Avis n° 80 (1995-1996) de M. Jean FAURE , fait au nom de la commission des affaires étrangères, déposé le 22 novembre 1995

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N° 80

SÉNAT

PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1995-1996

Annexe au procès verbal de la séance du 22 novembre 1995

AVIS

PRÉSENTÉ

au nom de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur le projet de loi de finances pour 1996 , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE,

TOME IV

DÉFENSE

NUCLÉAIRE, ESPACE ET SERVICES COMMUNS

Par M. Jean FAURE,

Sénateur.

(1) Cette commission est composée de : MM. Xavier de Villepin, président ; Yvon Bourges, Guy Penne, Jean Clouet, François Abadie, vice-présidents ; Mme Danielle Bidard-Reydet, Michel Alloncle, Jacques Genton, Jean-Luc Mélenchon, secrétaires ; Nicolas About, Jean-Michel Baylet, Jean-Luc Bécart, Mme Monique ben Guiga, MM. Daniel Bernardet, Didier Borotra, André Boyer, Mme Paulette Brisepierre, MM. Michel Caldaguès, Robert Calmejane, Jean-Paul Chambriard, Charles-Henri de Cossé-Brissac, Pierre Croze, Marcel Debarge, Bertrand Delanoë, Jean-Pierre Demerliat, Xavier Dugoin, André Dulait, Hubert Durand-Chastel, Claude Estier, Hubert Falco, Jean Faure, Gérard Gaud, Jean-Claude Gaudin, Philippe de Gaulle, Daniel Goulet , Yves Guéna, Jacques Habert, Marcel Henry, Christian de La Malène, Edouard Le Jeune, Maurice Lombard, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Paul d'Ornano, Charles Pasqua, Alain Peyrefitte, Bernard Plasait, Jean-Pierre Raffarin, Michel Rocard, André Rouvière, Robert-Paul Vigouroux, Serge Vinçon.

Voir les numéros :

Assemblée nationale :.

Sénat :

Lois de finances.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Rassemblant l'ensemble des crédits du ministère de la Défense qui ne relèvent spécifiquement ni d'une des trois armées ni de la Gendarmerie, le présent rapport pour avis -correspondant à l'ancienne « section commune »- ne se caractérise pas par son homogénéité et rassemble des actions très diverses, principalement le nucléaire, l'espace militaire et les services communs du ministère de la Défense (notamment les services de renseignement et la délégation générale pour l'armement).

Si l'évolution d'ensemble des crédits concernés (+ 0,15 % en francs courants) n'a pas, en raison de cette diversité, une grande signification, on notera toutefois l'importance des masses budgétaires en cause : près de 50 milliards de francs (49 305 millions de crédits disponibles en 1996) et un quart du budget de la défense dans son ensemble (22,32 % pour le titre III et 28,26 % pour le titre V).

Surtout, l'examen du présent rapport pour avis donne l'occasion de formuler, à partir de l'analyse du projet de budget pour 1996 et dans la perspective de l'élaboration de la prochaine loi de programmation, un certain nombre d'observations sur deux sujets essentiels :

- le domaine du nucléaire qui, bien au-delà de la question des essais nucléaires, se trouve au coeur de réflexions nouvelles et de profonds changements induits à la fois par les nouvelles données géostratégiques et par une conjoncture budgétaire terriblement contraignante ;

- et le domaine de l'espace militaire -et du renseignement en général- qui constitue désormais un élément indispensable d'un système de défense efficace et qui, malgré les très rudes restrictions financières actuelles, doit continuer à bénéficier, dans les années à venir, d'une priorité réaffirmée et soutenue .

Avant de revenir sur ces deux chapitres essentiels, puis sur les principaux services communs, il est toutefois nécessaire de rappeler brièvement les lignes directrices et le contexte du projet de budget de la défense pour 1996.

*

* *

CHAPITRE I - LES LIGNES DIRECTRICES DU BUDGET DE LA DEFENSE POUR 1996

I. UN BUDGET DE TRANSITION

A. VERS UNE NOUVELLE LOI DE PROGRAMMATION MILITAIRE

Le budget de la Défense pour 1996 s'inscrit dans un contexte très particulier puisque le nouveau gouvernement a annoncé, dès le mois de juin dernier, l'élaboration d'une loi de programmation « rénovée » qui serait déposée au printemps 1996. Le budget 1996 constitue donc chronologiquement un budget de transition entre la loi de programmation pour les années 1995-2000 , votée en juin 1994, dont il aurait dû constituer -et dont il constitue théoriquement- la deuxième annuité, et la future loi de programmation qui couvrira une période s'ouvrant le 1er janvier 1997.

1. Les objectifs poursuivis

En dépit de la profondeur et de la proximité des réflexions qui avaient précédé l'élaboration du Livre blanc sur la défense et de la loi de programmation qui devait couvrir les années 1995 à 2000, malgré aussi les propos tenus par le Premier Ministre dans sa déclaration de politique générale qui avaient donné à penser que les orientations fixées un an plus tôt pour la période 1995-2000 pourraient être respectées, le gouvernement a rapidement jugé indispensable d'effectuer de nouveaux choix et de prendre de nouvelles décisions justifiés par les bouleversements internationaux et, surtout, rendus indispensables par les très fortes contraintes budgétaires actuelles.

Trois objectifs principaux sont ainsi poursuivis par le gouvernement dans la nouvelle réflexion qu'il vient d'engager et qui doit se traduire dans une nouvelle loi de programmation.

- Premier objectif : préparer des choix, jusqu'ici différés, concernant l'avenir de nos forces armées.

Le gouvernement estime -non sans quelques raisons- qu'en dépit des efforts accomplis, la période de cohabitation a engendré des compromis qui n'ont pas permis de tirer toutes les conclusions nécessaires pour l'avenir de nos forces armées dans le nouveau contexte international. Des choix ont été ajournés, qui ne peuvent plus être différés. Trois questions majeures appellent ainsi des décisions inéluctables :

- l'avenir de la dissuasion nucléaire, d'abord, dont la pérennité et la crédibilité doivent naturellement être assurées dans le monde troublé de l'après-guerre froide -d'où la décision relative aux essais- mais qui suppose des choix rapides et essentiels : choix des composantes nucléaires futures, avenir des sites, et développement de la simulation après l'ultime campagne de tirs actuelle ;

- la détermination précise des capacités prioritaires pour nous donner les moyens de notre indépendance en tenant compte de la dimension européenne, en particulier : les capacités d'intervention et de projection de forces, les moyens spatiaux, de renseignement et de communications... ;

- enfin, la professionnalisation accrue de nos armées, dont la nécessité est généralement admise, mais dont les modalités doivent être précisées, ainsi que la définition du format des armées, avant de prendre les décisions concernant l'avenir du service national.

- Deuxième objectif : participer à l'effort nécessaire de maîtrise des dépenses publiques, sans compromettre la modernisation de notre défense.

Il s'agit, dans la conjoncture financière actuelle, d'éviter une réduction indifférenciée des crédits militaires qui conduirait inévitablement à un affaiblissement de notre système de forces. Il faut en revanche bâtir, à partir d'une utilisation plus ciblée des ressources, une défense efficace et ramassée autour de priorités clairement établies. Dans cette optique, les réflexions initiées par le gouvernement visent :

- un « réexamen critique » des programmes d'équipement engagés au titre de la loi de programmation votée en 1994,

- l'engagement d'une réforme de la politique d'acquisition des équipements et l'amplification des mesures visant à la réduction du coût des programmes,

- et, sur ces bases, la définition des ressources que la nation compte allouer à sa défense, compte tenu de la gravité des contraintes financières qui pèsent sur le budget de l'Etat.

- Enfin, un troisième objectif tend, plus généralement, à redéfinir les responsabilités, l'organisation et les méthodes de l'Etat en matière de défense.

Le gouvernement souhaite dans cet esprit :

- définir une nouvelle politique industrielle de défense, plus compétitive, donnant la priorité à la recherche, à la synergie civile-militaire, à la dimension européenne et à l'accompagnement des restructurations industrielles nécessaires ;

- tirer parti de toutes les méthodes modernes de gestion pour parvenir à une plus grande efficacité dans la consommation des crédits,

- et moderniser l'organisation de la Défense.

2. La méthode retenue : les travaux du comité stratégique

La méthode retenue pour procéder à cette véritable « remise à plat » de la politique de défense française et pour préparer les nouveaux choix -annoncés « draconiens »- qui seront présentés par le gouvernement au Parlement dans le prochain projet de loi de programmation a pris la forme de la constitution d'un « comité stratégique », mis en place le 11 juillet dernier par le ministre de la Défense qui le présidera et dont la coordination avec les travaux interministériels pour le Conseil de défense sera assurée par le Secrétaire général de la Défense nationale.

Chargé de préparer les décisions gouvernementales dans chacun des domaines précités, le comité stratégique s'appuiera sur cinq groupes de travail consacrés respectivement à :

-l'avenir de la dissuasion nucléaire,

- l'adaptation des forces classiques,

- l'accroissement de la professionnalisation et le format des armées,

- la nouvelle politique industrielle de défense,

- et la modernisation de la gestion de la Défense.

Le processus de décision retenu est le suivant : après les consultations interministérielles nécessaires, le Conseil de Défense -présidé par le Chef de l'Etat- devrait, avant la fin de l'année 1995 , retenir les grandes orientations relatives à l'évolution des forces armées et à la future programmation militaire -sur lesquelles notre commission sera naturellement informée et consultée.

Puis, au premier semestre 1996, les travaux se poursuivront, sur la base des directives du Président de la République, en vue de la présentation, prévue en juin 1996, d'un projet de loi de programmation révisée dont le budget 1997 constituera la première annuité -alors que la loi adopée en 1994 ne prévoyait son actualisation qu'un an plus tard, pour la période 1998-2003.

B. UN PROJET DE BUDGET POUR 1996 EN RÉDUCTION PAR RAPPORT A LA PROGRAMMATION ET AU BUDGET INITIAL POUR 1995 ET GLOBALEMENT STABLE PAR RAPPORT AU DERNIER COLLECTIF

1. Données générales

Dans le cadre de cette réflexion d'ensemble sur notre politique de défense, le projet de budget de la défense pour 1996 manifeste le souci du gouvernement de ne pas anticiper sur les décisions de fond qui seront prises dans les mois qui viennent et se caractérise par une légère progression en francs courants par rapport au budget 1995 modifié par le dernier collectif et par une très forte réduction par rapport aux prévisions de la loi de programmation.

Le projet de budget du ministère de la défense pour 1996 s'élève, pensions comprises, à 241,4 milliards de francs, soit une légère diminution de 0,8 % par rapport au projet de loi de finances initiale pour 1995, mais une augmentation de + 1,5 % par comparaison au budget résultant du collectif budgétaire du printemps dernier.

Hors pensions, les crédits militaires nouveaux inscrits dans le projet de loi de finances s'établissent à 189,6 milliards de francs :

- 100,6 milliards pour le titre III,

- et 89 milliards pour le titre V.

Les crédits du titre V seront toutefois -grâce aux mêmes pratiques budgétaires discutables que l'an dernier- abondés de deux catégories de crédits supplémentaires :

- 5,2 milliards de crédits de report,

- et 0,8 milliard de fonds de concours .

Ainsi, en termes de crédits disponibles -notion juridiquement peu satisfaisante mais qui correspond à la réalité des financements dont doit disposer le ministère de la Défense-, les moyens de ce ministère en 1996 devraient atteindre, hors pensions, 195,6 milliards de francs , dont 100,6 milliards pour les crédits de fonctionnement et 95 milliards pour les crédits d'équipement.

2. Les observations de votre rapporteur

Ces données générales appellent deux observations essentielles de votre rapporteur pour avis :

- Première observation : bon gré, mal gré, la loi de programmation pour les années 1995-2000 devait nécessairement être revue.

Les deux premières annuités de cette loi devaient en effet s'élever, pour les crédits d'équipement militaire, à 100,9 et 101,4 milliards de francs 1994, soit 102,4 milliards en 1995 et 105,7 milliards en 1996.

Le dernier collectif budgétaire, en amputant les crédits du titre V pour 1995 de 8,4 milliards, avait déjà -ainsi que notre commission l'avait déploré- creusé un écart substantiel avec la loi de programmation en ramenant les crédits d'équipement disponibles cette année à 94,5 milliards (86,5 milliards de crédits budgétaires nouveaux et 8 milliards en crédits de report et fonds de concours).

Le projet de budget pour 1996 accroît encore ce fossé par rapport à une exécution intégrale de la loi de programmation : avec à peine 95 milliards de crédits d'équipement disponibles pour 1996, pas moins de 10,7 milliards de différence apparaissent par rapport aux prévisions arrêtées en 1994 (- 10,1%) .

Au total, sur les deux années -1995 et 1996- d'application théorique de la loi de programmation, plus de 19 milliards manquent à l'appel par rapport à une application intégrale de la loi votée en 1994. Le constat est clair : la programmation militaire 1995-2000 doit, de ce fait, faire l'objet d'une révision complète , sous peine de voir cette dérive s'accentuer sans que des choix indispensables au niveau des programmes permettent de prendre les décisions qui s'imposent.

Telle est la démarche aujourd'hui suivie par le gouvernement à travers les travaux du comité stratégique et l'élaboration d'une nouvelle loi de programmation. Même si ce n'est pas de gaieté de coeur -et si notre commission aurait naturellement préféré voir la programmation votée en 1994 appliquée de manière satisfaisante-, il n'y a pas aujourd'hui , aux yeux de votre rapporteur, d'autre solution : seule une nouvelle programmation permettra d'effectuer de nouveaux choix, de mettre les programmes retenus en phase avec les financements disponibles, et de disposer à nouveau de la "visibilité" à moyen terme indispensable à nos forces armées comme aux industriels.

- Seconde observation : le budget de la Défense ne saurait constituer la variable d'ajustement du budget de l'Etat dans une conjoncture financière extrêmement contraignante.

Si le "décrochage" entre les prévisions de la loi de programmation et la réalité des crédits militaires était, en quelque sorte, devenu inévitable depuis le dernier collectif budgétaire, pire encore pouvait être craint pour le budget 1996 dès lors qu'une nouvelle programmation était annoncée sans que les nouvelles décisions soient encore prises. Le ministère de la Défense peut légitimement, par rapport à ces craintes, estimer avoir évité d'anticiper sur les décisions de fond qui seront prises prochainement.

Deux comparaisons peuvent justifier cette appréciation relativement positive dans un contexte financier d'ensemble extrêmement difficile :

- si les crédits de fonctionnement restent globalement stables, les crédits d'équipement disponibles en 1996 (95 milliards) seront légèrement supérieurs à ce qu'ils étaient en 1995 après le collectif budgétaire (94,5 milliards) soit une progression de 0,4 %; la progression est même plus élevée en termes de crédits budgétaires proprement dits : 86,5 milliards en 1995, 89 milliards en 1996, soit une augmentation de 2,8% ;

- cette relative satisfaction se réfère aussi aux rumeurs les plus alarmistes qui ont couru durant la période d'élaboration du budget ; la presse s'est ainsi fait l'écho -à tort ou à raison- d'une position du ministère des Finances tendant à réduire les crédits d'équipement disponibles en 1996 à 86,5 milliards de francs ...

Des choix extrêmement difficiles et particulièrement douloureux devront, en tout état de cause, être pris. Le ministère de la Défense estime avoir évité que le budget militaire ne soit considéré , en 1996, comme la "variable d'ajustement" du budget de l'Etat . Il est impératif qu'il en soit de même dans les années qui viennent pour redonner à la prochaine loi de programmation une cohérence sans laquelle cet exercice perdrait toute crédibilité et sans laquelle l'affaiblissement de notre système de défense serait inéluctable.

II. LES ÉVOLUTIONS CONCERNANT LE NUCLÉAIRE ET L'ESPACE MILITAIRE

Dans ce contexte budgétaire d'ensemble extrêmement difficile, des évolutions particulièrement importantes s'annoncent en ce qui concerne les deux sujets majeurs du présent rapport pour avis que sont le nucléaire -relativement préservé dans l'attente d'importantes décisions à venir- et l'espace militaire -qui reste fortement privilégié-.

A. LA STABILITÉ DE LA PART DES CRÉDITS CONSACRÉE AU NUCLÉAIRE

Le caractère transitoire du projet de budget pour 1996 est particulièrement sensible dans le domaine nucléaire où les économies réalisées ont, selon le gouvernement, un caractère conservatoire et sont susceptibles d'être différemment réparties en fonction des décisions qui seront prises prochainement par le Président de la République.

1. L'évolution des crédits

Les crédits disponibles consacrés à la dissuasion nucléaire s'élèveront en 1996 à 20 451 millions de francs. Par rapport à l'ensemble du budget d'équipement des armées (titre V), la part des crédits affectés au nucléaire sera ainsi quasi inchangée par rapport à cette année, soit environ 21,5%.

Ce montant de crédits traduit les évolutions suivantes :

- par rapport aux crédits résultant du dernier collectif budgétaire pour 1995 (20 347 millions de francs), ils restent globalement stables (+ 0,5% en francs courants) ;

- par rapport aux crédits disponibles prévus initialement pour 1995 (21 806 millions), ils marquent une diminution sensible de 6,2% ;

- enfin, par rapport aux prévisions de la loi de programmation pour 1996 (23 096 millions), ils font apparaître une forte réduction de 11,4%.

Là comme ailleurs, la signification précise de ces évolutions budgétaires est difficile à apprécier, dans l'attente des décisions essentielles que doit prendre prochainement le Conseil de défense : abandon éventuel de la composante terrestre, avenir des composantes sous-marine et aéroportée, caractéristiques des armes qui seront appelées à remplacer, à l'horizon 2010, les armes actuelles. Il est vraisemblable qu'en fonction de ces décisions, de nouveaux ajustements budgétaires seront nécessaires.

2. Des évolutions importantes

D'ores et déjà, si aucune décision irréversible n'est prise, le projet de budget fait apparaître des ajustements importants. Quatre points principaux doivent être, dès ce stade de l'analyse, soulignés :

- s'agissant du programme majeur des sous-marins nucléaires lanceurs d'engins de nouvelle génération (SNLE-NG), auquel plus de 4 000 millions seront consacrés en 1996, il est à noter que les dates d'admission au service actif des deux premiers bâtiments (le Triomphant et le Téméraire) restent fixées respectivement à 1996 et 1999 ; en revanche, celle du troisième, le Vigilant , est décalée ; et, surtout, aucune mention n'est faite du quatrième SNLE-NG, dont la commande aurait dû être décidée prochainement ;

- s'agissant de la composante terrestre , et là encore dans l'attente des prochaines décisions, les études et les travaux d'adaptation du plateau d'Albion aux missiles M4, envisagés par la loi de programmation, ont été d'ores et déjà suspendus ;

- le gouvernement a d'autre part annoncé l'engagement d'un effort de rationalisation pour réduire le coût du maintien en condition opérationnelle de l'ensemble des composantes de nos forces nucléaires ;

- en ce qui concerne enfin le Commissariat à l'énergie atomique (CEA), les crédits qui lui seront alloués s'élèveront à 7 580 millions , soit une réduction de 0,9% par rapport au collectif de juillet 1995 et de plus de 9 % -que votre rapporteur juge préoccupante- par rapport au budget 1995 ; ces crédits sont notamment destinés à l'achèvement de l'actuelle campagne de tirs, à la poursuite de la réalisation des têtes de missiles M 45, et au développement du programme PALEN dans la perspective d'un arrêt définitif et complet des essais.

B. LE MAINTIEN DE LA PRIORITÉ ACCORDÉE À L'ESPACE MILITAIRE

La principale satisfaction, relative, de ce projet de budget réside, dans le contexte financier que nous connaissons, dans les crédits alloués à l'espace militaire et, plus encore, dans la volonté politique affichée par le gouvernement de maintenir la forte priorité accordée à la mise en place d'une politique spatiale militaire conduite en synergie de plus en plus étroite avec les programmes civils et menée dans un cadre européen.

1. L'évolution des crédits

Les crédits disponibles consacrés à l'espace militaire s'élèveront en 1996 à 4 574 millions de francs . Cette masse de crédits fait apparaître des évolutions contrastées selon la base de référence choisie :

- par rapport à la loi de finances rectificative votée en juillet dernier, après laquelle les crédits spatiaux pour 1995 s'élevaient à 4 095 millions, une forte augmentation de 11,7% apparaît ;

- en revanche, par rapport aux crédits disponibles prévus à l'origine pour 1995 , qui s'élevaient à 4 918 millions de francs, c'est une diminution de 7% qui doit être constatée.

2. L'évolution des programmes

Ces crédits préservés dans la tourmente budgétaire devraient permettre la poursuite de l'ensemble des programmes en cours. En particulier :

- le programme Syracuse 2 de télécommunications spatiales par satellites poursuivra son développement, en étroite synergie avec les programmes civils de satellites de télécommunications ;

- près d'un milliard de francs sera consacré au programme d'observation optique Hélios 1 , dont le satellite Hélios 1A, lancé début juillet, a doté la France -et ses partenaires européens- d'une capacité de renseignement autonome très précieuse et qui doit être suivi par un second satellite, Hélios 1B ;

- des incertitudes demeurent en revanche, sur le plan européen, pour ce qui concerne le programme Hélios 2 d'observation optique et infrarouge qui doit lui succéder : les difficiles négociations conduites avec l'Allemagne, ainsi que l'Italie et l'Espagne, ont conduit à retarder le lancement de sa phase de réalisation ; ce retard est néanmoins encore compatible avec la nécessaire continuité du service de nos moyens d'observation spatiale après 2002 ;

- les mêmes difficultés de coopération portent sur le programme Horus (ex-Osiris) d'observation radar ; les études de faisabilité seront toutefois poursuivies en vue du lancement de ce programme dans les prochaines années.

CHAPITRE II - LES QUESTIONS NUCLÉAIRES : UNE TRANSITION DÉLICATE VERS LE DEUXIÈME ÂGE DE L'ÈRE NUCLÉAIRE

Si l'année 1995 restera marquée par la décision prise par le Chef de l'Etat, le 13 juin dernier, de procéder à une dernière campagne d'essais nucléaires avant la signature, prévue à l'automne 1996, d'un traité d'interdiction générale des essais (CTBT), si cette décision a provoqué d'innombrables réactions internationales -souvent plus passionnelles que rationnelles-, il convient, aux yeux de votre rapporteur, de tenter d'élargir le débat et de le resituer dans le contexte, plus large, du rôle et de l' avenir du nucléaire dans le nouveau contexte géostratégique .

Dans le souci de tenter d'éclairer le débat et, sinon d'apporter des réponses, du moins d'évoquer les questions majeures qui se posent aujourd'hui quant à la place dévolue au nucléaire dans le monde de demain et dans le cadre de la transition actuelle vers ce que l'on pourrait appeler le « deuxième âge » de l'ère nucléaire , votre rapporteur envisagera successivement :

- l'avenir de la dissuasion et de la prolifération nucléaires ;

- la question des expérimentations nucléaires ;

- celle des futures composantes nucléaires de la force de dissuasion française ;

- et celle de l'évolution des crédits consacrés au nucléaire.

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* *

I. LE RÔLE DE LA DISSUASION ET DU NUCLÉAIRE DANS LE NOUVEAU CONTEXTE INTERNATIONAL

A. L'AVENIR ET LA PÉRENNITÉ DE LA DISSUASION NUCLÉAIRE

Il faut d'abord réaffirmer ici fortement que, si les mutations récentes de l'environnement international entraînent des modifications substantielles de notre système de forces, elles ne bouleversent pas les postulats de la dissuasion nucléaire et ne remettent pas en cause sa pérennité , dont la pertinence maintenue a, rappelons-le, été soulignée, il y a à peine dix-huit mois, par le Livre blanc sur la défense. De nombreux facteurs y contribuent, qui doivent être ici brièvement rappelés.

1. La persistance de menaces potentielles justifiant le maintien d'une dissuasion suffisante

La dissuasion nucléaire française doit pouvoir s'exercer envers toute forme de menace portant atteinte à nos intérêts vitaux , dont le Chef de l'Etat est, en dernier ressort, le seul juge mais dont le coeur est naturellement constitué par l'intégrité du territoire national et de ses approches aériennes et maritimes, par la protection de la population et par le libre exercice de notre souveraineté.

