B. LES ÉTAPES DE LA DÉPARTEMENTALISATION
Si la loi du 19 mars 1946 fut votée dans l'enthousiasme de l'après-guerre, elle se rattache de manière ambiguë à l'esprit émancipateur de la conférence de Brazzaville car les premiers effets de l'assimilation sont, faute de décentralisation et avec le maintien du principe de spécialité, de diminuer l'autonomie dont jouissaient paradoxalement les colonies sous la férule des Gouverneurs.
L'article 3 de la proposition de loi prévoyait en effet que les lois nouvelles seraient d'application immédiate, sauf disposition contraire expresse. Mais devant le scepticisme, notamment du ministre de la France d'outre-mer, Marius Moutet, qui ne croit pas possible « dans un délai aussi bref de transformer purement et simplement le régime politique, administratif, financier et douanier de toutes ces vieilles colonies » non seulement l'entrée en vigueur des lois et décrets existants en métropole est fixée au 1er janvier 1947 (puis par trois lois ultérieures reportée au 31 mars 1948) mais l'article 3 de la loi prévoit que « les lois nouvelles applicables à la métropole le seront dans ces départements sur mention expresse ».
L'effet immédiat de la loi du 19 mars sera donc le remplacement du gouverneur par le préfet et la transformation des colonies en départements, non encore qualifiés « d'outre-mer » malgré la spécialité législative.
La Constitution du 27 octobre 1946 inscrit dans son article 73 la dénomination « départements d'outre-mer » et met fin à la spécialité en prévoyant que les DOM ont le même « régime législatif » que les départements métropolitains, « sauf les exceptions déterminées par la loi ».
L'article 73 de la Constitution du 4 octobre 1958 est plus complet : « le régime législatif et l'organisation administrative des DOM peuvent faire l'objet de mesures d'adaptation nécessitées par leur situation particulière ».
Cette rédaction fonde notamment deux décisions du Conseil constitutionnel (2 décembre 1982 et 25 juillet 1984) qui encadrent les possibilités d'adaptation en matière d'organisation en distinguant clairement l'article 73 (DOM) et l'article 74 (organisation particulière des TOM). Il écarte à cette occasion un projet d'assemblée unique dans lequel les composantes territoriales des départements ne sont pas représentées, puis certaines dispositions d'adaptation des régions.
Si bien que les lois de décentralisation ont été appliquées presque telles quelles. Le département a été ainsi préservé par le Conseil constitutionnel qui reprenait les objections préalablement soulevées par le Sénat en 1982 et limitait en 1984 les transferts exorbitants du département vers la région.
La régionalisation fera néanmoins perdre aux départements d'outremer, au bénéfice des régions, certaines compétences. Ils conservent le pouvoir de consultation et de proposition que leur accordait le décret de 1960 ; ils perdent les aides aux travaux d'aménagement aux cultures marines ; la région acquiert le plan énergétique et les compétences en matière de tourisme et de transport.
Des deux collectivités superposées sur le même territoire, le département apparaît ainsi comme le principal gestionnaire local par son budget et ses attributions tandis que la région aurait une prééminence pour la représentation politique, notamment dans la coopération régionale (Caraïbes, Océan indien).
Le débat sur une éventuelle réforme des institutions pour éviter cette superposition a paru clos par les décisions du Conseil constitutionnel. Pourtant le professeur Luchaire estimait encore tout récemment que la région, dont le statut découle de la loi et non de la Constitution, ne bénéficierait pas systématiquement de la même protection du Conseil constitutionnel que le département en 1982-1984. Ainsi la décision du Conseil eut-elle pu être différente s'il s'était agi d'étendre les attributions du conseil général à celles du conseil régional et non l'inverse 1 ( * ) .
Plus récemment la volonté d'assurer la régularité de la gestion publique et sa pleine efficacité s'est traduite parfois par des adaptations mal acceptées localement comme la création des agences d'insertion dispositif spécifique aux DOM en matière de RMI. Le ministre chargé de l'outre-mer a néanmoins indiqué qu'un bilan en serait dressé et que le dispositif pourrait inspirer une évolution en métropole 2 ( * ) .
* 1 Colloque de l'Association France-Outre-mer - 27 septembre 1996 - Sénat.
* 2 JO Débats A.N. 25 octobre 1996 - p. 6037