Avis n° 77 (1991-1992) de M. Philippe DE BOURGOING , fait au nom de la commission des lois, déposé le 7 novembre 1991
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N ° 77
SÉNAT
PREMIÈRE SESSION ORDINAIRE DE 1991-1992 |
Annexe au procès-verbal de la séance du 7 novembre 1991. |
AVIS
PRÉSENTÉ
au nom de la commission des Lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (l) sur la proposition de résolution de M. Marcel Daunay et plusieurs de ses collègues, tendant à la création d'une commission d'enquête visant à déterminer les conditions d'application et les conséquences de la réglementation communautaire applicable à la filière laitière, notamment en matière de quotas laitiers , d'existence de fraudes on de distorsions de concurrence, ainsi qu'à proposer des solutions pour remédier aux insuffisances constatées.
Par M. Philippe de BOURGOING,
Sénateur
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(1) Cette commission est composée de ; MM. Jacques Larché, président ; Louis Virapoullé, François Giacobbi, Charles de Cuttoli, Michel Darras, vice-présidents ; Charles Lederman, Germain Authie, René-Georges Laurin, Marcel Rudloff, secrétaires ; Guy Allouche, Alphonse Arzel, Gilbert Baumet, Pierre Biarnes, Christian Bonnet, Philippe de Bourgoing, Raymond Bouvier, Camille Cabana, Jean Chamant, Raymond Courrière, Etienne Dailly, André Daugnac, Luc Dejoie, Michel Dreyfus-Schmidt, Mme Jacqueline Fraysse-Cazalis. MM. Jean-Marie Girault, Paul Graziani, Hubert Haenel, Daniel Hoeffel, Charles Jolibois, Lucien Lanier, Bernard Laurent, Paul Masson, Daniel Millaud, Lucien Neuwirth, Charles Ornano, Georges Othily, Robert Pagès, Claude Pradille, Albert Ramassamy, Michel Rufin, Jacques Sourdille, Jacques Thyraud, Jean-Pierre Tizon, Georges Treille.
Voir les numéros :
Sénat : 396 (1990-1991) et 27 (1991-1992).
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Communautés européennes.
Mesdames, Messieurs,
La commission des Affaires économiques et du Plan a adopté, sur le rapport de M. Marcel Daunay, la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête visant à déterminer les conditions d'application et les conséquences de la réglementation communautaire applicable à la filière laitière, notamment en matière de quotas laitiers, d'existence de fraudes ou de distorsions de concurrence ainsi qu'à proposer des solutions pour remédier aux insuffisances constatées ; cette décision est intervenue sous réserve de l'avis que la commission des Lois doit émettre sur la recevabilité juridique de ce texte.
Cette proposition de résolution a été en effet envoyée pour avis à votre commission des Lois qui est chargée, en vertu de l'article 11, paragraphe 1, du Règlement du Sénat, d'en vérifier la conformité aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n°58-1100 modifiée du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires.
Le troisième alinéa de cet article, dans la rédaction qui résulte de la loi du 20 juillet 1991, dispose en particulier qu'« il ne peut être créé de commission d'enquête sur des faits ayant donné lieu à des poursuites judiciaires et aussi longtemps que ces poursuites sont en cours. Si une commission a déjà été créée, sa mission prend fin dès l'ouverture d'une information judiciaire relative aux faits sur lesquels elle est chargée d'enquêter ».
M. le Président Jacques Larché, conformément à la coutume, a demandé à M. Alain Poher, Président du Sénat, d'interroger le Garde des Sceaux sur l'existence éventuelle de poursuites judiciaires concernant les faits visés par la proposition de résolution.
Par lettre en date du 30 octobre 1991, le Garde des Sceaux a fait connaître qu'une enquête de police judiciaire ordonnée par un Procureur de la République, est actuellement en cours sur des faits de fraudes mettant en cause une société et une coopérative laitières. Le Garde des Sceaux a ensuite précisé qu'il ne pouvait que laisser au Sénat le soin d'apprécier si cette enquête n'est pas de nature à faire obstacle à la discussion de la proposition de résolution.
C'est en effet au Sénat, au vu de l'avis de la commission des Lois, qu'il appartient de décider en dernier lieu si une ou plusieurs procédures en cours empêchent la création d'une commission d'enquête.
Pour votre commission des Lois une enquête de police judiciaire, c'est-à-dire une enquête préliminaire diligentée par le Procureur de la République, en application de l'article 75 du Code de procédure pénale, ne saurait être assimilée à une poursuite judiciaire, car, au sens propre du terme, il ne peut y avoir de poursuite judiciaire qu'à partir du moment où les faits sont portés devant une juridiction, soit une juridiction d'instruction qui est saisie par un réquisitoire du Procureur de la République ou le dépôt d'une plainte, soit une juridiction de jugement devant laquelle le prévenu est cité directement.
Cette définition de la notion de poursuites judiciaires est celle consacrée par la doctrine de droit pénal, et a d'ailleurs été transposée dans le domaine des immunités parlementaires, pour déterminer si les poursuites contre un député ou un sénateur ont été initiées pendant la durée d'une session. Elle présente, de surcroît, l'avantage de préserver l'équilibre posé par l'ordonnance de 1958, car il paraît difficilement concevable que le pouvoir d'enquête du Sénat soit paralysé par une simple enquête préliminaire, ordonnée par un Procureur de la République, lui-même soumis au pouvoir hiérarchique du Garde des Sceaux, d'autant que cette enquête peut rester sans suite ou ne déboucher sur aucune poursuite judiciaire.
Pour toutes ces raisons, votre commission est amenée à considérer que la création d'une commission d'enquête sur les quotas laitiers ne se heurte à aucun obstacle d'ordre juridique.
Toutefois, dans le cas où le Garde des Sceaux informerait le Sénat que le ministère public, au vu du résultat de l'enquête, a décidé d'engager des poursuites devant une juridiction pénale, la commission d'enquête créée par le Sénat devrait écarter du champ de ses investigations les faits visés par ces poursuites, si tant est que cette commission ait vocation à enquêter sur des faits déterminés.
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Au bénéfice de cette observation, votre commission des Lois conclut à la recevabilité juridique de la proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur les quotas laitiers , dans la mesure où le texte de cette proposition n'est pas contraire aux dispositions de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des Assemblées parlementaires.