III. UNE PRIORITÉ : AFFIRMER LA POSITION DE LA FRANCE DANS LA SOCIÉTÉ DE L'INFORMATION
Il ne s'agit pas, précisons-le, d'affirmer que ce domaine est le seul qui nécessite un effort de recherche. Bien entendu les recherches dans les domaines des biotechnologies, de la santé, de l'environnement, de l'énergie sont importantes. Mais le secteur de l'informatique et de la communication, par son caractère transversal, recouvre tous les autres et les progrès y sont à la fois fulgurants et déterminants pour l'avenir.
A. UN DÉFI À RELEVER
1. Une condition de la croissance économique pour les années à venir
•
Un potentiel de croissance
Depuis longtemps déjà, les travaux du Sénat et de l'Office
parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques
soulignent que dans les années à venir la croissance
économique de la France dépendra du succès de son
entrée dans la société de l'information
8(
*
)
.
En effet, il importe que notre pays ne soit pas réduit au statut de
consommateur de nouvelles technologies mais qu'il participe en tant qu'acteur
à la croissance industrielle qui découlera du
développement de la société de l'information.
La maîtrise de ces technologies constitue désormais
un enjeu
stratégique majeur
. Elle déterminera, en effet, pour une
large part la compétitivité des économies, la
qualité des réseaux de communication, l'efficacité
administrative et donc l'attractivité du territoire national pour les
investisseurs étrangers.
Il s'agit donc de déjouer un risque
de sujétion non seulement économique mais également
scientifique et culturelle
.
Il n'est plus un secteur de l'ingénierie ou de la production, des plus
traditionnels aux industries de pointe, où les technologies de
l'information n'aient pas pénétré de manière
massive, transformant les processus de conception et de fabrication et ouvrant
de nouveaux marchés. On estime par exemple que 40 à 50 % de
la valeur d'un avion moderne est faite d'électronique et de logiciel, et
certaines voitures de série actuelles contiennent plus d'informatique
que le module lunaire utilisé par Neil Amstrong en 1969. La
pénétration des ordinateurs personnels, la combinaison de la
micro-informatique et des télécommunications modifient
l'organisation des rapports commerciaux comme les relations entre les individus
ou les rapports entre les citoyens et les services publics.
Le rythme de l'innovation technologique qui dicte ces mutations est de plus en
plus rapide et suscite une demande économique et sociale
extrêmement forte. Le marché mondial des technologies de
l'information et de la communication croit de 10 % par an et le nombre des
ménages reliés aux réseaux électroniques triplera
dans les cinq ans à venir. Plus largement, les technologies utilisant
l'informatique, l'automatique et le calcul scientifique ouvrent des
perspectives d'innovation considérables dans presque tous les secteurs
qu'il s'agisse de l'ingénierie, de l'éducation, de la
médecine, des transports ou encore du commerce ou de la finance.
Un colloque tenu au Sénat les 16 et 17 novembre dernier sous
l'égide du groupe d'études " Innovation et
entreprises ", auquel ont participé plus de 200 personnes, dont les
plus grands spécialistes internationaux, sous le titre
" Forum
global : donner forme à l'avenir ",
a confirmé que le
mouvement mondial en la matière s'accélérait.
Les secteurs impliqués dans ces évolutions représentent un
important potentiel de création d'emplois. Aux Etats-Unis, on estime que
l'essor des technologies de l'information et de la communication a
contribué à créer directement le tiers des nouveaux
emplois. Un constat analogue peut être fait en Europe : une
étude récente de la Commission européenne indique que le
nombre d'emplois créés dans les services est directement
lié au volume des investissements dans les nouvelles technologies.
La France et l'Europe ont des atouts non négligeables pour
réussir leur entrée dans la société de
l'information et s'affirmer dans la compétition économique et
technologique qu'elle entraîne. Outre l'expérience du Minitel, qui
a permis à un très large public d'avoir accès à une
gamme étendue de téléservices, la France dispose d'atouts
technologiques comme la carte à puce. Par ailleurs, elle compte
plusieurs grands acteurs industriels très bien placés au niveau
international qu'il s'agisse d'opérateurs de
télécommunications, de constructeurs ou d'équipementiers.
