II. LA QUESTION DES ESSAIS NUCLÉAIRES

A. LA DERNIÈRE CAMPAGNE DE TIRS FRANÇAISE : DIX RAISONS MAJEURES

C'est au cours d'un point de presse, désormais célèbre, organisé à l'Elysée le 13 juin 1995 que le Président de la République a annoncé l'ultime campagne d'essais nucléaires français dans les termes suivants : « Les essais nécessaires interviendront à partir du mois de septembre et seront, en tous les cas, terminés fin mai 1996, et peut-être avant . J'insiste sur ce point parce que c'est à l'automne 1996 que va arriver à terme et à signature le traité international portant interdiction de tout essai nucléaire , et la France a bien l'intention de signer sans réserve ce traité à l'automne 1996 . Mais, pour ce faire, il fallait naturellement qu'elle soit en situation d'assurer à la fois la sécurité et la fiabilité de sa force de dissuasion et qu'elle ait aussi la possibilité , comme l'ont d'autres pays, de passer à la simulation ».

Tout ayant été dit et écrit sur cette décision du Chef de l'Etat qui a provoqué, ainsi qu'il était attendu, des réactions internationales extrêmement vives, soigneusement orchestrées, notamment par l'organisation Greenpeace, votre rapporteur n'a pas souhaité revenir en détail sur ce qui est devenu le « feuilleton de l'été » et fera sans aucun doute encore couler beaucoup d'encre jusqu'au printemps 1996. Il lui est toutefois apparu nécessaire de tenter de dépasser ici les réactions passionnelles et de rappeler posément, par delà les procès d'intention faits à notre pays, les dix raisons principales qui justifient et qui expliquent cette décision du Président de la République -avant de revenir plus précisément sur les négociations relatives au CTBT (cf B ci-dessous) et sur l'avancement du programme PALEN (cf C infra) qui constituent l'essentiel pour l'avenir.

1. Une ultime campagne nécessaire au maintien d'une dissuasion crédible et sûre

L'objectif poursuivi par la France à travers cette dernière campagne d'essais est évidemment le maintien d'une capacité de dissuasion crédible et sûre dans la perspective de l'interdiction prochaine de toute expérimentation en grandeur réelle. Il y va naturellement de sa sécurité dans un contexte international troublé où notre concept de dissuasion conserve sa pertinence. Il y va aussi de la responsabilité internationale de la France , puissance nucléaire reconnue par le TNP, qui a pour obligation de veiller à la sûreté et à la fiabilité de ses armes nucléaires.

La France entend le faire, dès que possible, par la simulation. Cette ultime campagne d'essais doit permettre d'y parvenir. A l'inverse, une prolongation du moratoire décidé hâtivement en 1992 aurait signifié , à terme, la condamnation de notre dissuasion à l' obsolescence progressive . Cette obsolescence aurait inéluctablement signifié ensuite la disparition pure et simple de notre dissuasion, alors que le danger nucléaire n'a pas définitivement disparu et que de nouveaux risques apparaissent.

Les derniers essais ont ainsi un triple objet , ainsi que le Chef de l'Etat l'a précisé dans l'enceinte du Sénat dès le mois de juin dernier :

- d'abord, le dernier tir de qualification de la tête nucléaire TN75 du missile M45 qui équipera les SNLE de nouvelle génération du type « Le Triomphant », et dont le moratoire n'avait pas permis d'effectuer la validation définitive ;

- ensuite les essais nécessaires pour garantir le fonctionnement des armes à partir de concepts plus « robustes » , c'est-à-dire présentant des marges suffisantes à l'égard des variations des paramètres technologiques intervenant dans le fonctionnement de la charge nucléaire : vieillissement des matériaux, conditions de fabrication ... Il sera en effet nécessaire, pour assurer l'avenir de nos systèmes d'armes actuels en renouvelant les armes arrivant en fin de vie au bout d'une vingtaine d'années , d'utiliser des concepts de base moins sensibles à des variations de paramètres de réalisation. La qualification de ces concepts plus robustes -dont il faut relever qu'ils vont à l'encontre de l'amélioration des performances des armes nucléaires et de leur sophistication- doit ainsi permettre de garantir, compte tenu du temps nécessaire au développement de la simulation, le fonctionnement des armes nucléaires au moyen d'expériences en laboratoire ;

- les dernières expérimentations en grandeur réelle viseront enfin à compléter les références et les données physiques qui permettront le développement au niveau nécessaire du programme de simulation . C'est pourquoi la campagne prévue comprend des essais qui constituent de véritables expériences de physique en vraie grandeur, avec une instrumentation très complète pour déterminer l'effet de variation des paramètres sur le fonctionnement des armes. La base de données de référence ainsi complétée doit permettre de garantir à l'avenir la fiabilité des systèmes d'armes par la simulation sans recourir à de nouveaux essais. Il est d'ailleurs à souligner que des expériences de ce type étaient programmées dès 1992 mais que leur réalisation avait été empêchée par le moratoire sur les essais.

2. Une dernière campagne qui permettra à la France de s'associer à la conclusion du CTBT avant la fin 1996

La décision française de procéder à une dernière série d'essais lui permettra aussi -c'est le second élément, essentiel, de la décision annoncée par le Chef de l'Etat le 13 juin- de se joindre dès 1996, à la conclusion du traité sur l'arrêt complet des essais nucléaires (CTBT) , conformément à l'objectif que s'est assigné la communauté internationale.