C'est pourquoi la très grande variété des scénarios susceptibles de conduire à la mise en cause de nos intérêts vitaux nous impose de conserver un arsenal nucléaire, de stricte suffisance, crédible et diversifié.

S'il est clair que la survie de la nation n'est pas aujourd'hui directement menacée, nul ne saurait exclure totalement, sur le long terme -et c'est bien à cette échéance qu'il convient de raisonner-, la résurgence d'une menace majeure contre l'Europe occidentale, ne serait-ce qu'en raison de l'existence d'armements nucléaires surabondants et impressionnants en Russie.

Dans le même temps, le nouveau contexte international se caractérise, malgré les efforts diplomatiques entrepris, par une prolifération des armements de destruction massive qui accroît les risques auxquels la dissuasion doit faire face, tandis que les crises dans lesquelles nos intérêts peuvent être mis en cause se multiplient.

Et il est clair que, si un nouvel ordre est-ouest est apparu, la dissuasion demeure très présente dans le monde où d'autres équilibres à caractère régional sont nés : dans le sous-continent indien bien sûr, mais aussi, à titre d'exemples, au Moyen-Orient ou en Extrême-Orient .

2. Le nécessaire maintien d'un arsenal nucléaire crédible et diversifié

Pour toutes ces raisons, la dissuasion , qui a heureusement joué son rôle stabilisateur depuis 1945, ne saurait passer par pertes et profits dans le contexte de l'après-guerre froide , et demeure la garantie ultime de notre sécurité, le coeur de notre système de défense et une « assurance » irremplaçable -en même temps qu'un élément majeur du statut international de la France- dans l'environnement géostratégique actuel.

Chacun le sait : on ne pourra « désinventer » l'atome . Et il n'y a pas de solution de substitution à la dissuasion nucléaire. En raison même du caractère spécifique -et potentiellement apocalyptique- de l'arme nucléaire, arme de non emploi, elle seule donne à la dissuasion sa valeur absolue. Dès lors, la notion de « dissuasion conventionnelle » ne saurait lui être substituée , les armes conventionnelles ne pouvant de surcroît compenser l'effet égalisateur de l'arme atomique.

C'est pourquoi le concept français de dissuasion demeure pertinent et fondé sur la capacité d'infliger des dommages insupportables , au regard de l'enjeu d'une agression, à tout Etat qui s'en prendrait à nos intérêts vitaux. C'est pourquoi aussi la France se réserve la capacité de procéder, dans des circonstances où un agresseur aurait entamé le processus conduisant à la mise en cause de nos intérêts vitaux, à une frappe limitée « d'ultime avertissement » sur des objectifs militaires, destinée à marquer la limite de ces intérêts vitaux et notre détermination à nous défendre.

Certes, la nouvelle donne internationale entraîne, au regard du nucléaire, des modifications substantielles , soulignées par le Livre blanc de 1994 :

- une évolution de l'articulation entre moyens conventionnels et nucléaires : dans un contexte où les menaces contre nos intérêts vitaux se sont estompées ou éloignées et où nos forces sont fortement sollicitées dans des opérations extérieures de gestion de crises limitées, les forces classiques peuvent être amenées à jouer un rôle stratégique propre : « le rôle de la dissuasion nucléaire est devenu, fût-ce temporairement, moins central » ;

- de ce fait, estime le Livre blanc, « une certaine pause » pourrait être envisagée dans la modernisation de notre arsenal nucléaire.

Il reste que le maintien de la crédibilité de notre posture dissuasive suppose de disposer de moyens nucléaires suffisamment souples et diversifiés . Cet arsenal doit, de surcroît, pouvoir s'adapter aux évolutions internationales et techniques, dans le respect du principe de suffisance , la France n'ayant -rappelons-le- jamais participé à la course aux armements qui a conduit les arsenaux nucléaires des grandes puissances à des niveaux bien supérieurs à ceux des seuls besoins de la dissuasion.

3. Dissuasion nationale et dissuasion européenne

L'avenir de la dissuasion nucléaire pour le moyen et le long terme suppose enfin la prise en compte des perspectives européennes en la matière.

Si la contestation de la dissuasion a été renforcée par la disparition du camp soviétique et par l'illusion qu'aucune menace ne pesait plus sur l'Europe occidentale, il est non moins vrai que le vide en matière de défense nucléaire qui existe aujourd'hui en Europe occidentale est une faiblesse majeure pour sa sécurité et son autonomie.

S'il est clair que l'utilisation du nucléaire ne peut être le fait que d'une responsabilité politique unique qui n'existe pas encore au plan européen, notre volonté de promouvoir une identité européenne de défense ne permet pas d'éluder la dimension européenne des questions nucléaires.

C'est pourquoi le Livre blanc sur la défense affirme justement que l'éventualité d'une doctrine nucléaire européenne constituera l'un des principaux enjeux de l'élaboration d'une défense européenne et précise que l'autonomie de l'Europe en matière de défense ne sera possible qu'en prenant en compte le nucléaire.

Cette prise en compte doit permettre de concilier la dissuasion nucléaire, essentiellement nationale, avec une dimension européenne de la défense. Elle doit figurer parmi les réflexions préparatoires au Livre blanc sur la défense européenne que l'UEO élabore, sur une initiative du gouvernement français. Elle doit permettre la mise en place, sinon d'une dissuasion « partagée » -à coup sûr prématurée puisqu'elle supposerait l'existence d'une autorité de décision européenne et la définition d'intérêts vitaux communs-, du moins d' une dissuasion « concertée », dont l'éventualité, à plusieurs reprises évoquée au cours des dernières années, a été réitérée par les plus hautes autorités françaises durant ces derniers mois..

Cette dissuasion concertée suppose le renforcement de la coopération franco-britannique sur les questions de politique et de doctrine nucléaires, engagée depuis quelques années. Elle suppose aussi l'instauration d'un dialogue en la matière avec les pays européens non nucléaires, à commencer par l'Allemagne . Votre rapporteur se réjouit que l'actualité récente ait permis de donner une nouvelle impulsion à ce débat nécessaire avec nos partenaires européens.

La question de l'européanisation de la dissuasion, si elle doit être posée et traitée avec prudence et par étapes, ne saurait donc plus être éludée. Il y va de l'objectif, inscrit dans le traité de l'Union européenne, de bâtir une politique de défense commune.

B. L'OBJECTIF CONSTANT DE NON-PROLIFÉRATION NUCLÉAIRE

Parallèlement à sa volonté de conserver une force de dissuasion nucléaire crédible, la France se veut aujourd'hui particulièrement attachée à la lutte contre la prolifération. M. Alain Juppé , alors ministre des Affaires étrangères, en a clairement indiqué les raisons devant notre commission, le 6 avril dernier, dans les termes suivants : « pour la France, l'action visant à lutter contre la prolifération des armes nucléaires constitue un élément important , et de plus en plus important, de sa politique de sécurité : d'une part, il serait en effet contraire à nos intérêts de sécurité que s'accroisse, dans un contexte régional souvent marqué par les tensions et les instabilités, le nombre des Etats détenteurs de l'arme nucléaire ; d'autre part, le renforcement du régime de non-prolifération des armes nucléaires dans le monde est de nature à conforter le rôle imparti à notre pays sur la scène internationale ».

L'année 1995 a, à cet égard, été marquée par le renouvellement du traité de non-prolifération nucléaire (TNP) dont la portée doit être justement appréciée et qui doit être, non seulement compatible, mais encore complémentaire avec la dissuasion nucléaire.

1. Le succès de la prorogation indéfinie du traité de non-prolifération

A l'issue d'une vaste conférence internationale, réunissant 178 Etats, qui s'est déroulée à New York du 17 avril au 11 mai dernier, le TNP a été prorogé, par consensus, pour une durée illimitée. Sans revenir de manière détaillée sur cet événement qui a déjà fait l'objet d'un examen approfondi par notre commission (cf rapport d'information n° 311, 1994-1995, de M. Xavier de Villepin), cette reconduction indéfinie du TNP doit être appréciée comme un résultat très positif . Pour plusieurs raisons :

- elle renforce d'abord la norme internationale que constitue le TNP et qui est le coeur du dispositif international de lutte contre la prolifération, et notamment le fondement juridique des garanties et inspections de l'AIEA (agence internationale de l'énergie atomique) ; alors que le TNP était jusqu'alors le seul des grands traités de sécurité et de désarmement à avoir une durée de vie limitée, sa prorogation doit favoriser la poursuite des trois objectifs principaux du traité : la lutte contre la dissémination des armes nucléaires, l'accès aux usages pacifiques de l'atome, et le processus de désarmement ;

- cette reconduction indéfinie constitue d'autre part un succès pour les diplomaties occidentales ; la France et ses partenaires européens ont en effet vigoureusement plaidé, avec les Etats-Unis, en faveur d'une prolongation illimitée et inconditionnelle qu'ont finalement soutenue une nette majorité (104 pays) des Etats membres du TNP ;

- enfin, si elle a fait l'objet de longues négociations, cette reconduction illimitée n'a pas été accompagnée de concessions majeures de la part des cinq puissances nucléaires qui ont obtenu la pérennité d'un traité qui consacre leur différence nucléaire ; si le renforcement du processus d'examen périodique du traité peut se traduire pour les Etats nucléaires par de rudes pressions, il permettra aussi de mieux assurer la mise en oeuvre d'un traité dont le caractère, par nature discriminatoire, se trouve consolidé.

Pour le reste, rappelons que les engagements de fond portent principalement sur quatre points :

- les « garanties de sécurité » accordées aux Etats non nucléaires, qui n'ont toutefois pas pris la forme d'un instrument international juridiquement contraignant ;

- la conclusion, avant la fin 1996, d'un traité d'interdiction complète des essais (CTBT, « comprehensive test ban treaty ») ;

- la conclusion rapide d'une convention d'interdiction de la production de matières fissiles à des fins explosives ;

- et la poursuite du processus de réduction des arsenaux nucléaires dans la perspective d'un désarmement général et complet, sous un contrôle international strict et efficace.

2. Les perspectives toujours préoccupantes de la prolifération nucléaire

La prolongation du TNP ne saurait cependant régler définitivement la question de la prolifération nucléaire, dont les perspectives demeurent préoccupantes. Sans même rappeler -et c'est pourtant essentiel- que la prolifération nucléaire ne constitue qu'une des composantes du phénomène de la prolifération qui peut revêtir bien d'autres formes -chimique, biologique, balistique et bien sûr conventionnelle-, et s'il faut se garder d'appréciations excessivement alarmistes -qui ont été, par le passé, heureusement démenties par les faits-, de nombreuses questions demeurent non résolues :

- plusieurs Etats demeurent en dehors du TNP, qu'il s'agisse d' Etats nucléaires de fait -comme, vraisemblablement, Israël, l'Inde et le Pakistan- ou d' Etats du « seuil » qui constituent pourtant sans doute les premiers dangers actuels de prolifération nucléaire ;

- la question des trafics de matières nucléaires , voire d'un éventuel terrorisme nucléaire , est très difficile à évaluer ; mais, s'il faut se garder de tout catastrophisme, elle ne saurait être ignorée, ainsi que plusieurs cas récents de transfert illicite de substances radioactives l'ont illustré ;

- enfin, la « fuite des cerveaux » , originaires pour l'essentiel de l'ex-URSS, constitue peut-être aujourd'hui le phénomène le plus préoccupant : la diffusion des connaissances fait que les principes de fabrication d'une arme nucléaire rustique sont désormais assez répandus et de nombreux experts de l'ex-URSS ont désormais émigré, au risque de mettre leurs compétences au service d'Etats proliférants.

3. Prolifération et dissuasion nucléaires

Pour toutes ces raisons, la non-prolifération nucléaire constitue désormais l'une des priorités de la politique française en matière de sécurité, au moment où le contexte de l'après-guerre froide exacerbe les instabilités et fait de la non-prolifération des armes de destruction massive un des enjeux majeurs des décennies à venir.

Dans le même temps, notre concept de dissuasion demeure -on l'a vu- pertinent et au coeur de notre politique de défense.

La France doit ainsi relever le défi de ne pas délégitimer la dissuasion au nom de la lutte contre la prolifération et au contraire rendre complémentaires la dissuasion et la non-prolifération qui, sans être contradictoires, répondent à des ressorts différents. La volonté de raisonner en termes de sécurité collective qu'implique la non-prolifération suppose un équilibre délicat avec les exigences de la défense nationale et, en particulier, de la dissuasion nucléaire.

Mais la dissuasion et la non-prolifération nucléaires sont aussi fondamentalement compatibles dans la mesure où elles reposent l'une et l'autre sur la prévention. Votre rapporteur doit à cet égard rappeler les conclusions du président Xavier de Villepin dans son rapport précité sur la non-prolifération nucléaire :

« Essentiellement préventives, dissuasion et non-prolifération apparaissent à cet égard complémentaires, la sécurité française étant assurée par la combinaison de l'une et de l'autre.

Cette question de la cohérence entre notre doctrine de dissuasion et notre politique de non-prolifération était plus précisément posée par les assurances de sécurité données aux Etats non nucléaires par les puissances nucléaires, en particulier les « garanties négatives » par lesquelles notre pays s'engage à ne pas utiliser d'armes nucléaires contre les Etats non dotés de l'arme parties au TNP -sauf en cas d'invasion ou d'attaque en alliance ou en association avec un Etat nucléaire-. Si elles exigent une cohérence absolue entre le discours français relatif à la dissuasion et les engagements internationaux pris, la compatibilité entre ces assurances de sécurité et notre doctrine de dissuasion a été soulignée par M. Alain Juppé devant notre commission, pour trois raisons : le caractère strictement défensif de notre stratégie de dissuasion , stratégie de non-guerre reposant sur le principe de suffisance ; la compatibilité entre les assurances de sécurité et le droit inaliénable de légitime défense consacré par l'article 51 de la Charte des Nations Unies ; et le fait que la dissuasion française repose sur la protection de nos intérêts vitaux , quelle que soit l'origine de la menace, y compris éventuellement celle d'armes de destruction massive interdites par la norme internationale. »

C'est dans le même esprit que doit être appréciée la cohérence entre la politique française de non-prolifération et la décision, prise le 13 juin dernier par le Chef de l'Etat, d'effectuer une dernière campagne d'essais nucléaires avant la signature, dès 1996, du futur traité d'interdiction des essais.

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II. LA QUESTION DES ESSAIS NUCLÉAIRES

A. LA DERNIÈRE CAMPAGNE DE TIRS FRANÇAISE : DIX RAISONS MAJEURES

C'est au cours d'un point de presse, désormais célèbre, organisé à l'Elysée le 13 juin 1995 que le Président de la République a annoncé l'ultime campagne d'essais nucléaires français dans les termes suivants : « Les essais nécessaires interviendront à partir du mois de septembre et seront, en tous les cas, terminés fin mai 1996, et peut-être avant . J'insiste sur ce point parce que c'est à l'automne 1996 que va arriver à terme et à signature le traité international portant interdiction de tout essai nucléaire , et la France a bien l'intention de signer sans réserve ce traité à l'automne 1996 . Mais, pour ce faire, il fallait naturellement qu'elle soit en situation d'assurer à la fois la sécurité et la fiabilité de sa force de dissuasion et qu'elle ait aussi la possibilité , comme l'ont d'autres pays, de passer à la simulation ».

Tout ayant été dit et écrit sur cette décision du Chef de l'Etat qui a provoqué, ainsi qu'il était attendu, des réactions internationales extrêmement vives, soigneusement orchestrées, notamment par l'organisation Greenpeace, votre rapporteur n'a pas souhaité revenir en détail sur ce qui est devenu le « feuilleton de l'été » et fera sans aucun doute encore couler beaucoup d'encre jusqu'au printemps 1996. Il lui est toutefois apparu nécessaire de tenter de dépasser ici les réactions passionnelles et de rappeler posément, par delà les procès d'intention faits à notre pays, les dix raisons principales qui justifient et qui expliquent cette décision du Président de la République -avant de revenir plus précisément sur les négociations relatives au CTBT (cf B ci-dessous) et sur l'avancement du programme PALEN (cf C infra) qui constituent l'essentiel pour l'avenir.

1. Une ultime campagne nécessaire au maintien d'une dissuasion crédible et sûre

L'objectif poursuivi par la France à travers cette dernière campagne d'essais est évidemment le maintien d'une capacité de dissuasion crédible et sûre dans la perspective de l'interdiction prochaine de toute expérimentation en grandeur réelle. Il y va naturellement de sa sécurité dans un contexte international troublé où notre concept de dissuasion conserve sa pertinence. Il y va aussi de la responsabilité internationale de la France , puissance nucléaire reconnue par le TNP, qui a pour obligation de veiller à la sûreté et à la fiabilité de ses armes nucléaires.

La France entend le faire, dès que possible, par la simulation. Cette ultime campagne d'essais doit permettre d'y parvenir. A l'inverse, une prolongation du moratoire décidé hâtivement en 1992 aurait signifié , à terme, la condamnation de notre dissuasion à l' obsolescence progressive . Cette obsolescence aurait inéluctablement signifié ensuite la disparition pure et simple de notre dissuasion, alors que le danger nucléaire n'a pas définitivement disparu et que de nouveaux risques apparaissent.

Les derniers essais ont ainsi un triple objet , ainsi que le Chef de l'Etat l'a précisé dans l'enceinte du Sénat dès le mois de juin dernier :

- d'abord, le dernier tir de qualification de la tête nucléaire TN75 du missile M45 qui équipera les SNLE de nouvelle génération du type « Le Triomphant », et dont le moratoire n'avait pas permis d'effectuer la validation définitive ;

- ensuite les essais nécessaires pour garantir le fonctionnement des armes à partir de concepts plus « robustes » , c'est-à-dire présentant des marges suffisantes à l'égard des variations des paramètres technologiques intervenant dans le fonctionnement de la charge nucléaire : vieillissement des matériaux, conditions de fabrication ... Il sera en effet nécessaire, pour assurer l'avenir de nos systèmes d'armes actuels en renouvelant les armes arrivant en fin de vie au bout d'une vingtaine d'années , d'utiliser des concepts de base moins sensibles à des variations de paramètres de réalisation. La qualification de ces concepts plus robustes -dont il faut relever qu'ils vont à l'encontre de l'amélioration des performances des armes nucléaires et de leur sophistication- doit ainsi permettre de garantir, compte tenu du temps nécessaire au développement de la simulation, le fonctionnement des armes nucléaires au moyen d'expériences en laboratoire ;

- les dernières expérimentations en grandeur réelle viseront enfin à compléter les références et les données physiques qui permettront le développement au niveau nécessaire du programme de simulation . C'est pourquoi la campagne prévue comprend des essais qui constituent de véritables expériences de physique en vraie grandeur, avec une instrumentation très complète pour déterminer l'effet de variation des paramètres sur le fonctionnement des armes. La base de données de référence ainsi complétée doit permettre de garantir à l'avenir la fiabilité des systèmes d'armes par la simulation sans recourir à de nouveaux essais. Il est d'ailleurs à souligner que des expériences de ce type étaient programmées dès 1992 mais que leur réalisation avait été empêchée par le moratoire sur les essais.

2. Une dernière campagne qui permettra à la France de s'associer à la conclusion du CTBT avant la fin 1996

La décision française de procéder à une dernière série d'essais lui permettra aussi -c'est le second élément, essentiel, de la décision annoncée par le Chef de l'Etat le 13 juin- de se joindre dès 1996, à la conclusion du traité sur l'arrêt complet des essais nucléaires (CTBT) , conformément à l'objectif que s'est assigné la communauté internationale.

Cet engagement de la France s'inscrit dans le cadre de la lutte contre la prolifération nucléaire , conformément à la déclaration adoptée à New-York le 11 mai 1995 en même temps que la reconduction, pour une durée illimitée, du traité de non prolifération. Il revêt une particulière importance puisqu'il est nécessaire, pour qu'un CTBT trouve tout son sens et sa pleine efficacité, que tous les Etats dotés de l'arme nucléaire y adhèrent.

La France partage ainsi l'objectif d'une renonciation complète et définitive aux essais, dans le cadre d'un traité universel et vérifiable. Cette décision de signer le CTBT supposait toutefois une ultime campagne d'expérimentations et exigeait que ces derniers essais aient lieu rapidement :

- une dernière campagne d'essais était nécessaire pour nous doter des moyens de continuer à assurer dans l'avenir la crédibilité technique de nos forces de dissuasion en l'absence de tout essai ; la perspective du CTBT pose en effet en termes très nouveaux la question de la garantie future de la fiabilité des armes nucléaires qui était assurée jusqu'ici par des essais en grandeur réelle et devra à l'avenir reposer sur la simulation ; or, si la connaissance française des phénomènes complexes dont l'enchaînement permet le fonctionnement des armes nucléaires a progressé, d'autres essais étaient nécessaires avant que la prévision théorique et les expériences en laboratoire permettent d'assurer, à eux seuls, la sûreté et la fiabilité . Il faut à cet égard souligner qu'une coopération avec les Etats-Unis pour acquérir les techniques de simulation -prônée par certains- était difficile à mener à bien techniquement, les deux pays n'utilisant pas les mêmes technologies, et posait naturellement un grave problème politique compte tenu de l'indépendance nécessaire de notre force de dissuasion ;

- ces derniers essais devaient d'autre part être effectués rapidement pour être achevés avant l'aboutissement des négociations sur le CTBT et permettre alors à la France d'adhérer sans réserve à ce traité avant la fin 1996 ; les dates choisies constituaient ainsi, en quelque sorte, l'ultime « fenêtre » d'opportunité et la dernière possibilité pour procéder à une campagne d'essais ; il était donc nécessaire de décider et de réaliser aussi rapidement que possible après l'élection présidentielle une telle campagne.

3. Une décision conforme à nos engagements internationaux

La décision ainsi prise par le Chef de l'Etat en fonction de son appréciation des intérêts supérieurs de la nation est d'autre part pleinement conforme aux engagements internationaux de la France.

Il convient d'abord de rappeler -cela va de soi mais le caractère déraisonnable de certaines des critiques adressées à la France incite à le souligner- qu'aucun traité, aucun accord international ne prévoit à ce jour l'interdiction définitive des essais et que c'est précisément pour être en mesure de participer au CTBT que la France a décidé une dernière série d'expérimentations.

C'est ainsi qu'à New-York, à l'occasion de la conférence de renouvellement du TNP, l'idée d'un engagement à une prolongation du moratoire a été écartée. Les puissances nucléaires se sont en revanche engagées (dans la déclaration sur les principes de la conférence de New-York) à observer « la plus grande retenue » en matière d'essais.

Cette retenue est respectée par les caractéristiques de la série d'essais en cours :

- il s'agit de la dernière campagne française ;

- elle sera réduite au maximum en nombre de tirs : huit au plus, et vraisemblablement moins ;

- elle sera limitée dans le temps : commencée en septembre dernier, elle sera achevée au plus tard fin mai 1996 et, selon toute vraisemblance, plusieurs semaines plus tôt ;

- elle sera enfin, comme les précédentes, conduite dans les conditions les plus strictes de sécurité et de préservation de l'environnement .

Il faut enfin redire ici que son statut de puissance nucléaire, reconnu par le TNP, implique pour la France des responsabilités au nombre desquelles figure celle de veiller à la sûreté et la fiabilité de ses armes nucléaires. Quant aux Etats non nucléaires parties au TNP, ils ne peuvent légalement procéder à des essais nucléaires.

Aucun reproche relevant du droit international ne saurait donc être adressé à la France. Les critiques formulées à son encontre relèvent strictement d'appréciations politiques. Elles ne sont pas, aux yeux de votre rapporteur, davantage fondées.