Enfin, elle bénéficie de la qualité de son dispositif de
recherche.
2. Une prise de conscience salutaire
•
Un programme d'action gouvernemental
Annoncé en août 1997 à Hourtin par le Premier ministre, le
programme d'action gouvernemental pour préparer l'entrée de la
France dans la société de l'information a été rendu
public le 16 janvier 1998 à l'issue du comité
interministériel pour la société de l'information. Il
détermine pour les années à venir les grandes orientations
de l'action publique à conduire dans ce domaine.
L'affirmation du caractère prioritaire de cet enjeu, que votre
rapporteur ne peut que soutenir, est nette. En effet, il y a deux ans
déjà, il avait observé que
" tant qu'il n'y aura
pas des programmes d'une ampleur comparable au programme nucléaire et au
programme spatial, programmes intégrant la sensibilisation des usagers
et le financement massif des expérimentations, la France ne pourra
prendre le leadership auquel la pratique du Minitel lui permet de
prétendre ".
Force est de constater une nouvelle fois que s'il y a des
infléchissements, ils ne semblent pas encore suffisants.
Le programme gouvernemental, qui comprend à la fois des orientations et
des propositions, s'articule autour de six priorités :
1. renforcer le rôle des nouvelles technologies de l'information et de
la communication dans l'enseignement ;
2. définir une politique culturelle pour les nouveaux
réseaux ;
3. mettre les technologies de l'information au service de la modernisation des
services publics ;
4. faire des technologies de l'information un outil primordial pour les
entreprises ;
5. encourager l'innovation industrielle et technologique ;
6. instituer une régulation efficace et un cadre protecteur pour
l'information.
•
Un suivi budgétaire difficile
Le programme présenté par le gouvernement se veut plus incitatif
que directif. Il tend à créer les conditions favorables au
développement de la demande de nouvelles technologies, rompant ainsi
avec la logique des politiques sectorielles et des commandes publiques
massives. Il intéresse l'ensemble des ministères bien que
certains soient plus particulièrement concernés, tels le
ministère de l'éducation nationale, de la recherche et de la
technologie ou le ministère de l'économie et des finances. Par
ailleurs, il met en jeu des crédits incitatifs mais comporte
également des mesures financées sur le budget des
établissements de recherche.
Mais en l'absence de présentation synthétique, le contrôle
du Parlement sur les modalités budgétaires de la mise en oeuvre
de ce programme ne peut que dépendre des informations
communiquées par le gouvernement.
D'après les indications fournies par le BCRD, 2,7 milliards de
francs ont été engagés en 1998 pour les recherches
conduites dans le domaine des technologies de l'information et de la
communication, principalement par le biais de soutiens incitatifs du
ministère chargé de l'industrie (1,5 milliard de francs), de
l'ANVAR (400 millions de francs) et du ministère chargé de
la recherche (200 millions de francs)
B. DES INCERTITUDES SUR LES PROGRAMMES DE RECHERCHE NÉCESSAIRES
Si votre rapporteur approuve les propositions destinées à créer un cadre favorable au développement des nouvelles technologies de l'information et de la communication, notamment en incitant les entreprises à tirer profit des opportunités qu'elles offrent, il considère comme encore trop incertaines les orientations données en la matière à la politique de la recherche.
1. Le nécessaire développement de l'effort de recherche
La
plupart des succès technologiques de ces dernières années
résultent d'une heureuse combinaison entre la recherche fondamentale,
les compétences nécessaires à la mise au point de
prototypes convaincants, l'esprit d'entreprise et le soutien massif des
pouvoirs publics.
Ainsi, la commutation par paquets, qui est à l'origine d'Internet, a
été initiée vers la fin des années 60 par des
universitaires puis soutenue par les pouvoirs publics américains avant
de connaître le succès. De même, le succès de
SGS-Thomson a été fondé sur des acquis de la recherche
publique, en particulier du laboratoire d'électronique et des
technologies de l'instrumentation (LETI), qui ont ensuite fait l'objet de
programmes européens et nationaux massifs.