Cet engagement de la France s'inscrit dans le cadre de la lutte contre la prolifération nucléaire , conformément à la déclaration adoptée à New-York le 11 mai 1995 en même temps que la reconduction, pour une durée illimitée, du traité de non prolifération. Il revêt une particulière importance puisqu'il est nécessaire, pour qu'un CTBT trouve tout son sens et sa pleine efficacité, que tous les Etats dotés de l'arme nucléaire y adhèrent.

La France partage ainsi l'objectif d'une renonciation complète et définitive aux essais, dans le cadre d'un traité universel et vérifiable. Cette décision de signer le CTBT supposait toutefois une ultime campagne d'expérimentations et exigeait que ces derniers essais aient lieu rapidement :

- une dernière campagne d'essais était nécessaire pour nous doter des moyens de continuer à assurer dans l'avenir la crédibilité technique de nos forces de dissuasion en l'absence de tout essai ; la perspective du CTBT pose en effet en termes très nouveaux la question de la garantie future de la fiabilité des armes nucléaires qui était assurée jusqu'ici par des essais en grandeur réelle et devra à l'avenir reposer sur la simulation ; or, si la connaissance française des phénomènes complexes dont l'enchaînement permet le fonctionnement des armes nucléaires a progressé, d'autres essais étaient nécessaires avant que la prévision théorique et les expériences en laboratoire permettent d'assurer, à eux seuls, la sûreté et la fiabilité . Il faut à cet égard souligner qu'une coopération avec les Etats-Unis pour acquérir les techniques de simulation -prônée par certains- était difficile à mener à bien techniquement, les deux pays n'utilisant pas les mêmes technologies, et posait naturellement un grave problème politique compte tenu de l'indépendance nécessaire de notre force de dissuasion ;

- ces derniers essais devaient d'autre part être effectués rapidement pour être achevés avant l'aboutissement des négociations sur le CTBT et permettre alors à la France d'adhérer sans réserve à ce traité avant la fin 1996 ; les dates choisies constituaient ainsi, en quelque sorte, l'ultime « fenêtre » d'opportunité et la dernière possibilité pour procéder à une campagne d'essais ; il était donc nécessaire de décider et de réaliser aussi rapidement que possible après l'élection présidentielle une telle campagne.

3. Une décision conforme à nos engagements internationaux

La décision ainsi prise par le Chef de l'Etat en fonction de son appréciation des intérêts supérieurs de la nation est d'autre part pleinement conforme aux engagements internationaux de la France.

Il convient d'abord de rappeler -cela va de soi mais le caractère déraisonnable de certaines des critiques adressées à la France incite à le souligner- qu'aucun traité, aucun accord international ne prévoit à ce jour l'interdiction définitive des essais et que c'est précisément pour être en mesure de participer au CTBT que la France a décidé une dernière série d'expérimentations.

C'est ainsi qu'à New-York, à l'occasion de la conférence de renouvellement du TNP, l'idée d'un engagement à une prolongation du moratoire a été écartée. Les puissances nucléaires se sont en revanche engagées (dans la déclaration sur les principes de la conférence de New-York) à observer « la plus grande retenue » en matière d'essais.

Cette retenue est respectée par les caractéristiques de la série d'essais en cours :

- il s'agit de la dernière campagne française ;

- elle sera réduite au maximum en nombre de tirs : huit au plus, et vraisemblablement moins ;

- elle sera limitée dans le temps : commencée en septembre dernier, elle sera achevée au plus tard fin mai 1996 et, selon toute vraisemblance, plusieurs semaines plus tôt ;

- elle sera enfin, comme les précédentes, conduite dans les conditions les plus strictes de sécurité et de préservation de l'environnement .

Il faut enfin redire ici que son statut de puissance nucléaire, reconnu par le TNP, implique pour la France des responsabilités au nombre desquelles figure celle de veiller à la sûreté et la fiabilité de ses armes nucléaires. Quant aux Etats non nucléaires parties au TNP, ils ne peuvent légalement procéder à des essais nucléaires.

Aucun reproche relevant du droit international ne saurait donc être adressé à la France. Les critiques formulées à son encontre relèvent strictement d'appréciations politiques. Elles ne sont pas, aux yeux de votre rapporteur, davantage fondées.

4. Une décision qui ne saurait constituer un encouragement à la prolifération nucléaire

Ce serait en particulier un mauvais procès que de prétendre que cette dernière campagne d'essais pourrait constituer un signal d'encouragement sur le plan international, au regard de la prolifération des armes nucléaires. Pour au moins trois raisons :

- la décision française ne saurait modifier le comportement d'éventuels proliférateurs : la conférence de New-York sur le TNP, en décidant sa reconduction pour une durée indéfinie, a solennellement réaffirmé le caractère illégal de toute action d'un Etat non nucléaire visant à se doter de l'arme atomique et l'obligation pour les cinq puissances nucléaires reconnues d'assurer la fiabilité et la sûreté de leurs armes nucléaires ; la dernière campagne française, très limitée en temps et en nombre et au terme de laquelle la France arrêtera définitivement ses essais et conclura le CTBT, ne doit en conséquence avoir quelque influence que ce soit sur la prolifération des armes nucléaires ;

- la reprise des essais par la France ne saurait davantage susciter un quelconque effet d'entraînement de la part des autres puissances nucléaires : la situation de notre pays est en effet objectivement différente de celle des autres Etats nucléaires :