4. Une décision qui ne saurait constituer un encouragement à la prolifération nucléaire

Ce serait en particulier un mauvais procès que de prétendre que cette dernière campagne d'essais pourrait constituer un signal d'encouragement sur le plan international, au regard de la prolifération des armes nucléaires. Pour au moins trois raisons :

- la décision française ne saurait modifier le comportement d'éventuels proliférateurs : la conférence de New-York sur le TNP, en décidant sa reconduction pour une durée indéfinie, a solennellement réaffirmé le caractère illégal de toute action d'un Etat non nucléaire visant à se doter de l'arme atomique et l'obligation pour les cinq puissances nucléaires reconnues d'assurer la fiabilité et la sûreté de leurs armes nucléaires ; la dernière campagne française, très limitée en temps et en nombre et au terme de laquelle la France arrêtera définitivement ses essais et conclura le CTBT, ne doit en conséquence avoir quelque influence que ce soit sur la prolifération des armes nucléaires ;

- la reprise des essais par la France ne saurait davantage susciter un quelconque effet d'entraînement de la part des autres puissances nucléaires : la situation de notre pays est en effet objectivement différente de celle des autres Etats nucléaires :

. les Etats-Unis et la Russie ont réalisé des essais beaucoup plus nombreux que les nôtres (plus de 700 pour la Russie, plus de 1 000 pour les Etats-Unis, moins de 200 pour la France) qui leur ont permis d'acquérir davantage de données sur le fonctionnement des armes ; ils disposent d'un arsenal beaucoup plus important et diversifié qui leur permet d'assurer plus aisément la crédibilité de leur dissuasion ;

. la Chine , de son côté, n'a pas cessé de procéder à des essais nucléaires -y compris de très forte puissance- sans susciter pour autant des réactions internationales en quoi que ce soit comparables à celles provoquées par les derniers essais français ... ;

. la Grande-Bretagne , enfin, voit, chacun le sait, ses décisions en matière d'essais étroitement dépendantes de celles des Etats-Unis ;

- les derniers essais français ne sauraient enfin favoriser en quoi que ce soit une nouvelle course aux armements nucléaires : la France n'a jamais participé à une telle escalade et son arsenal nucléaire a été et restera régi par le principe de stricte suffisance ; l'objet de sa dernière campagne -assurer la fiabilité et la sûreté de nos armes et préparer le programme de modélisation et de simulation- n'est pas d'accroître le nombre ou la puissance de ses armes nucléaires ni de concevoir de nouveaux types d'armes (contrairement, semble-t-il, aux essais chinois).

5. Une décision strictement conforme à notre doctrine constante de dissuasion

La stratégie permanente de dissuasion française est -faut-il le rappeler- une stratégie purement défensive, excluant la bataille nucléaire et visant à empêcher la guerre.

La dernière campagne d'essais s'inscrit parfaitement dans cette doctrine constante : contrairement à des allégations gratuites, il ne s'agit pour la France ni de concevoir de nouveaux types d'armes, ni d'accroître le nombre ou la puissance de ses armes existantes, ni de développer des armes miniaturisées . Il s'agit d'assurer la sécurité et la fiabilité de nos armes et de maîtriser les techniques de simulation qui permettront ensuite de nous dispenser d'essais.

La France reprend seulement et achève les essais brutalement interrompus en 1992. Conformément à ce qu'il avait indiqué durant la campagne électorale présidentielle, le Chef de l'Etat, après s'être entouré des avis les plus qualifiés, a pris la décision qu'il a jugé, en son âme et conscience, conforme aux intérêts supérieurs de la Nation .

Car, si l'arme nucléaire est faite pour ne pas être utilisée et a pour fonction d'empêcher la guerre, sa crédibilité et son efficacité supposent qu'il n'existe aucun doute sur la capacité de notre appareil de dissuasion . Ainsi que l'a justement souligné M. Claude Cheysson (« Le Monde » du 26 juillet 1995) : « Des experts ont affirmé, le Président de la République a confirmé que des essais étaient nécessaires. Leur abandon créerait le doute. Céder sous la pression internationale ferait douter aussi de la ferme résolution du Président de la République, celui qui serait appelé à user de notre capacité de dissuasion en cas de menace sur nos intérêts vitaux. Maintenant que la nécessité en a été déclarée, les essais complémentaires de Mururoa doivent avoir lieu . La France confirmera ainsi qu'elle assume ses responsabilités dans le maintien d'une capacité de dissuasion de la guerre ».

6. Des tirs dont l'innocuité sur l'environnement est démontrée et désormais largement reconnue

Les critiques formulées à l'encontre des essais français, souvent excessives, et relevant parfois de la pure et simple désinformation, auront au moins eu pour conséquence positive de provoquer, sinon une « bataille médiatique », du moins d'inciter les autorités françaises à une politique de transparence et de large information sur la réalité et sur les conséquences des essais nucléaires. Permettant de rétablir la vérité scientifique, cette politique d'ouverture a en particulier permis de démontrer et de faire connaître le caractère totalement infondé des campagnes relatives aux conséquences présumées des essais sur l'environnement, la flore, la faune et, bien sûr, les populations de la région de Mururoa . Plusieurs points méritent à cet égard d'être brièvement rappelés.

- Des informations mensongères ont été dissipées : ainsi en est-il notamment de l'image, complaisamment répandue, du champignon atomique , alors que les essais français sont souterrains depuis 1975 et ne provoquent depuis lors aucun rejet dans l'atmosphère. Les essais sont effectués sur le site de Mururoa -et Fangataufa- à une très grande profondeur -de 600 à 1 200 mètres sous le lagon- dans une roche basaltique très dure ; tous les éléments radioactifs demeurent ainsi confinés dans le massif au voisinage du point d'explosion. La concentration en plutonium ou en césium de l'eau du lagon de Mururoa est ainsi environ mille fois inférieure à la limite fixée pour la consommation d'eau de boisson aux Etats-Unis. Et chacun sait désormais que le taux d'exposition en Polynésie est inférieur à ce qu'il est à Paris ... ou à Sydney.

- Les conclusions des diverses missions scientifiques indépendantes qui se sont rendues sur place sont connues (rapport Tazieff, Atkinson et Cousteau notamment) : elles soulignent les sévères conditions de sécurité observées sur les sites et l'absence d'effets significatifs tant pour les populations que pour l'environnement de la région.

Ajoutons que le gouvernement français élabore chaque année un rapport sur la surveillance de l'environnement et le bilan radiologique des sites du Pacifique. Ce rapport est notamment diffusé aux élus de Polynésie et aux organismes scientifiques compétents des Nations Unies.

Les mesures de surveillance réalisées par des laboratoires français ont été confirmées par plusieurs laboratoires étrangers faisant autorité -notamment australien et néo-zélandais- en 1991 et 1994.

- Rappelons enfin que les autorités françaises ont autorisé des experts scientifiques internationaux -notamment de l'A.I.E.A. et de l'Union européenne- à effectuer toutes les mesures nécessaires à l'occasion de la campagne d'essais actuelle. Elle permettront d'évaluer l'état radiologique du site et ainsi, sans aucun doute, de confirmer l'absence de conséquences négatives pour l'environnement.

7. D'ultimes essais qui ne pouvaient naturellement avoir lieu que sur le Centre d'expérimentations du Pacifique (CEP)

Ces derniers essais ne pouvaient naturellement avoir lieu que sur les sites de Mururoa et Fangataufa. Cela va sans dire. Mais le caractère systématique des critiques adressées par certains à la France et soulignant que les essais n'ont pas lieu sur le territoire métropolitain conduit à rappeler les raisons du choix du CEP.

- La Polynésie française -territoire de souveraineté française- a été choisie, il y a trente ans, pour abriter le site du CEP en raison de la très faible densité de la population de cette région . Ce critère était en effet indispensable à l'époque, s'agissant de tirs aériens , aucune zone désertique n'existant en France métropolitaine. Les atolls de Mururoa et Fangataufa, inhabités avant les expérimentations, présentaient de surcroît l'avantage d'être très aisément accessibles et de dimensions suffisantes.

Lors du passage aux essais souterrains, en 1975, le même site a été conservé dans la mesure où l'infrastructure existait déjà et où la structure géologique -le socle basaltique- était favorable et ne présentait pas d'inconvénient sur le plan des effets sismiques . Il serait naturellement difficile de trouver en métropole une zone appropriée exempte, sur 30 ou 40 km, de toute construction susceptible d'être ébranlée par les secousses dues aux expériences.

Ces motifs s'imposaient, pour les mêmes raisons, pour la dernière campagne d'essais en cours.

- Ces éléments donnent l'occasion de rappeler quelques données géographiques précises :

. l'île la plus proche de Mururoa est située à 110 kilomètres, et l'on compte moins de 4 500 habitants dans un rayon de 1 000 km autour de Mururoa ; à titre de comparaison, on dénombre environ 7 millions d'habitants autour du site américain du Nevada ! Ces données devraient suffire à convaincre de l'innocuité des essais sauf à imaginer que les gouvernements américains successifs auraient délibérément mis en danger des millions de citoyens américains pendant des décennies ;

. s'agissant enfin des protestations des pays du Pacifique sud, donnant parfois à penser que les expérimentations françaises se déroulent quasiment sur leurs propres territoires, on rappellera une nouvelle fois que l'Australie et la Nouvelle-Zélande se trouvent respectivement à 6 900 kilomètres et 4 700 kilomètres de Mururoa ! Les points les plus proches des continents nord et sud-américains se trouvent pour leur part à 6 600 et 6 700 kilomètres.

8. Des critiques internationales, le plus souvent attendues, mais fortement orchestrées et parfois très excessives

Malgré ces données objectives et toutes les raisons qui viennent d'être évoquées, la décision française a provoqué des réactions internationales de grande envergure . Comme l'on pouvait s'y attendre dès l'instant que le sujet touche au nucléaire, le caractère passionnel du sujet l'a souvent emporté sur toute considération objective.

Ces réactions n'étaient pas pour autant inattendues : indignation dépassant -et de loin- les relations normales entre Etats de droit en Australie , voire en Nouvelle-Zélande ; hostilité vigoureuse au Japon et dans plusieurs Etats du Pacifique , voire d'Amérique latine ; critiques plus ou moins contenues ou compréhension nuancée, selon les cas, en Amérique du Nord et en Europe.

Mais, diverses dans leur ampleur, ces critiques apparaissent également très différentes dans leur contenu réel , sinon dans leurs motivations avouées. On peut ainsi distinguer :

- les critiques purement émotionnelles d'inspiration strictement écologique et liées à l'environnement , dont on a vu le caractère infondé ;

- les critiques reposant sur une hostilité à tout armement nucléaire , qui a trouvé une manifestation spectaculaire au Japon, en août dernier, à l'occasion du cinquantième anniversaire de l'explosion des bombes d'Hiroshima et Nagasaki ;

- les critiques visant en réalité à remettre en cause la présence française dans le Pacifique , alors que les essais nucléaires ont -faut-il le rappeler- beaucoup apporté à la Polynésie française ; il va de soi que ces considérations, s'ajoutant à des facteurs d'ordre intérieur, ont beaucoup joué dans les prises de position néo-zélandaises et surtout australiennes -comme si les derniers essais français avaient été l'occasion pour l'Australie d'énoncer une sorte de « doctrine de Monroe du Pacifique sud » visant, à terme, à l'éviction de la France de cette région du globe ;

- enfin, les critiques poursuivant , à travers le prétexte des essais, des avantages de nature commerciale afin d'obtenir, au détriment de la France, des bénéfices dans la guerre économique mondiale ; c'est évidemment l'objet des appels au « boycott » économique et commercial lancés -heureusement sans grand succès- à l'égard des produits ou d'entreprises français.

9. Des critiques intérieures et techniques relativement modestes mais injustifiées

En France même, la décision de procéder à une dernière série d'essais nucléaires a fait l'objet de critiques, certes vigoureuses -et là encore fortement relayées médiatiquement. Votre rapporteur se félicite pourtant qu'elles se soient exprimées de manière le plus souvent raisonnable, ainsi qu'il convient dans le cadre d'un débat démocratique, a fortiori lorsque la France est attaquée sur la scène internationale.

Il paraît toutefois nécessaire de formuler ici deux brèves observations :

- la France ne fait actuellement qu' achever une série de tirs programmée et prématurément interrompue en 1992 ; les critiques actuels ne sauraient perdre de vue que notre pays ne se trouverait pas dans la délicate position internationale d'aujourd'hui si le moratoire décidé en 1992 avait fait l'objet de la préparation indispensable à une décision de cette importance ; en tout état de cause, la décision du Chef de l'Etat repose aujourd'hui sur sa légitimité issue du suffrage universel ;

- en second lieu et surtout, les critiques relatives aux essais actuels semblent souvent dissimuler en réalité une critique à l'égard de la dissuasion nucléaire elle-même dans le nouveau contexte géostratégique ; il s'agit là d'une critique fondamentale et en réalité plus importante que celle des derniers essais eux-mêmes ; il s'agit d'une thèse parfaitement respectable -même si elle est contraire aux convictions de votre rapporteur- mais la décision relative aux essais ne saurait servir de prétexte à cette remise en cause essentielle ; ainsi que l'a justement souligné le directeur des applications militaires du C.E.A. (« Libération » du 3 août 1995) : « ceux qui, par instinct, par conviction ou par intérêt, sont contre le choix pour la France de conserver un potentiel de dissuasion nucléaire doivent le dire clairement et ne pas chercher refuge derrière de prétendues querelles d'experts ».

10. Une décision qui s'inscrit dans la perspective fondamentale d'une défense européenne

Parmi les critiques suscitées par la décision française de procéder à une ultime campagne d'essais nucléaires, les plus douloureuses et, aux yeux de votre rapporteur, les plus injustifiées restent celles qui sont venues, à des degrés différents, de certains de nos partenaires européens.

C'est pourquoi un effort d'explication important doit continuer à être accompli. Votre rapporteur tient à cet égard à se féliciter tout particulièrement de la part importante prise par de nombreux membres de notre commission, dans un contexte parfois difficile, dans l'envoi de multiples missions de parlementaires français auprès de nombreux partenaires européens.

Car, à travers le maintien de la dissuasion française, c'est aussi l'avenir de notre dessein européen qui est en jeu. La défense européenne commune ne se construira pas sur les décombres de la dissuasion nucléaire française -et britannique-. Au contraire, la meilleure garantie pour que la défense européenne comprenne, le jour venu, une dimension nucléaire réside dans une capacité indépendante de la France dans ce domaine.

Si les pays de l'Alliance atlantique ont déjà reconnu, dès 1991, l'importante contribution des forces nucléaires française et britannique à la sécurité de l'Europe de l'après-guerre froide, il convient aujourd'hui d'aller plus loin. Le débat suscité par les essais français peut être l'occasion de préciser le rôle que la force de dissuasion française pourrait jouer dans le dispositif de défense de l'Union européenne . Votre rapporteur se félicite à cet égard de l'annonce faite, par le Chef de l'Etat le 1er septembre dernier, que la France « prendra, le moment venu, une initiative sur ce sujet en concertation avec ses principaux partenaires ».

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B. LES NÉGOCIATIONS RELATIVES AU TRAITÉ D'INTERDICTION COMPLÈTE DES ESSAIS NUCLÉAIRES (CTBT)

Dans la double décision annoncée par le Président de la République le 13 juin dernier -une dernière campagne de tirs et l'adhésion de la France au futur traité d'interdiction complète des essais-, le premier élément , spectaculaire, a focalisé l'attention et été à l'origine de l'essentiel des réactions internationales alors que le second est, à l'évidence, le plus important tant au regard de la lutte contre la prolifération nucléaire que pour les capacités d'adaptation à venir de nos forces de dissuasion nucléaire . Cette importance a été encore accrue par la précision essentielle donnée, le 10 août dernier, par la France -aussitôt suivie par les Etats-Unis- qu'elle soutiendrait l'interdiction , dans le cadre du CTBT, de « tout essai d'arme nucléaire et de toute autre explosion nucléaire quel qu'en soit le niveau» , c'est-à-dire « l'option zéro » en matière d'essais nucléaires.

1. Le déroulement des négociations de Genève et l'engagement de la France

- La négociation sur l'interdiction des essais nucléaires a débuté en janvier 1994 dans le cadre de la Conférence du désarmement de Genève -une enceinte où, rappelons-le, la France dispose d'un droit de veto.

Si tout n'est pas encore résolu, l'ampleur du tournant amorcé au cours des derniers mois -en grande partie, il faut le souligner, grâce au débat suscité par la double décision de la France relative aux essais nucléaires- permet désormais d'être relativement optimiste quant à la conclusion effective d'un véritable CTBT dans le courant de l'année 1996.

- L'engagement de la France , annoncé par le Président de la République le 13 juin dernier , de « signer sans réserve ce traité à l'automne 1996 » s'inscrit dans le contexte des conditions mises par la délégation française, dès le 7 février 1994, à sa participation :

- aucun lien artificiel ne devait être établi entre la négociation sur le CTBT et d'autres échéances , en particulier la prolongation indéfinie du TNP décidée en mai dernier ; il était en effet logique, puisque le CTBT a un objectif de non prolifération, que les puissances nucléaires connaissent le résultat de la conférence relative à la prorogation du TNP avant de conclure les négociations relatives à l'interdiction des essais ; il était également nécessaire de permettre au nouveau Chef de l'Etat de prendre les décisions qu'il jugeait nécessaires tant en ce qui concerne la reprise des essais qu'en ce qui concerne leur arrêt définitif dans le cadre du CTBT ;

- il devait également aller de soi que le CTBT doit constituer un traité d'interdiction des essais et non un traité d'interdiction des armes nucléaires , pour les puissances nucléaires reconnues ; ceci signifie en particulier que le futur traité ne doit pas être incompatible avec le maintien de la crédibilité de notre force de dissuasion , d'où le lien avec la dernière campagne d'essais décidée par la France ; c'est pourquoi aussi la France se devait de participer activement aux négociations et peser sur leur contenu pour le rendre à la fois efficace dans la lutte contre la prolifération et acceptable au regard de la crédibilité de notre force de dissuasion ;

- enfin, quant à ses modalités, le traité doit être, selon Paris, universel et internationalement vérifiable ; sa valeur au regard de la prolifération nucléaire dépend naturellement de son application par l'ensemble des Etats ; et sa portée technique comme son système de vérification doivent placer les puissances nucléaires dans des situations équitables les unes par rapport aux autres.

C'est dans ce cadre que doivent être examinées les deux questions essentielles posées par le CTBT : la portée du futur traité et son régime de vérification .

2. La portée du futur traité : vers « l'option zéro » ?

La question de la portée du futur traité -c'est-à-dire des activités prohibées ou non-prohibées - figure naturellement au coeur de la négociation du CTBT, puisqu'elle porte sur le caractère global ou non de l'interdiction des essais nucléaires. Il s'agit de l'enjeu politique majeur des négociations.

C'est ainsi que deux types d'expérimentations -qui n'auraient pas été prohibées- avaient été envisagées, notamment par les Etats-Unis : les essais d'une puissance modeste -décelables mais à courte distance-; et les essais, dits « hydronucléaires » , d'une puissance très faible, de l'ordre de deux kilos de TNT, a priori indécelables.

Dans ce contexte, la France s'est ralliée, le 10 août dernier, à « l'option zéro » , c'est-à-dire à l'interdiction de tous les essais, conformément à la proposition formulée, dans le cadre des négociations de Genève, par l'Australie. Il s'agit là naturellement, après l'acceptation d'un traité à durée illimitée, d'une manifestation très claire et très forte de la France de sa volonté de participer à une interdiction générale et complète des expérimentations nucléaires.

Les Etats-Unis ont, dès le lendemain, par la voix du président Clinton, approuvé et suivi la position française en faveur de cette « option zéro ». Le secrétaire américain à la Défense a estimé que les essais hydronucléaires étaient d'une très faible efficacité tandis que les essais de quelques centaines de tonnes « pouvaient être souhaitables mais n'étaient pas nécessaires et peut-être pas suffisants ». Ce qui revient sans doute à dire que l'efficacité marginale de tels essais ne compensait pas l'impact négatif de tels essais sur le plan diplomatique et international.

Si les positions définitives de la Russie et surtout de la Chine doivent encore être précisées sur ce point, il est vraisemblable que la position des trois Etats nucléaires occidentaux en faveur de « l'option zéro » -la Grande-Bretagne soutenant également cette position- jouera fortement en faveur d'une interdiction générale et complète des essais.

Une telle éventualité est naturellement de nature à favoriser l'adoption du CTBT par les Etats non nucléaires -et donc son efficacité dans la lutte contre la prolifération- et à atténuer les critiques internationales à l'égard des derniers essais français. Elle est, bien sûr, à cet égard très positive.

Elle n'en pose pas moins, aux yeux de votre rapporteur, trois questions très importantes :

- celle d'abord des clauses de sauvegarde et de retrait qui seront retenues dans le CTBT : les Etats-Unis ont ainsi -semble-t-il- prévu une clause leur permettant de suspendre leur participation au traité si « l'intérêt national suprême des Etats-Unis » est en jeu ; il paraît à votre rapporteur nécessaire que la France dispose, le cas échéant, d'une faculté comparable si elle l'estimait indispensable pour le maintien de la sécurité et de la fiabilité de son arsenal nucléaire -ainsi que notre représentant à la conférence de Genève l'a d'ailleurs déclaré en juin dernier- ;

- la question, ensuite, des moyens de garantir la sûreté et la fiabilité des armes nucléaires en dehors de tout essai nucléaire ; les expérimentations de faible ou très faible énergie avaient été conçues comme un moyen de vérification partielle de la sûreté de ces armes ; il importe donc de s'assurer, dans l'hypothèse d'un CTBT fondé sur l'option zéro, des moyens techniques qui -dans le cadre du programme PALEN et après la dernière campagne de tirs en cours- permettront d'assurer la fiabilité de notre arsenal nucléaire ;

- la question, enfin, des conditions du renouvellement de nos composantes nucléaires actuelles (cf III ci-dessous) : comment les têtes nucléaires des futures composantes nucléaires françaises seront-elles validées, le moment venu, en l'absence de tout essai, pour garantir à la fois la sûreté et la crédibilité de nos composantes sous-marine et aéroportée ?

3. Le régime de vérification du futur traité : système de surveillance et inspections sur place

Le second volet essentiel des négociations relatives au CTBT concerne le régime de vérification du futur traité. Il recouvre deux éléments essentiels : le système international de surveillance et le régime d'inspections sur place.

- S'agissant du système international de surveillance , il devrait reposer sur quatre technologies principales de détection, fonctionnant en synergie :

- un réseau sismique,

- un réseau hydro-acoustique ,

- un réseau radionucléide ,

- et un réseau infrasons.

- En ce qui concerne le régime d' inspections sur place , les choix à effectuer dépendent de l'importance qui sera finalement accordée à deux considérations contradictoires :

- la possibilité d'inspecter rapidement sur place le lieu d'un événement suspect qui favoriserait l'efficacité du CTBT au regard de la non-prolifération mais qui suppose l'établissement d'un régime intrusif , dont les conditions restent discutées ;

- et la protection de nos propres intérêts de défense , qui pourrait inciter à limiter les contraintes du régime d'inspection sur place pour la protection de sites, d'équipements ou d'informations sensibles.

Un compromis doit donc être trouvé entre ces différentes préoccupations, à travers notamment les conditions de lancement d'une inspection sur place.

Par ailleurs, tout indique que le dispositif de vérification du traité sera hétérogène et d'une efficacité relative. Ainsi, toutes les zones géographiques ne pourront pas être contrôlées de manière identique. Chacun sait, par exemple, que toute activité à Mururoa pourrait être aisément détectée alors que, dans certaines zones géographiques désertiques, il serait sans doute impossible de déceler des tirs dont l'énergie serait inférieure à un ou deux kilos de TNT.

Le déroulement et l'achèvement des négociations du futur CTBT devront donc faire l'objet d'une attention permanente , de la part de la France -et bien sûr de notre commission-. Ses conséquences devront être soigneusement évaluées, en particulier pour l'avenir de la sûreté et de la crédibilité de nos forces de dissuasion.

*

* *

C. AVANCEMENT ET PERSPECTIVES DU PROGRAMME PALEN D'ADAPTATION À LA LIMITATION DES ESSAIS NUCLÉAIRES

La perspective prochaine de l'entrée en vigueur d'un traité d'interdiction générale des essais nucléaires souligne l' importance majeure du développement, dans les meilleurs délais, de moyens techniques de modélisation susceptibles, à terme, de garantir la pérennité de la dissuasion en dehors de tout essai nucléaire proprement dit. Le maintien de la capacité française en matière d'armement nucléaire passe désormais impérativement par la mise au point de méthodes de travail radicalement nouvelles et par la maîtrise de moyens de simulation spécifiques. Tel est l'objet très ambitieux du programme PALEN.

1. La nécessité d'une campagne de « référence » pour la simulation

Une fois le CTBT mis en oeuvre, les moyens de simulation , visant à reproduire en laboratoire, par séquences, les phénomènes les plus importants qui ont lieu dans un engin nucléaire, feront partie intégrante de la panoplie de la dissuasion nucléaire : leur possession par un pays constituera la garantie que celui-ci est capable de disposer d'un arsenal nucléaire crédible et possède des moyens de répliquer à toute agression en faisant subir à l'adversaire potentiel des dommages sans commune mesure avec le gain espéré.