Dans le secteur des technologies de l'information, le succès
économique repose sur l'efficacité du transfert des connaissances
entre la recherche et l'industrie
. En effet, dans ce secteur plus que dans
beaucoup d'autres, le cercle " vertueux " liant la recherche de base
et ses applications trouve à s'appliquer. En effet, des entreprises
comme Digital Equipment Corporation ou Hewlett-Packard ou encore Cisco
n'existeraient pas sans le MIT
9(
*
)
, Berkeley ou Stanford.
Les recherches menées dans les laboratoires publics, et dans certains
cas les plus fondamentales d'entre elles, sont utilisées pour
développer de nouveaux produits tandis que les perspectives et les
marchés ouverts par les nouvelles technologies renouvellent, très
souvent, les problématiques de recherche.
Ce processus est d'autant plus nécessaire que les recherches
fondamentales permettant la mise au point des nouvelles technologies ne peuvent
être conduites par les seules entreprises, ces dernières ayant
tendance à externaliser leurs activités de recherche et
développement au profit des laboratoires publics, qui développent
des travaux dont le champ est suffisamment large pour répondre à
long terme aux demandes du marché.
Par ailleurs, il faut souligner que le développement des recherches dans
d'autres domaines scientifiques (physique, chimie, mécanique, mais aussi
biologie ou sciences sociales) implique des recherches nouvelles en
informatique et en modélisation.
Il est donc certain que
la recherche dans les domaines des technologies de
l'information et de la communication revêtira dans les prochaines
décennies un rôle stratégique.
Le succès de l'entrée de la France dans la société
de l'information dépend donc de deux conditions :
- la première réside dans la capacité des entreprises
à innover : une action a été engagée et doit
être poursuivie en ce sens ;
- la seconde, qui apparaît largement comme un préalable à
la première, tient dans la conduite d'une politique de la recherche
appropriée, qui pour l'heure n'est pas encore mise en oeuvre.
2. Des orientations encore incertaines
•
La recherche en télécommunications
La dérégulation des télécommunications conduit
France Télécom, malgré son rôle spécifique
lié au service public à réorienter les activités de
recherche du Centre national d'études en
télécommunication(CNET).
La recherche fondamentale dans le
domaine des télécommunications et de leurs applications perd
à la fois son financement et pour une grande part son maître
d'ouvrage.
Les recherches effectuées au sein de l'opérateur
historique s'orienteront vers la seule satisfaction de ses besoins propres.
Dans ce contexte, votre rappporteur se demande si les autres activités
du CNET seront poursuivies et si c'est le cas par quel organisme.
La proposition formulée l'an dernier par votre rapporteur de
créer une agence chargée d'orienter la recherche fondamentale en
télécommunications, de coordonner les actions conduites en ce
domaine et d'assurer le financement des activités de recherche
correspondantes par des moyens budgétaires ou contractuels n'a pas
été retenue.
La décision prise par le gouvernement de créer un Réseau
National de recherche en télécommunication n'y répond que
partiellement.
Préconisé par le rapport de MM. Lombard et Kahn sur
"
la recherche et développement, clé d'un nouvel essor
des télécommunications en France
", le Réseau
national de recherche en télécommunications (RNRT) a
été mis en place le 1er janvier 1998 pour une durée de
cinq ans. Il a pour vocation de coordonner les efforts des laboratoires publics
existants (CNET, INRIA, CNRS, écoles et universités...) en
associant à leurs travaux les industriels du secteur et les
opérateurs de télécommunications.
L'organisation du RNRT comporte trois niveaux : le comité d'orientation,
un bureau exécutif dont les membres sont nommés par le
gouvernement et qui est chargé de préparer les travaux du
comité d'orientation et, enfin, cinq commissions thématiques
regroupant plus de 70 experts qui assistent le bureau exécutif dans
la définition des priorités, l'évaluation des dossiers
présentés et le suivi des projets financés. Pour 1998, les
crédits affectés au RNRT s'élevaient à 260 millions
de francs, 200 millions de francs provenant du budget du ministère
de l'industrie et 60 millions du budget du ministère de
l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie (chapitre
66-04 - Fonds de la recherche et de la technologie).