. les Etats-Unis et la Russie ont réalisé des essais beaucoup plus nombreux que les nôtres (plus de 700 pour la Russie, plus de 1 000 pour les Etats-Unis, moins de 200 pour la France) qui leur ont permis d'acquérir davantage de données sur le fonctionnement des armes ; ils disposent d'un arsenal beaucoup plus important et diversifié qui leur permet d'assurer plus aisément la crédibilité de leur dissuasion ;

. la Chine , de son côté, n'a pas cessé de procéder à des essais nucléaires -y compris de très forte puissance- sans susciter pour autant des réactions internationales en quoi que ce soit comparables à celles provoquées par les derniers essais français ... ;

. la Grande-Bretagne , enfin, voit, chacun le sait, ses décisions en matière d'essais étroitement dépendantes de celles des Etats-Unis ;

- les derniers essais français ne sauraient enfin favoriser en quoi que ce soit une nouvelle course aux armements nucléaires : la France n'a jamais participé à une telle escalade et son arsenal nucléaire a été et restera régi par le principe de stricte suffisance ; l'objet de sa dernière campagne -assurer la fiabilité et la sûreté de nos armes et préparer le programme de modélisation et de simulation- n'est pas d'accroître le nombre ou la puissance de ses armes nucléaires ni de concevoir de nouveaux types d'armes (contrairement, semble-t-il, aux essais chinois).

5. Une décision strictement conforme à notre doctrine constante de dissuasion

La stratégie permanente de dissuasion française est -faut-il le rappeler- une stratégie purement défensive, excluant la bataille nucléaire et visant à empêcher la guerre.

La dernière campagne d'essais s'inscrit parfaitement dans cette doctrine constante : contrairement à des allégations gratuites, il ne s'agit pour la France ni de concevoir de nouveaux types d'armes, ni d'accroître le nombre ou la puissance de ses armes existantes, ni de développer des armes miniaturisées . Il s'agit d'assurer la sécurité et la fiabilité de nos armes et de maîtriser les techniques de simulation qui permettront ensuite de nous dispenser d'essais.

La France reprend seulement et achève les essais brutalement interrompus en 1992. Conformément à ce qu'il avait indiqué durant la campagne électorale présidentielle, le Chef de l'Etat, après s'être entouré des avis les plus qualifiés, a pris la décision qu'il a jugé, en son âme et conscience, conforme aux intérêts supérieurs de la Nation .

Car, si l'arme nucléaire est faite pour ne pas être utilisée et a pour fonction d'empêcher la guerre, sa crédibilité et son efficacité supposent qu'il n'existe aucun doute sur la capacité de notre appareil de dissuasion . Ainsi que l'a justement souligné M. Claude Cheysson (« Le Monde » du 26 juillet 1995) : « Des experts ont affirmé, le Président de la République a confirmé que des essais étaient nécessaires. Leur abandon créerait le doute. Céder sous la pression internationale ferait douter aussi de la ferme résolution du Président de la République, celui qui serait appelé à user de notre capacité de dissuasion en cas de menace sur nos intérêts vitaux. Maintenant que la nécessité en a été déclarée, les essais complémentaires de Mururoa doivent avoir lieu . La France confirmera ainsi qu'elle assume ses responsabilités dans le maintien d'une capacité de dissuasion de la guerre ».

6. Des tirs dont l'innocuité sur l'environnement est démontrée et désormais largement reconnue

Les critiques formulées à l'encontre des essais français, souvent excessives, et relevant parfois de la pure et simple désinformation, auront au moins eu pour conséquence positive de provoquer, sinon une « bataille médiatique », du moins d'inciter les autorités françaises à une politique de transparence et de large information sur la réalité et sur les conséquences des essais nucléaires. Permettant de rétablir la vérité scientifique, cette politique d'ouverture a en particulier permis de démontrer et de faire connaître le caractère totalement infondé des campagnes relatives aux conséquences présumées des essais sur l'environnement, la flore, la faune et, bien sûr, les populations de la région de Mururoa . Plusieurs points méritent à cet égard d'être brièvement rappelés.

- Des informations mensongères ont été dissipées : ainsi en est-il notamment de l'image, complaisamment répandue, du champignon atomique , alors que les essais français sont souterrains depuis 1975 et ne provoquent depuis lors aucun rejet dans l'atmosphère. Les essais sont effectués sur le site de Mururoa -et Fangataufa- à une très grande profondeur -de 600 à 1 200 mètres sous le lagon- dans une roche basaltique très dure ; tous les éléments radioactifs demeurent ainsi confinés dans le massif au voisinage du point d'explosion. La concentration en plutonium ou en césium de l'eau du lagon de Mururoa est ainsi environ mille fois inférieure à la limite fixée pour la consommation d'eau de boisson aux Etats-Unis. Et chacun sait désormais que le taux d'exposition en Polynésie est inférieur à ce qu'il est à Paris ... ou à Sydney.

- Les conclusions des diverses missions scientifiques indépendantes qui se sont rendues sur place sont connues (rapport Tazieff, Atkinson et Cousteau notamment) : elles soulignent les sévères conditions de sécurité observées sur les sites et l'absence d'effets significatifs tant pour les populations que pour l'environnement de la région.

Ajoutons que le gouvernement français élabore chaque année un rapport sur la surveillance de l'environnement et le bilan radiologique des sites du Pacifique. Ce rapport est notamment diffusé aux élus de Polynésie et aux organismes scientifiques compétents des Nations Unies.

Les mesures de surveillance réalisées par des laboratoires français ont été confirmées par plusieurs laboratoires étrangers faisant autorité -notamment australien et néo-zélandais- en 1991 et 1994.

