B. AFFIRMER L'ENGAGEMENT DE LA FRANCE DANS LE COMBAT POUR LA DIVERSITÉ LINGUISTIQUE ET POUR LA CONSTRUCTION DE LA FRANCOPHONIE
1. Promouvoir le plurilinguisme
La
sauvegarde et le développement du plurilinguisme ont toujours
été une des préoccupations de la communauté
francophone. A cet égard, l'apprentissage au cours de la
scolarité de deux langues vivantes étrangères doit
être vivement soutenu. En effet, le " monolinguisme " dans
l'enseignement des langues vivantes privilégie systématiquement
l'anglais. Lorsque l'apprentissage d'une seule langue étrangère
est imposé, l'anglais est choisi de façon majoritaire et le
nombre d'enfants apprenant le français régresse, on le constate
par exemple dans des pays comme l'Allemagne ou l'Italie. En Espagne, depuis que
l'enseignement de deux langues étrangères est devenu obligatoire,
l'apprentissage du français qui avait nettement régressé
au profit de l'anglais, s'est fortement développé.
Votre rapporteur tient à rappeler que l'évolution vers le
monolinguisme n'est pas inéluctable et ne doit pas être
considérée comme telle, comme le prouvent les réflexions
menées en France et en Europe sur ce sujet.
a) La mission d'information sur l'enseignement des langues vivantes dans l'enseignement scolaire
•
La mission d'information sur l'enseignement des langues vivantes dans
l'enseignement scolaire, constituée au sein de la commission des
affaires culturelles du Sénat, à l'initiative de votre
rapporteur, a analysé les dérives et la sous-utilisation d'un
dispositif scolaire pourtant ambitieux pour l'enseignement des langues
vivantes. Le dispositif scolaire d'enseignement des langues en France n'assure
plus une diversification linguistique satisfaisante, et plus grave encore,
l'évolution actuelle de l'enseignement des langues
étrangères se traduit par une régression et une
uniformisation linguistique caractérisée principalement par
l'hégémonie d'une seule langue, l'anglais.
• Les travaux de la mission ont permis de définir 50 mesures
constituant un nouveau contrat pour l'enseignement des langues. Elles
s'ordonnent autour de dix actions qui constituent autant de priorités
à mettre en oeuvre afin de favoriser la promotion du multilinguisme en
France. Ces actions sont les suivantes :
- Rechercher la diversification linguistique, notamment par l'enseignement
obligatoire d'au-moins deux langues vivantes, et l'incitation au
développement d'une troisième langue à partir de la classe
de seconde ;
- Développer une information impartiale à l'attention des
familles et des élèves sur l'intérêt de la
diversification linguistique ;
- Renforcer l'apprentissage précoce des langues dans le primaire ;
- Prendre en compte les spécificités linguistiques
régionales, en établissant un schéma linguistique
régional prenant en compte les groupes humains d'origine
étrangère, les jumelages et la proximité des pays
étrangers ;
- Favoriser " l'immersion linguistique " des élèves,
en rendant obligatoire les séjours linguistiques et en ayant recours aux
enseignants étrangers par exemple ;
- Réactiver l'enseignement des langues dites
" minoritaires " ;
- Adapter les méthodes d'enseignement des langues vivantes, notamment
en privilégiant l'expression orale des élèves, et en
abordant la dimension culturelle et sociale des pays concernés, afin que
l'enseignement soit moins " académique " ;
- Adapter la formation des enseignants, en renforçant leur formation
linguistique par exemple ;
- Développer les actions internationales, en étendant les
programmes linguistiques européens, et en favorisant les échanges
d'enseignants entre pays ;
- Définir une nouvelle politique des langues, en créant une
commission nationale permanente des langues étrangères
auprès du ministère de l'éducation nationale
chargée notamment de définir les besoins linguistiques, et une
politique de recrutement des enseignants, et associant l'éducation
nationale, les grandes écoles, les chambres consulaires, les
collectivités territoriales, le Parlement, le Conseil économique
et social et les organisations syndicales d'enseignants en langues
étrangères.
• Le ministère de l'éducation nationale propose cette
année une réforme de l'enseignement des langues
étrangères qui correspond à quelques unes des
recommandations de la mission d'information.
La rentrée scolaire a permis d'envisager une
généralisation progressive de l'apprentissage d'une langue
étrangère à l'école primaire, 96 % des
élèves de CM2 recevront un enseignement de langue vivante
étrangère, cet enseignement devant être étendu au
CM1 à la rentrée 1999.
A l'école primaire, au collège et au lycée, la
diversification et l'amélioration de l'enseignement des langues seront
développées. A titre d'exemple, on peut remarquer que 1 000
assistants étrangers seront recrutés et affectés dans les
écoles primaires.