Les grands thèmes du premier appel à candidatures, ouvert du
20 avril au 21 septembre 1998, devaient susciter deux types de
projets coopératifs :
- d'une part, des projets exploratoires (à échéance de 3
à 5 ans avant pré-industrialisation), visant à
remédier à des " verrous " technologiques et
démontrant de nouvelles fonctionnalités pour les
télécommunications ;
- et d'autre part, des projets précompétitifs (à
échéance de 2 à 3 ans avant pré-industrialisation)
intégrant des technologies pluridisciplinaires pour aboutir à des
modèles de démonstration préparant l'émergence de
nouveaux services de télécommunications.
Une enveloppe de 210 millions de francs a été affectée en
1998 au financement de ces projets.
Par ailleurs, devaient être également soutenus des projets
compétitifs, issus de PME, dans le cadre des procédures
d'instruction de l'ANVAR. Un appel à projets spécifiques a
été ouvert le 21 septembre dernier ; 50 millions de francs
devaient leur être consacrés en 1998.
L'efficacité de ce dispositif pour gérer une telle
priorité reste incertaine. Un comité et un réseau aux
contours et à la composition flous pour piloter de façon continue
des actions décisives et fédératrices ne seraient
crédibles que si cette structure disposait de crédits très
importants. Or, les crédits mis à sa disposition, eu égard
aux besoins exprimés par le marché, sont insuffisants.
Par ailleurs, il faut bien savoir que la culture interne d'une organisation est
moins dynamisée par l'éventualité d'obtenir des subsides
à la suite d'un appel à proposition que par la volonté
d'aboutir à réaliser un projet pluriannuel clair et doté
de moyens.
•
La recherche en informatique
Parmi les organismes qui concourent à la recherche dans ce secteur, il
importe de souligner le rôle déterminant joué par
l'Institut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA).
Par ailleurs, au delà de sa mission de recherche, l'INRIA mène
une politique active de valorisation en prenant part au transfert de
technologies vers les entreprises, en particulier les petites et moyennes
entreprises. Faisant figure d'exception parmi les EPST, il a mené une
politique réussie d'essaimage. Au cours des dix dernières
années, 30 entreprises ont été créées
par des chercheurs issus de cet organisme, 25 d'entre elles sont toujours
en activité, représentant 850 salariés et
600 millions de francs de chiffre d'affaires. Le rôle joué en
ce domaine par l'INRIA a été reconnu par le gouvernement, qui en
novembre 1997 a autorisé la création d'INRIA-Transfert, premier
fonds d'amorçage à être constitué au sein d'un EPST.
Votre rapporteur s'est déjà, à diverses reprises,
étonné que la qualité des recherches effectuées au
sein de cet organisme comme le succès de sa politique de valorisation,
désormais unanimement reconnus, ne conduisent pas à
décider une augmentation massive, de l'ordre de 30 à 50 %,
de ses moyens budgétaires.
Les moyens de fonctionnement de cet organisme s'établissent pour 1999
à 331,96 millions de francs, en progression de 3,23 %. Les
subventions d'investissement s'élèvent en crédits de
paiement à 161,83 millions de francs (soit + 1,9 %) et
à 164,46 millions de francs en autorisations de programme (soit +
0,48 %). Au sein des subventions d'équipement, sont prévus
au titre des soutiens de programme 81,16 millions de francs contre
80,36 millions de francs en 1998.
En ce qui concerne les créations d'emplois, l'INRIA
bénéficiera de 5 créations d'emplois de chercheurs
sur les 86 créés dans les EPST en 1999.
A l'évidence, la priorité affirmée par le gouvernement
en faveur des recherches nécessaires au développement des
technologies de la société de l'information ne se traduit pas
dans les crédits qui leur sont affectés.
Les
redéploiements nécessaires au sein du budget de la recherche
n'ont pas encore été effectués.
