
0,13 % |
Le
nombre de chercheurs en mobilité dans les entreprises ne
représente donc que 1,3 pour mille de l'effectif budgétaire de
l'ensemble des établissements publics à caractère
scientifique et technologique.
Il faut souligner, en outre, que les mouvements de mobilité sont parfois
temporaires, la réintégration dans l'établissement public
succédant à la mise à disposition ou au détachement.
Par ailleurs, on relèvera que le secteur des sciences humaines, dont les
effectifs représentent près de la moitié de la recherche
publique demeure à l'écart des mouvements de mobilité.
Cela semble particulièrement regrettable dans la mesure où la
contribution des chercheurs de ce secteur à l'essor des nouvelles
technologies de la communication peut s'avérer décisive.
La volonté d'encourager la mobilité des chercheurs, pourtant
affirmée dans la loi, se heurte aux réticences des organismes
publics de recherche qui y voient à juste titre une source de
complications. Par ailleurs, les critères de notation appliqués
aux responsables des équipes de recherche ne prennent pas en compte les
activités de valorisation et ne les incitent guère à
pousser leurs chercheurs vers de telles expériences.
Votre rapporteur considère qu'un changement radical de mentalités
doit s'effectuer dans les organismes publics de recherche afin de faire entrer
la mobilité des chercheurs dans les moeurs.
A cette fin, il semble nécessaire que le ministère de
l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie comme les
directions des organismes en fassent une priorité et l'encouragent de
manière systématique. De ce point de vue, rééditant
une remarque faite l'an dernier, votre rapporteur observera à nouveau
qu'il ne lui paraît pas totalement absurde que les organismes dont les
taux de mobilité sont les plus faibles soient ceux qui
bénéficient le moins des créations d'emplois.
Une modification des critères de notation serait, sans aucun doute, de
nature à encourager une évolution en faveur d'un
développement plus systématique de la mobilité. En
même temps, une meilleure information des chercheurs sur les
possibilités ouvertes par leurs statuts, en réalité
très protecteurs, un effort de prospection des besoins des entreprises
par les organismes de recherche, une clarification des règles concernant
la création d'entreprises par des chercheurs y contribueraient
également.
2. Favoriser l'essaimage
•
Des résultats encore insuffisants
L'essaimage est depuis longtemps considéré comme la voie la plus
prometteuse de la valorisation des résultats de la recherche publique. A
l'étranger, le dynamisme du secteur des nouvelles technologies de
l'information et la communication est, pour une large part, imputable à
l'activité des multiples petites et moyennes entreprises
créées dans l'orbite ou à partir des grandes
universités.
Cependant, en dépit d'un potentiel remarquable, la France ne s'est pas
lancée dans cette voie. On peut estimer en l'absence de données
chiffrées précises qu'il se crée chaque année
environ une trentaine d'entreprises par essaimage de chercheurs issus de la
recherche publique. D'après les résultats des enquêtes
réalisées sur ce sujet, il apparaît que ces entreprises ont
un taux d'échec remarquablement faible et affichent des performances
supérieures à la moyenne en termes de chiffre d'affaires et de
créations d'emplois.
Certains organismes de recherche -mais ils constituent des exceptions-
encouragent leurs personnels à créer de telles entreprises. Nous
avons cité l'exemple de l'INRIA dans le cadre duquel ont
été créées, au cours des dix dernières
années, 28 entreprises -dont 5 seulement ont désormais
disparu- et qui représentent aujourd'hui un effectif de près de
850 salariés, soit bien plus important que celui de l'Institut
lui-même. Il en est de même des équipes de recherche de
certaines écoles d'ingénieurs notamment celles de l'école
des mines de Paris.
Néanmoins, cette démarche n'est pas partagée par
l'ensemble des établissements de recherche.
•
Adapter les règles statutaires
Les règles générales de la fonction publique comme celles
applicables plus spécifiquement aux personnels de recherche reposent sur
l'interdiction faite à un chercheur d'appartenir au service public et en
même temps de participer à la création d'une entreprise.
Or, le succès des entreprises créées par essaimage tient
précisément dans l'imbrication de ces deux activités.
