b) L'hégémonie américaine face à une insécurité internationale croissante
Il relève désormais du lieu commun de constater que l'effondrement de l'Empire soviétique n'a pas coïncidé avec l'extinction des conflits locaux qu'avait entretenus l'antagonisme Est-Ouest. L'apparition de nouveaux conflits, notamment dans les Balkans, le Caucase et en Afrique, montre à elle seule les limites des processus de convergence économique et de concertation politique ci-dessus évoqués. Plus encore, on peut déplorer que la faiblesse des mécanismes de sécurité collective aient conforté la suprématie américaine face aux conflits et aux vulnérabilités qui caractérisent le monde actuel.
(1) La vulnérabilité du monde de l'après-guerre froide
Sans se livrer à une typologie des nombreux conflits qui affectent la sécurité internationale au milieu des années 1990, on peut néanmoins discerner entre eux quelques traits dominants : enjeux classiques de puissance (invasion du Koweit par l'Irak, gesticulations chinoises contre Taïwan), conflits d'autodétermination et de souveraineté, accompagnés de revendications territoriales plus ou moins violentes et du rejet des puissances tutelaires (Tchétchènes contre Russes, Kurdes contre Turcs...).
Les guerres civiles (Algérie, Afghanistan ...) ont pour enjeu l'organisation sociale et politique. Elles peuvent être liées à l'échec du modèle socialiste de développement mis en oeuvre dans certains pays du Sud, comme en Algérie.
Les conflits de souveraineté impliquent le plus souvent des « luttes ethniques ou nationales, mettant aux prises des communautés ou des nations qui n'acceptent plus de vivre au sein d'un même Etat (Tamouls à Sri Lanka ...) et s'en disputent le territoire (Balkans, Caucase, Afrique ...) » 3 ( * ) . Certains conflits occidentaux (Irlande du Nord, pays basque) se rattachent à cette problématique.
La vigueur actuelle du thème de l'autodétermination conduit à s'interroger sur l'opportunité de faire coïncider chaque peuple avec un Etat spécifique, alors même que subsistent aujourd'hui de nombreux pays multiethniques (essentiellement en Afrique, en ex-Union soviétique et dans les Balkans), pour la plupart « assis sur des morceaux d'empires » 1 ( * ) .
L'insécurité liée à ces conflits de l'après-guerre froide est aggravée encore par les « nouvelles vulnérabilités » que constituent le terrorisme et la prolifération des armements. A cet égard, notons que les trafics d'armes illicites, encouragés par l'effondrement du communisme, pourraient être équivalents à 25 à 30 % du commerce international de matériels d'armements. La recrudescence des conflits locaux et leur intensité, notamment en Afrique, est probablement l'une des conséquences de l'aggravation de la prolifération des moyens de violence. Or l'accumulation des armements entraîne inexorablement une augmentation tragiquement nette du nombre de victimes civiles, dont témoigne à lui seul le génocide de 1994 au Rwanda. Elle conduit aussi, en encourageant la militarisation d'une part croissante de la société, à bloquer toute tentative de règlement pacifique des conflits, comme on a pu le constater en Bosnie, en Angola ou au Rwanda.
(2) La montée en puissance de l'hégémonie américaine
L'effondrement du communisme a, en mettant fin à l'organisation bipolaire du monde qui caractérisait l'époque de la guerre froide, favorisé la domination américaine sur les relations internationales, sans que les organisations multilatérales ne parviennent à réguler cette situation.
Ce sont, en effet, les Etats-Unis qui ont organisé la riposte de la communauté internationale à l'invasion du Koweit en 1990, puis qui - avec un succès certes limité - sont intervenus en Somalie à la place des Nations Unies en 1992. En décembre 1995, la signature de l'accord de Dayton a confirmé l'ascendant pris par les Etats-Unis sur la crise yougoslave. De manière très éclairante, il aura fallu l'envoi de troupes américaines en Bosnie pour rendre crédible la force de l'OTAN (Ifor, Implementation force) censée y garantir le cessez-le-feu et la normalisation de la situation. Cette constatation est particulièrement amère pour la France, compte tenu de tous les sacrifices consentis par notre pays dans le cadre de la FORPRONU.
Au printemps 1996, le déploiement de deux porte-avions américains dans le détroit de Formose parvint à désamorcer la tension due aux menaces proférées par la Chine à l'encontre de Taïwan, les Etats-Unis étant confortés dans leur rôle de garant de la sécurité régionale. C'est ainsi que la déclaration américano-japonaise signée en avril 1996 à l'occasion de la visite du président Clinton se réfère à l'influence de la présence militaire des Etats-Unis dans le Pacifique sur la paix et la stabilité de la région.
Au Proche-Orient, les Etats-Unis ont continué à parrainer le processus de paix après la victoire électorale de la droite en mai 1996. En dépit de l'importance de la part prise par l'Europe dans les négociations israélo-palestiniennes, et de l'importance des aides financières attribuées par Bruxelles à la Palestine, les Etats-Unis ont écarté l'Europe des pourparlers d'Erez et des rencontres de Washington. Les efforts diplomatiques actuellement déployés par notre pays pour faire admettre l'idée d'un co-parrainage européen du processus de paix illustrent l'ampleur de la tâche à accomplir pour limiter l'emprise américaine sur une région où la France dispose d'un capital de sympathie indéniable, depuis qu'elle a fait entendre sa voix lors des bombardements du Liban ou des derniers raids américains sur l'Irak.
La sécurité internationale repose donc de plus en plus sur les Etats-Unis, ce qui « transforme chaque élection présidentielle à Washington en un moment central des équilibres stratégiques planétaires » 4 ( * ) . On peut déplorer la faiblesse des forces alternatives à ce leadership américain, qu'il s'agisse des institutions onusiennes ou de la politique étrangère européenne. Car la fragilité de la pax americana réside dans sa dépendance à l'égard de la politique intérieure des Etats-Unis, un attentat où quelques dizaines de soldats trouveraient la mort pouvant infléchir la participation américaine à telle ou telle opération de maintien de la paix. L'engagement américain paraît dès lors quelque peu « volatil » 1 ( * ) , ce qui rend plus que jamais nécessaire l'émergence d'une alternative européenne solide. Or, bien que le déploiement d'une force de même importance que l'Ifor soit à la portée des Européens, force est de constater que les belligérants n'ont, à ce jour, « voulu considérer avec sérieux que les seuls Etats-Unis », ce qui conduit à douter du rôle stabilisateur de l'Union dans la gestion des crises actuelles.
* 3 Philippe Moreau-Desfarges, «Quelles sont les racines des conflits »postguerre froide » ?» L'Etat du monde 1997 .
* 4 Alfredo G.A. Valladao, « Sous le signe du libéralisme et des régionalismes », L'Etat du monde 1997 .
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