Les programmes conduits au sein de l'INRIA, notamment en ce qui concerne les
domaines du développement logiciel, de la modélisation et du
calcul haute performance s'avèrent, pour bon nombre d'entre eux
déterminants pour le secteur des nouvelles technologies de l'information
et de la communication. Il faut rappeler qu'aujourd'hui, le
développement des télécommunications repose
désormais à 80 % sur le logiciel.
Un seul des nouveaux programmes lancés par l'INRIA qui consiste dans
l'utilisation d'une artère montante partagée en protocole IP pour
la diffusion de téléservices à plusieurs mégabits
sur un canal satellitaire nécessiterait 6 créations de postes et
5 millions de francs. Il s'agit là d'une technique de grand avenir
où la France n'est pas en retard... Comment parler de priorité si
elle n'est pas financée initialement par l'organisme qui dispose d'une
avance mondiale ? Espérons qu'elle le sera dans le cadre d'une
procédure d'appel d'offres du ministère de l'industrie ou du
RNRT.
C. LES TÉLÉCOMMUNICATIONS SPATIALES : UN ENJEU STRATÉGIQUE NÉGLIGÉ
1. Le développement exponentiel des technologies spatiales : un enjeu géopolitique majeur.
Le
secteur spatial a connu, au cours des dernières années, des
mutations qui modifient profondément ses enjeux stratégiques.
•
Le développement des
télécommunications
Perçu à l'origine comme un mode d'expression de la puissance
stratégique et militaire, l'espace est devenu aujourd'hui un instrument
de domination économique et culturelle.
L'élément déterminant ayant participé à
cette évolution est sans conteste le recours de plus en plus
fréquent à l'espace pour les télécommunications et
l'audiovisuel grâce aux nouvelles possibilités techniques offertes
par les satellites.
De nombreux progrès technologiques ont, en effet, amélioré
les performances des satellites, leur permettant de prendre une place
déterminante dans les télécommunications mondiales.
Ces évolutions technologiques ont concerné tant les satellites
eux-mêmes, dont la masse a été allégée et la
puissance augmentée, que les modes d'acheminement des données
grâce à la numérisation de l'information.
En effet, en matière de diffusion directe de programmes de
télévision, les satellites -en particulier les satellites
géostationnaires- prennent une importance croissante à
côté des moyens de diffusion terrestre, réseaux hertziens
ou réseaux câblés. D'ores et déjà, 6 %
des habitants munis d'un récepteur TV dans le monde reçoivent
celle-ci au moyen d'antennes paraboliques, et 25 % des programmes
câblés utilisent les programmes diffusés par satellites.
Dans le domaine de la téléphonie mobile, les satellites offrent
de multiples services grâce au développement des systèmes
personnels de communication. Ces systèmes, capables d'offrir des
services de téléphonie, fax et transmissions de données
à bas débit, sont proposés par les premières
constellations de satellites à orbite basse ou moyenne, à l'image
de celles mises en oeuvre par Motorola (système Iridium) et Loral
(système Globalstar).
Enfin, les constellations de satellites de la seconde génération
permettant d'acheminer des communications interactives multimédia
(c'est-à-dire la transmission simultanée, sur un même canal
et à grande vitesse, d'un nombre considérable de signaux
transportant la voix, les données et les images) répondent aux
importants besoins liés à l'entrée dans la
société de l'information, avant que les câbles à
fibre optique ne puissent remplacer les câbles
téléphoniques classiques.
L'ouverture à la concurrence du marché mondial des
télécommunications confère à ces progrès
technologiques une importance économique déterminante, dans un
contexte d'explosion des nouveaux services qui a conduit entre 1990 et 1995
à un doublement des opérations de
télécommunications dans le monde, et d'émergence de
nouveaux marchés, en particulier en Asie et en Amérique latine.
Le marché des télécommunications spatiales devrait en
effet connaître, au cours des années à venir, un
développement considérable.
Selon les estimations de la banque Meryll Lynch, le secteur qui connaîtra
l'augmentation la plus forte sera celui de la diffusion audiovisuelle.