- Rappelons enfin que les autorités françaises ont autorisé des experts scientifiques internationaux -notamment de l'A.I.E.A. et de l'Union européenne- à effectuer toutes les mesures nécessaires à l'occasion de la campagne d'essais actuelle. Elle permettront d'évaluer l'état radiologique du site et ainsi, sans aucun doute, de confirmer l'absence de conséquences négatives pour l'environnement.

7. D'ultimes essais qui ne pouvaient naturellement avoir lieu que sur le Centre d'expérimentations du Pacifique (CEP)

Ces derniers essais ne pouvaient naturellement avoir lieu que sur les sites de Mururoa et Fangataufa. Cela va sans dire. Mais le caractère systématique des critiques adressées par certains à la France et soulignant que les essais n'ont pas lieu sur le territoire métropolitain conduit à rappeler les raisons du choix du CEP.

- La Polynésie française -territoire de souveraineté française- a été choisie, il y a trente ans, pour abriter le site du CEP en raison de la très faible densité de la population de cette région . Ce critère était en effet indispensable à l'époque, s'agissant de tirs aériens , aucune zone désertique n'existant en France métropolitaine. Les atolls de Mururoa et Fangataufa, inhabités avant les expérimentations, présentaient de surcroît l'avantage d'être très aisément accessibles et de dimensions suffisantes.

Lors du passage aux essais souterrains, en 1975, le même site a été conservé dans la mesure où l'infrastructure existait déjà et où la structure géologique -le socle basaltique- était favorable et ne présentait pas d'inconvénient sur le plan des effets sismiques . Il serait naturellement difficile de trouver en métropole une zone appropriée exempte, sur 30 ou 40 km, de toute construction susceptible d'être ébranlée par les secousses dues aux expériences.

Ces motifs s'imposaient, pour les mêmes raisons, pour la dernière campagne d'essais en cours.

- Ces éléments donnent l'occasion de rappeler quelques données géographiques précises :

. l'île la plus proche de Mururoa est située à 110 kilomètres, et l'on compte moins de 4 500 habitants dans un rayon de 1 000 km autour de Mururoa ; à titre de comparaison, on dénombre environ 7 millions d'habitants autour du site américain du Nevada ! Ces données devraient suffire à convaincre de l'innocuité des essais sauf à imaginer que les gouvernements américains successifs auraient délibérément mis en danger des millions de citoyens américains pendant des décennies ;

. s'agissant enfin des protestations des pays du Pacifique sud, donnant parfois à penser que les expérimentations françaises se déroulent quasiment sur leurs propres territoires, on rappellera une nouvelle fois que l'Australie et la Nouvelle-Zélande se trouvent respectivement à 6 900 kilomètres et 4 700 kilomètres de Mururoa ! Les points les plus proches des continents nord et sud-américains se trouvent pour leur part à 6 600 et 6 700 kilomètres.

8. Des critiques internationales, le plus souvent attendues, mais fortement orchestrées et parfois très excessives

Malgré ces données objectives et toutes les raisons qui viennent d'être évoquées, la décision française a provoqué des réactions internationales de grande envergure . Comme l'on pouvait s'y attendre dès l'instant que le sujet touche au nucléaire, le caractère passionnel du sujet l'a souvent emporté sur toute considération objective.

Ces réactions n'étaient pas pour autant inattendues : indignation dépassant -et de loin- les relations normales entre Etats de droit en Australie , voire en Nouvelle-Zélande ; hostilité vigoureuse au Japon et dans plusieurs Etats du Pacifique , voire d'Amérique latine ; critiques plus ou moins contenues ou compréhension nuancée, selon les cas, en Amérique du Nord et en Europe.

Mais, diverses dans leur ampleur, ces critiques apparaissent également très différentes dans leur contenu réel , sinon dans leurs motivations avouées. On peut ainsi distinguer :

- les critiques purement émotionnelles d'inspiration strictement écologique et liées à l'environnement , dont on a vu le caractère infondé ;

- les critiques reposant sur une hostilité à tout armement nucléaire , qui a trouvé une manifestation spectaculaire au Japon, en août dernier, à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'explosion des bombes d'Hiroshima et Nagasaki ;

- les critiques visant en réalité à remettre en cause la présence française dans le Pacifique , alors que les essais nucléaires ont -faut-il le rappeler- beaucoup apporté à la Polynésie française ; il va de soi que ces considérations, s'ajoutant à des facteurs d'ordre intérieur, ont beaucoup joué dans les prises de position néo-zélandaises et surtout australiennes -comme si les derniers essais français avaient été l'occasion pour l'Australie d'énoncer une sorte de « doctrine de Monroe du Pacifique sud » visant, à terme, à l'éviction de la France de cette région du globe ;

- enfin, les critiques poursuivant , à travers le prétexte des essais, des avantages de nature commerciale afin d'obtenir, au détriment de la France, des bénéfices dans la guerre économique mondiale ; c'est évidemment l'objet des appels au « boycott » économique et commercial lancés -heureusement sans grand succès- à l'égard des produits ou d'entreprises français.

9. Des critiques intérieures et techniques relativement modestes mais injustifiées

En France même, la décision de procéder à une dernière série d'essais nucléaires a fait l'objet de critiques, certes vigoureuses -et là encore fortement relayées médiatiquement. Votre rapporteur se félicite pourtant qu'elles se soient exprimées de manière le plus souvent raisonnable, ainsi qu'il convient dans le cadre d'un débat démocratique, a fortiori lorsque la France est attaquée sur la scène internationale.