Pour y parvenir, la démarche du programme PALEN est fondée sur la simulation numérique recalée par l'expérience, de façon itérative. L'objectif final étant de rendre inutile le recalage par l'expérience nucléaire elle-même, ce programme implique que tous les phénomènes physiques intervenant dans le fonctionnement d'une arme nucléaire soient modélisés rigoureusement.

Outre les moyens humains et techniques exceptionnels nécessaires, cet objectif très ambitieux supposait quelques essais spécifiques au programme PALEN pour recaler et valider les différents processus liés à la simulation, en particulier les moyens de simulation numérique et les moyens lasers, et d'étalonner le système de simulation lui-même. C'est pourquoi mettre la France en situation de signer, dès 1996, le CTBT supposait -ainsi que notre commission l'avait déjà relevé il y a un an- une campagne de « référence » pour la simulation , afin de faciliter la levée des incertitudes qui subsistent. C'est pourquoi l' essentiel de l'ultime série d'expérimentations nucléaires décidée par le Président de la République porte sur les mécanismes de simulation.

2. Le contenu et le déroulement du programme PALEN

Rappelons ici brièvement que le programme PALEN avait été conçu autour de cinq axes de travail principaux :

- l'étude des filières d'armes nucléaires , en particulier sous l'angle de la stabilité vis-à-vis des variations technologiques ;

- les problèmes technologiques associés , afin d'éliminer les défauts en évaluant notamment, au plan des matériaux, l'apport des différents types d'explosifs ;

- la réalisation de travaux scientifiques plus fondamentaux en physique des armes , l'accent étant notamment mis sur l'interprétation des expériences conduites à l'aide des lasers ;

- le développement des méthodes numériques , les expériences de laboratoire étant en particulier mises à profit pour élargir le domaine de validité des codes numériques ;

- enfin et surtout, le développement et la mise au point des moyens de simulation nouveaux : construction du générateur de radiographie AIRIX, mise en place du projet de grand laser.

L'avancement du programme PALEN appelle plusieurs observations -étant rappelé que la partie de l' actuelle campagne de tirs relative à la simulation doit permettre de déterminer l'effet de variation des paramètres dans des conditions représentatives du fonctionnement d'une arme nucléaire et de compléter la base de données de références, permettant dans l'avenir de garantir la fiabilité des systèmes d'armes par la simulation sans recourir à de nouveaux essais en grandeur réelle- :

- la modélisation des phénomènes intervenant dans une arme nucléaire nécessite d'importants moyens de laboratoire, et notamment le projet de laser mégajoule ;

- la simulation numérique impose de son côté l'acquisition de moyens radiographiques particulièrement importants.

Il apparaît ainsi que le calendrier et le déroulement du programme PALEN sont liés , non seulement au financement satisfaisant d'un programme qui exige des investissements importants, mais aussi -ce qui doit être souligné- aux progrès techniques qui seront enregistrés dans les prochaines années, notamment dans les domaines des ordinateurs et des grands appareils de physique. Ces progrès -et le volume financier requis- conditionnent en particulier la réalisation satisfaisante du projet de laser mégajoule.

3. Le projet ambitieux de laser mégajoule

Outil de physique fondamentale exceptionnel, le laser mégajoule est essentiel dans le dispositif français destiné à simuler les conditions de fonctionnement des engins thermonucléaires. Le gouvernement en a annoncé, le 21 avril dernier, l'installation au Centre d'études scientifiques et techniques d'Aquitaine ( CESTA ) du CEA, sur le site du Barp , près de Bordeaux -ce qui constitue un investissement particulièrement important pour la région Aquitaine, tant en termes d'emploi que d'effet d'entraînement technologique-. Les travaux de construction doivent commencer en 1996 et le laser mégajoule (LMJ) lui-même devrait être progressivement opérationnel à partir de 2003.

Cette réalisation tout à fait exceptionnelle appelle les observations suivantes :

- le LMJ doit permettre aux scientifiques de la direction des applications militaires du CEA de simuler des phénomènes thermonucléaires ; la mise au point, particulièrement complexe, de cet outil de physique nucléaire vise à porter la matière à des conditions extrêmes, tout en ne dégageant qu'une énergie infime, inférieure au cent millionième de celle qui est libérée dans une arme thermonucléaire ; il s'agira d'obtenir une impulsion en quelques milliardièmes de seconde, cette énergie de 1,8 million de joules étant produite par 240 faisceaux lasers de cent mètres qui vont concentrer l'énergie sur une cible minuscule d'un millimètre de diamètre. A partir de l'analyse de ces phénomènes physiques réels, les techniciens -employant des ordinateurs ultra puissants- devront juger de la validité des modèles numériques qu'ils utilisent pour représenter, dans leurs codes de calcul, les phénomènes thermonucléaires ;

- le gigantisme et la précision seront les deux caractéristiques majeures du LMJ, successeur du laser actuel « Phébus » : gigantisme pour augmenter le rendement de chaque élément optique (ainsi, 150 tonnes de verre au néodyme seront utilisées et 4 000 m3 de miroirs situés sur le chemin de la lumière devront être polis) ; et précision pour assurer la synchronisation parfaite des lasers et le maintien de leur alignement sur tout leur parcours ;

- le laser megajoule constituera une réalisation unique au monde ; le seul outil comparable doit être réalisé par les Etats-Unis : le « National ignition facility » (NIF), décidé en octobre 1994, dégagera une énergie du même ordre que le LMJ mais sera doté d'un nombre plus réduit de chaînes laser (192 au lieu de 240) ; c'est la raison pour laquelle le CEA a conclu, en juin 1994, un accord décennal avec le département américain de l'énergie pour la construction en parallèle des deux super-lasers ; suite logique de la collaboration engagée en 1981 pour la construction des lasers Phébus et Nova, cet accord évitera la duplication de certaines études, tout en laissant chaque partenaire maître de la conception de son laser, du choix des fournisseurs, et surtout de l'élaboration des expériences ;

- du point de vue chronologique, le calendrier retenu est le suivant : le LMJ sera complètement défini début 1998 et la mise en place industrielle du projet sera alors effectuée ; dès l'an prochain débutera au CESTA la construction d'une ligne laser qui permettra de tester en vraie grandeur les technologies nécessaires ; environ 1 000 personnes participeront à la construction de l'installation qui doit être prête en 2003 pour les premiers tirs ; dans les années 2005, 500 personnes, ingénieurs et techniciens participeront à l'exploitation du LMJ ;

- sur le plan financier , enfin, le coût du seul laser megajoule est évalué à environ 6 milliards de francs ; il représente donc une part très importante du coût du programme PALEN dans son ensemble pour lequel un investissement d'environ 10 milliards de francs a été prévu, dans la dernière loi de programmation pour la seule période 1995-2000, mais dont le coût global sera à coup sûr supérieur . C'est là, bien entendu, une donnée essentielle qui devra être prise en compte dans l'élaboration des prochains budgets et de la future loi de programmation et qui souligne tout particulièrement que les crédits nucléaires ne pourront être considérés, dans les années à venir, comme une réserve financière inépuisable.

*

* *

Votre rapporteur, en conclusion de ces développements relatifs aux essais nucléaires, doit enfin rappeler que, s'il faut se féliciter de la conclusion prochaine d'un CTBT -après la reconduction indéfinie du TNP-, les conséquences de l'interdiction définitive des essais doivent être soigneusement évaluées et le combat contre la prolifération nucléaire ne saurait être considéré comme terminé. La mise en oeuvre, positive, du CTBT ne saurait en effet faire oublier deux risques essentiels :

- l'absence d'essais nucléaires n'empêchera pas nécessairement certains Etats proliférants, s'ils le souhaitent, de se doter de l'arme nucléaire en acquérant, sans essais, des engins offensifs relativement « rustiques » ;

- une nouvelle forme de prolifération nucléaire , particulièrement redoutable, pourrait même être techniquement envisageable si était démontrée la possibilité, pour un pays industrialisé maîtrisant les hautes technologies requises, d'accéder, sans discontinuité politique particulière, au club des Etats nucléaires.

III. QUELLES COMPOSANTES À VENIR POUR NOS FORCES NUCLÉAIRES ?

Les essais nucléaires ne sont qu'un moyen pour assurer la crédibilité de nos forces de dissuasion nucléaire. Et, par-delà le vacarme, soigneusement orchestré, autour de la décision du Chef de l'Etat relative aux essais nucléaires, il convient de ne pas perdre de vue l'essentiel, c'est-à-dire l'avenir de nos composantes nucléaires.

C'est dans cet esprit notamment que doivent être appréciées toutes les conséquences d'un éventuel abandon de la composante balistique terrestre du plateau d'Albion envisagé par le Président de la République, dès le 13 juin dernier, en même temps que la reprise des essais nucléaires, et qui a depuis fait l'objet d'une réflexion approfondie dans le cadre des travaux du « comité stratégique » mis en place par le gouvernement.

A. L'ABANDON ÉVENTUEL DE LA COMPOSANTE BALISTIQUE TERRESTRE ET DE LA TRIADE NUCLÉAIRE

1. L'avenir de la composante terrestre du plateau d'Albion

Si l'étude demandée par le Chef de l'Etat au gouvernement avait pour objet de trancher définitivement la question, posée depuis plusieurs années, de l'avenir du site d'Albion et de la suppression de la composante nucléaire terrestre, il paraissait probable, dès le 13 juin, que l'option envisagée était celle d'une fermeture, non du site d'Albion lui-même , mais du groupement de missiles stratégiques (GMS) qu'il abrite.

Cette décision ne pouvait être reculée dans la mesure où les 18 missiles balistiques S3D actuels du plateau d'Albion, rénovés en 1983 et d'une puissance d'une mégatonne, étaient appelés à être frappés d' obsolescence dans quelques années en raison notamment de la vulnérabilité croissante des silos, des moindres garanties de pénétration des missiles sol-sol S3D compte tenu des progrès de la défense anti-missiles, voire des problèmes de fiabilité des propulseurs de ces missiles. L'arrivée en fin de vie des missiles d'Albion imposait donc une décision rapide que les difficultés financières présentes et la volonté de la France de manifester son souci de participer au processus de désarmement nucléaire ont sans doute accéléré.

Une décision d'abandon de la composante terrestre ne serait donc pas surprenante. Elle appelle de votre rapporteur les observations suivantes :

- En premier lieu, le renoncement à la composante terrestre s'inscrirait parmi les choix difficiles auxquels nous sommes aujourd'hui confrontés -du fait, principalement, des très lourdes contraintes financières actuelles. Les arguments de principe favorables au maintien d'une composante sol-sol ne sauraient en effet être écartés d'un revers de main et ne pourraient l'être qu'au prix d'un choix politique et stratégique mûrement réfléchi. Les partisans du maintien d'Albion pourraient en effet, non sans raison, rappeler sa capacité maintenue : à représenter la quintessence de la sanctuarisation du territoire national (voire européen dans le cadre d'une "dissuasion concertée"), à contraindre l'agresseur éventuel à « signer » une agression sur le territoire national, à donner une capacité instantanée et permanente de riposte supérieure à celle des composantes sous-marine et aéroportée, voire à compléter les moyens de la composante sous-marine pour répondre à une éventuelle percée dans le domaine de la détection des SNLE.

- Toutefois, la vulnérabilité accrue du site d'Albion et la nécessité d'assurer la succession des missiles S3D plaident logiquement, dans les circonstances présentes, en faveur d'une remise en cause de la composante terrestre.

Aucune des deux solutions principales qui auraient permis d'assurer la relève des missiles balistiques actuels ne semble aujourd'hui convaincante :

- la solution envisagée par la loi de programmation 1995-2000 consistait en le remplacement, en 2005, des missiles S3D par une version sol-sol des missiles M4-M45 ; notre commission avait, dès l'examen de la loi de programmation, exprimé les plus vives réserves à l'égard d'une telle solution , qu'elle avait jugée tout à fois :

. imprécise dans la mesure où il n'était pas clairement précisé quels missiles -M4 ou M45- pourraient être utilisés ;

. coûteuse, qu'il s'agisse de l'adaptation des silos, de celle des missiles et des transmissions du nouveau système ;

. peu pertinente sur le plan doctrinal en continuant à valoriser la composante extrême de notre potentiel de dissuasion, malgré l'évolution du contexte international ;

. et, surtout, peu efficace dans la mesure où elle n'aurait pas remédié fondamentalement à la vulnérabilité du site fixe d'Albion à des actions préemptives ;

- une autre solution, plus satisfaisante à nos yeux, avait été envisagée il y a quelques années, en 1987, à travers un vecteur sol-sol de type S45 déplaçable , mono-tête, à tir tendu, très précis et qui aurait pu de surcroît être à énergie variable ; présentant de nombreux avantages , en premier lieu celui de répondre à l'évolution de la menace et à la vulnérabilité d'un site fixe, ce projet a été caricaturé - « le missile à roulettes »- et le programme a été officiellement abandonné en juillet 1991 ; il était sans doute peu réaliste de pouvoir, aujourd'hui, relancer et financer ce projet dans la conjoncture présente, en particulier sur le plan économique et financier.

Dès lors, aucune solution véritablement satisfaisante -et financièrement abordable- n'apparaissait a priori en mesure de répondre au vieillissement et donc au renouvellement des missiles actuels du plateau d'Albion, même si l'hypothèse d'un missile balistique de faible puissance qui pourrait éventuellement être mobile, voire être à la fois sol-sol et mer-sol, pourrait être encore envisagée.

L'abandon programmé de la composante terrestre de la dissuasion peut ainsi apparaître logique, sinon inévitable . Il présenterait de surcroît un avantage politique indéniable en soulignant la volonté de la France de poursuivre le processus unilatéral de désarmement nucléaire dans lequel elle s'est engagée depuis plusieurs années.

2. L'abandon de la triade nucléaire : une innovation stratégique majeure

La suppression, à terme, de la composante nucléaire terrestre n'en constituerait pas moins, avec l'abandon d'un des trois piliers sur lesquels reposait la triade nucléaire française, un événement stratégique majeur dont les conséquences doivent être précisément évaluées.

- Votre rapporteur n'évoquera ici que brièvement, même si elle revêt naturellement une grande importance locale , la reconversion du site d'Albion. Le groupement de missiles stratégiques (GMS), qui emploie quelque 2 150 personnes, représente en effet l'activité dominante du pays d'Apt. Mais l'abandon de la composante sol-sol n'interviendra pas avant quelques années, ce qui laisse le temps de prendre les mesures d'accompagnement nécessaires. Et le gouvernement a pris l'engagement qu'en cas de fermeture les dispositions seraient prises pour conserver le même nombre d'emplois. D'ores et déjà, plusieurs projets sont à l'étude.

- Sur le plan financier, on ne saurait attendre d'économies substantielles immédiates du renoncement aux missiles sol-sol d'Albion : d'abord parce que l'opération n'aurait pas lieu tout de suite, mais lorsque les missiles actuels arriveront en fin de vie ; ensuite, en raison du coût du démantèlement des missiles actuellement enfouis dans les silos, opération toujours délicate et onéreuse ; enfin, en raison du coût des mesures de reconversion. Mais il va de soi que l'économie , à plus long terme, qui résulterait du non-renouvellement du système actuel , serait à l'inverse considérable puisque l'investissement nécessaire à la rénovation des missiles du plateau d'Albion était évalué entre 10 et 20 milliards de francs .

- Mais c'est naturellement sur le plan de la doctrine stratégique nucléaire que l'abandon de la composante balistique sol-sol constituerait une innovation majeure dont les conséquences doivent être soigneusement examinées.

Il concerne le renoncement à la triade et imposerait d'organiser désormais la dissuasion avec deux composantes au lieu de trois. De multiples questions sont dès lors posées :

- dans quelle mesure faut-il , dans ces conditions, réviser la conception que l'on peut avoir des deux autres composantes , sous-marine et aéroportée ?

- comment compenser , du fait de la réduction de l'arsenal nucléaire à deux composantes, sa moindre diversification et sa moindre souplesse d'emploi ?

- comment concilier cette réduction des forces nucléaires françaises avec l'éventuel élargissement, le moment venu, à l'Europe de la dissuasion qui pourrait alors supposer une diversification de moyens crédibles ?

- faut-il également envisager, comme la suggestion en a déjà été faite, parallèlement à l'abandon des missiles du plateau d'Albion, l'abandon des missiles sol-sol Hadès, actuellement « sous cocon » et dont le simple stockage a un coût élevé et mobilise des effectifs importants ?

Sans pouvoir apporter, à ce stade, de réponse définitive à ces questions, votre rapporteur estime en tout cas indispensable de mettre un terme à d'autres spéculations qui vont jusqu'à envisager , après l'abandon de la composante terrestre, le non-renouvellement de la composante aéroportée . Il attend sur ce point des engagements formels de la part du gouvernement, dans la mesure où, si elle constitue naturellement le fer de lance de notre force de dissuasion, il est indispensable d'éviter une dépendance excessive à l'égard de la seule composante sous-marine .

B. L'AVENIR DU FUTUR « BINÔME » NUCLÉAIRE (COMPOSANTE SOUS-MARINE ET COMPOSANTE AÉROPORTÉE)

1. La modernisation de la composante sous-marine

Dans ce contexte, la poursuite de la modernisation et le maintien de la crédibilité de notre composante nucléaire sous-marine constitue, aux yeux de votre rapporteur, une priorité absolue.

Cette modernisation et cette crédibilité sont -rappelons-le- assurées jusqu'aux environs de 2010 :

- d'une part, par le missile M45, muni de la tête TN75 -dont la validation définitive a fait l'objet d'un des derniers essais nucléaires décidés par le Président de la République : ce missile, résultant de la modernisation du missile M4, a permis le report, jusqu'en 2010, du missile M5 ; il sera mis en service à partir de 1996 sur nos sous-marins, chaque SNLE étant équipé de 16 missiles à 6 têtes nucléaires chacun, soit 96 charges nucléaires par sous-marin ;

- d'autre part, par les SNLE de nouvelle génération qui représentent un saut technologique remarquable par leurs caractéristiques techniques radicalement nouvelles, notamment au niveau de la discrétion acoustique et donc de l'indétectabilité des sous-marins : le premier bâtiment, « le Triomphant », doit être admis au service actif en 1996 ; le deuxième, « le Téméraire » doit l'être en 1999 ; et le troisième, « le Vigilant » a été commandé en 1993 mais sa mise en service, prévue pour 2001, a été décalée d'un an .

Reste la question du 4e SNLE-NG dont il n'est pas question dans le budget 1996 alors qu'il devait être initialement commandé en 1996 pour une mise en service en 2005, de manière à disposer en permanence, au terme du programme, de trois sous-marins dans le cycle opérationnel. Ces quatre sous-marins devaient permettre de garantir, conformément au principe de suffisance, le maintien en permanence à la mer d'au moins deux SNLE .

Mais, là encore, le coût exceptionnel de ce programme des SNLE-NG -estimé à plus de 84 milliards pour quatre bâtiments- justifie un examen très attentif des besoins avant de commander le quatrième bâtiment . Sa suppression, si elle devrait permettre des économies substantielles d'ici 10 ans, est-elle toutefois compatible avec le maintien en permanence à la mer d'un nombre de sous-marins capable de garantir l'efficacité de la composante sous-marine ? Telle est, selon votre rapporteur, l'une des questions majeures auxquelles les réflexions gouvernementales doivent apporter une réponse dans la perspective de la prochaine loi de programmation.

Il en va de même du renouvellement futur des missiles MSBS (mer-sol balistiques stratégiques), c'est-à-dire -dans l'hypothèse envisagée jusqu'ici- du programme des missiles M5 dont la mise en service a été reportée de 2005 à 2010 par la dernière loi de programmation. Ici encore, la nécessité et l'urgence d'un tel programme doivent être justement appréciés, la question étant encore compliquée par les incidences de l'interdiction future des essais sur les caractéristiques de la tête nucléaire qui devrait équiper le missile M5 : la conception initiale de la tête TN100 peut-elle être maintenue ? La conception d'une nouvelle tête nucléaire innovante est-elle compatible avec le CTBT ?

Pour le reste, votre rapporteur doit rappeler ici quelques données essentielles relatives au successeur du programme M4-M45 :

- la crédibilité du couple SNLE-MSBS doit être assurée au-delà de 2010 et adaptée aux missions prévisibles de la dissuasion jusqu'à l'horizon 2025-2030 ; le principe du développement d'un successeur au programme M45 ne saurait donc être remis en cause pour remplacer en fin de vie les missiles actuels ;

- sur le plan technique, les caractéristiques du M5 devaient lui garantir des performances nouvelles dans les domaines de la portée, de la précision et de la pénétration ; sa portée , en particulier, pourrait être accrue de 50 % environ, permettant à la fois d'agrandir les zones de patrouille des sous-marins, d'atteindre, le cas échéant, des objectifs plus lointains, et d'améliorer la sécurité et les capacités de survie de la flotte ;

- une autre solution que le missile M5 peut-elle être envisagée avec un missile différent, de moindre portée, beaucoup plus proche dans ses performances du M45, et donc moins coûteux que le M5 ?

- enfin, sur le plan industriel, le programme appelé à succéder au M45 est désormais sans doute le seul programme de développement balistique susceptible d' entretenir les compétences techniques spécifiques de ce secteur de l'armement.

2. Le maintien nécessaire d'une composante aéroportée

L'abandon programmé de la composante terrestre et de la triade rendrait plus que jamais nécessaire, aux yeux de votre rapporteur, une « composante de complémentarité » crédible dont le milieu d'évolution du lanceur, le mode de pénétration et les caractéristiques de la trajectoire devront être différents de ceux du missile MSBS et dont les caractéristiques de portée, de puissance de la charge nucléaire, et de précision devront lui permettre de s'adapter aux nouvelles données géostratégiques.

La question de l'adaptation ou la succession du missile ASMP (air-sol moyenne portée) -qui équipe actuellement 18 Mirage IV P, qui devront être retirés du service très prochainement, ainsi que trois escadrilles de Mirage 2000N et deux flotilles de Super-Etendard- est aujourd'hui posée, s'agissant d'un missile, fondé sur la technique du stato-réacteur, dont la conception remonte aux années 70, et qui arrivera en fin de vie opérationnelle avant 2010.

Rappelons à cet égard que la dernière loi de programmation se contente de prévoir l'étude du remplaçant de l'ASMP « en tenant compte de l'évolution des menaces et des défenses antimissiles », étant seulement précisé que « les caractéristiques précises des armes futures seront définies à l'issue des études entreprises sur la simulation , et au plus tard en 1997, lors du réexamen de la loi ». De fait, la question, comme pour le M5, ne saurait être traitée indépendamment des conséquences de la fin des essais nucléaires, du contenu du CTBT, et du développement du programme PALEN .

De même, le coût d'un tel programme de remplacement de l'ASMP constitue naturellement une préoccupation d'autant plus majeure que la Grande-Bretagne a, comme on le sait, renoncé au projet de conduire le programme ASLP en coopération, ce qui aurait à la fois été source d'économies et constitué un signal politique très fort au plan européen.

Malgré ces difficultés -et sans d'ailleurs mésestimer la relative vulnérabilité d'une composante nucléaire pilotée, au sol et en vol-, le maintien d'une composante air-sol crédible constitue, aux yeux de votre rapporteur, un objectif prioritaire :

- la souplesse d'emploi d'une composante aéroportée la rend particulièrement adaptée, sur le plan opérationnel et sur le plan politique -grâce aux possibilités de « gesticulation » offertes par un tel système- à l'évolution des menaces internationales ;

- de nombreux éléments techniques plaident en faveur d'un successeur à l'ASMP : son indétectabilité à basse altitude est très importante ; sa capacité à agir de jour comme de nuit, à distance de sécurité par rapport à l'objectif, en font un système aux possibilités supérieures à celles des missiles sol-sol ;

- s'agissant enfin des diverses solutions possibles, un missile de type ASLP , qui pourrait être emporté sur le futur avion Rafale, bénéficierait d'une portée accrue -aux environs de 1 000 km-, ainsi que d'une précision, d'une furtivité et d'une capacité de pénétration terminales améliorées ;

- une autre solution pourrait consister en un missile un peu moins ambitieux -et moins coûteux- du type ASMP+, qui serait, quoique d'une portée supérieure et dotée d'une capacité de pénétration accrue, plus proche du missile ASMP actuel, ainsi rénové ; enfin une dernière solution pourrait consister en un missile subsonique dérivé de l'Apache, éventuellement à double capacité : votre rapporteur tient toutefois à souligner ici les avantages d'un missile supersonique en raison de sa capacité de pénétration, du moindre nombre de missiles nécessaire et de l'absence de limitation de sa zone d'emploi.