Les abonnés à des services de télévision devraient
en effet être, dans dix ans, 62 millions contre 37 millions
aujourd'hui et le chiffre d'affaires dégagé par ce secteur
devrait passer de 60 milliards à 150 milliards.
Les services multimédia (infrastructure Internet et accès
à Internet) qui n'en sont qu'à leur début devraient
avoisiner un chiffre d'affaires de 7 milliards de francs d'ici 2002,
contre 600 millions de francs aujourd'hui. La demande est en ce domaine
exponentielle, les analyses de marché indiquant que 200 millions
d'utilisateurs pourraient être concernés, en 2000, leur nombre
pouvant atteindre 400 à 500 millions en 2005.
Les télécommunications mobiles, secteur encore assez modeste,
représenteraient un chiffre d'affaires de 84 milliards de francs.
Il importe de souligner que, pour ces deux derniers secteurs, l'accroissement
de l'activité résultera en partie de la mise en service des
systèmes satellitaires en orbite basse.
Votre rapporteur estime que ces chiffres sont sous-évalués car
les évolutions seront plus rapides pour les services multimédia
interactifs (télé-enseignement, téléformation,
télécommerce, télé-tourisme,
télémédecine)
•
Une relative faiblesse des projets français et
européens, à l'exception de Skybridge
Si les européens conservent une position relativement satisfaisante dans
le domaine des satellites géostationnaires, celle-ci apparaît
nettement plus fragile en ce qui concerne les systèmes satellitaires
multimédia en orbite basse qui sont appelés à jouer un
rôle déterminant dans le développement des
télécommunications mondiales.
En effet, à côté du projet américain Teledesic,
fortement appuyé par Motorola, Boeing et les programmes de recherche
duale du Pentagone, il n'existe qu'un seul projet européen, le programme
Skybridge, mis en oeuvre par une société composée de neuf
actionnaires : Alcatel, qui en est principal actionnaire, Sharp, Mitsubishi,
Toshiba, Loral, Spar, SRIW, le CNES et l'Aérospatiale. La mise en place
de ce programme représente un investissement de l'ordre de
4,2 milliards de francs, pour un nombre estimé de 20 millions
d'utilisateurs.
Ce projet a eu de très grandes difficultés à obtenir
l'affectation des fréquences nécessaires lors des débats
internationaux au sein de l'UIT, agence spécialisée
chargée de gérer la répartition des fréquences, du
fait de la pression exercée par les Etats-Unis qui s'est
révélée à la limite de la courtoisie d'usage.
Par ailleurs, son financement, comme sa réalisation technique,
comportent encore de nombreuses incertitudes.
Or, la concurrence est en ce domaine particulièrement vive et le projet
américain Teledesic constitue une menace de monopole mondial.
En effet, ayant vocation à couvrir l'ensemble du globe, cette
constellation composée de 196 satellites se caractérise par un
système de routage entièrement intersatellite et adaptatif sur la
constellation ainsi qu'un accès direct à Internet sans passer par
une quelconque station terrestre. Ce programme, du fait de ses
caractéristiques techniques, permettrait de construire un réseau
mondial autonome totalement indépendant des opérateurs nationaux.
Rappelons ici qu'il s'agit d'un domaine qui concerne à terme 50 %
du PIB mondial. Il est inconcevable que l'Europe ne prenne pas en ce domaine
des initiatives alors qu'une stratégie efficace et
déterminée est soutenue par la puissance publique
américaine. En effet, l'essentiel des dépenses liées aux
logiciels du projet Télédesic est financé par des contrats
militaires et les retombées civiles des projets liés au programme
désigné sous l'appellation " guerre des
étoiles ".
Face à de tels projets, une politique d'expérimentation et de
veille technologique ne peut suffire. Une initiative politique forte de la
France au Conseil européen s'impose pour qu'un programme
stratégique doté d'un budget de plusieurs milliards d'euros soit
mis en place.
2. Un effort de recherche notoirement insuffisant
Il est
heureux qu'une réorientation de la politique spatiale française
permette de concentrer les moyens budgétaires sur les applications au
sol. Néanmoins, l'effort de recherche français demeure encore
notoirement insuffisant.