Il paraît toutefois nécessaire de formuler ici deux brèves observations :

- la France ne fait actuellement qu' achever une série de tirs programmée et prématurément interrompue en 1992 ; les critiques actuels ne sauraient perdre de vue que notre pays ne se trouverait pas dans la délicate position internationale d'aujourd'hui si le moratoire décidé en 1992 avait fait l'objet de la préparation indispensable à une décision de cette importance ; en tout état de cause, la décision du Chef de l'Etat repose aujourd'hui sur sa légitimité issue du suffrage universel ;

- en second lieu et surtout, les critiques relatives aux essais actuels semblent souvent dissimuler en réalité une critique à l'égard de la dissuasion nucléaire elle-même dans le nouveau contexte géostratégique ; il s'agit là d'une critique fondamentale et en réalité plus importante que celle des derniers essais eux-mêmes ; il s'agit d'une thèse parfaitement respectable -même si elle est contraire aux convictions de votre rapporteur- mais la décision relative aux essais ne saurait servir de prétexte à cette remise en cause essentielle ; ainsi que l'a justement souligné le directeur des applications militaires du C.E.A. (« Libération » du 3 août 1995) : « ceux qui, par instinct, par conviction ou par intérêt, sont contre le choix pour la France de conserver un potentiel de dissuasion nucléaire doivent le dire clairement et ne pas chercher refuge derrière de prétendues querelles d'experts ».

10. Une décision qui s'inscrit dans la perspective fondamentale d'une défense européenne

Parmi les critiques suscitées par la décision française de procéder à une ultime campagne d'essais nucléaires, les plus douloureuses et, aux yeux de votre rapporteur, les plus injustifiées restent celles qui sont venues, à des degrés différents, de certains de nos partenaires européens.

C'est pourquoi un effort d'explication important doit continuer à être accompli. Votre rapporteur tient à cet égard à se féliciter tout particulièrement de la part importante prise par de nombreux membres de notre commission, dans un contexte parfois difficile, dans l'envoi de multiples missions de parlementaires français auprès de nombreux partenaires européens.

Car, à travers le maintien de la dissuasion française, c'est aussi l'avenir de notre dessein européen qui est en jeu. La défense européenne commune ne se construira pas sur les décombres de la dissuasion nucléaire française -et britannique-. Au contraire, la meilleure garantie pour que la défense européenne comprenne, le jour venu, une dimension nucléaire réside dans une capacité indépendante de la France dans ce domaine.

Si les pays de l'Alliance atlantique ont déjà reconnu, dès 1991, l'importante contribution des forces nucléaires française et britannique à la sécurité de l'Europe de l'après-guerre froide, il convient aujourd'hui d'aller plus loin. Le débat suscité par les essais français peut être l'occasion de préciser le rôle que la force de dissuasion française pourrait jouer dans le dispositif de défense de l'Union européenne . Votre rapporteur se félicite à cet égard de l'annonce faite, par le Chef de l'Etat le 1er septembre dernier, que la France « prendra, le moment venu, une initiative sur ce sujet en concertation avec ses principaux partenaires ».

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B. LES NÉGOCIATIONS RELATIVES AU TRAITÉ D'INTERDICTION COMPLÈTE DES ESSAIS NUCLÉAIRES (CTBT)

Dans la double décision annoncée par le Président de la République le 13 juin dernier -une dernière campagne de tirs et l'adhésion de la France au futur traité d'interdiction complète des essais-, le premier élément , spectaculaire, a focalisé l'attention et été à l'origine de l'essentiel des réactions internationales alors que le second est, à l'évidence, le plus important tant au regard de la lutte contre la prolifération nucléaire que pour les capacités d'adaptation à venir de nos forces de dissuasion nucléaire . Cette importance a été encore accrue par la précision essentielle donnée, le 10 août dernier, par la France -aussitôt suivie par les Etats-Unis- qu'elle soutiendrait l'interdiction , dans le cadre du CTBT, de « tout essai d'arme nucléaire et de toute autre explosion nucléaire quel qu'en soit le niveau» , c'est-à-dire « l'option zéro » en matière d'essais nucléaires.

1. Le déroulement des négociations de Genève et l'engagement de la France

- La négociation sur l'interdiction des essais nucléaires a débuté en janvier 1994 dans le cadre de la Conférence du désarmement de Genève -une enceinte où, rappelons-le, la France dispose d'un droit de veto.

Si tout n'est pas encore résolu, l'ampleur du tournant amorcé au cours des derniers mois -en grande partie, il faut le souligner, grâce au débat suscité par la double décision de la France relative aux essais nucléaires- permet désormais d'être relativement optimiste quant à la conclusion effective d'un véritable CTBT dans le courant de l'année 1996.

