C. LE BILAN DE LA REFORME DE L'AIDE JURIDIQUE

Engagée à la suite du rapport Bouchet, la réforme de l'aide juridique s'est efforcée de répondre à quatre préoccupations essentielles :

- améliorer l'accès à la justice pour les justiciables les plus démunis en relevant les seuils de ressources ouvrant droit au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle ou totale,

- favoriser un meilleur accès du citoyen au droit en développant l'aide à la consultation et l'assistance au cours des procédures non juridictionnelles,

- améliorer les conditions de rémunération des auxiliaires de justice tout en les chargeant de la gestion des crédits,

- mieux maîtriser l'évolution du dispositif, notamment en termes de coûts.

A la suite de la promulgation de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, l'aide juridique comprend deux volets :

- l'aide juridictionnelle, mise en oeuvre par les bureaux d'aide juridictionnelle qui octroient cette aide, les greffes, qui attestent de l'exécution des missions effectuées par les avocats, les CARPA, qui gèrent la rétribution des avocats, le Trésor public, qui assure la rétribution des autres auxiliaires de justice ;

- l'aide à l'accès au droit, qui a vocation à intervenir en dehors de tout procès pour faciliter l'information juridique des plus démunis et organiser l'assistance au cours de procédures non juridictionnelles, et qui relève de la compétence des conseils départementaux de l'aide juridique.

La loi n° 93-1013 du 24 août 1993 a ajouté un troisième volet : l'aide a l'intervention de l'avocat au cours de la garde à vue, dont la gestion incombe aux barreaux, sans aucune intervention du bureau d'aide juridictionnelle.

Le montant de la dotation inscrite au chapitre 37-12 a été fixé à 1 085,280 millions de francs par la loi de finances pour 1995. Le projet de loi de finances pour 1996 propose de reconduire ces crédits, étant observé que leur taux de consommation devrait l'an prochain atteindre au minimum la totalité de la dotation (il s'agit de crédits évaluatifs).

Le Gouvernement a adressé au Parlement à la fin de l'été, un rapport dressant le bilan des trois premières années d'application du nouveau dispositif, qui fait valoir, dans sa conclusion, que « si l'objectif d'un meilleur accès aux juridictions des plus démunis paraît réalisé et si les dispositions prises à l'égard des professionnels du droit permettent aujourd'hui d'assurer une meilleure défense, des progrès restent à accomplir dans le domaine de l'accès au droit et dans celui du contrôle du dispositif' » .

1. Les plus démunis accèdent plus aisément aux juridictions

Le nombre des admissions à l'aide juridictionnelle a progressé de

66 % entre 1992, date d'entrée en application de la réforme, et 1994, une certaine décélération pouvant être observée en 1994. Sauf en matière administrative (+ 50 %) et de conditions de séjour des étrangers (+ 100 %).

En 1994, 581 828 personnes ont bénéficié de l'aide juridictionnelle devant les juridictions tant civiles (65 % dont 74,3 % pour des contentieux familiaux) que pénales (35 %). En matière civile, les bénéficiaires sont majoritairement sans emploi (61,5 %) et ce sont les époux en instance de divorce qui disposent des ressources les plus faibles. En matière pénale, les bénéficiaires sont à l'image de la population pénitentiaire : majoritairement des jeunes adultes masculins et à 20 % étrangers.

Le taux moyen de rejet des demandes est faible (9,8 % dont 15 % à raison du caractère manifestement irrecevable ou infondé de l'action, ce dernier taux atteignant 83 % devant le Conseil d'État).

Le rapport remis par le Gouvernement impute cette évolution au relèvement des plafonds de ressources, à une attitude plus active des professionnels du droit et à l'information faite en direction des personnes concernées. Il estime toutefois qu'aucun lien ne peut être établi entre le développement du contentieux et celui du nombre des admissions à l'aide juridictionnelle, même si une enquête a montré que le tiers des demandeurs civils auraient probablement renoncé à intenter une action s'ils n'avaient pas pu bénéficier de l'aide.

Le rapport estime enfin que dans deux domaines au moins, l'aide juridictionnelle peut être considérée comme insuffisante : en matière d'assistance éducative, où le nombre de mineurs bénéficiant d'un avocat est faible, en matière de garde à vue des mineurs, les textes n'ayant pas expressément prévu la possibilité d'octroi de l'aide.

2. L'effort de l'État et des professionnels du droit a été important

Le rapport remis par le Gouvernement souligne l'effort fait par l'État pour mettre en oeuvre la réforme. L'enquête conduite par la Chancellerie montre en effet que, dans l'ensemble, les juridictions font face à l'accroissement des demandes et que grâce au regroupement des bureaux d'aide juridictionnelle et à certains redéploiements de personnels (70 créations d'emplois en 1993), les demandes sont traitées dans des délais inférieurs à deux mois (69 % en moins d'un mois pour la première instance).