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IV. LES CRÉDITS CONSACRÉS AU NUCLÉAIRE PEUVENT-ILS ÊTRE CONSIDÉRABLEMENT RÉDUITS ?

A. LES CRÉDITS CONSACRÉS AU NUCLÉAIRE DANS LE BUDGET DE LA DÉFENSE POUR 1996

L'adaptation envisagée de nos moyens nucléaires permet-elle de considérer les crédits traditionnellement alloués au nucléaire, déjà substantiellement réduits au cours des dernières années, comme une masse financière qui pourrait encore diminuer pour compenser la réduction des budgets militaires ?

A cette question qui est sans doute l'une des principales auxquelles la prochaine loi de programmation devra répondre et à cette hypothèse -puiser dans les crédits nucléaires- qui est parfois hâtivement présentée comme la panacée pour répondre aux nouvelles contraintes budgétaires, le projet de budget pour 1996, s'il confirme les orientations récentes, n'apporte pas de réponse définitive.

Rappelons ici que les crédits consacrés au nucléaire s'élevaient, dans le budget initial pour 1995 , à 21 806 millions de francs (soit 21,3 % des crédits du titre V), en diminution de 3,5 % par rapport à 1994.

Pour 1996 , les crédits nucléaires s'élèveront, en termes de crédits disponibles, à 20 451 millions de francs ; ils incluent, outre les crédits budgétaires eux-mêmes, 616,9 millions de crédits reportés qui devraient être disponibles en 1996.

Cette enveloppe budgétaire est -rappelons-le- en baisse sensible, tant par rapport aux crédits disponibles prévus initialement pour 1995 (- 6,2%) que par rapport au montant prévu par la deuxième annuité de la programmation 1995-2000 (- 11,4%) . Elle marque toutefois une très légère progression par rapport à la dernière loi de finances rectificative (+ 0,5%).

La part des crédits budgétaires du titre V consacrée au nucléaire s'élèvera en 1996 à 20,8% en autorisations de programme et à 21,9% en crédits de paiement. La part des crédits disponibles consacrée à la dissuasion sera de 21,5%.

Précisons d'autre part, pour s'en tenir à la part de ces crédits qui relèvent des seuls services communs , qu'elle représente une masse de 13 075 millions de francs, en baisse de 5,34% par rapport à 1995 (13 813 millions). Même en tenant compte des reports de crédits attendus, cette enveloppe représente, là encore, une sensible diminution de 9,68% par rapport aux prévisions de la loi de programmation.

Dans l'attente des décisions essentielles qui doivent être prises prochainement, cette diminution prend en compte la suspension des travaux d'adaptation du plateau d'Albion aux missiles M4 et conduit à prévoir le décalage dans le temps du troisième SNLE-NG, le Vigilant. Un effort général de rationalisation est d'autre part engagé pour réduire les coûts du maintien en condition opérationnelle de l'ensemble de nos composantes nucléaires.

B. LA LÉGÈRE RÉDUCTION DES CRÉDITS NUCLÉAIRES PRÉVUE PAR LA PROGRAMMATION MILITAIRE POUR LES ANNÉES 1995-2000

Plus encore peut-être que pour les autres équipements militaires, l'évolution des crédits militaires consacrés aux armes nucléaires doit être envisagée sur le moyen et le long termes, compte tenu à la fois de la durée nécessaire aux programmes concernés, de leur coût financier élevé, et de la nécessité que les systèmes développés correspondent effectivement, le moment venu, aux menaces auxquelles notre force de dissuasion devra faire face.

La loi de programmation pour les années 1995-2000, votée en juin 1994 par le Parlement, avait à cet égard -il faut le rappeler- prévu une légère réduction des dépenses nucléaires dans le budget de la défense puisqu'elles devaient passer de 23 % des crédits du titre V en 1994 à 21 % pour l'ensemble de la période 1995-2000.

Cette évolution à la baisse relativement limitée prenait en compte deux considérations :

- d'une part l'objectif affiché, quelques mois plus tôt, par le Livre blanc sur la défense de prévoir le renouvellement de nos forces nucléaires, sans chercher nécessairement l'amélioration immédiate des performances techniques que la situation mondiale ne justifie pas ;

- d'autre part le fait que les dépenses nucléaires avaient déjà subi une forte diminution au cours des dernières années, passant de 33 % des crédits de paiement du titre V en 1988 à 23 % en 1994.

La loi de programmation 1995-2000 prévoyait ainsi de consacrer, en six ans, 129,8 milliards à nos forces de dissuasion nucléaire ainsi répartis : 30 % pour le renouvellement des composantes, 29 % pour le maintien en condition opérationnelle, 23% pour la préparation de l'avenir et 18 % pour les matières nucléaires.

En termes d'équipements, les principaux objectifs visés étaient, rappelons-le, les suivants :

- la poursuite du programme de 4 SNLE de nouvelle génération équipés de missiles M45 mis en service à partir de 1996,

- la poursuite des études du missile M5 pour une mise en service prévue en 2010,

- l'étude d'une adaptation du missile M4 pour la composante terrestre du plateau d'Albion en 2005,

- l'étude d'un remplacement du missile ASMP de la composante aéroportée,

- le développement très important du programme PALEN, doté d'environ 10 milliards de francs pour la période de programmation,

- le maintien en veille opérationnelle de 30 missiles Hadès,

- et le retrait en 1996 des 18 Mirage IV/P, 60 Mirage 2000 N et 20 Super-Etendard restant équipés du missile ASMP.

C. UNE RÉDUCTION PLUS FORTE DES CRÉDITS CONSACRÉS AU NUCLÉAIRE PEUT-ELLE ÊTRE ENVISAGÉE ?

La question est aujourd'hui posée de savoir s'il est possible -à l'occasion de la nouvelle loi de programmation actuellement en cours de préparation et sur laquelle le Parlement devrait être appelé à se prononcer en 1996- d'aller plus loin que ce qui était prévu dans le domaine de la réduction des crédits consacrés au nucléaire.

Cette question essentielle appelle les observations suivantes de votre rapporteur :

- il s'agit tout à la fois de faire face aux très lourdes contraintes budgétaires actuelles -liées à la situation des comptes publics et aux perspectives de l'Union économique et monétaire- sans compromettre l'impératif du renforcement, dans les prochaines années, de la capacité d'action de nos forces conventionnelles qui doivent être renouvelées et adaptées à la nouvelle donne internationale ;

- mais ces objectifs -que nous approuvons- ne sauraient en aucune manière compromettre l'indispensable maintien de nos forces nucléaires au niveau de suffisance requis et la préparation du renouvellement des composantes aéroportée et sous-marine ; la dissuasion nucléaire demeure -et doit demeurer- le coeur de la défense française ; elle doit être adaptée aux menaces de demain ; il y va -ne l'oublions pas- du libre arbitre et de la place de la France dans le monde et, demain, de sa contribution à une sécurité européenne qui se cherche dans un monde instable et dangereux ;

- la marge de manoeuvre financière apparaît désormais, non pas inexistante, mais limitée : d'abord -on l'a dit- en raison des diminutions déjà très substantielles opérées depuis 1988 ; ensuite en raison du coût très élevé des programmes nucléaires en cours - à commencer par le programme PALEN (dont le coût global sera bien supérieur aux 10 milliards prévus jusqu'en l'an 2000) et par le programme des SNLE de nouvelle génération ; enfin parce qu'il est, selon votre rapporteur, nécessaire de préserver le potentiel scientifique et technique de la France en matière nucléaire ;

- peut-on , dès lors, aller plus loin sans compromettre le rôle et la crédibilité de nos forces nucléaires ? C'est, aux yeux de votre rapporteur, envisageable à la condition expresse d' adapter une démarche particulièrement prudente , qui ne compromette pas un avenir dont nul ne peut prédire de quoi il sera fait, et de ne pas considérer les dépenses nucléaires comme une réserve financière inépuisable : il faut au contraire fixer les objectifs et déterminer en conséquence le seuil incompressible en deçà duquel il ne saurait être question de descendre.

C'est dans ce cadre extrêmement rigoureux que doivent être envisagées toutes les conséquences des choix d'économies qui pourraient être, le cas échéant, étudiées : l'abandon de la composante terrestre -ce qui ne résout pas l'avenir du site d'Albion lui-même et ne se traduira pas, dans un premier temps, par des économies- ; l'avenir des missiles Hadès actuellement maintenus « sous cocon » ; l'avenir des sites du centre d'expérimentations nucléaires lorsque les essais nucléaires seront terminés, compte tenu en particulier de l'annonce récente faite par la France de signer le traité de Rarotonga de dénucléarisation du Pacifique Sud ; la décision de commander ou de renoncer au quatrième SNLE de nouvelle génération (qui réduirait naturellement la permanence des SNLE à la mer et dont l'économie -importante- que son abandon permettrait ne serait guère sensible dans les toutes prochaines années) ; voire la modification des dates ou des caractéristiques des missiles appelés à succéder aux M45 et à l'ASMP , le moment venu.

C'est à cet examen particulièrement attentif que doit procéder le gouvernement -en liaison avec le Parlement- dans le cadre du comité stratégique appelé à préparer la future loi de programmation. Mais votre rapporteur ne saurait que mettre en garde face à des décisions hâtives qui seraient prises sous la contrainte financière alors même que la plupart d'entre elles n'engendreront pas d'économies immédiates. Le coût de notre dissuasion nucléaire ne saurait apparaître comme le bouc-émissaire des difficultés budgétaires présentes et ne saurait, à ses yeux, être considéré comme dirimant au regard de ce qui est véritablement en jeu, à savoir la sécurité de la nation face à des menaces qui évoluent et auxquelles nous devons nous préparer.

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CHAPITRE III - L'ESPACE MILITAIRE: UNE PRIORITÉ QUI DOIT ÊTRE IMPÉRATIVEMENT PRÉSERVÉE

Observation liminaire : la priorité nécessaire et confirmée de la politique spatiale militaire.

L'espace constitue aujourd'hui un élément indispensable d'un système de défense efficace.

Le Livre blanc sur la défense a placé le renseignement au premier rang des nouvelles capacités prioritaires nécessaires à notre système de forces. Il a en particulier, dans ce cadre, retenu les orientations suivantes : "soutenir le développement des moyens spatiaux avec la famille de satellites d'observation optique Hélios" et "engager les programmes de satellites d'observation radar et d'écoute". Il a, dans le même esprit, souligné l'importance du développement des coopérations européennes en la matière.

En cohérence avec ces objectifs, la loi de programmation militaire pour les années 1995-2000 a prévu les moyens financiers nécessaires aux programmes Syracuse de télécommunications, Hélios d'observation optique et à la définition du système d'observation radar Osiris qui pourrait être développé à partir de 1998.

Cette priorité ne devrait pas être remise en cause par les décisions qui seront prises à l'issue des travaux du "comité stratégique" , mis en place par le nouveau gouvernement en juillet 1995, dans la mesure où M.  Charles Millon , ministre de la Défense, en a souligné, le 30 juin dernier, le caractère indispensable dans les termes suivants : "L'effort dans ce domaine devra être amplifié, si nécessaire au détriment d'autres équipements . La maîtrise des technologies spatiales revêt aujourd'hui une importance aussi stratégique que le nucléaire au début des années soixante. Elle offre la capacité de savoir et donc d'anticiper".

Trois raisons justifient, aux yeux de votre rapporteur, cette priorité :

- Les systèmes spatiaux permettent d'abord de répondre à des besoins militaires incontestables qui revêtent une importance accrue dans le nouveau contexte géostratégique où les crises se multiplient et se diversifient et où une priorité essentielle doit être accordée au renseignement et à la connaissance en temps réel des évolutions politiques et militaires.

Qu'il s'agisse des télécommunications spatiales , des moyens -optique ou radar- d' observation spatiale , de l'écoute électro-magnétique , voire de l'" alerte avancée " pour la détection des tirs de missiles, le recours aux systèmes militaires spatiaux constitue le moyen privilégié de répondre à ces besoins et de collecter les renseignements attendus, en toute discrétion et dans le strict respect du droit international puisque le droit de l'espace ne stipule aucune clause limitative quant au survol d'un pays par un satellite.

- La politique spatiale militaire constitue ensuite un enjeu européen de première importance . Seuls les Etats-Unis et la Russie sont aujourd'hui dotés de la plupart de ces outils spatiaux à vocation militaire. En Europe, l'effort français est remarquable et dominant sur le continent. Mais il est hors de proportion avec l'effort américain et son ambition même -aussi limitée soit-elle- supposera des moyens croissants dans les années à venir, alors même que la politique spatiale doit offrir un champ privilégié à la coopération européenne.

L'utilisation militaire de l'espace constitue ainsi pour l'Europe un véritable défi . Ce défi doit être relevé, car il s'agit d'un domaine stratégique, particulièrement révélateur des ambitions internationales de l'Europe et de sa capacité à jouer un rôle, sur la scène mondiale, dans les décennies à venir. Pour des raisons politiques, pour des raisons opérationnelles et, plus encore, pour des raisons financières dans le contexte budgétaire actuel, la France et l'Europe n'ont pas aujourd'hui d'autre choix que de se doter ensemble des moyens de mettre en oeuvre une véritable politique spatiale européenne.

Il s'agit là d'une occasion sans doute unique pour la construction d'une Europe de la défense. Il y aura, demain, les puissances spatiales et les autres, comme il y a aujourd'hui les puissances nucléaires et les autres.

- La synergie est enfin particulièrement forte, dans le domaine spatial, entre programmes civils et militaires , et souligne l'enjeu technologique et industriel de première importance de la politique spatiale.

Les programmes militaires spatiaux demeurent, en dépit de certaines spécificités, très dépendants de l'évolution de l'espace civil. Ainsi, qu'il s'agisse des télécommunications ou de l'observation -les deux domaines principaux de l'espace militaire français-, les besoins civils et militaires sont de même nature. A titre d'exemple, l'économie réalisée grâce à la réalisation parallèle des programmes Hélios I et Spot 4 a été évaluée à 1,3 milliard de francs ; de même, l'économie attendue de la réalisation jumelée des programmes Hélios II et Spot 5 est estimée à environ 1 milliard de francs : une économie nette de l'ordre de 1 milliard de francs, représentant plus de 5% de son coût total, devrait ainsi être réalisée par le seul programme militaire Hélios (I et II).

Ainsi se trouve soulignée, dans le contexte budgétaire très tendu que nous connaissons aujourd'hui, le caractère impératif de l'exploitation systématique de cette synergie entre applications civiles et militaires et de la conciliation de cette complémentarité avec les spécificités des systèmes spatiaux militaires.

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I. LES PROGRAMMES MILITAIRES SPATIAUX FRANÇAIS : UN ENSEMBLE UNIQUE EN EUROPE MAIS TRÈS MODESTE PAR RAPPORT AUX GRANDES PUISSANCES SPATIALES

A. LES TÉLÉCOMMUNICATIONS MILITAIRES SPATIALES

1. Les programmes Syracuse I et II

Si le besoin de liaisons militaires efficaces à longue distance s'est fait ressentir de longue date à l'occasion d'opérations extérieures, les nouvelles données géostratégiques ont accentué la nécessité de doter les groupements de forces, le plus souvent interarmées, de moyens de communications sûrs, protégés et performants. Les télécommunications spatiales permettent de répondre à ce besoin grâce à des satellites en orbite géostationnaire.

- Le programme Syracuse I (système de radiocommunication utilisant un satellite) a été décidé à la fin des années soixante-dix. Mené parallèlement au programme civil Telecom, il a été intégré aux trois satellites Telecom 1A, 1B et 1C lancés en août 1984, mai 1985 et mars 1988, pour un coût total de 2 170 millions de francs. Compte tenu de la durée de vie de ces satellites, la composante spatiale du système Syracuse devait être renouvelée de manière à assurer la continuité du programme.

- Le programme Syracuse II , dont le lancement a été décidé en 1987, comporte des améliorations substantielles par rapport au système précédent, qu'il s'agisse de l'élargissement des zones couvertes, de l'accroissement (de 30 à 100) du nombre de stations terrestres, ou du durcissement du système aux contre-mesures électroniques et aux effets d'impulsion électro-magnétique.

Après les satellites Telecom 2Aet 2B, lancés en décembre 1991 et avril 1992, le lancement de deux nouveaux satellites (en 1995, puis en 1997) doit prolonger la durée de vie du système jusqu'en 2005 environ.

Le coût du système Syracuse II est estimé à 10,01 milliards au coût des facteurs de janvier 1995.

2. Le projet de programme Syracuse III

L'indispensable continuité du service a conduit à engager les études relatives au futur système de télécommunications militaires Syracuse III dès le lancement des premiers satellites de Syracuse II. Ce système devra non seulement succéder à Syracuse II à l'horizon 2005, mais aussi assurer une couverture mondiale, quadrupler (de 100 à 400) le nombre de stations de réception, renforcer les protections contre le brouillage et l'interception, et garantir une plus grande opérabilité avec les système des pays alliés.

Dans cette perspective, et pour favoriser simultanément un partage des coûts, plusieurs projets de coopération internationale sont envisagés :

- une coopération franco-britannique ("Bimilsatcom") qui paraît aujourd'hui la plus judicieuse dans la mesure où elle permettrait de répondre, dans la même fenêtre d'opportunité des années 2003-2005, aux besoins de la France (remplacement de Syracuse II) et aux besoins du Royaume-Uni (remplacement du système Skynet 4), et où elle se traduirait par une coopération franco-britannique particulièrement importante dans le domaine militaire ;

- cette coopération franco-britannique pourrait éventuellement être ouverte à l'Allemagne, une autre hypothèse consistant en une coopération purement franco-allemande , baptisée " Gefsatcom ".

- une coopération trilatérale franco-anglo-américaine ("Inmilsat") qui semble toutefois moins prometteuse car elle ne pourrait assurer la continuité que d'une partie des instruments satellitaires américains ;

- enfin, une vaste coopération européenne, réunissant sept pays (France, Grande-Bretagne, Allemagne, Italie, Belgique, Espagne, Pays-Bas), baptisée " Eumilsatcom ", qui serait sans doute plus difficile à mettre en oeuvre mais qui aurait naturellement les résultats les plus efficaces en matière de standardisation et d'interopérabilité des systèmes européens.

Si le coût du programme n'a pu être encore précisément défini, la loi de programmation 1995-2000 a prévu de lui consacrer un financement de 1 748 millions de francs.

Quoi qu'il en soit, les échéances de renouvellement des systèmes de télécommunications de plusieurs pays fournissent une occasion de coopération particulièrement importante, source d'économies, de performances et d'interopérabilité accrues. Cette opportunité ne doit pas, aux yeux de votre rapporteur, être manquée et il souhaiterait que le gouvernement puisse, à l'occasion de cet examen budgétaire, préciser laquelle des options envisagées pourra finalement être retenue.

B. LES PROGRAMMES D'OBSERVATION

1. Le programme Hélios 1 d'observation optique

L'observation optique constitue aujourd'hui, avec les télécommunications, la seconde priorité du programme spatial militaire français. Dans un contexte internationnal troublé où le renseignement constitue un élément déterminant de tout système de défense, les moyens d'observation spatiaux contribuent à la fois à une évaluation précise des situations, à la prévention et à la gestion des crises, à l'efficacité de l'action militaire, et à la vérification de l'application des accords internationaux.

Après l'abandon en 1982 du projet "Samro" (satellite militaire de reconnaissance optique) qui avait été lancé en 1977, le programme Hélios a été officiellement décidé le 5 février 1986, puis élargi à l'Italie et à l'Espagne (à hauteur respectivement de 14,1% et de 7%).

Sans revenir sur les caractéristiques, bien connues, de ce programme évolutif, mené en coopération européenne, et développé en commun avec le programme civil Spot 4, trois points méritent d'être aujourd'hui soulignés :

- l'année 1995 a d'abord été marquée, le 7 juillet dernier -en présence d'une délégation de notre commission-, par le lancement à Kourou du premier satellite Hélios 1A , par une fusée Ariane 40 ; sa mise en service opérationnel vient d'avoir lieu, trois mois après le lancement ; le second satellite (Hélios 1B) devrait être lancé, si nécessaire, entre la mi-1996 et la fin de vie d'Hélios 1A, dont la durée de vie est de quatre à cinq ans ;

- l'exploitation du système Hélios sera assurée en commun par les trois pays participants, l'Espagne et l'Italie bénéficiant d'un droit d'accès aux images d'Hélios à due concurrence de leur participation au programme ; la composante terrestre du système Hélios est organisée autour des centres de traitement et d'exploitation des images installés à Creil, Rome et Madrid ; une délégation importante de notre commission a ainsi visité, en avril dernier, le "centre principal Hélios français" (CPHF) à Creil ; le CPHF élabore, en prenant en compte les demandes italiennes et espagnoles, la programmation journalière du satellite qu'il transmet au centre de maintien à poste (CMP) implanté à Toulouse, les images enregistrées étant transmises aux centres de réception d'images (CRI) -situés à Colmar pour la France, à Lecce pour l'Italie et Maspalomas pour l'Espagne- avant d'être finalement exploitées et interprétées par les Centres principaux Hélios (CPH) ;

- enfin, le coût global du programme Hélios I s'élève pour les trois pays associés à 9,9 milliards de francs 1993, dont 7,8 milliards de francs 1993 pour la France (soit 8 202 millions au coût des facteurs 1995); plus de 4,3 milliards sont prévus à ce titre par la loi de programmation 1995-2000.

2. Le programme Hélios 2 d'observation optique et infrarouge

Le système Hélios est un système évolutif dont le programme Hélios 1 ne constitue que la première étape. La France a ainsi décidé, dès avril 1994, le lancement de la définition du programme Hélios 2 qui vise à la fois à assurer la continuité du service rendu par Hélios 1 lorsque celui-ci sera en fin de vie et à améliorer les performances d'Hélios grâce notamment à l'infrarouge qui permettra une capacité d'observation nocturne tandis que la résolution des images sera améliorée et que le nombre de prises de vues réalisées sera augmenté.

Comme Hélios 1, Hélios 2 comportera deux satellites , dont le premier devait être lancé en 2001.

Sur le plan financier, le coût prévisionnel du programme Hélios 2 est estimé à environ 11,92 milliards de francs , les crédits prévus à ce titre dans la loi de programmation 1995-2000 s'élevant à 8,6 milliards.

Hélios 2 a, comme Hélios 1, vocation à être réalisé en coopération européenne . Les incertitudes ont, cependant, sur ce point, marqué une grande partie de l'année 1995 :

- d'abord en ce qui concerne l'Italie et l'Espagne , déjà associées à Hélios 1, qui ont manifesté leur intérêt pour ce nouveau programme et dont il serait très regrettable qu'elles renoncent, pour des raisons financières, au système de coopération européenne mis en place ;

- ensuite et surtout en ce qui concerne l'Allemagne dont il est souhaité, dans le cadre du rapprochement franco-allemand, qu'elle contribue au programme Hélios 2, dans le cadre d'un accord global portant sur les programmes Hélios et Horus dont l'Allemagne assurerait la maîtrise d'oeuvre.

De difficiles négociations financières ont porté sur le montant de la contribution allemande, la France souhaitant logiquement demander à l'Allemagne une contribution supérieure à sa participation industrielle compte tenu de l'ampleur des investissements antérieurement réalisés par la France dans ce domaine des satellites d'observation. De même, il paraîtrait logique, si d'autres pays européens demandaient ultérieurement à bénéficier du système, d' établir un lien rigoureux entre les financements apportés et l'accès aux images d'Hélios II. La priorité qui doit être accordée au renseignement s'impose à l'ensemble des pays européens ; la coopération européenne qui doit en résulter doit être source d'économies également réparties ; la France ne saurait évidemment financer seule l'essentiel des investissements nécessaires.

3. Le programme d'observation radar Horus (ex-Osiris)

Comme Hélios II, le programme Horus d'observation radar, précédemment baptisé Osiris, s'inscrit dans le processus d'évolution des programmes militaires d'observation et a vocation à être réalisé, dans un cadre européen, en coopération franco-allemande.