- L'engagement de la France , annoncé par le Président de la République le 13 juin dernier , de « signer sans réserve ce traité à l'automne 1996 » s'inscrit dans le contexte des conditions mises par la délégation française, dès le 7 février 1994, à sa participation :

- aucun lien artificiel ne devait être établi entre la négociation sur le CTBT et d'autres échéances , en particulier la prolongation indéfinie du TNP décidée en mai dernier ; il était en effet logique, puisque le CTBT a un objectif de non prolifération, que les puissances nucléaires connaissent le résultat de la conférence relative à la prorogation du TNP avant de conclure les négociations relatives à l'interdiction des essais ; il était également nécessaire de permettre au nouveau Chef de l'Etat de prendre les décisions qu'il jugeait nécessaires tant en ce qui concerne la reprise des essais qu'en ce qui concerne leur arrêt définitif dans le cadre du CTBT ;

- il devait également aller de soi que le CTBT doit constituer un traité d'interdiction des essais et non un traité d'interdiction des armes nucléaires , pour les puissances nucléaires reconnues ; ceci signifie en particulier que le futur traité ne doit pas être incompatible avec le maintien de la crédibilité de notre force de dissuasion , d'où le lien avec la dernière campagne d'essais décidée par la France ; c'est pourquoi aussi la France se devait de participer activement aux négociations et peser sur leur contenu pour le rendre à la fois efficace dans la lutte contre la prolifération et acceptable au regard de la crédibilité de notre force de dissuasion ;

- enfin, quant à ses modalités, le traité doit être, selon Paris, universel et internationalement vérifiable ; sa valeur au regard de la prolifération nucléaire dépend naturellement de son application par l'ensemble des Etats ; et sa portée technique comme son système de vérification doivent placer les puissances nucléaires dans des situations équitables les unes par rapport aux autres.

C'est dans ce cadre que doivent être examinées les deux questions essentielles posées par le CTBT : la portée du futur traité et son régime de vérification .

2. La portée du futur traité : vers « l'option zéro » ?

La question de la portée du futur traité -c'est-à-dire des activités prohibées ou non-prohibées - figure naturellement au coeur de la négociation du CTBT, puisqu'elle porte sur le caractère global ou non de l'interdiction des essais nucléaires. Il s'agit de l'enjeu politique majeur des négociations.

C'est ainsi que deux types d'expérimentations -qui n'auraient pas été prohibées- avaient été envisagées, notamment par les Etats-Unis : les essais d'une puissance modeste -décelables mais à courte distance-; et les essais, dits « hydronucléaires » , d'une puissance très faible, de l'ordre de deux kilos de TNT, a priori indécelables.

Dans ce contexte, la France s'est ralliée, le 10 août dernier, à « l'option zéro » , c'est-à-dire à l'interdiction de tous les essais, conformément à la proposition formulée, dans le cadre des négociations de Genève, par l'Australie. Il s'agit là naturellement, après l'acceptation d'un traité à durée illimitée, d'une manifestation très claire et très forte de la France de sa volonté de participer à une interdiction générale et complète des expérimentations nucléaires.

Les Etats-Unis ont, dès le lendemain, par la voix du président Clinton, approuvé et suivi la position française en faveur de cette « option zéro ». Le secrétaire américain à la Défense a estimé que les essais hydronucléaires étaient d'une très faible efficacité tandis que les essais de quelques centaines de tonnes « pouvaient être souhaitables mais n'étaient pas nécessaires et peut-être pas suffisants ». Ce qui revient sans doute à dire que l'efficacité marginale de tels essais ne compensait pas l'impact négatif de tels essais sur le plan diplomatique et international.

Si les positions définitives de la Russie et surtout de la Chine doivent encore être précisées sur ce point, il est vraisemblable que la position des trois Etats nucléaires occidentaux en faveur de « l'option zéro » -la Grande-Bretagne soutenant également cette position- jouera fortement en faveur d'une interdiction générale et complète des essais.

Une telle éventualité est naturellement de nature à favoriser l'adoption du CTBT par les Etats non nucléaires -et donc son efficacité dans la lutte contre la prolifération- et à atténuer les critiques internationales à l'égard des derniers essais français. Elle est, bien sûr, à cet égard très positive.

Elle n'en pose pas moins, aux yeux de votre rapporteur, trois questions très importantes :

- celle d'abord des clauses de sauvegarde et de retrait qui seront retenues dans le CTBT : les Etats-Unis ont ainsi -semble-t-il- prévu une clause leur permettant de suspendre leur participation au traité si « l'intérêt national suprême des Etats-Unis » est en jeu ; il paraît à votre rapporteur nécessaire que la France dispose, le cas échéant, d'une faculté comparable si elle l'estimait indispensable pour le maintien de la sécurité et de la fiabilité de son arsenal nucléaire -ainsi que notre représentant à la conférence de Genève l'a d'ailleurs déclaré en juin dernier- ;

- la question, ensuite, des moyens de garantir la sûreté et la fiabilité des armes nucléaires en dehors de tout essai nucléaire ; les expérimentations de faible ou très faible énergie avaient été conçues comme un moyen de vérification partielle de la sûreté de ces armes ; il importe donc de s'assurer, dans l'hypothèse d'un CTBT fondé sur l'option zéro, des moyens techniques qui -dans le cadre du programme PALEN et après la dernière campagne de tirs en cours- permettront d'assurer la fiabilité de notre arsenal nucléaire ;

- la question, enfin, des conditions du renouvellement de nos composantes nucléaires actuelles (cf III ci-dessous) : comment les têtes nucléaires des futures composantes nucléaires françaises seront-elles validées, le moment venu, en l'absence de tout essai, pour garantir à la fois la sûreté et la crédibilité de nos composantes sous-marine et aéroportée ?

3. Le régime de vérification du futur traité : système de surveillance et inspections sur place

Le second volet essentiel des négociations relatives au CTBT concerne le régime de vérification du futur traité. Il recouvre deux éléments essentiels : le système international de surveillance et le régime d'inspections sur place.

- S'agissant du système international de surveillance , il devrait reposer sur quatre technologies principales de détection, fonctionnant en synergie :

- un réseau sismique,

- un réseau hydro-acoustique ,

- un réseau radionucléide ,

- et un réseau infrasons.