La Chancellerie estime toutefois que la situation pourrait être améliorée par une meilleure répartition des demandes entre le président et le bureau, et une participation plus effective des représentants des usagers (qui n'ont pas toujours été désignés, des professions judiciaires (dont le taux moyen de présence s'établit à 75 % pour les avocats, sauf devant le bureau situé auprès de la Commission de recours des réfugiés dans lequel les avocats des ressorts des cours d'appel de Paris et Versailles refusent de siéger, et à 58 % pour les huissiers de justice) et des administrations (non représentées dans 40 à 50 % des cas).

Le rapport relève par ailleurs que la délivrance des attestations de mission par les greffes est parfois un peu longue : entre un et deux mois dans le tiers des juridictions.

Les barreaux, les CARPA et l'UNCA, de leur côté, ont réalisé des investissements sur le plan humain (l'équivalent de 140 emplois à plein temps) et technique (notamment informatique) pour assurer la gestion comptable des dotations de l'État. Les délais de paiement des rétributions ont ainsi pu être sensiblement réduits.

Si en 1995, le montant de l'unité de valeur de rémunération des avocats n'a pas été relevé (il ne le sera pas non plus en 1996), la réforme a toutefois accru la contribution de l'État, à volume d'activité constant, de plus de 60 % en matière civile et de plus de 180 % en matière pénale. Pour les huissiers, le montant de la revalorisation a été plus faible (de 22 à 44 %. selon les actes concernés).

Le rapport observe que les missions sont très inégalement réparties entre les avocats : hors Paris, 76 % d'entre eux y participent (20 % seulement à Paris) mais dans les barreaux petits et moyens (jusqu'à 100 avocats), les missions apparaissent très concentrées, surtout en matière pénale.

Une vingtaine de barreaux a conclu des protocoles qui garantissent notamment la présence effective d'avocats et sur lesquels les chefs de juridiction portent des appréciations largement positives.

3. L'accès au droit a connu un développement limité

L'objectif fixé en 1991 était ambitieux mais les instruments des politiques locales d'aide à l'accès au droit que devaient être les comités départementaux de l'aide juridique, chargés de coordonner et de soutenir les initiatives en place ainsi que de déterminer les mesures à prendre pour favoriser la réalisations d'actions nouvelles, n'ont été effectivement constitués que dans 14 départements, 28 projets de conventions constitutives étant toutefois actuellement transmises pour examen à la Chancellerie.

D'après le rapport présenté par le Gouvernement, ce retard est imputable à la lourdeur de la formule juridique retenue, - le groupement d'intérêt public -, à l'insuffisance des moyens matériels, à des motifs purement administratifs comme l'absence de modèle de convention constitutive type, enfin aux réticences des membres de droit, collectivités locales et professionnels du droit, qui préfèrent s'en tenir à l'existant ou renvoyer à l'État le soin de favoriser l'accès au droit.

Le rapport estime toutefois que l'accès au droit pourrait connaître un nouvel essor dans le cadre de la politique de la ville.

Au total, pour les exercices 1993 et 1994, les subventions de l'État se sont élevées à 3,43 millions de francs, soit 40 % des financements, le reste étant assuré par les collectivités locales (24 %) et les professions, principalement les avocats (36 %).

4. L'objectif d'une meilleure maîtrise des coûts et de l'évaluation n'est pas complètement atteint

Le rapport remis par le Gouvernement relève que certaines dispositions destinées à contenir la dépense jouent faiblement, ainsi en matière de retrait de l'aide juridictionnelle en cas de retour à meilleure fortune.

Il observe également que le contrôle des ressources reste déficient, surtout en matière pénale « où, il est vrai, la majorité des demandeurs à l'aide juridictionnelle est dépourvue de ressources ».

Il signale en outre que la moitié des greffes n'ont pas encore mis en place la procédure de recouvrement.

Il recommande enfin un renforcement du contrôle de la Chancellerie sur la gestion des dotations de l'État, étant observé que les contrôles internes des ordres et des CARPA ainsi que les vérifications opérées par les commissaires aux comptes ont permis de redresser nombre des anomalies constatées initialement.

Si quelques ajustements pourraient être envisagés, les travaux d'évaluation conduits tant par la Chancellerie que par le Conseil national de l'aide juridique montrent que la réforme de l'aide juridictionnelle est globalement satisfaisante. Reste donc principalement à améliorer l'accès au droit et certains des dispositifs de maîtrise des coûts.

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