III. UNE PRESTATION CONÇUE A LA LUMIÈRE DES DÉRIVES PASSÉES...

A. LES DERIVES ANTERIEURES DES PRESTATIONS SOCIALES

1. L'allocation aux adultes handicapés

Le rapport de la Cour des Comptes de novembre 1993 relatif aux politiques sociales en faveur des adultes handicapés a relevé l'utilisation largement inadaptée des prestations qui leur sont destinées, source de dérives importantes et de moindre efficacité sociale pour les personnes réellement handicapées au profit desquelles ont été conçues ces prestations.

La Cour a notamment dénoncé les dérives auxquelles a donné lieu l'attribution de l'allocation aux adultes handicapés (AAH) sur la base de l'article L.821-2 du code de la sécurité sociale, qui en ouvre le bénéfice aux personnes ne présentant pas un taux d'incapacité de 80 %, mais qui sont reconnues par la COTOREP dans l'incapacité de se procurer un emploi du fait de leur handicap. Il semble que cette disposition soit en fait largement utilisée pour retirer du marché de l'emploi certaines personnes en situation de chômage de longue durée.

Pour remédier à ces dérives, l'article 95 de la loi de finances pour 1994 a institué un taux d'incapacité minimal pour pouvoir prétendre au bénéfice de l'article L.821-2. Ce taux a été fixé à 50 % par un décret n° 94-379 du 16 mai 1994.

Toutefois, il ne semble pas que cette réforme, qui ne s'applique qu'aux demandes nouvelles, ait déjà eu d'effet significatif sur le rythme de progression de l'AAH. Celle-ci a bénéficié en 1994 à 583.000 personnes, pour un coût budgétaire de 18,7 milliards de francs.

2. Le revenu minimum d'insertion

Lors de sa création, le RMI avait été présenté comme un "filet de sécurité" transitoire institué au bénéfice d'une mince frange d'exclus, mal pris en compte par les dispositifs sociaux existants, mais ayant vocation à reprendre place au sein de la société.

Toutefois, le volet insertion du RMI n'a pas répondu aux espérances. En 1994, sur 900.000 bénéficiaires du RMI, seuls 240.000 ont pu accéder à un emploi ou une formation. Sur les six premiers exercices, les crédits d'insertion à la charge des départements n'ont été consommés en moyenne qu'à hauteur de 85 % entraînant des reports considérables d'une année sur l'autre.

En revanche, le nombre des bénéficiaires n'a cessé de croître : il s'élevait à 946.000 au 30 juin 1995 et devrait dépasser le million d'ici à la fin de l'année. La dérive a été encore plus marquée dans les DOM, dont 16,7 % de la population vivait du RMI en 1994.

Au total, les dépenses directes au titre du RMI se sont élevées en 1994 à 32 milliards de francs, dont 26 milliards de francs à la charge de l'Etat et 6 milliards de francs à la charge des départements.

3. L'allocation compensatrice pour tierce personne

L'allocation compensatrice instaurée par l'article 39 de la loi du 30 juin 1975 d'orientation en faveur des personnes âgées est attribuée sur décision des COTOREP aux personnes lourdement handicapées (ayant un taux d'invalidité d'au moins 80 %), qui ont besoin de l'aide d'une tierce personne pour les actes essentiels de la vie quotidienne. Il peut s'agir d'une personne rémunérée ou d'un membre de l'entourage familial.

L'allocation compensatrice varie entre 40 % et 80 % du montant de la majoration pour tierce personne servie au titre de l'invalidité par la CNAVTS. Elle est financée par les départements au titre de l'aide sociale.

Conçue à destination des personnes handicapées, l'allocation compensatrice a été utilisée en pratique pour la prise en charge des personnes âgées dépendantes. En 1993, près de 70 % des bénéficiaires de l'allocation compensatrice étaient âgés de plus de 60 ans.

Comme votre rapporteur l'a indiqué plus haut, ce changement de finalité explique la très forte dynamique d'accroissement des dépenses d'allocation compensatrice, qui sont passées de 4.4 milliards de francs en 1984 à 8,8 milliards de francs en 1994. Leur taux d'augmentation annuel, qui était de + 6 % par an entre 1984 et 1989, s'est élevé à + 9 % par an entre 1989 et 1993.

Or, dans son rapport précité de novembre 1993. la Cour des Comptes a relevé que l'efficacité du recours à une tierce personne était difficile à apprécier, s'agissant d'une prestation en espèces. C'est pourquoi l'article 59 de la loi du 19 janvier 1994, relative à la santé publique et à la protection sociale, a prévu que les conditions d'efficacité de l'aide dispensée à une personne bénéficiaire d'une allocation compensatrice seraient fixées par voie de décret en Conseil d'État.

Le décret n° 95-91 du 24 juin 1995, qui subordonne le versement de l'allocation compensatrice pour tierce personne à la présentation des justificatifs nécessaires, devrait exercer un effet modérateur sur les demandes d'ouverture des droits, bien qu'il soit encore trop tôt pour le vérifier.

Par ailleurs, selon une jurisprudence constante de la Commission centrale d'aide sociale et du Conseil d'État, l'allocation ne peut être ni suspendue, ni réduite lorsque la personne âgée bénéficiaire est accueillie en établissement, alors même que le coût de sa dépendance est inclus dans le prix de journée. De nombreux départements restent réticents envers cette interprétation extensive de la loi du 30 juin 1975 et persistent à refuser de verser l'allocation compensatrice en établissement, ou à n'en verser qu'une partie, pour lui préférer l'aide sociale à l'hébergement. Mais ils le font sur une base juridique de plus en plus fragile, à mesure que se multiplient les contentieux.

L'allocation compensatrice s'est donc muée au fil des ans en un substitut, mal calibré, d'une prestation d'autonomie pour les personnes âgées dépendantes qu'il est devenu particulièrement urgent d'instaurer.

Votre rapporteur estime qu'il est indispensable de mettre à profit l'expérience des dérives passées pour définir au mieux la nouvelle prestation d'autonomie.

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