La création d'une entreprise de valorisation nécessite une phase
d'adaptation d'une innovation potentielle à une innovation viable,
c'est-à-dire un bien ou un service commercialisable. Durant cette
période, il est nécessaire que le chercheur puisse
bénéficier d'une aide qui peut prendre la forme d'une mise
à disposition de locaux, de matériels ou de personnels. L'absence
de position intermédiaire entre le départ vers l'entreprise, qui
bien souvent n'est créée qu'au terme du processus de mise au
point du procédé de fabrication, et la simple consultance ne
permet pas de clarifier de manière appropriée la situation du
chercheur et de l'organisme qui l'emploie.
Le Sénat a adopté le 22 octobre dernier une proposition de loi
déposée par votre rapporteur dont l'objectif était de
lever cette difficulté juridique. Ses dispositions répondent
à une nécessité qui avait été
soulignée par le rapport de M. Henri Guillaume et s'inspirent d'un
projet de loi déposé par le précédent gouvernement.
Le dispositif retenu par la Haute Assemblée répond à la
nécessité de clarifier la situation juridique du chercheur qui
quitte son laboratoire pour créer une entreprise valorisant les
résultats de ses travaux de recherche.
Par ailleurs, elle détermine les conditions dans lesquelles un
fonctionnaire peut accorder son concours scientifique à une entreprise
assurant, en vertu d'un contrat conclu avec la personne publique dont il
relève, la valorisation des travaux qu'il a réalisés dans
l'exercice de ses fonctions.
L'adoption définitive de telles dispositions par le Parlement serait
à l'évidence de nature à encourager l'essaimage.
•
Créer les conditions favorables à la création
d'entreprises au sein des organismes de recherche et des établissements
d'enseignement supérieur ou en coopération entre divers
organismes
Au-delà d'une évolution des mentalités des chercheurs et
des responsables des organismes de recherche, le développement de
l'essaimage dépend de la mise en place de structures susceptibles de
soutenir le chercheur dans son projet en lui apportant les compétences
financières, juridiques ou commerciales qui peuvent lui faire
défaut. En effet, il n'existe pas en France, sauf dans certaines
écoles d'ingénieurs et de très rares universités
technologiques, d'"
incubateurs
" offrant aux
chercheurs un espace de travail à proximité des laboratoires et
un appui à l'élaboration de leur projet de création
d'entreprises notamment par des compétences liées à la
gestion, au marketing, au financement et à la conduite effective des
projets d'entreprises. Un effort doit être accompli en ce sens par les
organismes de recherche et les établissements d'enseignement
supérieur.
B. AMÉLIORER LA DIFFUSION DES CONNAISSANCES SCIENTIFIQUES
La diffusion de la culture scientifique et technique doit être aujourd'hui au coeur des préoccupations d'un Etat moderne. En effet, elle s'avère être une condition nécessaire pour permettre au citoyen de trouver sa place dans une société qui se caractérise par une accélération croissante des évolutions technologiques. L'égal accès à la connaissance des progrès de la science apparaît comme un vecteur essentiel de lutte contre l'exclusion. Par ailleurs, elle permet de conforter la légitimité d'une politique ambitieuse de la recherche.
1. Favoriser la compréhension des avancées que le progrès peut apporter.
L'opinion publique reste fascinée par la science, mais
elle
doute souvent des progrès que ses avancées engendrent. Et les
milieux décisionnels, qu'ils soient politiques, sociaux,
économiques ou qu'ils aient pour métier d'informer, comme les
journalistes, n'ont pas toujours compris que l'économie mondiale est
désormais une économie tirée par l'innovation, la
matière grise et l'interaction entre savoir, savoir-faire et financement
de l'innovation.
Seule la santé échappe à cette méconnaissance et
relative indifférence manifestées par ceux qui devraient
être au courant. Il faut réagir.
En France, aujourd'hui, seuls les prix de la culture scientifique et technique
remis par l'académie des sciences visent à récompenser les
chercheurs qui s'attachent à sa diffusion.
Il conviendrait de créer un événement annuel à fort
retentissement social et médiatique symbolisant la rencontre entre la
société et la science et faisant le point de l'état des
connaissances dans le monde et en France. Votre rapporteur, depuis des
années, estime que l'exemple suédois est particulièrement
digne d'intérêt et devrait être suivi.