Complément idéal et nécessaire de l'observation optique et infrarouge, l'observation radar à haute résolution permet l'accès au renseignement tout temps . L'information ainsi recueillie pourra être fusionnée avec les images optiques, qu'elles soient d'origine spatiale (Hélios) ou aérienne (avions de reconnaissance ou drônes).

Le programme Horus prévoit la réalisation de deux satellites et d'installations au sol dans la perspective d'un lancement du programme, en coopération, vers 1998 et d'une mise sur orbite vers 2005.

Le coût global du programme serait de l'ordre de 12 milliards de francs 1993, mais les évaluations varient entre 8 et 15 milliards selon les spécifications précises qui seront retenues. Les financements, peu importants (975 millions), prévus dans la loi de programmation soulignent la nécessité, pour des raisons financières, d'un développement en coopération.

C'est dans cet esprit qu'il a été envisagé que l'Allemagne puisse prendre la responsabilité de la maîtrise d'oeuvre de ce satellite-radar et en assurer la majorité de la charge financière ; la France prendrait en charge le solde -sous réserve d'une éventuelle participation italienne-. L'aboutissement de cette coopération franco-allemande constitue pour l'Allemagne un choix politique particulièrement important alors qu'une autre proposition a été formulée par le groupe américain Lockeed-Martin et que le renseignement demeurait jusqu'ici un domaine privilégié de la coopération entre les Etats-Unis et l'Allemagne.

C. LES AUTRES PROJETS : UN AVENIR INCERTAIN ET COMPROMIS

1. Le programme d'écoute électro-magnétique

Les programmes d'écoute électro-magnétique, sans être définitivement et totalement abandonnés, n'ont été dotés que de 300 millions de francs, pour des études amont, dans le cadre de la loi de programmation 1995-2000. En tout cas, le projet de système spatial Zénon , tel qu'il avait été conçu, est apparu trop coûteux -de l'ordre de quatre milliards de francs- et trop lourd en raison de l'addition de multiples spécifications.

L'écoute des émissions électro-magnétiques demeure cependant un moyen important d'acquisition du renseignement , différent de l'observation optique ou radar ; l'écoute électromagnétique permet d'accéder, en permanence, à des renseignements sur des zones souvent non accessibles aux autres capteurs. Les Etats-Unis et l'URSS se sont dotés, dès les années 60-70, de systèmes d'écoute complexes. Français et Européens, sans pouvoir ambitionner de se doter de moyens comparables, ne sauraient toutefois renoncer à avancer dans le domaine de l'écoute spatiale, compte tenu de son importance dans la prévention et la gestion des crises.

C'est pourquoi la France a décidé de lancer deux micro-satellites expérimentaux pour effectuer les études et améliorer les connaissances qui permettront de préparer un futur système d'écoute spatial. Le micro-satellite expérimental " Cerise" a été lancé, en juillet dernier, en même temps que le satellite Hélios 1A, et permettra de surveiller certaines gammes de fréquences et d'améliorer notre connaissance de l'environnement radioélectrique. Un second satellite expérimental, "Clémentine" , pourrait être lancé en 1997 pour approfondir les connaissances et mieux cerner les besoins et les spécifications d'un système d'écoute spatial.

2. La question de l'alerte avancée

Si la priorité donnée aux programmes d'observation optique et radar -sans lesquels la détection des tirs de missiles perdrait beaucoup de son sens car l'observation permet, en amont, d'identifier les installations de tir au sol- est légitime, la détection des tirs de missiles devrait constituer aussi, aux yeux de votre rapporteur, un objectif important de notre politique spatiale militaire.

La prolifération balistique constitue en effet une des menaces majeures dans le nouveau contexte géostratégique. Un grand nombre des pays proliférants -vraisemblablement entre 20 et 30- sont situés sur le pourtour méditerranéen d'où des missiles de plus de 1 000 km de portée pourraient, ne l'oublions pas, menacer le territoire national.

L' "alerte avancée" peut, dans ce contexte, constituer une arme très importante dans la prévention et dans la gestion des crises. L'identification de l'origine d'un tir de missile viendrait d'ailleurs conforter l'efficacité de la dissuasion nucléaire en permettant de déceler une agression balistique.

Il convient à cet égard de préciser qu'il ne s'agit pas là d'une défense anti-missiles au sens large qui, compte tenu de son coût, est clairement hors de notre portée -les Etats-Unis eux-mêmes ont dû renoncer à l'ambition de leurs projets initiaux-, et qui, de surcroît, est contestable au regard de notre concept de dissuasion -puisque tout agresseur doit redouter des représailles massives sur son propre territoire-.

Votre rapporteur estime en revanche que la question de la détection des tirs de missiles et de l'alerte antimissile balistique tactique ne pourra être longtemps esquivée . M. François Léotard avait ainsi souligné que, si la réalisation d'un système d'alerte avancée n'avait pu être retenue dans la loi de programmation pour des raisons budgétaires, des travaux devaient être engagés avec nos principaux partenaires européens pour doter l'Europe d'un tel système essentiel à sa sécurité. Le Président de la République s'est lui-même prononcé en faveur de la mise en place d'un tel système dans un cadre européen.

Si aucun programme n'est lancé en la matière, plusieurs projets sont actuellement envisagés :

- des négociations réunissent les Etats-Unis et plusieurs pays européens, dont la France, dans le cadre du projet "MEADS"( medium extended areas defense system) d'un système de missile anti-aérien éventuellement doté d'une capacité anti-missile ;

- en France , des études ont été entreprises, au plan industriel, sur l'architecture d'un système d'alerte qui, composé de deux satellites géostationnaires, serait conçu pour détecter les tirs de missiles balistiques, les suivre en vol, et déterminer leur point d'impact.

Un tel système, d'un coût de l'ordre de 10 milliards de francs, ne couvrirait qu'une zone géographique limitée et n'offrirait qu'une protection partielle. Il n'en demeure pas moins nécessaire, aux yeux de votre rapporteur, de poursuivre les réflexions et les études en la matière, dans le cadre de la prochaine loi de programmation, avant d'envisager éventuellement, ultérieurement, une défense antimissile de théâtre, voire une défense aérienne élargie.

3. La question des petits lanceurs

La France et l'Europe disposent, dans le domaine spatial, de l'atout exceptionnel de ne dépendre de personne. La base de Kourou et le lanceur Ariane lui confèrent cette autonomie, qui sera confortée par les satellites de télécommunications et de reconnaissance.

Il convient toutefois de relever que nous ne disposons que de lanceurs -actuellement Ariane IV et, demain, Ariane V- qui sont des "gros lanceurs" , Ariane V devant être adapté à des vols habités ou à des mises en orbite géostationnaires.

C'est pourquoi certains experts et industriels ont souligné l'existence d'un besoin en petits lanceurs adaptés aux petits satellites, ainsi qu'en disposent les Etats-Unis et la Russie.

Le coût du développement d'un petit lanceur serait de l'ordre de 2 à 3 milliards de francs.

Il paraît nécessaire à votre rapporteur de mener, ici encore, dans le cadre des réflexions gouvernementales actuelles, les études permettant de mesurer la réalité du besoin sur le plan militaire, d'évaluer l'évolution du marché satellitaire et d'envisager, en conséquence, le lancement d'un programme -national ou européen- de petits ou moyens lanceurs, voire l'acquisition d'un petit lanceur aux Etats-Unis ou en Russie.

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II. DES QUESTIONS MAJEURES POUR UNE PRIORITÉ INCONTOURNABLE

Si le programme spatial militaire français constitue un ensemble cohérent -au moins pour les systèmes de télécommunications et d'observation, compte tenu du caractère incertain des autres programmes envisagés-, si l'effort français est particulièrement méritoire -en tout cas unique et dominant en Europe - dans le contexte budgétaire actuel, il demeure que les politiques militaires spatiales françaises et européennes demeurent très modestes par rapport aux réalisations américaines ou russes dans ce domaine : à titre indicatif, le budget militaire spatial français est inférieur à 5 milliards de francs par an, tandis que le budget américain est de l'ordre de 15 milliards de dollars.

Le succès de l'effort -indispensable- entrepris et la pérennité des réalisations qui en résulteront passent, selon votre rapporteur, par l'apport de solutions satisfaisantes à deux questions majeures , faute de quoi la priorité incontestable dont l'espace doit faire aujourd'hui l'objet serait compromise :

- le financement de la politique spatiale militaire,

- et la construction d'une Europe militaire spatiale encore balbutiante.

A. LE FINANCEMENT DE LA POLITIQUE SPATIALE MILITAIRE

1. La loi de programmation 1995-2000

La loi de programmation 1995-2000, votée en juin 1994, a prévu les financements nécessaires aux programmes de télécommunications et d'observation spatiale :

- 3 849 millions pour le programme Syracuse II (lancement de deux satellites, 100 stations) et 1 748 millions pour la définition du programme Syracuse III ;

- 4 384 millions pour le déroulement du programme Hélios 1 (avec notamment le lancement de deux satellites et 8 597 millions pour le programme Hélios 2 en vue d'une entrée en service en 2001 ;

- 975 millions pour la définition du système d'observation radar Osiris (ou Horus) en vue de son développement à partir de 1998 ;

- s'y ajoutent enfin : des études diverses, le maintien du programme Syracuse I et des crédits nécessaires à l'ensemble des programmes et équipements.

Au total, l'ensemble des financements consacrés à l'espace pour les six années 1995-2000 couvertes par la dernière loi de programmation s'élevaient à 22,8 milliards de francs 1994. A titre de comparaison, les crédits cumulés pour les six années précédentes (1989 à 1994) étaient de 20,2 milliards. La loi de programmation confirmait donc, à bon escient, la forte progression des dépenses spatiales au cours des dernières années, marquant une progression de près de 13% de la période 1989-1994 à la période 1995-2000.

2. Les crédits relatifs à l'espace militaire en 1996

Le projet de loi de finances pour 1996, qui nous est proposé, maintient heureusement, malgré les très lourdes contraintes budgétaires actuelles, la priorité relative accordée à la politique militaire spatiale.

Rappelons ici que les crédits relatifs à l'espace militaire s'élevaient pour 1995, en loi de finances initiale, à 4 057 millions de francs et auraient dû atteindre 4 918 millions compte tenu des reports de crédits et des fonds de concours attendus. Il convient toutefois de retirer de cette somme l'essentiel de l'enveloppe de recherche duale (982 millions de francs) qui ne porte pas sur des programmes strictement militaires mais, bien davantage, sur des programmes civils.

Pour 1996, les crédits disponibles consacrés à l'espace militaire doivent atteindre -rappelons-le- 4 574 millions de francs ; ils incluent, outre les crédits budgétaires eux-mêmes, 432,5 millions de crédits reportés qui devraient être disponibles en 1996.

Cette masse de crédits est certes inférieure de 7% aux crédits initialement prévus pour 1995 ; elle marque en revanche une forte progression de 11,7% par rapport aux crédits qui résultaient du dernier collectif budgétaire.

Cette priorité maintenue, particulièrement remarquable dans le contexte financier présent, permettra le développement prévu de l'ensemble des programmes en cours : Syracuse 2 pour les télécommunications par satellites, Hélios 1 d'observation optique, les programmes Hélios 2 d'observation optique et infrarouge et Horus d'observation radar ne voyant leur réalisation retardée que pour des raisons de coopération avec nos partenaires européens.

3. La nécessité d'un financement garanti et d'une gestion très rigoureuse dans un contexte défavorable

Au total, le financement des programmes spatiaux militaires déjà décidés devront mobiliser, pour être conduits à terme, environ 35 milliards sur deux décennies -entre 1986 et 2005-. Ce montant devrait naturellement être abondé d'au moins dix milliards supplémentaires si de nouveaux programmes, comme le programme d'écoute électro-magnétique ou celui d'alerte annoncée, étaient décidés.

Ces données appellent trois observations de votre rapporteur.

- C'est dire, d'abord, dans la mesure où la situation actuelle de nos finances publiques et la volonté du gouvernemnt de réduire les déficits et la dette publique rendent tout à fait illusoire un accroissement des enveloppes financières prévues par la loi de programmation, que tout indique qu'il sera très difficile à la France de financer de nouveaux programmes , actuellement en projet, dont l'avenir apparaît dès lors sérieusement compromis, à tout le moins dans l'hypothèse où ils ne feraient pas l'objet d'une coopération internationale permettant de réduire les charges nationales.

N'oublions pas en outre la nécessité, impérieuse en matière spatiale, de concilier le lancement d'un nouveau programme avec la continuité, voire l'amélioration, des capacités requises dont l'interruption ne serait plus guère envisageable. L'ensemble des contraintes financières inhérentes à tout nouveau programme spatial doit donc être soigneusement apprécié.

- C'est dire aussi, a contrario, l'exigence de flux financiers garantis contre les aléas budgétaires que nous connaissons trop, pour assurer le déroulement de programmes lancés dont chacun reconnaît aujourd'hui le caractère prioritaire dans notre système de défense, et pour assurer dans l'avenir la pérennité des services ainsi mis en place.

Il y va de surcroît, à bien des égards, de l'avenir industriel et technologique de notre pays dans un secteur stratégique qui emploie -ne l'oublions pas- environ 15 000 personnes, principalement en région parisienne, dans la région Provence-Alpes-Côte d'Azur et dans la région Midi-Pyrénées.

- C'est dire enfin que tout doit être mis en oeuvre pour réduire, autant que possible, les coûts, directs et indirects, des programmes spatiaux . Il y faudra notamment la recherche systématique :

- de gains de productivité, en particulier par un recours accru aux appels d'offres et à la mise en concurrence des entreprises,

- de l'exploitation maximale de la synergie entre programmes civils et programmes militaires afin d'accroître les économies d'échelle et de réduire les coûts de recherche et d'infrastructure,

- et, enfin, d'une coopération internationale, et d'abord européenne, qui permettra tout à la fois le partage de coûts considérables et l'émergence concrète, dans un domaine clé, de réalisations communes en matière de défense.

B. UNE EUROPE MILITAIRE SPATIALE NÉCESSAIRE MAIS ENCORE BALBUTIANTE

1. Les enjeux et les incertitudes des rapprochements franco-allemands

Si la coopération européenne en matière spatiale a déjà été engagée par la France avec l'Italie et l'Espagne dans le secteur de l'observation optique, et est recherchée avec la Grande-Bretagne, et éventuellement d'autres pays européens, dans le domaine des télécommunications, une coopération franco-allemande dynamique serait, sans aucun doute, de nature à donner à la politique spatiale européenne l'élément moteur et le caractère volontariste qui lui font encore défaut.

C'est dans cet esprit que doit être apprécié l'enjeu du rapprochement franco-allemand envisagé, sur le plan étatique , dans le domaine de l'observation optique et de l'observation radar, en vue de financer et de réaliser en commun le programme Hélios 2 -dont la France assumerait la responsabilité principale- et le programme Horus -dont l'Allemagne pourrait assurer la responsabilité essentielle.

C'est dans cet esprit aussi que doit être abordé le rapprochement, sur le plan industriel, entre DASA et l'Aérospatiale , en vue de regrouper les activités spatiales des deux entreprises dans une société commune.

Ces rapprochements se sont heurtés à de réelles difficultés . Les autorités françaises et allemandes se sont ainsi opposées sur l'hypothèse d'un financement allemand -aux programmes Hélios 2 et Horus- supérieur à sa participation industrielle, compte tenu des investissements déjà effectués par la France dans le domaine de l'observation spatiale.

Par ailleurs, sur le plan industriel, le rapprochement envisagé pourrait comporter, si les dispositions nécessaires n'étaient pas prises, des risques, sinon de suprématie industrielle allemande, du moins de transfert technologique au profit de l'industrie allemande. Les organisations syndicales du site de l'Aérospatiale à Cannes ont exprimé leur opposition au projet de constitution d'entreprise commune et leur crainte de la perte d'une compétence technologique majeure. En outre, une contre-proposition a été formulée par Matra en vue du rachat par la société franco-anglaise Matra Marconi Space des activités satellitaires d'Aérospatiale, préalablement à des discussions éventuelles avec DASA dans la perspective d'une alliance européenne élargie.

Il va donc de soi que les précautions requises doivent être prises, en particulier pour faire prévaloir -dans le cadre du rapprochement Aérospatiale-DASA- le principe d'une co-décision totale et garantir la pérennité du site de Cannes. Un regroupement pourrait ensuite être envisagé entre la nouvelle société et le groupe Matra Marconi Space.

Il reste, aux yeux de votre rapporteur, que cette coopération franco-allemande doit aboutir. Il s'agit là d'une opportunité essentielle pour renforcer la coopération militaire entre nos deux pays. Il s'agit d'une occasion exceptionnelle de jeter les bases d'une industrie européenne de l'espace et de maintenir une capacité spatiale autonome des Européens à l'égard des Etats-Unis. Il s'agit enfin, sur le plan financier, d'une solution sans doute incontournable, faute de quoi il ne fait guère de doute que la France ne pourra pas financer seule le programme Horus d'observation radar, consacrant ainsi l'absence de tout satellite radar européen.

2. Une Europe spatiale militaire encore bien éloignée

L'enjeu de ce rapprochement franco-allemand est d'autant plus important que notre politique militaire spatiale est, à bien des égards, à la croisée des chemins et qu'une véritable politique européenne spatiale militaire apparaît encore bien lointaine.

La France a, en la matière, un rôle d'entraînement majeur à jouer. Les faits parlent d'eux-mêmes : la France réalise aujourd'hui plus de la moitié des dépenses européennes dans le domaine de l'espace militaire. Il lui appartient aujourd'hui de convaincre ses partenaires européens de l'enjeu que représente l'espace pour la sécurité à venir de l'Europe et son importance dans le cadre de l'émergence d'une Union européenne chargée de mettre en oeuvre une politique de sécurité et de défense commune.

L' UEO (Union de l'Europe occidentale) devrait logiquement être le cadre privilégié de cette coopération européenne. Mais, dans ce domaine comme dans bien d'autres, l'UEO, sans être restée inactive, a encore beaucoup à faire . Ses efforts portent prioritairement, dans un premier temps, dans deux directions :

- l'amélioration et la pérennisation du centre satellitaire d'observation de Torrejon : ce centre d'interprétation des images des satellites d'observation, créé en 1993, est encore en phase d'expérimentation ; il devrait néanmoins favoriser la formation de personnels issus de l'ensemble des pays membres et préparer la mise en place d'un centre véritablement opérationnel ; malgré les difficultés -notamment financières- rencontrées, le centre de l'UEO doit acquérir un caractère permanent et être en mesure d'interpréter les images désormais fournies par Hélios selon les règles définies par le protocole signé en avril 1993 avec le Secrétaire général de l'UEO par la France, l'Italie et l'Espagne ;

- l'UEO a parallèlement engagé des études en vue de l'élaboration éventuelle d'un système européen d'observation spatiale autonome et indépendant, destiné à la gestion des crises, voire à des applications civiles ; ce projet devrait, aux yeux de votre rapporteur, reposer sur les travaux réalisés, à l'initiative de la France, dans le cadre du programme Hélios, solution évidemment plus simple à mettre en oeuvre, moins coûteuse et plus réaliste qu'un système UEO indépendant, et plus ambitieuse et plus efficace que le simple maintien actuel des activités du centre de Torrejon en matière d'acquisition et d'interprétation des images.

Il reste que tous les pays de l'UEO ne manifestent pas le même intérêt à l'égard de ces projets. Ainsi plusieurs petits pays européens -qui n'ont pas les mêmes préoccupations stratégiques- et la Grande-Bretagne -qui dispose d'un accès plus aisé aux moyens spatiaux américains- paraissent-ils réservés. Il est d'autre part à craindre que le dynamisme nécessaire de l'UEO ne soit, ici encore, entravé par ses règles de fonctionnement lourdes et complexes, reflétant trop souvent des positions divergentes.

Une véritable politique spatiale milaire européenne n'est donc pas, semble-t-il, pour demain. On ne saurait mésestimer les obstacles sur cette voie tant les intérêts nationaux, industriels et financiers sont importants. Il reste que l'Europe militaire spatiale est aujourd'hui à un tournant décisif de son évolution : les programmes entrepris jusqu'ici l'ont été dans un cadre national -principalement français- ou au sein d'une coopération restreinte à quelques pays ; il faut aujourd'hui définir au plus vite le cadre des coopérations indispensables à la réalisation des systèmes futurs.

La France , pour sa part, ne saurait renoncer à l'effort entrepris et doit elle-même, aux yeux de votre rapporteur, rendre plus performante sa propre organisation dans le domaine spatial :

- du point de vue de son organisation étatique , en clarifiant et en simplifiant les rôles respectifs et la coordination des différents acteurs que constituent le CNES, la DGA et l'ONERA (Office national d'études et de recherches aérospatiales) ;

- et plus encore, du point de vue de son organisation industrielle , le secteur des satellites, malgré les efforts récents, restant trop morcelé et devant impérativement se restructurer rapidement, dans un cadre européen, face à une industrie spatiale américaine, désormais très fortement concentrée.

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CHAPITRE IV - LES AUTRES ACTIONS COMMUNES

I. LE RENSEIGNEMENT

Bien que tenu le plus souvent à l'écart du débat national, le renseignement -sujet sensible s'il en est- est une fonction essentielle à la stratégie de défense du pays et, plus généralement, à la bonne marche de l'Etat . Véritable enjeu de pouvoir, le renseignement est, dans une démocratie, un moyen d'aide à la décision quelle qu'elle soit, politique, militaire, diplomatique, économique ou scientifique.

Cela est encore plus vrai dans le nouveau contexte géostratégique qui a fait apparaître une situation mondiale souvent indéchiffrable et aux risques multiples, faisant du renseignement une véritable matière première stratégique.

C'est pourquoi le livre blanc sur la défense et la dernière loi de programmation ont fait, à juste titre, du renseignement, sous toutes ses formes, une priorité essentielle qui trouve notamment sa traduction dans le développement de nos moyens militaires spatiaux (cf. chapitre III ci-dessus) et qui doit être impérativement préservée dans la prochaine loi de programmation.

C'est dans cet esprit que doivent être appréciés les moyens consacrés, dans le projet de loi de finances pour 1996, aux services rattachés au ministère de la Défense et qui participent à la fonction du renseignement.

A. LES MOYENS DES SERVICES PARTICIPANT À LA FONCTION DU RENSEIGNEMENT

1. La DGSE (direction générale de la sécurité extérieure)

La priorité relative accordée au renseignement dans le projet de budget pour 1996 apparaît notamment dans la création de 40 emplois civils au bénéfice de la DGSE pour un coût de 11,5 millions de francs, et de 33 emplois militaires par redéploiement interne au ministère. Rappelons toutefois que la loi de programmation votée en 1994 prévoyait, de 1995 à 2000, le renforcement de 500 emplois budgétaires civils et de 200 postes de militaires. Les effectifs de la DGSE sont, au total, de l'ordre de 4 000, dont environ 2 500 effectifs budgétaires civils.

Les crédits dont disposera la DGSE en 1996 (crédits budgétaires proprement dits + crédis reportés) s'élèveront à 1 350,367 millions de francs , soit un accroissement de 3,47 % d'un an sur l'autre.

Les crédits inscrits au titre III atteindront 696 millions (au lieu de 671 millions en 1995) en raison de deux mouvements différents : l'augmentation sensible des rémunérations et charges sociales (+ 5 %) due notamment aux créations d'emplois, et à la diminution (- 0,04 %) des crédits de fonctionnement.

Pour leur part, les crédits disponibles du titre V passeront de 634 millions en 1995 à 654 millions en 1996, soit une progression de 3,15 % en francs courants. Mais ce montant global recouvre, là aussi, deux évolutions très contrastées : une baisse sensible (de 8 %), regrettable, des crédits disponibles dans le domaine des équipements techniques et des matériels ; et une forte hausse apparente (de 16,9 %) des crédits de paiement dans le domaine des infrastructures.

Les investissement dans le domaine des travaux d'infrastructure courants seront toutefois en réalité en forte diminution pour permettre le maintien des dotations nécessaires à l'opération de transfert de la DGSE sur le site de Noisy-le-Sec . Cette opération très importante -d'un coût global supérieur au milliard de francs- est désormais entrée dans sa phase de réalisation, et la réception des travaux est prévue pour 2002. Elle doit se traduire par le transfert de la plupart des fonctions opérationnlles à Noisy, qui deviendra le siège principal de la DGSE, certaines fonctions techniques devant être conservées dans le quartier des Tourelles.