- En ce qui concerne le régime d' inspections sur place , les choix à effectuer dépendent de l'importance qui sera finalement accordée à deux considérations contradictoires :

- la possibilité d'inspecter rapidement sur place le lieu d'un événement suspect qui favoriserait l'efficacité du CTBT au regard de la non-prolifération mais qui suppose l'établissement d'un régime intrusif , dont les conditions restent discutées ;

- et la protection de nos propres intérêts de défense , qui pourrait inciter à limiter les contraintes du régime d'inspection sur place pour la protection de sites, d'équipements ou d'informations sensibles.

Un compromis doit donc être trouvé entre ces différentes préoccupations, à travers notamment les conditions de lancement d'une inspection sur place.

Par ailleurs, tout indique que le dispositif de vérification du traité sera hétérogène et d'une efficacité relative. Ainsi, toutes les zones géographiques ne pourront pas être contrôlées de manière identique. Chacun sait, par exemple, que toute activité à Mururoa pourrait être aisément détectée alors que, dans certaines zones géographiques désertiques, il serait sans doute impossible de déceler des tirs dont l'énergie serait inférieure à un ou deux kilos de TNT.

Le déroulement et l'achèvement des négociations du futur CTBT devront donc faire l'objet d'une attention permanente , de la part de la France -et bien sûr de notre commission-. Ses conséquences devront être soigneusement évaluées, en particulier pour l'avenir de la sûreté et de la crédibilité de nos forces de dissuasion.

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C. AVANCEMENT ET PERSPECTIVES DU PROGRAMME PALEN D'ADAPTATION À LA LIMITATION DES ESSAIS NUCLÉAIRES

La perspective prochaine de l'entrée en vigueur d'un traité d'interdiction générale des essais nucléaires souligne l' importance majeure du développement, dans les meilleurs délais, de moyens techniques de modélisation susceptibles, à terme, de garantir la pérennité de la dissuasion en dehors de tout essai nucléaire proprement dit. Le maintien de la capacité française en matière d'armement nucléaire passe désormais impérativement par la mise au point de méthodes de travail radicalement nouvelles et par la maîtrise de moyens de simulation spécifiques. Tel est l'objet très ambitieux du programme PALEN.

1. La nécessité d'une campagne de « référence » pour la simulation

Une fois le CTBT mis en oeuvre, les moyens de simulation , visant à reproduire en laboratoire, par séquences, les phénomènes les plus importants qui ont lieu dans un engin nucléaire, feront partie intégrante de la panoplie de la dissuasion nucléaire : leur possession par un pays constituera la garantie que celui-ci est capable de disposer d'un arsenal nucléaire crédible et possède des moyens de répliquer à toute agression en faisant subir à l'adversaire potentiel des dommages sans commune mesure avec le gain espéré.

Pour y parvenir, la démarche du programme PALEN est fondée sur la simulation numérique recalée par l'expérience, de façon itérative. L'objectif final étant de rendre inutile le recalage par l'expérience nucléaire elle-même, ce programme implique que tous les phénomènes physiques intervenant dans le fonctionnement d'une arme nucléaire soient modélisés rigoureusement.

Outre les moyens humains et techniques exceptionnels nécessaires, cet objectif très ambitieux supposait quelques essais spécifiques au programme PALEN pour recaler et valider les différents processus liés à la simulation, en particulier les moyens de simulation numérique et les moyens lasers, et d'étalonner le système de simulation lui-même. C'est pourquoi mettre la France en situation de signer, dès 1996, le CTBT supposait -ainsi que notre commission l'avait déjà relevé il y a un an- une campagne de « référence » pour la simulation , afin de faciliter la levée des incertitudes qui subsistent. C'est pourquoi l' essentiel de l'ultime série d'expérimentations nucléaires décidée par le Président de la République porte sur les mécanismes de simulation.

2. Le contenu et le déroulement du programme PALEN

Rappelons ici brièvement que le programme PALEN avait été conçu autour de cinq axes de travail principaux :

- l'étude des filières d'armes nucléaires , en particulier sous l'angle de la stabilité vis-à-vis des variations technologiques ;

- les problèmes technologiques associés , afin d'éliminer les défauts en évaluant notamment, au plan des matériaux, l'apport des différents types d'explosifs ;

- la réalisation de travaux scientifiques plus fondamentaux en physique des armes , l'accent étant notamment mis sur l'interprétation des expériences conduites à l'aide des lasers ;

- le développement des méthodes numériques , les expériences de laboratoire étant en particulier mises à profit pour élargir le domaine de validité des codes numériques ;

- enfin et surtout, le développement et la mise au point des moyens de simulation nouveaux : construction du générateur de radiographie AIRIX, mise en place du projet de grand laser.

L'avancement du programme PALEN appelle plusieurs observations -étant rappelé que la partie de l' actuelle campagne de tirs relative à la simulation doit permettre de déterminer l'effet de variation des paramètres dans des conditions représentatives du fonctionnement d'une arme nucléaire et de compléter la base de données de références, permettant dans l'avenir de garantir la fiabilité des systèmes d'armes par la simulation sans recourir à de nouveaux essais en grandeur réelle- :

- la modélisation des phénomènes intervenant dans une arme nucléaire nécessite d'importants moyens de laboratoire, et notamment le projet de laser mégajoule ;

- la simulation numérique impose de son côté l'acquisition de moyens radiographiques particulièrement importants.

