2. Les difficultés financières de la Réunion des musées nationaux pèsent sur les crédits d'acquisition d'oeuvres d'art
Privée de l'arme du classement d'office, la politique de protection du patrimoine national est encore affectée par les difficultés financières traversées par la Réunion des musées nationaux.
Instituée en 1895 pour « recueillir, gérer et employer les ressources destinées aux acquisitions d'objets ayant une valeur artistique, archéologique ou historique et devant prendre place dans l'un des musées nationaux », la Réunion des musées nationaux a connu d'importantes transformations au cours de la dernière décennie.
De 1985 à 1995, son chiffre d'affaires a enregistré une croissance exponentielle, passant de 85 millions de francs à près de 400 millions de francs. Signe de l'euphorie qui a caractérisé les musées de France au cours de cette période, les missions de la Réunion des musées nationaux se sont multipliées. A côté des missions traditionnelles de service public assumées par cet établissement (acquisition des oeuvres d'art pour le compte des musées nationaux, organisation d'expositions temporaires, édition -déficitaire- de publications scientifiques), ses activités commerciales (édition de produits dérivés, cartes postales, moulages, bijoux ; développement d'éditions multimédia ; vente par correspondance ...) ont progressivement occupé une place croissante, au point de justifier, en janvier 1991, la transformation du statut de cet établissement, d'établissement public administratif en établissement public à caractère industriel et commercial. Dans le même temps, la Réunion des musées nationaux a multiplié les services offerts aux musées de province.
Pour la deuxième année consécutive, les comptes de la Réunion des musées nationaux feront apparaître, en 1996, un résultat déficitaire.
Excédentaires en 1993 (10 millions de francs), équilibrés en 1994, les comptes ont révélé un solde négatif de 39 millions de francs en 1995 et devraient s'établir en déficit de 10 millions de francs en 1996.
Cette évolution négative résulte de la conjonction de plusieurs phénomènes. Depuis qu'ils ont été érigés en établissement public administratif, respectivement en janvier 1993 et en mai 1995, les musées du Louvre et de Versailles ne reversent plus à la Réunion des musées nationaux qu'une fraction des droits d'entrée perçus (45 % du produit total pour le Louvre ; une dotation forfaitaire annuelle de 20 millions de francs pour Versailles). Le succès rencontré par l'opération d'accès gratuit au musée du Louvre le premier dimanche de chaque mois représente encore un manque à gagner important pour la Réunion des musées nationaux.
Par ailleurs, et après avoir connu un pic à la fin de l'année 1993 et en 1994 en raison de l'attrait exceptionnel exercé par l'ouverture de l'aile Richelieu du Louvre sur les visiteurs, la fréquentation des musées tend à régresser sous l'effet conjugué de l'érosion de l'effet-nouveauté, des attentats, du plan Vigipirate et de la grève de décembre 1995. En 1995, la chute de la fréquentation a atteint 20 % . Elle s'est poursuivie en 1996, s'établissant à 13 % de moins qu'en 1995 sur les huit premiers mois de
Cette moindre fréquentation, que corrobore l'évolution des statistiques d'entrée enregistrées pour les expositions temporaires, a des répercussions négatives sur le chiffre d'affaires des librairies et des boutiques de la Réunion des musées nationaux. Enfin, la grève de décembre 1995 explique la quasi-stagnation de l'activité de vente par correspondance jusqu'alors en plein essor.
L'avenir de la Réunion des musées nationaux ne paraît pas menacé par la crise actuelle. Un conseil d'administration doit se réunir au cours du prochain mois pour arrêter un plan de redressement de l'établissement.
Cette crise n'est cependant pas sans incidence sur les budgets d'acquisition d'oeuvres d'art des musées nationaux.
Les crédits affectés par la Réunion des musées nationaux à l'acquisition d'oeuvres d'art représentent désormais près de 60 % des moyens correspondants disponibles pour les 33 musées nationaux.
Calculées sur la base d'une fréquentation stable et intégrant les hausses de tarifs intervenues au musée du Louvre et au Château de Versailles le 1er janvier, les prévisions de recettes pour l'année 1996 s'établissaient, en hausse de 13,5 millions de francs par rapport à 1995, à 67,61 millions de francs. Comme l'avait craint votre rapporteur, ces prévisions, qui pêchaient par optimisme, ont dû être révisées à la baisse en cours d'année à hauteur de 25 millions de francs, soit plus du tiers de la dotation prévue.
La subvention versée par l'État plafonne à 8,07 millions de francs dans la loi de finances pour 1996, en régression de 75 % en francs courants par rapport aux crédits effectivement versés en 1992. Au 1er novembre 1996, soit quinze jours avant la date de la clôture budgétaire, un quart de ces crédits n'avaient toujours pas été versés.
Établis en prévision à 20 millions de francs, les dons et les legs affectés avaient contribué pour seulement 0,94 million de francs à l'enrichissement des collections nationales au 1er novembre et les fonds issus du mécénat subissaient une nette érosion (2,66 millions de francs ont été collectés au cours des dix premiers mois de l'année, alors que l'apport du mécénat représentait 11,72 millions de francs en 1994 et 9,7 millions de francs en 1995).
La même année, la participation de l'État aux acquisitions des musées de province atteint tout juste 20,56 millions de francs. Par rapport à l'exercice 1992, les crédits déconcentrés par le ministère de la culture auprès des fonds régionaux d'acquisition des musées ont subi une érosion de plus de 54 % en francs courants.
Pour faire face à l'expiration des premiers refus de certificats au cours de l'année 1996, un effort significatif a été accompli en faveur du fonds du patrimoine. Ce fonds, à vocation pluridisciplinaire, a bénéficié d'une mesure nouvelle de 50 millions de francs, portant à 85,09 millions de francs l'enveloppe de crédits disponibles pour permettre l'acquisition d'oeuvres exceptionnelles par les directions des archives, du livre et de la lecture publique, du patrimoine, des musées de France ou par le Centre national des arts plastiques. Outre que 10 % des mesures nouvelles inscrites en loi de finances ont été annulées en cours d'exercice, seule une faible partie des crédits correspondants avaient été attribués au 1er novembre 1996, dont 14,7 millions de francs ont bénéficié aux musées nationaux et 8,99 millions de francs aux musées de province. A cette date, plusieurs dossiers étaient en cours d'instruction sans que l'on n'ait aucune certitude sur l'achèvement des procédures avant la date couperet du 15 novembre.
L'on peut craindre dans ces conditions que le dispositif de protection du patrimoine national mis en place par la loi du 31 décembre 1992 se révèle d'une efficacité très limitée, du moins pour les tableaux dont la cote sur le marché de l'art excède bien souvent la totalité des crédits publics d'acquisition. Privé des moyens juridiques d'empêcher la sortie des biens culturels de son territoire, ne serait-ce qu'indirectement en recourant au classement d'office des biens mobiliers, l'État risque de se retrouver en position d'assister, impuissant, au départ de ses trésors nationaux vers l'étranger.