2. La DRM (direction du renseignement militaire)

Créée en 1992, la Direction du renseignement militaire poursuit sa montée en puissance qui devrait être achevée en l'an 2000. Une délégation importante de notre commission a eu l'occasion de visiter, le 27 avril dernier, les installations, sur la base de Creil, de la DRM et des organismes qui lui sont rattachés : l'Unité interarmées Hélios (UIAH), le Centre d'information sur les rayonnements électromagnétiques (CIREM) et le Centre de formation et d'interprétation interarmées de l'imagerie (CFIII).

Sur le plan des effectifs , la DRM, sauf évolution nouvelle du contexte international, devrait compter en l'an 2000 environ 1 900 personnes (administration centrale et organismes rattachés), étant précisé qu'il n'y aura pas de création d'emplois mais des transferts de postes au sein du ministère de la défense vers la DRM.

Pour l'heure, les effectifs totaux s'élèvent à 1 600 personnes ainsi réparties :

- 608 à « l'administration centrale » dont la moitié à Paris et la moitié à Creil,

- 330 pour les trois organismes rattachés, également installés sur la base de Creil,

- 385 pour l'Ecole interarmées du renseignement et des études linguistiques (EIREL) située à Strasbourg,

- et 277 pour le détachement autonome des transmissions.

Les moyens techniques de la DRM se développent rapidement, en particulier son équipement informatique : en application d'un plan sur trois ans (1993-1995), le nombre total d'ordinateurs a été multiplié par 3,5, pour atteindre aujourd'hui 781, dont 489 à Creil.

L'interconnexion des réseaux et la mise en place de communications performantes devraient en outre limiter les nombreux déplacements provoqués par l'implantation de la DRM sur deux sites, à Paris et à Creil.

S'agissant enfin des moyens financiers, l'enveloppe de crédits du titre III alloués à la DRM pour 1996 s'élève à 37,375 millions. Ce montant tient compte du transfert de l'EIREL à la DRM pour un montant de 10,6 millions et de celui de 1,5 million de la DRM à l'armée de l'air, et se traduit donc par une forte augmentation apparente. Par ailleurs, les dépenses en capital inscrites au titre V accordées à la DRM passent d'un an sur l'autre de 46 à 48 millions de francs.

On relèvera en outre que des crédits consacrés au renseignement militaire figurent dans des articles budgétaires pour lesquels il n'est pas possible de séparer précisément les crédits spécifiquement consacrés au renseignement et ceux consacrés à d'autres fonctions contribuant au renseignement comme, par exemple, les systèmes d'information et de commandement (SIC).

3. Les autres services

Outre la DGSE et la DRM, de nombreux autres services relevant du ministère de la défense participent également, d'une manière ou d'une autre, à la fonction de renseignement, notamment la DGA elle-même (cf. II ci-dessous) et diverses structures ou unités militaires spécialisées telles que : le « commandement des opérations spéciales » ( COS ), les CRAP ( commandos de recherche et d'action dans la profondeur ) ou la BRGE (brigade de renseignement et de guerre électronique).

Mais deux autres services ont une activité de renseignement essentielle : la DPSD et la DAS.

a) La DPSD (direction de la protection et de la sécurité de défense)

La DPSD, dont les missions sont fixées par un décret du 20 novembre 1981, contribue à la fonction de renseignement, notamment pour prévenir et rechercher les atteintes à la défense nationale et coordonner les mesures nécessaires à la protection des renseignements intéressant la défense.

Les crédits de fonctionnement de la DPSD n'évolueront guère, en lois de finances initiales, d'un an sur l'autre, passant de 44,35 millions pour 1995 à 44,26 millions pour 1996. Les crédits du titre V passeront pour leur part, en crédits de paiement, de 31 millions en 1995 à 28 millions en 1996. Au total, si l'on se réfère aux seules lois de finances initiales, le budget de la DPSD passera de 75,35 millions en 1995 à 72,26 millions en 1996.

Les effectifs de la DPSD s'élèvent à 1 620 personnes :

- 1 360 militaires, après la fermeture des organismes militaires stationnés à Berlin,

- et 260 civils, compte tenu de la poursuite de la déflation annuelle de 1,5 % imposée jusqu'en 1997.

b) La DAS (délégation aux affaires stratégiques)

La DAS, délégation aux affaires stratégiques, est une structure récente, créée par un décret du 16 juin 1992, qui a permis de renforcer la participation du ministère de la défense dans l'analyse et la réflexion stratégique, à l'image de structures correspondantes existant dans de nombreux pays.

Les effectifs de la DAS s'élèvent à environ 80 personnes ainsi réparties : 32 fonctionnaires (dont 24 de catégorie A), 19 officiers (dont 3 officiers généraux), 15 sous-officiers et 13 appelés du contingent.

Du point de vue budgétaire, la DAS, comme les autres organismes de l'administration centrale du ministère de la défense, bénéficie de crédits de fonctionnement (titre III) gérés par la direction de l'administration générale. La DAS est en outre habilitée à passer des contrats d'études avec des instituts et organismes de réflexion stratégique, ces crédits d'études (titre V) étant gérés par la direction de la recherche de la DGA.

B. LES RÉFLEXIONS DE VOTRE RAPPORTEUR

Par-delà ces données financières, le traitement du renseignement dans notre pays -qui ne fait pas partie de notre culture nationale au même degré que dans les pays anglo-saxons- appelle de votre rapporteur quelques réflexions d'ordre plus général.

1. La question récurrente et difficile de la coordination des moyens du renseignement

Quelle que soit la qualité des services de renseignement français et des hommes qui s'y consacrent, chacun s'accorde, depuis des années, à estimer que la coordination interministérielle du renseignement constitue une priorité pour que notre pays tire de son dispositif toute l'efficacité qu'il peut en attendre.

Non pas qu'il faille considérer que la situation se soit récemment dégradée -des améliorations ont même été réalisées. Mais il s'agit là d'un problème particulièrement difficile à résoudre compte tenu de la multiplicité des services contribuant au renseignement -à commencer par la DGSE, la DRM et la DPSD, qui relèvent du ministère de la Défense, la DST qui relève du ministère de l'Intérieur, et le SGDN qui relève du Premier ministre- et des exigences particulières inhérentes à toute activité de renseignement.

Le caractère indispensable de cette difficile coordination apparaît cependant chaque jour davantage dans des domaines aussi divers que la lutte contre le terrorisme -dont l'importance a malheureusement été encore illustrée par l'actualité récente-, le renseignement d'ordre économique, le renseignement électronique, ou la lutte contre le trafic de stupéfiants.

Reste à trouver les formes de cette coopération renforcée . Une réflexion approfondie a eu lieu récemment au sein du SGDN, qui fait lui-même l'objet d'une profonde réorganisation. L'idée, émise depuis quelques années, d'une structure comparable au Conseil national de sécurité américain, a été écartée dans la mesure, semble-t-il, où elle bouleverserait trop l'organisation et l'équilibre actuels en impliquant directement le Président de la République. D'autres structures, plus légères, de coordination, pourraient toutefois être envisagées autour d'un coordinateur qui, sans exercer pour autant d'autorité fonctionnelle sur les services, en serait l'interlocuteur quotidien et renforcerait l'efficacité du dispositif de renseignement en confortant sa place dans le processus de décision des plus hautes autorités de l'Etat.

L'élection d'un nouveau Chef de l'Etat pourrait constituer, aux yeux de votre rapporteur, une conjoncture particulièrement favorable à la mise en place d'une telle réforme.

2. L'importance accrue du renseignement économique et technologique

S'il est bien un domaine dans lequel l'action en matière de renseignement doit être aujourd'hui renforcée et davantage coordonnée, c'est sans aucun doute celui du renseignement économique et technologique, afin d'éclairer le gouvernement dans le domaine de l'information économique stratégique.

Le phénomène n'est pas propre à la France. Et les Etats-Unis ont donné l'exemple en créant, auprès du Président, un Conseil national de sécurité économique dont l'objectif clairement affiché est la reconstruction des forces économiques des Etats-Unis et doit être « l'élément central de la politique de sécurité nationale ». L'efficacité du système trouve son illustration dans les interventions directes et pressantes du Président américain pour soutenir les industriels américains face à la concurrence internationale.

S'agissant de la France , si le dispositif national de recueil et d'exploitation de l'information économique stratégique est substantiel, il souffre, là encore, de cloisonnements importants et d'une insuffisante coordination. Votre rapporteur se félicite, dans cet esprit, de la création, par un décret du 4 avril 1995, d'un « comité national pour la compétitivité et la sécurité économique » , composé de sept personnalités du monde des affaires et dont le secrétariat est assuré par le SGDN, qui dépend du Premier ministre, en association avec l'ensemble des ministères concernés.

Chargé d'éclairer le gouvernement « dans un strict respect de la légalité », sur les questions de compétitivité et de sécurité économique, de le conseiller sur la politique suivie en la matière, et d'assurer en permanence la cohérence et la coordination des actions entreprises, ce comité doit désormais faire la preuve de son efficacité. Il répond, en tout cas, dans le domaine de « l'intelligence économique », au souci de coordination nécessaire à l'efficacité. Il devrait aussi, aux yeux de votre rapporteur, être capable de créer le lien indispensable entre la collecte du renseignement économique ouvert et le monde du renseignement lui-même.

3. Quel rôle pour le Parlement dans le domaine du renseignement ?

Votre rapporteur souhaite enfin évoquer dans le présent rapport -qui est, pour le Sénat, l'une des rares occasions annuelles d'aborder les questions relatives au renseignement- le rôle du Parlement en la matière.

M. Claude Silberzahn, ancien directeur de la DGSE, a évoqué dans un ouvrage récent (« Au coeur du secret », Fayard, 1995, pages 313-314) ses « brèves liaisons parlementaires » dans les termes suivants : « Aujourd'hui, le lien du Service avec le Parlement se réduit à des rencontres brèves et informelles avec les rapporteurs du budget général de la défense, ce dernier intégrant la plus grande partie du budget de la DGSE. La qualité de l'échange ouvert en ces occasions autorise à penser qu'une approche plus hardie permettrait, tout en sauvegardant la part de secret nécessaire, de faire comprendre les fins poursuivies et les moyens qu'il convient d'y consacrer. Pourrait être évité, ce faisant, et contrairement à ce que certains craignent souvent, de mettre le doigt dans l'engrenage d'un contrôle parlementaire des services en veillant à ce que celui-ci ne puisse s'instaurer par ce biais, sous peine de limiter à la fois le pouvoir de l'exécutif et le champ du secret nécessaire à l'exercice de la mission des services ».

Si rien ne doit compromettre l'efficacité des services concernés, l'exemple du contrôle parlementaire pratiqué dans plusieurs pays démocratiques -comme les Etats-Unis ou l'Allemagne- justifie aujourd'hui une réflexion de notre pays en la matière à l'heure où chacun souhaite une revalorisation du rôle du Parlement.

Ainsi que le président de notre commission, M. Xavier de Villepin, a déjà eu l'occasion de le souligner, il est nécessaire de ne pas tenir le Parlement à l'écart d'un sujet aussi important pour la nation que le renseignement. Il doit pouvoir être associé, d'une manière ou d'une autre, de façon à être mieux informé des questions les plus importantes de l'heure et d'être mieux armé pour réfléchir aux risques et aux menaces. L'idée d'une représentation restreinte de quelques députés et sénateurs de la majorité et de l'opposition, qui s'engageraient naturellement à la discrétion indispensable, a ainsi été suggérée.

Votre rapporteur souhaite, à l'occasion de la discussion budgétaire, recueillir l'avis du gouvernement sur cette proposition.

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II. LA DÉLÉGATION GÉNÉRALE POUR L'ARMEMENT

1. Les crédits de la DGA pour 1996

L'ensemble des moyens financiers affectés à la DGA s'élèveront en 1996 à 26 253 millions de francs . Si l'on se réfère à la loi de finances initiale pour 1995, où ces crédits s'élevaient à 27 550 millions, ils marquent une diminution en francs courants de 4,7 %.

- Les crédits inscrits au titre III (dépenses ordinaires) restent à peu près stables, puisqu'ils passent de 6 176,50 millions en 1995 à 6 110,93 millions en 1996 . Cette légère réduction (- 1 %) est imputable à la poursuite de la réduction des effectifs, partiellement compensée, financièrement, par les mesures générales de revalorisation des rémunérations publiques.

- Les crédits inscrits aux titres V et VII (dépenses en capital) constituent naturellement l'essentiel du budget de la DGA. Ils passeront, en loi de finances initiale, de 21 373,8 millions en 1995 à 20 142,33 millions en 1996 (- 5,8 %). Ils devraient toutefois être abondés, comme les deux années précédentes, par une partie des crédits de reports ou des produits de fonds de concours prévus en 1996, pour un montant de 1 502 millions. De ce fait, et compte tenu des crédits annulés en 1995 (1 876 millions), les crédits disponibles seront en 1996 en augmentation de 3,1 %.

2. La réorganisation de la DGA et la maîtrise des coûts

La DGA - qui regroupe environ 50 000 personnes sur 50 sites et gère environ 85 milliards de francs par an- a naturellement un rôle central à jouer pour faire face simultanément à un contexte budgétaire très rigoureux et au coût sans cesse plus élevé des programmes d'armement modernes.

- Maîtriser l'augmentation des coûts des matériels est ainsi devenu l'objectif prioritaire entre tous de la DGA pour échapper au "désarmement structurel" et, dans la traduction ultime du phénomène, à la " loi d'Augustine " (du nom d'un président de Martin-Marietta) aux termes de laquelle les Etats-Unis ne disposeraient plus, en 2040, que d'un seul avion de combat si les méthodes utilisées ne faisaient pas l'objet d'une véritable révolution culturelle.

Un effort considérable est , dès lors, indispensable pour renverser les tendances actuelles et demeurer, à terme, en mesure d'équiper nos forces armées de matériels en quantité suffisante. Sans préjudice des conclusions du comité stratégique mis en place pour préparer les décisions de la prochaine loi de programmation, un dispositif nouveau de maîtrise des coûts a été mis en place, dès l'an dernier, concernant à la fois la DGA, les états-majors et les industriels :

- s'agissant de la DGA elle-même, les principales mesures ont visé : à renforcer le rôle des directeurs de programme, à réformer le service d'enquête des coûts de l'armement et à instaurer des règles quasi-contractuelles entre les directions de programme et leurs prestataires (centres d'essais ou services industriels de la DGA) ;

- en ce qui concerne les relations entre la DGA et les états-majors , l'effort entrepris cherche à améliorer la transparence et le dialogue entre les organismes et à systématiser le recours aux méthodes modernes de gestion (analyse fonctionnelle, analyse de la valeur ...) en amont du lancement des programmes ;

- dans les relations entre la DGA et les fournisseurs industriels, les mesures essentielles ont consisté à systématiser la formule des contrats forfaitaires et à réformer le dispositif de contrôle des prix afin de les réduire.

- De manière plus générale cet effort s'est appuyé sur une nouvelle organisation de la DGA, justifiant une refonte d'ensemble des textes antérieurs, officialisée le 10 janvier dernier. Présenté à notre commission par le délégué général pour l'armement, le nouvel organigramme de la DGA (cf. tableau ci-après) fait apparaître les principales modifications suivantes :

Nouvelle organisation DGA

- la création d'une direction des programmes d'armement , chargée de contrôler les programmes, de préparer les budgets, d'en suivre l'exécution et de définir la politique de contrats ;

- la création d'une direction de la stratégie industrielle et technologique , regroupant des activités exercées précédemment par différents services ;

- la création d'une direction de la qualité , englobant notamment le SIAR (service de la surveillance industrielle de l'armement), chargée à la fois d'améliorer en permanence le fonctionnement de la DGA et de s'assurer de la qualité des réalisations industrielles ;

- le regroupement en une seule direction des systèmes terrestres et d'information des anciennes directions des armements terrestres et direction de l'électronique et de l'informatique ;

- enfin, le regroupement à la direction des missiles et de l'espace des compétences en matière de missiles et de satellites.

Cette volonté de rénovation des méthodes de conduite des programmes d'armement et de contrôle des prix est évidemment indispensable. Sa réussite constitue un véritable défi , impliquant un bouleversement des méthodes et des pratiques antérieures.

Mais l'enjeu est capital , puisqu'il y va, ni plus ni moins, quels que soient les nouveaux choix qui seront effectués à l'occasion de la prochaine loi de programmation, de la capacité pour notre pays de disposer, à terme, du minimum d'équipements indispensables à notre défense.

3. L'avenir de la direction des constructions navales (DCN)

Au sein même de la DGA, l'avenir de la direction des constructions navales (DCN) constitue aujourd'hui -chacun en est conscient- une question majeure.

- Rappelons en effet que la DCN -qui compte un effectif d'environ 24 000 personnes et gère un budget annuel de l'ordre de 20 milliards de francs- constitue aujourd'hui la plus grande industrie navale militaire d'Europe. La qualité de son travail est unanimement reconnue. Ses missions sont doubles :

- missions étatiques : études amont, spécifications des systèmes navals, direction des programmes nationaux ou en coopération, préparation des programmes futurs ;

- et missions industrielles , effectuées dans neuf établissements : réalisation et maintenance des navires et des systèmes de combat, grâce à un savoir-faire complet.

La DCN a fait l'objet, depuis la mi-1992, d'une réorganisation destinée à lever l'ambiguïté résultant de son caractère mixte de grand industriel et de grande administration. Cette réforme, comportant notamment la création de DCN-International (société de droit privée chargée de la commercialisation et des actions de partenariat industriel, mais faiblement capitalisée) et une meilleure distinction des activités régaliennes et des activités industrielles, vise à la fois à mieux maîtriser les coûts, à améliorer la productivité et la compétitivité, et à faciliter les coopérations.

- La mutation de la DCN, ainsi amorcée, doit cependant être poursuivie et approfondie pour adapter la DCN à un environnement industriel et international très contraignant , caractérisé par les restrictions budgétaires et les conséquences qui en résultent sur la charge industrielle, une concurrence internationale impitoyable, et la forte croissance du coût de développement des programmes.

Or de très fortes contraintes pèsent sur la DCN du fait de son statut actuel de service de l'Etat. Le code des marchés publics, en particulier, rend très difficile la mise en oeuvre d'une véritable politique industrielle.

Il était donc nécessaire d'examiner dans les meilleurs délais les possibilités d'évolution et d'adaptation de la DCN pour éviter sa fragilisation. Sans compromettre ses tâches étatiques impératives, la DCN doit, dans ses activités industrielles, disposer d'une plus grande marge d'action, acquérir la capacité de nouer de véritables alliances industrielles, et être en mesure de moderniser sa gestion.

C'est dans ce contexte que des rumeurs successives -provoquant autant de réactions sociales dans les régions où sont implantés les principaux établissements industriels de la DCN (Brest, Cherbourg, Lorient et Toulon notamment)- ont fait état, depuis plusieurs années, d'un changement de statut de la DCN qui pourrait être transformée en établissement public ou en société nationale. Dans le même temps, plusieurs groupes industriels ont manifesté leur intérêt pour certaines activités de la DCN.

- Telles sont les raisons pour lesquelles le ministre de la Défense a mis en place, le 13 septembre dernier, un groupe de travail chargé de faire, avant la fin de l'année, des propositions sur les évolutions possibles de l'appareil industriel de la DCN. Ces propositions doivent garantir l'avenir et l'efficacité de la DCN dans un quadruple objectif :

- assurer la disponibilité des bâtiments de la Marine nationale et leur renouvellement dans des conditions conformes aux besoins de nos forces armées,

- affronter la concurrence internationale en développant un pôle européen,

- répondre aux contraintes budgétaires qui pèsent sur l'ensemble de l'industrie de l'armement,

- et adapter les effectifs à travers une véritable politique des personnels qui devra respecter la priorité accordée par le gouvernement à l'emploi.

Tout en souhaitant que notre commission puisse être informée, à l'occasion de la discussion budgétaire, de l'évolution des réflexions gouvernementales sur un sujet aussi important et délicat, votre rapporteur tient à souligner ici :

- que les évolutions envisagées supposent la plus large concertation avec l'ensemble des partenaires sociaux et des industriels concernés,

- et qu'il faut sans doute écarter, dans un contexte différent, une transposition pure et simple de la réforme du GIAT ; en particulier, les conditions de préservation des conditions d'entretien de la flotte doivent être parfaitement garanties.

4. GIAT-Industries : une société qui demeure confrontée à de graves difficultés

Bien que ne relevant pas du budget de la Défense, la situation de GIAT-Industries mérite ici, aux yeux de votre rapporteur, une mention particulière dans la mesure où GIAT-Industries est l'héritier direct des anciens arsenaux terrestres et où cette société demeure -et demeurera confrontée dans les prochaines années- à de très graves difficultés .

Après cinq années d'existence -la société GIAT-Industries a été créée le 1er juillet 1990-, et alors qu'un nouveau président vient de prendre ses fonctions, la situation particulièrement complexe et difficile de GIAT-Industries appelle plusieurs observations :

- La dégradation économique et financière n'a pu être enrayée, malgré les efforts accomplis et notamment l'apport vital du contrat signé en 1993 avec les Emirats arabes unis. Le chiffre d'affaires a continué à baisser ; de 22,7 % de 1993 à 1994 et de 22 % de 1992 à 1993. L'endettement de GIAT-Industries, hors contrat avec les Emirats, s'élève aujourd'hui à 4 milliards de francs, ce qui génère un besoin annuel de 250 millions pour couvrir les frais financiers.

S'il est clair que, sans le changement de statut opéré en 1990, ces pertes auraient été beaucoup plus élevées, et s'il faut relever l'amélioration de la marge brute d'exploitation de l'entreprise, la diminution du chiffre d'affaires de l'entreprise place GIAT-Industries au plus bas de son histoire, et le groupe a enregistré, pour 1994, un déficit de 2,9 milliards.

Ces données soulignent la nécessité d'un apport en capital de la part de l'Etat, unique actionnaire de GIAT-Industries. Cette recapitalisation apparaît à votre rapporteur d'autant plus urgente qu'elle devra être d'autant plus importante qu'elle sera tardive. Elle constitue de surcroît une obligation juridique avant la mi-1996, les fonds propres étant devenus, deux ans plus tôt, inférieurs à la moitié du capital social de la société.

- Les difficultés sociales demeurent, dans ce contexte, importantes. Les effectifs de GIAT-Industries s'élèvent en 1995 à 11 375 personnes , après 1 057 nouveaux départs volontaires en 1994. Il convient en effet de rappeler que, depuis le changement de statut, l'inévitable réduction des effectifs du GIAT n'a pu s'effectuer, en dehors de tout licenciement, que sur la base du volontariat (par retraite anticipée à 55 ans ou reclassement dans la fonction publique).

Or, GIAT-Industries a hérité des arsenaux d'importants sureffectifs de structure qui n'ont ainsi pu être entièrement résorbés. Les sureffectifs actuels étaient évalués par l'ancien président du groupe à environ 1 500 personnes.

Simultanément, si la plupart des 16 usines et des sites de GIAT-Industries ont pu être préservés -grâce notamment à une active politique de diversification et de reconversion d'activités- la fermeture de certains sites a été envisagée par la direction de GIAT-Industries compte tenu du plan de charge de ces centres.

- La rentabilité de GIAT-Industries apparaît globalement confrontée à trois obstacles majeurs :

- une marge sur vente encore insuffisante : en dépit des progrès accomplis, elle demeure très inférieure à 10 % alors que plus de 20 % seraient nécessaires ;

- une « culture économique » trop administrative, héritée des arsenaux et de l'ancien GIAT, dont l'évolution, bien qu'amorcée, exigera encore de nombreuses années ;

- et les surstructures administratives , dont la réduction doit être poursuivie dans le prochain plan d'action du groupe.

Ces difficultés sont d'autant plus difficiles à surmonter que le marché de GIAT-Industries est affecté de fortes tendances à la baisse :

- sur le plan national, la forte réduction des commandes budgétaires (réduction de la cadence des chars Leclerc à 44 par an, diminution de près des deux tiers des commandes de munitions...),

- et sur le plan international, les difficultés à l'exportation -au-delà du contrat avec les Emirats- liées à la fois à la baisse des budgets militaires, à la sous-évaluation du dollar et la terrible offensive commerciale américaine.