Les établissements scolaires, du premier et du second degré,
devront veiller à informer les familles sur l'offre académique,
les particularités et l'utilité de chacune des langues
proposées.
Enfin, des groupes de pilotage académique des langues vivantes,
constitués sous la responsabilité du recteur, seront
chargés d'assurer la cohérence et le suivi des mesures en faveur
de l'enseignement des langues vivantes dans le premier et le second
degré. Un groupe de pilotage national sera constitué et remettra
un rapport d'évaluation en juin 1999.
Votre rapporteur approuve ce premier pas positif en faveur du
développement du plurilinguisme dans le système scolaire
français. Ce projet devra cependant être effectivement mis en
oeuvre, avant de révéler s'il constitue une réponse
appropriée aux insuffisances actuelles du système d'enseignement
des langues étrangères en France.
b) Des efforts au niveau européen et la prise de position du Conseil de l'Europe
•
Le Conseil des ministres de l'éducation a adopté le 31 mars 1995
une résolution sur l'amélioration de l'enseignement des langues
au sein des systèmes éducatifs de l'Union européenne. Le
Livre blanc " Enseigner et apprendre : vers la
société cognitive "
, de 1996, recommande de permettre
à chaque citoyen européen d'acquérir la maîtrise
effective de trois langues communautaires. Par ailleurs, le Conseil de l'Union
européenne a adopté à la fin de l'année 1997 une
résolution sur l'enseignement précoce des langues de l'Union
européenne, encourageant les Etats membres à développer
l'apprentissage des langues au niveau élémentaire, en insistant
sur la nécessité de diversifier cet apprentissage et d'assurer la
continuité dans l'offre de l'enseignement de plusieurs langues.
• Sur une initiative prise par votre rapporteur en qualité de
représentant français, l'Assemblée parlementaire du
Conseil de l'Europe a adopté à l'unanimité le
23 septembre 1998 une recommandation de la commission de la culture et de
l'éducation en faveur de la diversification linguistique. Les principaux
objectifs qu'elle propose sont les suivants :
- définir la diversification linguistique comme une priorité de
la politique linguistique, et procéder à des enquêtes
comparatives sur la diversification linguistique dans les pays membres du
Conseil de l'Europe afin d'élaborer sur ces bases les politiques
européennes dans ce domaine ;
- promouvoir la connaissance d'au moins deux langues étrangères
en fin de scolarité ;
- associer l'Assemblée parlementaire à la préparation de
" l'Année européenne des langues ", envisagée
par le Conseil de la coopération culturelle pour 2001.
L'Assemblée recommande également au Comité des ministres
d'inviter les Etats membres :
- à promouvoir la création de schémas linguistiques
régionaux, établis en liaison avec les élus locaux et
prenant en compte la présence de groupes humains d'origine
étrangère, les jumelages, les échanges et la
proximité des pays étrangers ;
- à développer les accords de coopération linguistique
entre régions frontalières ;
- à promouvoir l'enseignement à distance, pour rendre accessibles
les grandes langues européennes à l'ensemble des petits
établissements ;
- à étendre les séjours linguistiques, en les rendant
obligatoires au cours de la scolarité notamment ;
- à recourir plus largement aux enseignants étrangers, en
développant des échanges massifs d'enseignants au sein des Etats
membres.
Ces mesures pourraient contribuer à renforcer en France la
réflexion sur ce sujet. Il importe que la France encourage elle aussi
l'apprentissage des langues vivantes européennes. Il est en effet
difficile de reprocher à un pays de ne pas proposer l'enseignement du
français, lorsque la langue de ce pays n'est plus, ou rarement
enseignée en France.
2. Constitutionnaliser la francophonie
Lors de
précédentes révisions de la Constitution, plusieurs
propositions ont été faites pour inscrire dans notre loi
fondamentale l'appartenance de la France à la communauté
francophone.
Elles n'ont pas abouti, en particulier parce qu'il a été
considéré que les amendements déposés
étaient dépourvus de liens avec les projets de loi
constitutionnelle examinés. Cet argument ne saurait être
opposé, lors de l'examen prochain du projet de loi modifiant l'article
88-2 de la Constitution afin de permettre la ratification du Traité
d'Amsterdam.