Chaque année, l'académie suédoise des sciences de
l'ingénieur, à laquelle votre rapporteur a le grand honneur
d'appartenir, dresse un état des progrès de la science, des
techniques et de l'économie dans le monde en général, et
en Suède en particulier.
La rédaction du rapport, qui mobilise les acteurs principaux de la
recherche, du développement, de l'industrie et des finances, constitue
une première occasion de pratiquer le transfert de technologie au plus
haut niveau décisionnel.
La remise du rapport s'effectue à l'occasion d'une
cérémonie présidée par le couple royal. Tous les
décideurs du Royaume (académiciens, présidents et
directeurs d'entreprises, banquiers, scientifiques, hommes politiques
influents, journalistes) se doivent d'être présents. Cet
événement permet de mettre en lumière les
évolutions scientifiques et techniques les plus récentes et leurs
implications économiques.
Tous les acteurs économiques et scientifiques du pays sont
associés à la préparation du rapport.
L'événement permet de médiatiser l'utilisation des
progrès de la science pour le bien-être de la population.
Il serait opportun qu'un tel événement soit également
organisé en France.
Il devrait être organisé conjointement par le comité
d'application de l'académie des sciences (CADAS), embryon de
l'académie des sciences de l'ingénieur qui reste à
créer, l'ensemble de l'Institut et de la communauté scientifique
ainsi que les représentants du monde économique (MEDEF, Chambres
de commerce, syndicats). Le Président de la République, le
Gouvernement, le Parlement et les présidents des conseils
régionaux et généraux y seraient également
conviés, ainsi que les forces économiques, sociales et morales du
pays.
2. Assurer la diffusion de la culture scientifique et technique sur l'ensemble du territoire
Quatre
grands organismes contribuent à la diffusion de la culture scientifique
et technique. Il s'agit :
- du Muséum national d'histoire naturelle, créé sous
l'ancien régime ;
- du Conservatoire national des arts et métiers, créé par
la Convention ;
- du Palais de la découverte, créé en 1936 ;
- et de la Cité des sciences et de l'industrie de la Villette,
créée en 1985.
Ces organismes connaissent des sorts très divers. Si le Muséum
national d'histoire naturelle et le Conservatoire des arts et métiers
ont pu entamer des programmes de rénovation qui, pour certains,
correspondent à une urgence que nul ne songerait à contester,
l'avenir du Palais de la Découverte demeure incertain du fait des
interrogations liées à la rénovation et à
l'affectation des locaux du Grand-Palais.
On constate que tous ces moyens demeurent concentrés à Paris
à l'exception de ceux du Muséum national d'histoire naturelle qui
possède des implantations en province. Votre rapporteur a
déjà insisté sur la nécessité de
développer d'autres pôles et d'affecter une partie des moyens
parisiens à des antennes placées dans ces pôles.
A cet égard, le projet de coopération entre la Villette, le
Futuroscope et Sophia-Antipolis mériterait d'être finalisé
de façon à montrer l'intérêt pour tous de ce type
d'opérations et d'engager d'autres projets similaires. De même
dans chaque zone technopolitaine, il serait, en effet, souhaitable que soit
conduite une action significative en faveur de la diffusion de la culture
industrielle moderne.
Les interventions en faveur de la diffusion des connaissances scientifiques ne
peuvent prétendre à l'efficacité que si elles s'inscrivent
sur l'ensemble du territoire. Le développement des nouvelles
technologies, qui permet de toucher l'ensemble des points du territoire, doit
être mis à profit pour accroître l'audience des actions que
conduisent les institutions parisiennes. Pour ce faire, il importe qu'elles
recourent massivement aux réseaux large bande, aux lignes
spécialisées Telecom et aux canaux satellitaires
numérisés. L'accès du plus grand nombre à
l'information scientifique et technologique, et en particulier du public
scolaire concerné dans les établissements d'enseignement, est une
nécessité démocratique ; des pôles
régionaux actifs et interconnectés permettraient de mettre en
place une culture de la modernité.
Par ailleurs, il importe de souligner la part prise par les
collectivités locales dans l'effort de diffusion de la culture
scientifique notamment au travers des centres de culture scientifique et
technique ou des technopôles ou des réseaux de technopôles.