Certes, le contrat conclu avec les Emirats arabes unis en février 1993, portant sur 436 chars Leclerc (équipés de moteurs allemands) et sur un montant de 3,5 milliards de dollars, a assuré le plan de charge de GIAT-Industries jusqu'en l'an 2000. Il a toutefois donné lieu à des compensations industrielles (« off set ») très importantes qui ont conduit GIAT-Industries à devoir gérer des opérations (privatisation d'une entreprise d'électricité, construction d'un hippodrome...) évidemment sans rapport avec la vocation du GIAT. De plus, le contrat émirati ayant été libellé en dollars, il a donné lieu à des pertes de change importantes et à une gestion financière qui s'est traduite par des pertes très importantes.

On ne saurait toutefois mésestimer les efforts accomplis et certains résultats positifs enregistrés depuis 1990 par GIAT-Industries :

- progrès à l'exportation (contrat émirati),

- restructuration et réorganisation interne,

- rénovation de la gamme de produits et des outils de production,

- absorption de plusieurs entreprises (Luchaire, Manhurin, Mécanique Creusot-Loire, Herstal SA...),

- diversification grâce à la filiale GITECH.

GIAT-Industries se situe ainsi au premire rang dans le domaine de l'armement terrestre et pour les regroupements en Europe.

Son avenir demeure pourtant particulièrement menacé. Il suppose, aux yeux de votre rapporteur, au-delà d'une recapitalisation qu'il juge indispensable, plusieurs conditions essentielles :

- le développement du processus de coopération internationale entrepris, par un rapprochement industriel dans le domaine des munitions -qui pourrait aboutir, il faut l'espérer, d'ici un ou deux ans, avec les arsenaux britanniques de « Royal ordnance » dont les productions sont complémentaires de celles de GIAT-Industries,

- le développement du programme VBM dans le cadre d'une coopération européenne, si possible avec l'Allemagne, et selon un strict contrôle de la qualité et des coûts,

- de nouveaux efforts à l'exportation afin de limiter les effets de l'arrivée à échéance du contrat émirati,

- des actions très fortes de diversification de l'entreprise en partant de ses compétences reconnues et demandées par le marché,

- et une gestion économique et financière plus rigoureuse, s'appuyant sur l'indispensable adaptation des effectifs et des structures -en dehors de tout licenciement -au plan de charge véritable.

III. LES AUTRES SERVICES COMMUNS

1. L'état-major interarmées de planification opérationnelle (EMIA)

Une délégation importante de votre commission s'est rendue, le 27 avril dernier, sur la base aérienne de Creil où elle a notamment visité les installations de l'état-major interarmées de planification opérationnelle (EMIA). C'est pourquoi il a paru utile à votre rapporteur de faire ici le point de la mise en place, du rôle et de l'organisation de l'EMIA.

Rappelons que la création de l'EMIA résulte d'un arrêté du ministre de la défense du 10 février 1993, modifié le 29 mars 1994 . Cette création vise, dans le nouveau contexte géographique marqué par l'accroissement du nombre de crises potentielles dans lesquelles nos forces armées peuvent être appelées à intervenir, à renforcer notre capacité à engager des forces dans un cadre interarmées et à favoriser la mise en oeuvre d'engagements dans un cadre multinational. Il s'agit d'instruire les questions opérationnelles interarmées le plus en amont possible afin de donner au chef d'état-major des armées, conseiller militaire du gouvernement et responsable de la conduite des opérations, la capacité d'anticipation nécessaire.

L'EMIA occupe ainsi désormais une place importante dans la chaîne de commandement dont les armées françaises se sont dotées pour faire face aux nouveaux défis et à la multiplication des interventions extérieures.

Les missions de l'EMIA sont, dans ce cadre, au nombre de quatre :

- en matière de planification opérationnelle , dans un cadre national ou multinational, l'EMIA a pour rôle de préparer des plans d'opérations et d'emploi des forces et de participer à la rédaction des ordres d'opérations lorsque la décision d'engagement a été prise ;

- l'EMIA participe naturellement aux études concernant la doctrine interarmées d'emploi des forces et est associé aux travaux sur la doctrine d'emploi spécifique à chaque armée ;

- ces travaux de planification trouvent leur prolongement naturel dans la conduite des exercices et manoeuvres interarmées dans un cadre national, multinational ou interallié ; l'EMIA a ainsi participé en 1994 à sept exercices importants avec l'OTAN et dirigé, côté français, un exercice trilatéral franco-italo-espagnol en Méditerranée ;

- l'EMIA participe enfin à la conduite des opérations interarmées en détachant des officiers au sein des différents états-majors de conduite, soit au niveau du COIA (centre opérationnel interarmées), soit au niveau des commandements des forces sur le théâtre d'opérations.

Pour remplir ces missions -et faire face notamment au caractère inopiné des crises qui obligent désormais à pouvoir mettre sur pied très rapidement les équipes de planification adaptées- l'organisation de l'EMIA comporte une partie « commandement » et une partie opérationnelle. Cette dernière, plus originale, est constituée de cellules ad hoc organisées en fonction des besoins et des compétences et donc tout à fait différentes d'un état-major classique.

Les effectifs d'officiers de l'EMIA sont particulièrement impressionnants puisqu'ils disposent de 83 officiers et de 4 généraux. L'armée de terre fournit environ la moitié des effectifs, la marine et l'armée de l'air un quart chacun, les services interarmées et la gendarmerie étant représentés chacun par un officier. L'EMIA dispose au total d'environ 200 personnes.

On relèvera que l'EMIA doit être doté de moyens techniques complets pour le rendre interopérable avec l'ensemble de ses correspondants français et étrangers (réseau informatique de commandement, moyens de transmissions, bases de données, simulateurs opérationnels, supports cartographiques numériques, visioconférences...).

L'EMIA dispose, pour remplir ces missions, d'un budget annuel, inscrit au titre III (chapitre 34-02 et 34-03), légèrement supérieur à 9 millions de francs.

2. Le SIRPA (service d'information et de relations publiques des armées)

Le SIRPA a un rôle essentiel à jouer, au service de notre défense, dans le monde hypermédiatisé d'aujourd'hui. Ses missions sont quadruples : informer en temps réel les responsables de la Défense ; informer sur la politique de défense et les forces armées ; gérer l'image du dispositif de défense ; et assurer la cohérence des actions d'information du ministère de la Défense.

Ce rôle est particulièrement important et délicat alors que toute décision militaire importante est désormais soumise aux pressions des opinions publiques et des médias, ainsi que la dernière campagne d'essais nucléaires et le rôle des forces françaises engagées sur le territoire de l'ex-Yougoslavie l'ont encore illustré au cours des derniers mois.

C'est pourquoi il paraît essentiel à votre rapporteur que le SIRPA dispose des moyens nécessaires à une politique de communication active et efficace.

S'il n'y a pas eu, au cours de l'année écoulée, de changement majeur dans l'organisation du SIRPA, on relèvera en particulier : la création d'une cellule « soutien des forces extérieures » chargée des contacts avec les troupes en opération extérieure, les blessés et les familles des soldats morts en opérations ; et le rôle d'une cellule « cinquantenaire » qui a supervisé les opérations de commémoration des débarquements en Provence et en Normandie, puis de la Libération, et enfin de la création de l'ONU.

Le SIRPA a d'autre part poursuivi ses actions permanentes en matière de communication audiovisuelle (notamment le magazine télévisé « Top Défense »), de presse écrite (notamment la revue « Armées d'aujourd'hui »), de sondages, de presse internationale et de relations extérieures.

Les moyens d'action du SIRPA ne progresseront pas en 1996, compte tenu des contraintes financières actuelles :

- ses effectifs resteront globalement stables : 635 personnes (militaires et civils) dont 214 au SIRPA proprement dit (212 en 1995) et 421 à l'ECPA (422 en 1995), établissement central de production et d'archives, chargé de la production, de la diffusion et de la conservation de l'image ;

- ses crédits seront sensiblement réduits : les crédits du SIRPA passeront en effet, en loi de finances initiale, de 76,2 millions en 1995 à 66,17 millions en 1996, soit une diminution de 13,6 % en francs courants que votre rapporteur juge préoccupante ; la dotation en titre III diminue de plus de 9 %, passant de 55,2 millions à 50,17 millions, et les crédits d'investissement du titre V passent de 21 millions en 1995 à 16 millions en 1996, soit une réduction de 23,8 %.

3. Le service de santé des armées

Le service de santé des armées se caractérise d'abord par son caractère interarmées . Son directeur central, qui est un médecin général inspecteur, est subordonné directement au ministre de la Défense. Ce caractère interarmées est encore renforcé par les nombreuses opérations extérieures auxquelles le service de santé des armées est amené à participer, depuis 1990, dans le nouveau contexte géostratégique.

Le Livre blanc sur la Défense souligne, à juste titre, l'importance du rôle du service : « le service de santé est essentiel à notre système de défense, à son fonctionnement et à son efficacité, en France et surtout à l'étranger ; sa mission auprès des forces en opérations doit être privilégiée ». Sa participation aux opérations extérieures se traduit par une activité accrue du service, dont la mission prioritaire est le soutien médical direct des forces, mais qui doit aussi accomplir des tâches humanitaires très lourdes sans déstabiliser pour autant le fonctionnement du service public hospitalier auquel il participe.

a) Le budget du service de santé

Les crédits consacrés au service de santé passeront, en loi de finances initiale, de 2 269,9 millions de francs en 1995 à 2 277,5 millions en 1996, soit une infime progression de 0,34 % en francs courants.

Les crédits du titre III , les plus lourds, stagneront en passant de 2 014,1 millions en 1995 à 2 013,6 millions en 1996, soit - 0,02 % : les rémunérations et charges sociales augmentant de 2,37 %, ce sont les crédits de fonctionnement qui souffriront malheureusement le plus de cette évolution en diminuant de - 3,79 %.

Les crédits du titre V passeront pour leur part, en lois de finances initiales, de 255,7 à 263,9 millions d'un an sur l'autre, soit une progression de 3,2 %. Il convient en outre d'y ajouter 45 millions de crédits reportés, ce qui doit porter les ressources disponibles à 308,9 millions. En matière d'infrastructures, la reconstruction d'un hôpital d'instruction des armées est en projet. Quant aux équipements, le niveau d'investissement devrait rester stable jusqu'au tournant du siècle.

b) Les effectifs du service de santé

Le service de santé des armées rassemble, en temps de paix, environ 22 000 personnes . Ces effectifs se répartissaient comme suit au 1er janvier 1994 :

- 5 829 officiers dont 3 494 officiers d'active (2 726 médecins) et 2 395 du contingent (1 432 médecins),

- 2 600 MITHA (militaires infirmiers et techniciens des hôpitaux des armées),

- 2 923 sous-officiers (1 483 de l'armée de terre, 423 de l'armée de l'air et 1 017 de la marine),

- 3 220 militaires du rang,

- et 6 200 personnels civils.

Pour 1996 , le projet de loi de finances prévoit : la création de 20 emplois de MITHA, la suppression de 49 emplois de militaires du contingent, la budgétisation du sureffectif de 150 médecins, et la suppression de 534 aspirants appelés en sureffectifs autorisés.

Le choix fait par la France d'une médicalisation de l'avant, désormais généralisée sur le terrain, permet d'obtenir des résultats remarquables et le sauvetage de blessés très graves grâce à la présence d'un médecin d'unité rôdé aux techniques de réanimation de l'avant. Ce choix a toutefois un coût et suppose en particulier de disposer de médecins de qualité et motivés, qui partagent les valeurs militaires et le goût du terrain.

Le service doit aussi pouvoir s'assurer du concours de réservistes , particulièrement importants compte tenu du poids des opérations extérieures et de leur particularité d'être hautement qualifiés et appelés à exercer au profit des armées les mêmes tâches que celles qui sont les leurs dans la vie civile (médecins, pharmaciens, infirmiers...). Pour adapter le nombre des réservistes aux besoins, tant qualitatifs (compte tenu de l'éventail de spécialités requises) que quantitatifs (évalués à environ 8 500), le service de santé s'est fixé pour objectif une réduction très importante de la ressource de réservistes gérée (37 000 en 1995) afin de disposer du concours de réservistes plus disponibles et plus opérationnels. Il a prévu à cette fin la création en 1997 d'un centre unique de gestion et d'administration des réserves.

c) Les conséquences de la participation du service aux opérations extérieures

Le soutien médical et sanitaire apporté aux forces françaises engagées dans des opérations extérieures -et d'abord dans l'ex-Yougoslavie- appelle du service de santé un effort très important. Sans revenir ici sur le surcoût financier engendré par ces opérations, deux conséquences importantes pour le fonctionnement et les besoins du service doivent être relevées :

- on ne saurait d'abord mésestimer les dysfonctionnements qui en résultent sur le soutien en métropole et sur l'activité hospitalière du service ; ainsi, selon l'ancien directeur central du service (Jean Bladé, Revue de défense nationale, décembre 1994, p. 75) : « ici, plus qu'ailleurs, apparaît la notion de seuil et de maillage, l'adéquation nécessaire entre la répartition des forces et la densité des formations qui les soutiennent ; nous sommes passés depuis 1981 de 12 000 lits à 6 000, de 31 établissements à 18 en métropole ; la dérive ne pouvait continuer sans mettre en péril l'ensemble du système ; en fixant un « plancher », la décision ministérielle du 4 août 1993 complète les moyens de la politique adoptée ». Le gouvernement doit, aux yeux de votre rapporteur, continuer à veiller avec la plus grande vigilance à ce que le service de santé des armées continue à disposer d'une capacité de projection d'antennes suffisante sans déstabiliser le fonctionnement hospitalier ;

- le développement des opérations extérieures souligne également, outre le potentiel humain de qualité requis, la nécessité pour le service, de disposer des moyens techniques qui déterminent sa manoeuvre ; trois équipements apparaissent tout particulièrement indispensables : les « abris techniques modulaires », infrastructure remarquable pour les capacités de réanimation et de traitement chirurgical à l'avant ; les «VAB sanitaires » qui permettent un ramassage protégé ; et naturellement les hélicoptères sanitaires.

4. Le service des essences des armées

Service interarmées, le service des essences des armées (SEA), dont les attributions ont été précisées par un décret du 14 juillet 1991, exerce son activité dans deux grands domaines :

- la cession des produits pétroliers aux armées et le soutien logistique en carburants des forces engagées ou en exercice,

- et l'expertise dans son domaine de compétence technique (produits pétroliers, installations pétrolières, transport des matières dangereuses...).

Les moyens d'action du SEA resteront globalement stables en 1996 :

- sur la plan financier, les crédits alloués au SEA passeront de 514,4 millions en 1995 à 508,3 millions de francs en 1996, cette légère réduction étant principalement imputable à la réduction des crédits relatifs aux fabrications ;

- s'agissant de ses moyens en personnels, les effectifs du SEA passeront de 2 879 en 1995 à 2 819 en 1996 (dont 1 546 militaires, soit 11 postes en plus, et 1 273 civils, soit 71 postes en moins).

On relèvera en particulier, sur ce dernier point, que les effectifs qui doivent être engagés dans la logistique carburants sur les théâtres d'opérations extérieures dépassent largement les possibilités du service et nécessitent le concours des armées de l'air et de terre, notamment en militaires du rang engagés. C'est pourquoi le SEA s'efforce de favoriser l'accroissement de l'effectif en militaires engagés et l'interarmisation du service.

Plus généralement, le service a pour objectif majeur de réunir, d'ici l'an 2000, dans un organisme pétrolier militaire interarmées , l'ensemble des moyens nécessaires pour remplir ses diverses missions, et plus particulièrement de dégager une forte capacité de projection sur les théâtres d'opérations extérieures.

S'agissant des produits pétroliers distribués , votre rapporteur s'inquiète des difficultés de trésorerie qui se sont traduites par une baisse du « stock outil majeur » du SEA, passé de 272 000 m 3 fin 1994 à 214 000 m 3 au 1er juillet 1995. Le stock de réserve s'élève toutefois à 331 000 m 3 et devra rester stable dans les prochains mois.

5. Le contrôle général des armées

Les moyens octroyés au contrôle général des armées n'évoluent pas, d'un an sur l'autre :

- ses crédits, inscrits au titre III, restent pour 1996, identiques en francs courants à ceux de 1995, soit 69,086 millions de francs ;

- ses effectifs budgétaires demeurent également inchangés avec 144 personnes, avec toujours une proportion importante du corps qui sert en réalité à l'extérieur du contrôle, par voie de détachement ou de mise à disposition.

Votre rapporteur tient à attirer l'attention du gouvernement sur la nécessité de préserver les moyens d'action du contrôle général dont la qualité des travaux et des analyses doit être particulièrement précieuse au gouvernement dans la période actuelle de réforme et de réexamen général de la politique de défense de la France.

Il souhaite également que les commissions de la défense du Sénat et de l'Assemblée nationale -et notamment leurs rapporteurs budgétaires- puissent être destinataires de certaines études du contrôle général susceptibles d'améliorer leur information et de nourrir leur réflexion.

On peut ainsi relever, à titre d'exemple, les thèmes suivants parmi les enquêtes dont a été chargé le contrôle général des armées depuis un an : le dispositif français d'exportation de biens de défense ; la place des personnels civils au ministère de la Défense ; l'évolution de la DGA ; les programmes majeurs d'armement ; l'aéronautique navale ; ou l'aviation légère de l'armée de terre.

Le contrôle général des armées devra d'autre part jouer un rôle important dans le cadre des travaux du « comité stratégique » destiné à préparer la prochaine loi de programmation militaire.

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LES CONCLUSIONS DE VOTRE RAPPORTEUR

Sous le bénéfice de ces observations -et en dépit des incertitudes qui demeurent dans l'attente des décisions importantes qui seront prises par le gouvernement dans les prochains mois notamment dans le domaine nucléaire-, votre rapporteur vous propose, en raison en particulier de la priorité maintenue en faveur de l'espace et du renseignement, d'émettre un avis favorable à l'adoption des crédits proposés au titre du ministère de la Défense pour 1996.

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EXAMEN EN COMMISSION

La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a examiné le présent rapport pour avis au cours de sa réunion du mercredi 8 novembre 1995.

A l'issue de l'exposé du rapporteur pour avis, M. Xavier de Villepin, président , s'est réjoui de ce que le rapport écrit de M. Jean Faure rappelle l'ensemble des raisons qui justifiaient, à ses yeux, la décision du Chef de l'Etat relative aux essais nucléaires. Il a souligné l'importance des questions qui demeuraient posées pour l'avenir des composantes nucléaires françaises. Il s'est enfin interrogé sur les difficultés qui pourraient se poser à la France pour assurer le maintien du financement d'une politique spatiale ambitieuse -qu'il a jugée indispensable- dans l'hypothèse où la coopération européenne serait insuffisante en la matière.

M. Michel Caldaguès a estimé qu'il était difficilement concevable, s'agissant de la composante nucléaire sous-marine, d'envisager de renoncer à la fois au maintien de deux SNLE en permanence à la mer -qui supposait la commande du quatrième SNLE-NG- et à l'optimisation de nos moyens pour remplacer, le moment venu, les missiles M45 par des missiles de type M5.

Puis MM. Xavier de Villepin, président, Michel Caldaguès et Jean Faure, rapporteur pour avis, ont eu un échange de vues sur les perspectives d'une dissuasion européenne "concertée".

M. Michel Rocard a ensuite formulé trois observations. S'agissant des questions nucléaires, il a rappelé son attachement au consensus national en la matière mais estimé que l'avenir de notre dissuasion nucléaire, et notamment la prise en compte de son éventuelle dimension européenne, supposait une mise à jour des conditions d'exercice de notre dissuasion dans le nouveau contexte international. Evoquant l'espace militaire, il a estimé qu'il s'agisssait là potentiellement d'un domaine privilégié de coopération européenne, qui devait aller au-delà de la seule coopération franco-allemande envisagée ; il a souligné que l'élaboration d'une politique de sécurité commune européenne devait d'abord se développer dans les domaines qui ne touchaient ni au nucléaire ni à l'OTAN.

Abordant enfin les questions relatives au renseignement, M. Michel Rocard a vivement approuvé la suggestion du rapporteur pour avis de permettre une meilleure information du Parlement en la matière ; il a à cet égard rappelé qu'il avait tenu, durant la guerre du Golfe, en qualité de Premier ministre, à assurer l'information régulière de tous les groupes politiques du Parlement et que la confidentialité de ces réunions avait été parfaitement assurée. Il s'est également interrogé sur l'opportunité du rattachement de la DGSE (direction générale de la sécurité extérieure) au ministère de la défense, sur l'effort consacré par la France au renseignement par comparaison avec celui des autres puissances européennes, et sur les conditions de mise en oeuvre et d'actualisation du plan de renseignement français.

M. Xavier de Villepin, président , a rappelé qu'il avait, à plusieurs reprises, souhaité une meilleure information du Parlement en matière de renseignement et estimé que l'attention du Gouvernement devait être à nouveau attirée sur ce point.

M. Gérard Gaud a considéré que le budget de la défense pour 1996 était un "budget de continuité conservatoire" dans l'attente de décisions essentielles ; il a estimé que notre système de défense se trouvait à un tournant de son histoire. Il a d'autre part souligné la nécessité de mesures d'accompagnement, dans l'hypothèse d'un abandon de la composante nucléaire terrestre, pour assurer le maintien de l'emploi dans la région du plateau d'Albion.

MM. Nicolas About, Jacques Habert, Michel Rocard, Xavier de Villepin, président, et Jean Faure, rapporteur pour avis, ont ensuite eu un échange de vues sur l'avenir de la composante nucléaire sous-marine, sur la nécessité de pouvoir maintenir deux sous-marins en permanence à la mer, sur la succession des missiles M45, et sur la possibilité d'une coopération franco-britannique pour harmoniser les patrouilles de nos sous-marins nucléaires.

En réponse à M. Michel Caldaguès qui estimait illusoire, sinon dangereuse, l'idée qu'une "mutualisation" de la défense en Europe pourrait permettre une amélioration de la sécurité à un moindre coût, M. Xavier de Villepin, président, a enfin estimé qu'il était nécessaire de donner un contenu réel à la politique étrangère et de sécurité commune et d'apporter une réponse satisfaisante aux très fortes contraintes budgétaires présentes.

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La commission a ensuite examiné l'ensemble des crédits du ministère de la Défense pour 1996 au cours de sa réunion du mercredi 15 novembre 1996.

M. Jacques Genton s'est déclaré profondément préoccupé par les faiblesses du projet de budget de la défense pour 1996 exposées par les rapporteurs pour avis de la commission. Il a indiqué que, compte tenu du retard important qui apparaissait par rapport à la loi de programmation pour les années 1995-2000 et des très grandes incertitudes qui demeuraient dans la perspective de l'élaboration d'une nouvelle programmation, il émettrait, à titre personnel, un vote d'abstention volontaire.

M. Bertrand Delanoé a indiqué que le groupe socialiste aurait souhaité ne pas être contraint de rejeter les crédits de la défense mais que la manière dont la rigueur était imposée à nos forces armées et les conséquences qui allaient en résulter le conduisaient, à regret mais en conscience, à exprimer un vote négatif quant à l'adoption des crédits du ministère de la défense pour 1996

M. Michel Caldaguès , après avoir estimé que les opérations extérieures étaient davantage justifiées par des considérations de politique internationale que par des considérations militaires, s'est interrogé sur la compatibilité, sur le plan financier, entre la poursuite d'une politique d'interventions extérieures aussi ambitieuse et les exigences d'un équipement suffisant pour nos forces armées. Il a estimé que des choix étaient désormais indispensables et il a indiqué que c'était dans cet esprit qu'il voterait les crédits militaires pour 1996.

M. Philippe de Gaulle, après avoir approuvé les observations de M. Michel Caldaguès relatives aux opérations extérieures, a estimé que le projet de budget proposé était un budget honnête et qu'il devait, pour cette raison, être approuvé.

M. Jean-Luc Bécart a indiqué que le groupe communiste voterait contre l'ensemble des crédits du ministère de la Défense pour 1996.

Enfin M. Xavier de Villepin, président, approuvé par M. Jean Clouet, a rappelé l'avis favorable exprimé par l'ensemble des rapporteurs pour avis appartenant aux différents groupes de la majorité sénatoriale.

La commission a alors émis un avis favorable à l'adoption de l'ensemble des crédits du titre III et du titre V du budget de la défense pour 1996.

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