•
Une insuffisance du soutien public
La mise en oeuvre des nouveaux systèmes de
télécommunications spatiales exige d'importants programmes de
recherche, notamment dans le domaine des logiciels, dont le financement ne peut
être assuré par les seuls opérateurs privés.
Aux Etats-Unis, la recherche est financée pour une large part par le
gouvernement fédéral, le secteur spatial
bénéficiant massivement des crédits militaires et de leurs
retombées civiles. En Europe, les Etats n'ont pas relayé l'effort
qui était auparavant consenti par les opérateurs publics
désormais privatisés. Dans un domaine aussi évolutif et en
forte croissance, il conviendrait de consacrer plus de 5 % du chiffre
d'affaires de l'industrie des télécommunications au financement
d'activités de recherche fondamentale et notamment dans le domaine du
logiciel.
Pour l'heure, les crédits consacrés à la politique
spatiale ne connaissent pas une évolution de nature à permettre
à la France de relever ce nouveau défi technologique.
Les crédits du Centre national d'études spatiales, après
la forte diminution enregistrée en 1998, ne connaissent en 1999 qu'une
faible progression. Ils s'élèvent, en dépenses ordinaires
et crédits de paiement à 9 135 millions de francs (soit +
0,8 %).
Les crédits d'intervention inscrits au budget du ministère de
l'éducation nationale, de la recherche et de la technologie
bénéficiant à l'industrie spatiale (chapitre 66-01)
enregistrent en 1999 une diminution de 31,5 % en crédits de
paiement et de 14,5 % en autorisations de programme.
Considérant par ailleurs la progression très modeste des
crédits consacrés aux recherches dans le domaine des
télécommunications et des logiciels, votre rapporteur ne peut que
conclure à l'insuffisance de l'effort de recherche publique en ce
domaine.
Il est clair qu'il s'agit là d'une critique qui est adressée
moins aux ministères concernés qu'à l'ensemble du corps
social. En effet ni les milieux politiques, ni les médias, ni les
industriels concernés, ni les structures européennes ne semblent
avoir pris conscience de l'importance des enjeux.
•
La nécessité d'une prise de conscience politique
Le groupe d'études " Innovation et entreprises ",
présidé par votre rapporteur, a organisé, le 17 juin
dernier, un colloque sur le thème
" satellites et
télécommunications ".
Les interventions des industriels
et des représentants des organismes publics de recherche ont
appelé à une prise de conscience politique concernant la
nécessité de dégager un financement significatif en faveur
des recherches liées aux télécommunications spatiales.
Ces recherches revêtent un caractère stratégique. En effet,
les projets industriels -compte tenu de leur complexité technique et des
inconnues scientifiques qui subsistent encore- ne pourront voir le jour sans un
soutien public substantiel. A cet égard, il importe de combattre le
libéralisme dogmatique prôné en matière de politique
industrielle par la Commission européenne, au mépris de la
réalité des politiques industrielles conduites par les
gouvernements américain et japonais.
•
Une présence dans les organismes internationaux de
régulation
Votre rapporteur souhaite aussi insister sur la nécessité pour la
France d'être présente dans les instances internationales de
régulation des télécommunications.
En effet, seule une présence active des pays européens au sein de
l'UIT leur permettra de bénéficier des fréquences
nécessaires à la mise en oeuvre des projets européens de
constellation de satellites.
Par ailleurs, la France se doit de participer aux travaux des instances de
standardisation, en particulier celles gérant les processus Internet
à l'image de l'IAB (Internet architecture Board) ou du W3C (World Wide
Wels Consortium). Ces organismes ont un rôle considérable dans la
mesure où l'existence de standards ouverts constitue une exigence
essentielle du marché des nouvelles technologies et où il est
nécessaire pour les entreprises de traduire le plus rapidement possible
leurs innovations technologiques en standard. Or, malgré la mobilisation
de certains acteurs comme l'INRIA, la contribution française aux travaux
de ces instances demeure encore trop faible.