Il paraît en effet logique que nous affirmions, en même temps que
notre appartenance à l'Europe, notre appartenance à la
communauté francophone. C'est pourquoi votre rapporteur espère
que le Premier ministre, relevant la suggestion qui lui a été
faite par 23 membres de notre Assemblée
1(
*
)
, demandera au Gouvernement de
proposer au vote du Parlement un amendement inscrivant dans la Constitution
notre engagement dans la francophonie.
a) Les amendements déposés lors des révisions constitutionnelles de 1995 et 1996
Lors de
l'examen en 1995 du projet de loi constitutionnelle relative au champ
d'application du référendum, à la session unique et au
régime de l'inviolabilité parlementaire, un amendement, proposant
la constitutionnalisation de la francophonie, avait été
déposé au Sénat par le Président Maurice Schumann,
le Président Xavier de Villepin et votre rapporteur. Il tendait à
insérer dans la Constitution un titre relatif à la francophonie
et comportant un article unique disposant que
" la République
participe à la construction d'un espace francophone de solidarité
et de coopération ".
Cet amendement avait été adopté par le Sénat mais
n'avait pas été retenu par l'Assemblée nationale.
D'autres amendements ayant même objet avaient été
déposés lors de l'examen en 1996 du projet de loi
constitutionnelle instituant les lois de financement de la
Sécurité sociale.
A l'Assemblée nationale, M. Jean-Pierre Chevènement avait
proposé un amendement insérant dans la constitution un article
additionnel dont la rédaction était identique à celle
proposée par l'amendement adopté l'année
précédente par le Sénat. Repoussé par la Commission
des lois, cet amendement n'avait cependant pas été examiné
en séance publique.
Lors de la discussion du projet de loi au Sénat, un nouvel amendement
avait été déposé par les signataires de
l'amendement adopté en 1995, auxquels s'étaient joint six autres
signataires représentant tous les groupes de notre
Assemblée
2(
*
)
. Cet
amendement proposait d'insérer dans la Constitution un titre
" Francophonie " comportant un article unique prévoyant que
"
la République participe au développement de la
solidarité et de la coopération entre les Etats et les peuples
ayant le français en partage ".
Cet amendement n'a pas
été adopté.
b) La demande adressée au Premier ministre par 23 sénateurs appartenant à tous les groupes politiques, le 29 septembre 1998
Comme on
l'a déjà souligné, l'adjonction au projet de loi
constitutionnelle actuellement soumis au Parlement d'un article relatif
à la francophonie serait parfaitement cohérente avec l'objet de
ce texte et permettrait de le compléter en rappelant que notre
engagement dans la francophonie contribue aussi à définir, notre
rôle international, les solidarités que nous voulons affirmer et
les valeurs que nous souhaitons contribuer à défendre dans le
monde d'aujourd'hui.
Elle répondrait aux voeux de nos partenaires francophones de voir la
France s'engager en faveur de la francophonie et affirmerait, aussi, notre
volonté politique de défendre le statut international de la
langue française.
C'est pourquoi 23 sénateurs appartenant à tous les groupes
politiques du Sénat ont adressé au Premier ministre une lettre
demandant que le Gouvernement dépose un amendement au projet de loi
constitutionnelle tendant à reconnaître la francophonie et
soulignant que "
Cette proposition vise à affirmer, aux yeux de
nos concitoyens et de nos partenaires francophones, mais aussi du reste du
monde, que la France prend au sérieux la construction d'une
communauté de coopération et de solidarité
privilégiée fondée sur une langue partagée par plus
d'un quart des pays du monde et sur des valeurs communes telles que les droits
de l'Homme, la liberté, la démocratie et le développement
solidaire
".
Les sénateurs proposent trois rédactions possibles de cet
amendement :
- la reprise de l'amendement proposé à l'Assemblée
nationale en janvier 1996 : "
La République participe
à la construction d'un espace francophone de solidarité et de
coopération
" ;
- la reprise de l'amendement défendu au Sénat en janvier
1996 : "
La République participe au développement de la
solidarité et de la coopération entre les Etats et les peuples
ayant le français en partage
".
- la rédaction proposée par notre collègue le
Sénateur M. Philippe Darniche qui tend à compléter
l'article 88 de la Constitution qui dispose : "
La république
peut conclure des accords avec des Etats qui désirent s'associer
à elle pour développer leur civilisation
" par les mots
: "
notamment pour renforcer la communauté
francophone
" ;
Le Président de la République a bien voulu faire savoir à
votre rapporteur qu'il "
prenait acte
" de l'importance
qu'attachaient de nombreux sénateurs à l'ouverture d'un
débat sur la possibilité d'un amendement constitutionnel
gouvernemental favorisant la reconnaissance de la francophonie.
Le Conseil supérieur des Français à l'étranger
(CSFE) a également souhaité que soit inscrit dans la constitution
que la France a pour mission de dynamiser la construction de la
communauté francophone, en soutenant l'amendement présenté
par M. Darniche. Il s'est prononcé lors de sa 51ème session
par un vote unanime tant en commission qu'en séance en faveur de la
constitutionnalisation de la francophonie.