Il apparaît ainsi que le calendrier et le déroulement du programme PALEN sont liés , non seulement au financement satisfaisant d'un programme qui exige des investissements importants, mais aussi -ce qui doit être souligné- aux progrès techniques qui seront enregistrés dans les prochaines années, notamment dans les domaines des ordinateurs et des grands appareils de physique. Ces progrès -et le volume financier requis- conditionnent en particulier la réalisation satisfaisante du projet de laser mégajoule.

3. Le projet ambitieux de laser mégajoule

Outil de physique fondamentale exceptionnel, le laser mégajoule est essentiel dans le dispositif français destiné à simuler les conditions de fonctionnement des engins thermonucléaires. Le gouvernement en a annoncé, le 21 avril dernier, l'installation au Centre d'études scientifiques et techniques d'Aquitaine ( CESTA ) du CEA, sur le site du Barp , près de Bordeaux -ce qui constitue un investissement particulièrement important pour la région Aquitaine, tant en termes d'emploi que d'effet d'entraînement technologique-. Les travaux de construction doivent commencer en 1996 et le laser mégajoule (LMJ) lui-même devrait être progressivement opérationnel à partir de 2003.

Cette réalisation tout à fait exceptionnelle appelle les observations suivantes :

- le LMJ doit permettre aux scientifiques de la direction des applications militaires du CEA de simuler des phénomènes thermonucléaires ; la mise au point, particulièrement complexe, de cet outil de physique nucléaire vise à porter la matière à des conditions extrêmes, tout en ne dégageant qu'une énergie infime, inférieure au cent millionième de celle qui est libérée dans une arme thermonucléaire ; il s'agira d'obtenir une impulsion en quelques milliardièmes de seconde, cette énergie de 1,8 million de joules étant produite par 240 faisceaux lasers de cent mètres qui vont concentrer l'énergie sur une cible minuscule d'un millimètre de diamètre. A partir de l'analyse de ces phénomènes physiques réels, les techniciens -employant des ordinateurs ultra puissants- devront juger de la validité des modèles numériques qu'ils utilisent pour représenter, dans leurs codes de calcul, les phénomènes thermonucléaires ;

- le gigantisme et la précision seront les deux caractéristiques majeures du LMJ, successeur du laser actuel « Phébus » : gigantisme pour augmenter le rendement de chaque élément optique (ainsi, 150 tonnes de verre au néodyme seront utilisées et 4 000 m3 de miroirs situés sur le chemin de la lumière devront être polis) ; et précision pour assurer la synchronisation parfaite des lasers et le maintien de leur alignement sur tout leur parcours ;

- le laser megajoule constituera une réalisation unique au monde ; le seul outil comparable doit être réalisé par les Etats-Unis : le « National ignition facility » (NIF), décidé en octobre 1994, dégagera une énergie du même ordre que le LMJ mais sera doté d'un nombre plus réduit de chaînes laser (192 au lieu de 240) ; c'est la raison pour laquelle le CEA a conclu, en juin 1994, un accord décennal avec le département américain de l'énergie pour la construction en parallèle des deux super-lasers ; suite logique de la collaboration engagée en 1981 pour la construction des lasers Phébus et Nova, cet accord évitera la duplication de certaines études, tout en laissant chaque partenaire maître de la conception de son laser, du choix des fournisseurs, et surtout de l'élaboration des expériences ;

- du point de vue chronologique, le calendrier retenu est le suivant : le LMJ sera complètement défini début 1998 et la mise en place industrielle du projet sera alors effectuée ; dès l'an prochain débutera au CESTA la construction d'une ligne laser qui permettra de tester en vraie grandeur les technologies nécessaires ; environ 1 000 personnes participeront à la construction de l'installation qui doit être prête en 2003 pour les premiers tirs ; dans les années 2005, 500 personnes, ingénieurs et techniciens participeront à l'exploitation du LMJ ;

- sur le plan financier , enfin, le coût du seul laser megajoule est évalué à environ 6 milliards de francs ; il représente donc une part très importante du coût du programme PALEN dans son ensemble pour lequel un investissement d'environ 10 milliards de francs a été prévu, dans la dernière loi de programmation pour la seule période 1995-2000, mais dont le coût global sera à coup sûr supérieur . C'est là, bien entendu, une donnée essentielle qui devra être prise en compte dans l'élaboration des prochains budgets et de la future loi de programmation et qui souligne tout particulièrement que les crédits nucléaires ne pourront être considérés, dans les années à venir, comme une réserve financière inépuisable.

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Votre rapporteur, en conclusion de ces développements relatifs aux essais nucléaires, doit enfin rappeler que, s'il faut se féliciter de la conclusion prochaine d'un CTBT -après la reconduction indéfinie du TNP-, les conséquences de l'interdiction définitive des essais doivent être soigneusement évaluées et le combat contre la prolifération nucléaire ne saurait être considéré comme terminé. La mise en oeuvre, positive, du CTBT ne saurait en effet faire oublier deux risques essentiels :

- l'absence d'essais nucléaires n'empêchera pas nécessairement certains Etats proliférants, s'ils le souhaitent, de se doter de l'arme nucléaire en acquérant, sans essais, des engins offensifs relativement « rustiques » ;

- une nouvelle forme de prolifération nucléaire , particulièrement redoutable, pourrait même être techniquement envisageable si était démontrée la possibilité, pour un pays industrialisé maîtrisant les hautes technologies requises, d'accéder, sans discontinuité politique particulière, au club des Etats nucléaires.

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