EXPOSE GENERAL
I. UNE PRESTATION SOCIALE DONT LA CRÉATION ÉTAIT ATTENDUE...
A. LA DÉPENDANCE EST MAL PRISE EN CHARGE PAR NOTRE SYSTÈME DE PROTECTION SOCIALE
1. La dépendance : un risque spécifique lié au vieillissement de la population
L'augmentation du nombre des personnes âgées dépendantes est liée à l'allongement de la durée de la vie. L'espérance de vie à la naissance a gagné Pratiquement dix ans au cours des quatre dernières décennies : entre 1950 et 1992, elle est passée de 63,4 ans à 73,1 ans pour les hommes, et de 69,2 ans à 81,3 ans pour les femmes.
En conséquence, la part des personnes âgées de plus de 85 ans dans l'ensemble de la population est passée de 0.5 % en 1950 à 1.5 % en 1990, et devrait atteindre 2.1 % en 2000.
La notion de dépendance, telle qu'elle a été définie par les travaux de ''OMS et de l'INSERM, repose sur deux critères :
- le besoin de recourir à un tiers pour les actes élémentaires de la vie courante (s'habiller, se déplacer, manger, faire sa toilette) ;
- le besoin de recourir à un tiers pour les tâches domestiques (faire le ménage, les courses, la cuisine).
En fonction du premier critère, on évaluait en 1990 le nombre des Personnes âgées de plus de 65 ans dépendantes pour tous les actes ou pour certains actes essentiels de la vie courante à 667.000 1 ( * ) . Cette population correspond aux deux premiers niveaux de dépendance définis par le docteur Alain Colvez pour l'INSERM (niveau 1 : personnes confinées au lit ou au fauteuil ; niveau 2 : personnes aidées pour la toilette et l'habillage). Actualisée au regard des évolutions démographiques connues, cette population s'élèverait à 700.000 personnes en 1995, résidant pour les deux tiers à domicile et pour le tiers restant en hébergement.
En fonction du second critère, les estimations varient assez sensiblement d'une étude à l'autre. Selon l'INSEE. en 1990, 940.000 personnes âgées de plus de 65 ans ne pouvaient pas sortir seules, sans relever pour autant des deux premiers niveaux de dépendance 1 ( * ) .
On peut donc retenir un ordre de grandeur de 1,6 million de personnes pour le nombre de personnes aujourd'hui affectées par la dépendance à un titre ou un autre, soit environ 18 % des personnes âgées de plus de 65 ans.
La spécificité du risque dépendance n'a été reconnue que relativement récemment. Pendant longtemps, l'axe essentiel de la politique de la vieillesse a d'abord été de garantir des revenus suffisants aux personnes âgées, les problèmes de santé liés au vieillissement étant renvoyés au cadre normal de l'assurance maladie. Mais, avec le développement du 4ème âge, le caractère spécifique des besoins d'assistance quotidienne et de soins non médicaux propres aux personnes âgées dépendantes est apparu évident.
2. Un financement public actuellement trop dispersé
Il existe des financements spécifiques de la dépendance, dont les montants sont connus de façon assez précise :
- au titre de l'assurance maladie, il s'agit des dépenses médicales effectuées dans les établissements pour personnes âgées (forfaits soins en long séjour, forfaits soins courants, forfaits soins en section de cure, services de soins à domicile) ;
- au titre de l'assurance vieillesse, il s'agit de la majoration pour tierce personne servie aux personnes âgées précédemment titulaires d'une pension d'invalidité, ainsi que des aides ménagères et des aides à l'amélioration de l'habitat financées sur les fonds d'action sanitaire et sociale des caisses de retraite :
- à la charge des collectivités locales, il s'agit de l'allocation compensatrice pour tierce personne versée à des personnes âgées de plus de 60 ans, et de l'aide sociale aux personnes âgées (aide ménagère et aide sociale à l'hébergement) ;
- à la charge de l'État, il s'agit des allocations simples et des auxiliaires de vie :
- à la charge des régimes complémentaires de retraite, il s'agit de dépenses d'aide ménagère venant s'ajouter à celle des régimes de base.
Le tableau ci-dessous retrace les montants de ces financements Publics spécifiques en 1992.
Dépenses spécifiques en faveur de la dépendance des personnes âgées en 1992
Pour disposer d'une vue plus complète, il convient d'ajouter à ces financements spécifiques les dépenses correspondant aux exonérations de cotisations sociales pour l'emploi d'une aide à domicile par les personnes âgées de plus de 70 ans (3.4 milliards de francs en 1995). On peut aussi supposer qu'une fraction, non déterminée, de la dépense fiscale correspondant aux réductions d'impôt sur le revenu au titre des emplois familiaux (4 milliards de francs) bénéficie à des personnes âgées dépendantes.
La dispersion des financements actuels de la dépendance est source d'inégalités et d'inadéquation aux besoins.
Pour l'aide ménagère, les dotations horaires et les niveaux de la participation demandée aux bénéficiaires varient non pas en fonction des besoins, mais des capacités financières diverses des caisses de retraite et des départements. De même, les niveaux des différentes catégories de forfaits soins varient non pas en fonction des besoins de prise en charge médicale des personnes âgées, mais du statut juridique des établissements qui les accueillent. Les pratiques des départements en matière d'allocation compensatrice pour tierce personne sont également assez diverses. Enfin, les réductions d'impôt pour l'emploi d'une aide à domicile ne bénéficient, par définition, qu'aux personnes âgées imposables. Or près de la moitié des retraités sont exonérés de l'impôt sur le revenu.
En fin de compte, ces inégalités de prise en charge aboutissent à des placements et des utilisations de services non pas en fonction des besoins et du degré de dépendance des personnes concernées, mais en fonction du niveau de financement offert. Il est notoire que la prise en charge à 100 % par l'assurance maladie des personnes âgées dépendantes accueillies en service de psychiatrie a conduit à une "sur psychiatrisation" de celles-ci : sur 45.000 personnes âgées en secteur psychiatrique, on estime à 11.000 les placements non justifiés.
* 1 Enquête santé du SESI 1991-1992.
* 1 INSEE - Données sociales 1993.